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tome 1, Chapitre 11 « Un nouvel allié (2) - V2 » tome 1, Chapitre 11

Chapitre IV – Où Herlhand découvre un nouvel allié dans l'adversité (2)

Je n'eus pas besoin de me l'entendre dire deux fois. Tout mon corps protestait et je me sentais épuisé, tout à la fois physiquement et moralement.

Quand l'image de Serafia me revint à l'esprit, mon cœur se serra si horriblement que je parvenais à peine à respirer. Une petite main chaude se posa sur mon front, pour en repousser quelques mèches éparses.

« Tout ira bien, Capitaine, dit gentiment Ejulia. Vous serez bien soigné. »

Je parvins à esquisser un sourire.

« Merci, demoiselle...

— Juste Ejulia. »

J'acquiesçai vaguement, avant de fermer les paupières. Bientôt, je plongeai dans un étrange mélange de rêve et de réalité, dans lequel j'étais enfin parvenu à m'envoler à bord de mon baquet, entouré de mes hommes. Mais quand je rentrai dans ma cabine, elle ressemblait au salon de Serafia. Ma maîtresse tenait une dague qu'elle essaya de m'enfoncer dans la poitrine. Je réussis à détourner sa lame, mais elle saisit un gourdin et l'abattit sur mon genou, réveillant une douleur telle que je rouvris subitement les yeux, tandis qu'un gémissement montait du plus profond de ma gorge.

Je me redressai d'un coup, mais retombai aussitôt allongé quand le mouvement tira sur mes diverses blessures. Je me trouvais à présent couché à même le drap. On m'avait ôté mon gilet et ma chemise trempés de pluie ; des bandages de fortune couvraient mon torse, mon épaule et mon bras droit. Pendant que je dormais, Klehon avait découpé mon pantalon et la tige de ma botte. Même si je comprenais qu'il avait agi au mieux pour éviter d'aggraver mes blessures, je ne pus m'empêcher de déplorer la perte de mes effets.

Un seul regard sur mon genou suffit à me faire oublier cette contrariété. Le membre gonflé et contusionné, calé sur une couverture repliée, ressemblait à peine à une jambe. Je fus tenté de vérifier si l'articulation pouvait encore fonctionner, mais je me ravisais très vite : le moindre mouvement malvenu pouvait empirer la situation. Et de toute façon, la douleur m'en aurait sans doute empêché.

« Capitaine ? »

Je tressaillis, cherchant Serafia du regard ; mais je ne rencontrai que les yeux bleus et innocents d'Ejulia. J'en éprouvais un mélange de soulagement et de désespoir qui me coupa de nouveau le souffle. Mon cœur battait bien trop vite dans ma poitrine. La jeune fille posa un bassin sur un tabouret à côté du lit. Elle y trempa un linge qu'elle essora soigneusement avant de l'appliquer sur mon genou. Le simple contact du tissu imbibé d'eau froide manqua de me faire défaillir ; je dus serrer les dents pour ne pas gémir ouvertement. Malgré tout, la compresse m'apporta un léger soulagement, en endormant un peu la douleur lancinante qui y persistait. Je la remerciai d'un sourire – qui se transforma très vite en grimace de souffrance.

« Restez tranquille et ne faites aucun effort, murmura-t-elle d'une voix apaisante. Mon oncle ne va plus tarder à présent. »

Voyant que je frissonnais, elle remonta la couverture sur mon corps transi. La sœur de Klehon ne pouvait dissimuler une expression inquiète... et je n'étais pas moi-même des plus rassurés. Je n'avais jamais, jusqu'à présent, subi de blessures graves – juste quelques entailles lors de combats d'entraînement et un bras cassé en tombant d'un arbre, quand j'avais huit ans. Les maux que je venais d'endurer étaient d'une tout autre nature. J'avais perdu beaucoup de sang et avec des plaies aussi profondes, une infection pouvait toujours survenir. Ce que j'apercevais de ma jambe me faisait douter de pouvoir remarcher normalement un jour. Malgré tous mes efforts pour écarter cette crainte de mon esprit, elle surnageait à la surface de mes pensées comme une horrible immondice.

Même si je tentais de me dire le contraire, le rejet de Serafia m'avait anéanti. Il m'avait fallu voir son vrai visage pour comprendre à quel point elle avait compté pour moi. Si je parvenais à survivre et à quitter cette principauté délétère, jamais plus je n'essaierais de croire dans l'illusion d'un amour partagé. J'endurcirai mon cœur autant que nécessaire...

