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tome 1, Chapitre 10 « Un nouvel allié (1) - V2 » tome 1, Chapitre 10

Chapitre IV – Où Herlhand découvre un nouvel allié dans l'adversité (1)

Comme je pouvais à peine poser le pied par terre, mon serviteur supporta l'essentiel de mon poids.

La pluie qui tombait à verse rendait notre progression plus délicate encore. Je me demandais comment nous allions pouvoir regagner une sécurité relative, quand j'eus la surprise d'apercevoir, à la sortie de la ruelle, une voiture à cheval qui semblait nous attendre. En nous voyant arriver, le cocher sauta aussitôt au bas de son siège et vint aider Klehon à me hisser à l'intérieur du véhicule. Deux hommes ne furent pas de trop pour m'installer dans l'habitacle, appuyé à la paroi, ma jambe blessée allongée sur la banquette. Alors que mon serviteur glissait son manteau replié derrière mon dos, j'attrapai son bras de ma main valide avant qu'il ne se redresse :

« Klehon... Où m'emmènes-tu ?

— Chez ma sœur, qui habite un bourg en dehors de la ville.

— Tu vas la mettre en danger !

— Ne vous inquiétez pas, je ne pense pas qu'on ira vous chercher là-bas.

— Mais je dois rejoindre... »

Je me tus, hésitant encore à lui faire totalement confiance.

« Rejoindre votre équipage ? C'est cela ? Écoutez, capitaine, l'un de mes frères est soldat et il pourra sans peine faire parvenir un message à vos hommes, pour qu'ils puissent vous récupérer en un lieu plus discret. »

Je rendis les armes : il avait décidément réponse à tout ! À bout de forces, je me laissai aller contre le dossier improvisé. Sous la cape dont mon serviteur m'avait couvert, mes blessures saignaient toujours, quoique moins abondamment.

« L'un de mes oncles est guérisseur dans le bourg. J'irai le chercher dès que nous serons arrivés. Il saura vous rafistoler... Assez, du moins, pour que vous puissiez prendre les airs. »

Je ne me sentais pas tout à fait rassuré, mais je ne me trouvais pas en situation d'être exigeant. Chaque cahot de la route semblait se répercuter dans mon corps douloureux.

Je fermai les yeux, prenant mon mal en patience. Klehon avait tiré les rideaux et il m'était impossible de voir quoi que ce fût au-dehors. J'entendais juste – autant que je le ressentais – le fracas des roues sur le pavé et celui de la pluie s'abattant sur le bois léger de l'habitacle. Un frisson me rappela que sous l'épaisse cape, j'étais toujours trempé.

Je rouvris soudain un œil, l'esprit traversé par une urgence ridicule.

« Klehon, tu trouveras dans la poche de mon gilet un petit flacon. Peux-tu le mettre l'abri ? »

Le domestique obéit, récupérant l'objet avec précaution. Il l'examina avec perplexité :

« De quoi s'agit-il ?

— Cela devait être le symbole éclatant de ma victoire. Mais à présent, ce sera surtout celui de ma naïveté... »

Mon serviteur haussa les épaules et le rangea dans une grande sacoche posée à ses pieds. Je m'aperçus alors que l'habitacle contenait des bagages glissés sous les sièges et accrochés dans les filets au-dessus de nos têtes.

« J'ai chargé tout ce que je pouvais, expliqua Klehon. Je sais que vous comptiez tout laisser derrière vous, mais c'était dommage. Votre malle est sur le toit. »

Comment avais-je pu penser que mon serviteur n'était qu'un campagnard naïf ? Oh, c'était bien un campagnard, mais bien plus rusé que j'avais pu le croire.

« Klehon... »

Ma voix n'était qu'un murmure, mais il l'entendit parfaitement. Il se pencha vers moi, me dévisageant de ses yeux ronds :

« Oui, Capitaine ?

— Pourquoi... Pourquoi fais-tu tout cela pour moi ? Je ne me rappelle pas l'avoir mérité d'une quelconque manière. Certainement pas au point que tu te dévoues autant pour moi. »

Il éclata de rire :

« Oh, capitaine, c'est pourtant simple : j'ai juste envie de vous suivre loin d'Ingarya. De voir du pays. Et après tout cela, vous ne pourrez pas me dire non !

— Tu sais à quoi tu t'exposes, dis-moi ? Tu as vraiment envie de devenir un renégat, comme nous ? »

Klehon haussa les épaules :

« Être un paysan... ou un serviteur issu de la campane à Ingarya n'a rien de bien reluisant. Les citadins sont plus nombreux que nous et les notables nous oppriment. La plupart sont des maîtres épouvantables, ce qui n'est pas votre cas. Alors à tout prendre, je préfère lier mon destin au vôtre.

