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tome 1, Chapitre 37 « La cape bleue » tome 1, Chapitre 37

Amalia se réveilla dans un brutal sursaut et, instinctivement, balança un sortilège explosif, ultime défense contre la petite consœur. L’éclat bleu percuta le plafond sans l’égratigner. Le souffle court, la sorcière se redressa et observa la pièce où elle se trouvait. Rideaux rouges, napperon rouge sur l’étroit bureau apposé au mur, draps rouges, curieuse préférence pour les meubles en pin massif… Elle logeait bien chez les Confrères.

La jeune femme replia les genoux et s’attrapa la tête entre les mains. Tout allait trop vite. En moins de quarante-huit heures, elle avait corrompu Akio Liu, sauvé une communauté entière, dragué Alan, condamné la communauté, grillé la citoyenneté de Malo, fuit ses responsabilités… pour, au final, perdre un combat contre une gamine.

Les dents serrées, Amalia ravala un sanglot. Elle lutta contre la tristesse et l’angoisse, puis transforma son abattement en fureur. La violence du sentiment la submergea. Amalia cria sa rage. Quel besoin y avait-il à lui faire subir une humiliation de plus ?

Elle se releva vivement, emportée par son élan, renversa sa table de chevet en bois vernis et manqua de tomber. D’un geste brutal, elle envoya le stupide meuble valser quelques pas plus loin.

Amalia chercha à initier un transfert : elle lança, sans y penser, le sortilège autonome abrité dans son concentrateur depuis qu’elle était en âge de se déplacer et laissa les charmes fédéraux prendre le relais.

Ils étaient entrés au monastère depuis la forêt Seinoise, elle aurait dû réussir à se raccorder au réseau, mais elle ne perçut rien, aucun nœud auquel s’accrocher. Rien à quoi se rattacher pour s’extraire de la merde dans laquelle elle s’enlisait un peu plus à chaque instant. Sa demande resta sans réponse, petite pierre jetée dans une marre sans fond.

Le maillage fédéral était peut-être neutralisé ici. Sans conviction, Alalia tenta un transfert autonome. Son charme lui revint de plein fouet : la zone lui interdisait une nouvelle fuite.

Amalia laissa passer un sifflement entre ses dents serrées. Prise au piège. Elle croisa son regard dans le seul miroir de la pièce et s’y dévisagea. Elle portait encore le pantalon de lin et le T-shirt avec lesquelles les villageois et elle avaient cru célébrer leur victoire. Cela la rendit malade.

Après une courte hésitation, la jeune femme se dirigea vers l’armoire sur laquelle était fixée la glace. Au point elle où elle en était, elle ne se sentit même pas surprise d’y découvrir l’intégralité de sa garde-robe. Ses pantalons, ses robes, ses hauts, du plus léger au plus sophistiqué, des plus belles chaussures aux plus simples basquets… Tout était là.

« Aller vous faire foutre », souffla-t-elle avec hargne.

Jusqu’où la Confrérie pousserait-elle le vice de la violation de sa vie privée ? Elle attrapa néanmoins une tenue propre et, d’un sortilège, se lava et se changea.

Amalia hésita entre la porte de la chambre et la fenêtre. Elle considéra plus sage de jeter un coup d’œil à l’extérieur avant de se lancer dans une exploration. En écartant les rideaux, elle découvrit un petit jardinet ceinturé par une barrière blanche. Le portail donnait sur une allée de galets qui desservait une maison en briques rouges, à une centaine de mètres, puis une autre un peu plus loin. Aux fines colonnes de fumée qui s’élevaient dans le ciel bleu pâle, Amalia devina la présence de nombreuses bâtisses, en dehors de son champ de vision. Le temps dégagé contrastait avec la couverture immaculée qui camouflait les toits et les pelouses. Comment pouvait-il neiger à cette époque de l’année, en territoire Seinois ? Au moins l’échec de transfert par le réseau fédéral s’expliquait facilement : elle avait été déplacée ailleurs, encore.

La jeune femme hésita. Pouvait-elle sortir ? D’un geste, elle testa la solidité de la fenêtre, prête à esquiver la moindre attaque. L’huisserie se montra plus coopérative que son homologue himalayenne. Aucune main de bois ne chercha à frapper la sorcière ; la poignée pivota sans protester et la vitre s’ouvrit, laissant entrer un léger courant d’air vif et frais.

Amalia lâcha un bref soupir de soulagement. Elle ne se retrouvait pas de nouveau enfermée dans une prison au confort aussi insupportable qu’insultant.

Trois coups secs sur la porte de sa chambre la firent sursauter. Amalia découvrit Kentigern, souriant sur le pas de la pièce.

