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Vega s'était souvent retrouvée dans des situations improbables. Une question de karma, lui répétait souvent Zeck. Pour atteindre ce degré de bizarrerie et d'acharnement, cependant, elle avait vraiment dû faire quelque chose d'atroce dans une autre vie. Et si c'était le cas, elle préférait ne pas savoir quoi. Cela dit, à détailler un peu son environnement, elle se demandait si elle n'allait pas le découvrir de fait.

Il faisait nuit, mais ce n'était pas la nuit rose et lumineuse de Gora. Le ciel était si noir que c'en était choquant. Un nombre impossible d'étoiles scintillait doucement et festonnait les contours de toits pointus. La jeune femme baissa les yeux.

Elle marchait dans une rue plongée dans la pénombre. Les volets des maisons de pierre et de bois étaient clos. A l'exception d'une lanterne pendue ici ou là à un croisement avec une autre ruelle, il n'y avait aucune autre lumière que celle de la lune. Ses talons claquaient sur les pavés irréguliers. Les murs se renvoyaient le son en écho. Elle était seule, mais son oreille restait à l'affût du moindre bruit qui trahirait la présence d'un éventuel poursuivant. Elle ne savait plus pourquoi, mais c'était important que personne ne la suive.

Elle rajusta soigneusement le capuchon qui dissimulait son visage. Le bruissement étouffé de la cape de laine qui la protégeait de la fraîcheur de la nuit accompagnait son avancée. Elle évita un tas d'ordures jeté au milieu de la rue. L'odeur d'excréments, de boue et de pourriture semblait amplifiée par le froid. Mais à mesure qu'elle avançait, d'autres relents prenaient le pas sur ceux de la ville, des émanations marines de sel, de vase et de grand large.

Vega bifurqua dans des ruelles plus étroites encore, traversa des ponts de bois branlants qui enjambaient des canaux nauséabonds et longea des palais de pierre opalescente côtoyant des masures croulantes. Puis, elle déboucha sur une place baignée par le clair de lune. Elle perçut le bruit creux d'embarcations amarrées à une jetée de bois qui se heurtaient au rythme du flux et du reflux des vagues. Au-delà se découvrait la lagune nimbée d'argent et à l'horizon, la mer dont le grondement profond trahissait la puissance.

La jeune femme se dirigea vers l'embarcadère. Une ombre noire et anonyme l'y attendait. La lumière de la lune arracha à la silhouette un éclat d'argent. Le pommeau d'une canne, selon toute vraisemblance, songea Vega. Elle porta une main à sa taille, s'assurant de la présence rassurante de sa dague.

Sans hésiter, elle se dirigea vers la jetée.

L’homme qui l’attendait était grand, et possédait un long visage au sourire désagréable. Il enleva son chapeau pour la saluer et frappa le bois de la jetée de sa canne à pommeau.

- Ma chère, je vous attendais.

Il émanait de lui une impression de luxe, mais aussi de décadence et de danger : ses habits n’étaient pas si beaux et propres qu’il ne les aurait sans doute voulus, et dans ses yeux brillait un éclat calculateur et froid.

- Euh, désolée, dit Vega, mais je ne suis pas sûre de vous connaître.

- Vous ne vous souvenez peut-être pas. Vous êtes Vega, n’est-ce pas ?

Elle acquiesça, il réitéra son salut avec une expression de moquerie.

- Vito Galladun, annonça-t-il.

- Et où sommes-nous, là ?

- À Venise, belle dame.

C’était donc ça, cette nuit si noire : elle se trouvait sur Terre.

- Venez, dit Vito en lui prenant le bras. Marchons.

Vega se serait attendue à ce qu’il la mène sur le quai mais, d’une petite poussée, il la propulsa devant lui, les pieds au-dessus de l’eau. Elle crut tomber, battit inutilement des bras, ferma les yeux dans l'attente du choc… rien ne se passa. La jeune femme prit son courage à deux mains et entrouvrit les paupières. Le regard ironique de Vito brillait à quelques centimètres d’elle ; elle se dit vaguement que la proximité en devenait indécente quand la réalisation que tous deux flottaient dans les airs, sans rien pour les retenir, lui fit perdre le fil de sa pensée. Ça, c'était bizarre. Non, pas bizarre. Pas possible.

- Mais… mais…

- Dans mon monde, vous savez, tout est possible, déclara Vito. Non, pas à Venise… dans ma Venise, à moi. Là-dedans, ajouta-t-il en se tapotant la tempe.

Avant qu’elle n’ait pu répondre, il la poussa derechef et Vega se sentit glisser sur l’air. Elle avait peur de tomber à tout instant, instant qui, pourtant, ne venait jamais : il semblait impossible de tomber dans cet air-là. La main de Vito toujours sur son bras, ils dérivèrent au-dessus des vagues où se posaient les lumières de la ville, se rapprochèrent du tableau de toits, de pierre et de bois pourri, survolèrent l’île. L’expérience était assez grisante, son vertige ne la tourmentait pas et pour un peu, elle se serait crue en train de voltiger sous le dôme du constellarium que Zeck lui avait montré. Elle aurait peut-être dû s'inquiéter de réagir aussi bien à toute cette étrangeté, mais le flot de paroles de Vito – qui lui racontait des anecdotes sur Venise – l’empêchait de réfléchir correctement.

Enfin, au bout d’un temps qui lui sembla plus long qu’une éternité, plus court qu’une seconde, Vega et Vito redescendirent doucement vers la terre. Ils se trouvaient près d’une église à l’air austère, aux gargouilles fièrement menaçantes.

- Vega, commença Vito, je vous ai fait venir ici pour vous demander une faveur. Cela fait un moment que je vous observe, sur votre… planète. Intéressant, ce que nous réserve le futur, vraiment…

- Vous m’observez ? déclara-t-elle sur un ton dubitatif en arquant un sourcil.

Vito marqua un temps d’arrêt, esquissa un demi-sourire.

- En rêve, murmura-t-il. Où croyez-vous être ?

- En rêve, répéta-t-elle, songeuse. D’accord, je comprends mieux. Ça explique sans doute pas mal de choses. J'ai l'habitude de faire des rêves bizarres. Donc, je vais probablement bientôt me rév…

- Non ! cria Vito. Ne dites pas ce mot !

-.. veiller..

Les choses devenaient floues autour d’elle. Mer et ciel se confondaient, les lumières se transformaient en orbes dansants ; le visage de l’homme s’estompa et, progressivement, se fit plus distant.

Trop tard, entendit-elle dans sa tête. Au revoir, Vega, j’espère vous retrouver dans un prochain songe.

Vega ouvrit brusquement les yeux. Il faisait encore nuit : une nuit rose, typique de Gora. De retour chez elle. Dommage. Elle aurait bien aimé entendre ce qu’il avait à dire.


Texte publié par Pixie, 14 février 2018 à 16h54
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