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L'informateur

– Capitaine ! Je crois qu'il arrive !

Le second de la Blanche, un jeune homme maigre comme un coucou aux cheveux blonds aussi longs que crasseux, pointait une longue-vue direction plein Sud, le long de la plage. Lui et Erban, son capitaine, avaient rendez-vous avec un individu aussi louche qu'un autre, rencontré plus tôt dans la journée dans une taverne portuaire de médiocre réputation, confortablement peu regardante sur sa clientèle. L'alcoolique, d'un âge indéfinissable, avait commencé à leur parler des fameuses grottes englouties, actuellement l'un des sujets de conversation les plus entendus.

Comme tout un chacun, Erban était intrigué par le mystère de cette récente découverte. Il avait même entrepris de rassembler le plus d'informations possibles, car si les gens étaient nombreux à se passionner pour les nouvelles contradictoires qui affluaient, lui escomptait être celui qui découvrirait le fin mot de l'histoire.

Le poivrot avait souhaité leur livrer les informations dans un endroit plus discret. Il était persuadé que d'autres clients de la taverne crasseuse auraient pu les écouter et en vouloir à sa vie. Il leur avait donc suggéré de se retrouver deux heures plus tard, sur la plage, à un quart de lieue au Nord d'un accès appelé L'Hippocampe, ou d'aller se faire voir. Moyennant rétribution, bien entendu. Erban avait contenu son exaspération : au milieu de tous ces piliers de comptoir plus bruyants les uns que les autres, il était déjà malaisé d'entendre son voisin. Et une plage au crépuscule n'était certainement pas plus discret. Mais elle était toujours un peu fréquentée – ce qui réduisait le risque de provoquer des suspicions – par des promeneurs, des pêcheurs ou des trafiquants en tout genre. Ces derniers œuvrant plutôt de nuit, les éventuelles patrouilles ne devraient pas les importuner.

– Z'êtes en avance, on dirait, lança l'informateur.

– Non, c'est vous qui êtes en retard, répliqua Erban en se forçant à demeurer affable. Mais que représente une demi-heure, alors que vous allez me permettre de gagner tellement de temps ?

– Bien pensé, l'ami, approuva l'autre sans déceler l'ironie. Quand on prépare quelque chose de grand, il ne faut pas avoir peur d'y passer du temps.

– En passer ne signifie pas en perdre. Alors ?

– Z'avez mon paiement ?

Le second sortit une bourse très usée de sa poche et la lui tendit.

– Z'êtes réglo, c'est un plaisir !

Erban ne se rappelait pas qu'on lui ai déjà adressé ce genre de compliment, bien peu mérité.

– Les plongeurs, y'z'ont aperçu des gravures dans la roche immergée. Pour l'instant, on sait pas c'que ça r'présente, mais y parait qu'ça va profond. Derrière, ce s'rait une grotte, avec un trésor dedans.

Erban haussa un sourcil circonspect.

– Comment les plongeurs pourraient-ils savoir que la roche est creuse ? Et qui plus est, savoir ce qu'il y aurait à l'intérieur ?

– Y'aurait eu des prêtres d'Eminë avec eux, qui auraient suffisamment prié leur déesse pour qu'elle leur permette de voir à travers la roche.

La capitaine entendit son second pouffer. Il n'était pas le mieux éduqué, ni le plus instruit, mais il comprenait toute l'absurdité des propos de l'homme.

– Eminë ne peut accorder ce genre de pouvoir, expliqua Erban avec patience. C'est la déesse des océans ; il faudrait les prêtres de la déesse de la terre, Mo'orcha pour avoir ce don. De plus, les cultes divins sont désuets. Seuls quelques nostalgiques se dirigent encore vers le clergé. Les gens ont enfin compris que c'étaient leurs pratiques religieuses qui nourrissaient les conflits, et il s'en sont finalement détournés. En admettant que les dieux existent, ils seraient trop faibles, faute de croyants.

L'informateur haussa les épaules.

– Pourtant, les conflits continuent. Y'a qu'à voir c'qui s'passe de l'aut' côté d'l'eau...

– Vous avez autre chose à nous révéler ? le coupa Erban sans ménagement.

– Non, j'vous ai tout dit !

– C'est bien maigre.

Son second se permettait rarement un commentaire en sa présence, mais il devait admettre qu'il avait raison.

– Donc, récapitula le capitaine, il y aurait des... choses... gravées sur une paroi, entièrement immergée. Et c'est tout...

– Eh, se fâcha le poivrot, c'est pas d'ma faute si vous êtes sceptiques !

– Et a-t-on, au moins, l'emplacement exact de cette roche ?

– Y parait qu'c'est au Nord de l’Île en Pointe, là où l'azur du ciel est le plus pur.

Erban tiqua à la poésie involontaire de son interlocuteur. Les gens pouvaient se montrer bien surprenants. À moins que, cette fois encore, il se limite à répéter des propos glanés aléatoirement dans des lieux douteux.

– Bon, ben vous z'avez plus besoin d'moi, j'vais vous laisser et vous souhaiter bon vent...

L'homme prit la direction des dunes qui faisaient face à la mer, ayant manifestement oublié qu'il n'était pas passé par là pour venir.

– Vous pensez qu'il en sait plus ? interrogea le second.

– Non, il nous a tout dit, il avait trop peur de nous pour cacher quoi que ce soit.

– Mais on n'est pas beaucoup plus avancés.

– Non, puisque tout ce qu'il a dit, nous le savions déjà.

Il sortit un long couteau de sa ceinture.

– Je te laisse récupérer notre investissement, à défaut du temps.

Le jeune homme blond donna son assentiment d'un unique hochement de tête, prit le couteau et se lança à la suite de l'informateur.


Texte publié par Lunar Eclipse, 11 mars 2018 à 12h13
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