« J’ai frappé », remarqua-t-il

Sa réplique, tout à fait hors propos dans la situation, laissa Amalia la bouche entrouverte et il profita de son trouble pour entrer. Elle referma derrière lui.

« Bienvenue au Village. C’est ici que vit une grande partie de ceux qui ont demandé notre protection…

— Je n’ai pas demandé votre protection.

— Ainsi qu’une partie des Capes bleues avec qui nous travaillons. »

Amalia remarqua alors qu’il portait, sur son bras, l’une desdites Capes bleues. Il la lui tendit et elle se vit, malgré elle, saisir l’étoffe ; happée par l’intensité indigo ; conquise par la texture du tissu, doux, chaud et léger à la fois. Dans un éclair de lucidité, la jeune femme s’agaça de cette réaction : ce manteau l’ensorcelait. Il lui soufflait être fait pour elle.

« Il va falloir me donner un peu plus de contexte, Kentigern, articula-t-elle. Vous voulez que je sois consœur, vous m’amenez au Monastère, vous m’humiliez, puis vous me donnez une cape bleu et non rouge… Je ne sais même pas quoi en penser.

— Tu porteras cette cape tant que tu ne seras pas Consœur.

— Je n’ai toujours rien signé et votre petit jeu de… quel jour est-on ?

— Tu as dormi journée et une nuit, renseigna l’homme.

— Votre petit jeu d’hier, donc, ne me donne vraiment pas envie de devenir consœur. »

Kentigern se contenta, à nouveau, de sourire. Il haussa les épaules sans répondre. Amalia s’arracha à la contemplation de sa cape pour lui rendre un regard sombre. Elle voulait le voir réagir. Qu’il s’énerve parce qu’elle avait perdu. Qu’il revienne sur ses mots. Qu’il la congédie. Qu’il fasse quelque chose.

« Arrêtez de sourire, Merlin ! Une gamine de dix ans…

— Treize ans.

— C’est pareil ! s’emporta Amalia. Une gamine de treize ans m’a collé une dérouillée devant une classe entière ! Comment voulez-vous que je réagisse ? Je ne deviendrai pas consœur et je ne vois vraiment pas ce que je pourrais vous apporter !

— Tu aurais dû devenir Consœur, répéta Kentigern.

— Vous n’avez pas réussi à me recruter à onze ans, la belle affaire. Vous pouviez le faire plus tard. Pourquoi ne m’avez-vous pas contacté plus tôt ?

— L’apprentissage d’un jeune Confrère est très normé. Après 13 ans, il était impossible de t’intégrer au cycle en cours.

— Pourquoi, dix ans plus tard, vous revenez là-dessus ? Qu’est-ce qui a changé ?

— J’ai pris du galon. »

Elle haussa un sourcil et le dévisagea de haut en bas. Ils étaient tous deux restés debout au beau milieu de la chambre et elle se permit de s’écarter de lui pour s’asseoir sur le lit en plissant les lèvres.

« OK… Je crois que c’est la première fois que je vous entends dire “je” dans l’histoire que vous me racontez. Pourquoi est-ce que vous, en particulier, voudriez me faire rentrer à la Confrérie ?

— La Confrérie est très étendue. Les dirigeants sont répartis sur trois rangs. Les Officiels de rang un sont cinq, ceux de rang deux sont dix. Et au rang trois, nous sommes quinze. J’ai été promu rang trois peu de temps après que tu aies épousé Cédric. À cette époque, j’ai estimé que tu refuserais catégoriquement de quitter ta vie pour la Confrérie.

— Et maintenant vous avez le champ libre… »

Ils restèrent silencieux un long moment. Elle avait besoin d’un répit pour gérer ce qu’elle ressentait, il l’avait bien compris. Comme pour indiquer que la discussion pouvait reprendre, Amalia releva les yeux vers lui. Il s’était installé à la fenêtre et observait le Village, l’air serein.

« Passons sur le caractère odieux de votre raisonnement, à savoir “c’est une bonne chose pour vous que ma famille ait été assassinée”… Je répète ma question. Pourquoi voulez-vous que je devienne consœur ?

— Parce que je veux faire évoluer la Confrérie. »

Amalia fronça les sourcils sans comprendre. L’homme se retourna et la fixa. Elle accrocha son regard. Il ne la montrait pas, elle ne la sentait pas, mais la détermination du Confrère se lisait dans ses yeux. Elle se releva pour lui faire face, les bras croisés.

« Comme je te l’ai dit, la Confrérie est vieille. Très vieille. Certaines de nos règles, nécessaires à une époque, empêchent notre communauté d’évoluer, de s’adapter. »

Amalia leva les yeux au ciel. Était-il donc incapable de s’exprimer simplement et sans détour ?