Ejulia posa une main sur ma joue, l'essuyant délicatement du bout des doigts. Je réalisai avec embarras que des larmes s'étaient échappées de mes yeux. Je saisis son poignet :

« Je vous en prie... déclarai-je d'une voix rauque.

— Il n'y a pas de honte à souffrir.

— Il y a de la honte à laisser la souffrance prendre emprise sur vous. »

Elle soupira tristement :

« Klehon m'a dit... pour votre amie. »

La peste soit de ce domestique indiscret !

« Je ne comprends pas comment l'on peut ainsi nuire à quelqu'un que l'on prétend aimer.

— Sa famille l'a menacée d'un mariage haïssable... »

Pourquoi tentais-je de la défendre, encore maintenant ? La jeune femme posa sur moi un regard compatissant :

« Il faudra sans doute du temps, mais vous vous en remettrez.

— Qu'en savez-vous ? » rétorquai-je sèchement, pour le regretter aussitôt.

Loin de s'en offusquer, elle saisit ma main entre les siennes, petites, fines et légèrement calleuses. Elle m'adressa un sourire mélancolique.

« Je suis veuve... »

Veuve ? Elle n'avait sans doute pas beaucoup plus de vingt ans !

« Je... je suis désolé... bafouillai-je. Je ne voulais pas vous blesser...

— Je le sais bien. Cela a été très dur dans les premiers temps, mais j'ai toute ma famille pour m'aider. Il n'y a pas de honte à se reposer sur les autres. »

Je songeais à mon père, menant une existence parfaite avec sa seconde femme, une vie où je n'avais plus ma place depuis bien longtemps. À mon cousin imbu de lui-même, une bien meilleure figure filiale pour lui. À tous les gens qui s'étaient prétendus mes amis, mais s'étaient détournés de moi par défaut de richesse et de position.

« Encore faut-il... Qu'il y ait quelqu'un d'autre...

— Vous avez Klehon. Il vous apprécie beaucoup. Et votre équipage...

— Ce n'est qu'un ramassis de forbans... Et c'est eux qui devraient se reposer sur moi, pas le contraire. Quant à votre frère, je me demande encore pourquoi il manifeste une telle loyauté envers moi... Il n'a rien à y gagner !

— Quel homme amer vous faites... Quel âge avez-vous, capitaine ? »

Je détournais les yeux, gêné. Je me doutais de ce qui allait suivre, mais je n'avais aucune envie de me montrer malpoli envers quelqu'un d'aussi attentionné à mon égard.

« J'ai eu vingt-deux ans au début de cette année.

— Eh bien, cela fait de moi la plus âgée de nous deux, déclara-t-elle avec un petit éclat amusé dans le regard. Certes, pas de beaucoup, mais bien assez pour vous conseiller de tourner un regard un peu plus favorable vers l'avenir.

— L'avenir... »

J'avalais péniblement ma salive :

« J'ai décidé d'entraîner mes hommes vers une aventure rocambolesque et insensée qui fera de nous des renégats dans ces provinces, et peut-être même dans l'Empire... au mieux des mercenaires, au pire des pirates.

— Et ils étaient d'accord ?

— Étrangement, ils l'étaient... mais ce qui m'est arrivé a sans doute saboté notre projet. Je ne serai pas surpris qu'ils me laissent derrière eux. Dans mon état, je constitue un fardeau... Et je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même. J'ai toujours été un imbécile trop confiant envers les autres... comme envers moi-même. Je mérite pleinement ce qu'il m'arrive.

— Est-ce là l'opinion que vous avez de vous-même ? Ne vous sous-estimez pas, capitaine... Et ne sous-estimez pas ceux qui vous sont fidèles ! »

Je laissais ce gentil reproche faire son chemin dans mon esprit. Je m'étais un peu réchauffé et la douleur avait perdu de son intensité. L'épuisement me saisit de nouveau ; je pouvais tout juste garder mes yeux ouverts.

« Ne luttez pas, capitaine. Il est inutile de rester éveillé, vous ne ferez que vous épuiser et souffrir davantage. »

Ejulia repoussa les mèches qui collaient à mon front, avec une tendresse presque maternelle. En dépit de l'état déplorable de mon corps comme de mon esprit, je ne pus m'empêcher de sourire légèrement, avant de me laisser sombrer vers des ténèbres apaisantes.


Texte publié par Beatrix, 26 janvier 2019 à 23h52
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