— Tu ne crains pas que ta famille puisse en souffrir ?

— Personne parmi les puissants ne sait que j'existe... à part vous. Alors comment pourraient-ils s'en prendre à eux ? »

Je le trouvais bien confiant. Mais je l'avais été aussi avant que l'adversité me rattrape avec autant d'éclat.

« Et puis, pour tout vous avouer, Capitaine, je vous aime bien. Je sais que ce n'est pas le rôle d'un domestique de faire ce genre d'aveux, mais vous ne vous êtes jamais montré trop exigeant. Vous me laissiez beaucoup de temps libre, vous étiez toujours prêt à me donner quelques pièces en plus pour que je puisse m'amuser, moi aussi, quand vous alliez à la taverne. Même si je doute qu'avoir travaillé pour vous soit une référence utile, tout au moins... vous êtes quelqu'un d'attachant.

— Tu parles de moi comme si j'étais le chien de la maison... » grommelai-je.

Klehon éclata de rire :

« Ne le prenez pas comme ça, capitaine. Ce que je veux dire, c'est qu'il est facile de vous apprécier, quand on ne se limite pas à des considérations de richesse ni de carrière... Vous êtes plutôt distrayant.

— Au point de t'embarquer avec moi dans une épopée qui s'annonce catastrophique ? »

Mon valet m'adressa un sourire :

« Il est un peu trop tôt pour dire cela, non ? »

La voiture s'arrêta enfin, avec un soubresaut qui m'arracha un gémissement.

« C'est bon, capitaine, nous sommes arrivés. Je vais vous aider à descendre. Essayez de ne pas mettre de poids sur votre jambe, d'accord ? »

Le cocher vient leur ouvrir et aida mon valet à m'extraire de l'habitacle. Nous nous trouvions devant une petite bâtisse élevée dans la même pierre brunâtre que la ville elle-même, mais sa couverture de bardeaux moussue et la forme arquée des fenêtres et de la porte lui conféraient un cachet particulier, en dépit des trombes d'eaux que le ciel déversait dessus. Le battant s'ouvrit sur une jeune femme potelée ; ses yeux un peu ronds et son nez retroussé montraient clairement sa parenté avec mon valet, mais l'effet me parut plus seyant chez elle. Sans être une beauté, elle n'était pas dénuée d'un certain charme. Je lui adressai un sourire – plus par instinct qu'autre chose.

« Ejulia, voici le capitaine vor'Deiter, mon maître. Il a été attaqué et blessé. Il a besoin de soins urgents ! »

Les yeux bleus s'écarquillèrent un peu plus ; elle s'effaça pour nous laisser le passage.

« Je vous remercie de votre hospitalité, demoiselle... »

Une délicate rougeur envahit ses joues. Klehon se racla la gorge :

« Capitaine, ma sœur est une femme honnête », déclara-t-il avant de me conduire vers l'intérieur de la maison, avec un peu plus de rudesse qu'il en avait manifesté jusque-là. Je frémis sous la douleur, tout en reconnaissant que c'était de bonne guerre.

Je regardai autour de moi ; il n'y avait qu'une seule pièce, avec un mobilier rudimentaire : une table avec deux bancs, quelques tabourets, une souillarde, des étagères et un lit dans un coin. Klehon me supporta vers la couche, sous les yeux préoccupés de sa sœur. Je l'arrêtai d'un geste :

« Je vais le tremper d'eau et de sang. Ce n'est pas une bonne idée. »

La jeune femme se dirigea vers un coffre dont elle tira une vieille couverture, dont elle se servit pour protéger la paillasse, avant d'aider son frère à m'installer dessus. Le cocher fit des allées et retours entre son véhicule et la petite maison, apportant tous mes bagages qui bientôt envahirent près du tiers de la pièce. Je remarquai à l'occasion sa ressemblance évidente avec Klehon et Ejulia.

« Vous êtes... parents aussi ?

— C'est notre frère aîné », expliqua mon valet.

Cette famille me plaisait de plus en plus. Je me laissai aller sur la paillasse, un peu dure mais accueillante pour mon corps blessé. Je fermai les yeux, tentant d'oublier les multiples douleurs qui me taraudaient. Le froid et la fatigue commençaient à avoir raison de moi. Klehon tira une couverture militaire de ma malle et la déposa sur moi.

« Mon oncle ne devrait pas tarder, capitaine. Essayez de vous reposer. »


Texte publié par Beatrix, 13 janvier 2019 à 21h35
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