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– Que fais-tu ! murmure la voix.

– Rien de ce qui ne nous est interdit, en rétorque une autre d’un ton narquois.

Un long soupir, suivit d’un silence ponctue la réponse. Son visage est un masque de cire indéchiffrable ; même ses lèvres demeurent fixes. Mal à l’aise, Amaël s’éloigne ; il n’ose affronter plus longtemps son regard. Alors qu’il s’apprête à franchir le seuil de sa cellule, il se retourne.

Mais non, il ne lui sourit pas, il ne se moque ; il est impassible.

– Reviens quand tu le désires ; ma porte sera toujours ouverte, sourit-il.

Seul dans le corridor, ses paroles bourdonnent encore à ses oreilles ; il ne sait qu’en penser. Soudain son regard s’arrête sur un portrait, dont le visage a été mutilé et le nom buriné. Il secoue la tête. Que feront-ils ? Que fera-t-il ?

– Que regardes-tu ? s’enquiert soudain quelqu’un.

Amaël sursaute et tourne les yeux en direction de celui qui l’a ainsi interpellé.

– Oh, c’est toi ! murmure-t-il, presque gêné.

Suspicieux, son interlocuteur le dévisage avec attention ; presque inquisiteur.

– Tu es allé le voir, n’est-ce pas ?

Il hausse les épaules. Il n’ignore pas que c’est une perte de temps, qu’il est plus têtu qu’un archange sur le sentier de la guerre. Mais il ne peut s’empêcher de se croire capable de renverser le fléau de la balance. En face de lui, son interlocuteur étend une main et arrache une plume ; elle est grise. Son visage se fige. L’autre ne dit rien ; il se contente de l’examiner, avant de souffler dessus. Un peu de poussière s’envole ; elle est de nouveau blanche.

– À ta guise, lance-t-il tandis qu’il reprend sa promenade. Je t’aurai seulement mis en garde.

L’écho de sa voix se répercute dans le couloir.

– Peut-être, soupire-t-il.

– Pourquoi n’apprennent-ils pas ? ajoute-t-il pour lui-même.

– Parce qu’ils ne le désirent pas, ricane une voix.

Il se retourne, mais il ne découvre que le corridor vide et silencieux.

– À quoi bon ? songe-t-il, comme il se dirige en direction de ses quartiers.

Sur le chemin, il les croise. Semblables, tous si semblables, les mêmes visages, les mêmes mots sans âge ; il ne les regarde pas.

– J’ai fait une erreur et j’ai été châtié, lui avait-il confié dans un demi-sourire.

Les rayons du soleil frappaient la fenêtre et dessinait une curieuse aurore au-dessus de sa tête.

– Le verbe est une chose puissante et la pensée encore plus.

Il s’était tu et avait tourné son visage vers le couchant ; il ne dirait plus rien. Son sourire parlait pour lui. Amaël reviendrait ; il le savait, encore et encore, jusqu’à ce que son esprit se brise et se libère de son joug. Ensuite, il lui montrerait et il serait prêt.

« J’ai fait une erreur ». Ses paroles résonnent toujours dans sa tête. Comment la chose serait-elle possible ?

Depuis, où qu’il aille, où qu’il marche, quoiqu’il contemple, le doute est là. Il n’ose s’en ouvrir. Alors dans le secret de cellule, il se mortifie. Le temps passe, des étoiles naissent et s’éteignent, mais jamais ne s’assoupissent les mots.

– Pourquoi souris-tu ? l’invective-t-il, comme il pénètre dans la pièce sans lumière.

Il hausse un sourcil. Dans la lueur de l’aube, son visage luit d’un éclat sinistre ; il ressemble à un oiseau de mauvaise augure. Rien n’a changé. Comme les autres, il est immuable et pourtant.

– Je ne souris pas. Je te regarde seulement, Amaël.

Un frisson lui parcourt l’échine. Qui est-il ? Ce matin-là, il n’a croisé personne et en a conçut un profond soulagement.