« Nous avons besoin d’élargir nos recherches, d’élargir nos esprits, continuait Kentigern sans prêter attention à l’exaspération de la sorcière. Il faut que la Confrérie apprenne qu’elle peut changer. Si cela fait un certain temps que l’on peut intégrer quelqu’un aux apprentis, cela n’a jamais été fait. Je veux tenter le coup, avec toi. Je veux qui tu deviennes une Consœur.

— Mais, bordel de Merlin, pour-quoi-moi ? s’exclama Amalia, excédée.

— Tu as un bon potentiel, une magie que nous ne connaissons pas, un caractère fort et tu n’as plus d’attache.

— Quel genre de sorcier parie sur la mort de quelqu’un ? » explosa-t-elle en se levant d’un bond.

Il insistait ; de nouveau, il lui rappelait que, si elle se trouvait là, c’était parce que son mari et sa fille n’étaient plus.

« Je pourrai me reconstruire, ailleurs, avec de nouvelles attaches ! Votre Confrérie n’a aucun intérêt pour moi ! »

Les mots de Kentigern lui revinrent en mémoire, acides et impétueux : Je t’offre une toute nouvelle vie. Une vie de recherches, de combats, de découvertes. La possibilité, aussi extrême soit-elle, de repartir à zéro.

Ces phrases la hantaient depuis que le Confrère les avait prononcées. Qu’il la laisse tranquille ! Qu’il lui rende sa vie, sa liberté !

« Vos gamins, aussi doués soient-ils, puent l’embrigadement à des kilomètres ! Je ne dédierais pas ma vie à une secte ! annonça-t-elle, catégorique.

— Il n’en est pas encore question.

— Pas encore la question ? »

Amalia se rapprocha de lui, presque à son contact, si près qu’elle pouvait sans mal distinguer les rides naissantes sur la peau du confrère. Elle laissa la colère alimenter ses pensées, braise vive, prête à s’enflammer, mais maîtrisée.

« Vous croyez que je ne me rends pas compte de vos pratiques ? reprit-elle d’un ton calme.

— Quelles prat…

— Vous m’avez trainée ici de force, coupa-t-elle, amenée à Dubaï de force, obligée à me sevrer de force !

— À aucun moment nous ne…

— C’est vous qui avez manœuvré pour que j’en arrive là ! s’emporta-t-elle enfin. Allez-y, c’est le moment ! Avouez-moi que vous avez orchestré mon échec à Dubaï ! Ma rencontre avec Malo et Alan ! L’attaque de l’Ordre dans mon village !

— Ça suffit ! »

La voix du Maître, agacée, la souffla. Amalia recula d’un pas et haussa un insupportable sourcil en croisant les bras. Elle l’avait énervé, réellement. Elle savoura sa victoire. Cette fois, elle n’était pas seule avec sa colère face à un mur. Kentigern grimaça un soupire et se passa les doigts le long de l’arrête de son nez, d’un geste las.

« Le monde ne tourne pas autour de toi, reprit-il d’un ton dur. Ne rejette pas ta faute sur d’autres parce que tu es incapable de gérer la défaite, ne cherche pas un coupable quand il n’y en a pas.

— Rien ne me ga…

— Si tu n’es pas capable de rentrer à la Confrérie, tu n’y rentreras pas, l’interrompit-il sèchement. Ce n’est ni un drame ni une grande perte pour nous. Je trouverai quelqu’un d’autre.

— Parfait ! s’exclama Amalia. Le problème est réglé ! Je n’en suis pas capable ! Maintenant, laissez-moi me transférer loin de votre monastère de merde ! »

Ils se défièrent du regard durant de longues secondes de silence. Amalia, les dents et les poings serrés, sentit une vague de soulagement jubilatoire la submerger lorsque le Confrère détourna les yeux.

« Tu le regretteras, soupira-t-il, mais c’est entendu. »

Kentigern fit venir la cape bleue étalée sur le lit et la lissa en quelques gestes mécaniques.

« Où veux-tu être transféré ? » questionna-t-il en reportant son attention sur la jeune femme.

Amalia lui jeta un regard perplexe. Où pouvait-elle bien aller ?

« Envoyez-moi à Stuttgart », demanda-t-elle par défaut.

L’homme hocha la tête. L’instant d’après, elle se retrouva en plein centre de la Capitale fédérale devant le bâtiment de commandement de l’Armée Fédérale et face à l’obélisque brisé.


Texte publié par Cestdoncvrai, 14 juin 2018 à 22h52
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