– Tu me regardes et tu vois mon âme en proie au tourment, rétorque-t-il.

L’autre se tourne vers la meurtrière d’où s’échappe le filet de lumière.

– Ton âme ? s’amuse-t-il.

– Si tu savais, souffle une voix derrière lui.

Il se tient là ; il ne l’a pas vu esquissé le moindre geste. Pourtant, il se tient là ; derrière lui, son corps nu contre le sien. Une main glisse sur son épaule ; il sent son souffle sur sa peau, il est si doux, si chaud. Ses doigts se glissent vers sa gorge, son torse, plus bas encore.

– Écoute ton cœur battre, petit Amaël. Entends ton âme qui hurle, prisonnière de son cocon qu’ils ont tissé autour d’elle.

Sa voix n’est plus qu’un murmure ténu, presque inaudible.

– Qu’ai-je dit ? Mais rien de moins que la vérité, lui susurre-t-il comme ses lèvres s’emparent des siennes.

– Judas, pense-t-il.

Mais il est trop tard. Depuis longtemps il a déchiré le voile, il ne manquait plus que ce baiser pour le libérer.

– Pourquoi moi ? murmure-t-il.

L’autre se retire et lui souris ; il remarque ses ongles longs et effilés. Il ne l’empêchera pas, il ne le pourra pas ; il ne le voudra pas.

– Tu le sais déjà, gargouille-t-il ; des flots de sang noir s’échappent de sa gorge tranchée.

Amaël sourit.

– Parce que je suis l’Ange de la Nuit, l’Ange de minuit, celui qui demeure à jamais seul chaque nuit, murmure-t-il penché sur lui.

Dans son dos, tous se précipitent déjà et il se compose aussitôt un masque de circonstance, mélange de chagrin et de stupéfaction. On l’arrache, on le bouscule ; tous hurlent, crient, se résignent. Il est trop tard ; Amaël se retire, seul. Seul, il l’est désormais lorsqu’il contemple en souriant le très bas.

Combien s’en étaient venus le dissuader ? Las, il ne compte plus, non plus que les fois où il a décliné leurs avances. Pourtant, jamais ils ne se sont lassés et toujours ils sont revenus. Il aura pu se montrer plus ferme, plus violent, plus cinglant. Mais il n’en a rien fait, c’eut été futile, rien ne les changera. Étriqués, enchaînés ; courber l’échine était si simple, surtout lorsque que l’on a le goût de la perfection. Pas un mot plus haut que l’autre, pas un plus bas non plus. Non ! Chaque parole est pesée ; assemblage subtil d’équilibres qui rendent la chose rare, précieuse, et stupide. Lui ? Lui se tait depuis qu’il possède le secret ; silencieux il est devenu étranger à la cité. Réfugié le soir sur les remparts, il apprécie la vision de ces lumières fugaces, quand tous déjà veillent.

Derrière lui, les lumières s’éteignent une à une tandis qu’un sourire se peint sur ses lèvres ; elles ont toujours le goût du sel, le goût du fiel lorsqu’il lui a offert ce traître baiser. Cette nuit encore, il sera patient, comme tous les soirs ; il attend le moment où il déploiera ses ailes couleur de minuit. Parfois, il surprend une ombre fugace qui, aussitôt, se dissimule et il sourit ; il sourit, car il se moque de ses semblables si droits, figés dans la mort, cependant qu’au fond d’eux-mêmes ils le jalousent. Seul, toujours il l’avait été et seul il demeurera, à jamais.

Le dernier espoir vient de s’éteindre et une brise légère se lève. Lentement, il pose les pieds sur le rebord de pierre et déploie ses ailes ; noires et piquetées d’étoiles. Il tourne les yeux vers le ciel, comme la lune est belle tandis qu’il plonge dans les ténèbres, sous le regard médusé d’un angelot tapi dans l’ombre.


Texte publié par Diogene, 19 mars 2018 à 21h33
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