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Pour la plupart des gens, les portails entre les mondes relevaient du rêve et de l’imagination. Pour celui qu’on nommait « le voyageur », ils appartenaient à la réalité… mais pas à celle des auteurs de contes. On y croisait des entités malveillantes, des règles physiques bizarres ou des environnements hostiles… Bref, l’immense majorité n’avait rien de bien fréquentable.

Aussi fut-il surpris quand le lieu qu’il avait décidé d’explorer se révéla non seulement habitable, mais étrangement proche de son monde : il était apparu à l’entrée d’un village d’allure médiévale, où des passants affairés menaient leurs affaires quotidiennes.

Certes, un jeune homme vêtu de tweed et portant des lunettes fumées n’y faisait pas couleur locale, mais il pouvait passer pour un étranger ou un excentrique.

« Civilisation, je t’aime ! ...parfois », pensa-t-il en son for intérieur. Sourdant d’un appentis jouxtant une maison de la grand-rue, le jeune homme sourit avec légèreté; légèreté ET sincérité, tout le portrait de Mercury !

Si Anti avait été présente, la bretteuse aurait rappelé la fatuité de la vanité, d’une taloche appliquée sur sa caboche de roux coiffée. Cent fois lui avait-elle seriné qu’il était bienvenu d’éviter de baguenauder, bien d’autrui sous le bras ; surtout lorsque l’ancienne mais illégitime propriétaire n’était autre que l’amie du bourgmestre...

Bref : sans sa boss au regard sombre, celle qu’il espérait pouvoir qualifier d’amie (un jour...), il devait faire gaffe à ne pas écraser les pieds de quiconque, éviter bousculer le quidam, faire tomber une paire d’inattendues petites lunes du nez pincé qu’un étrange étranger...

Swan prêtait généralement attention à son environnement... Mais tout à l'examen du lieu, il ne put éviter le jeune rouquin, fort pressé de toute évidence, qui lui fonça dedans.

« Eh, atten... »

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase ; sous le choc, ses lunettes dégringolèrent pour se perdre dans la ruelle boueuse. Paniqué à l'idée de les voir écrasées, l'étranger blond les chercha frénétiquement. Si les villageois voyaient son regard couleur de sang, il se retrouverait probablement poursuivi par une foule armée de fourches et de flambeaux. Il ferma les paupières, s’agrippant à l'épaule de son agresseur involontaire :

« Halte là ! Je vais avoir besoin de vous ! » lui souffla-t-il à l'oreille.

« La civilité c’est bon ; parfois ! » souffla l’ancien rat de bibliothèque qu’un revers du destin avait alors jeté sur les grands chemins...

Enfin, oui... : reprenons respiration et air moins hagard, se proposa le « freluquet-chef » (dixit Antinée...), dissimulant davantage ce trésor tant convoité depuis... trois bonnes journées.

« Hmmm... Amigo, qué jé po aider toi, qué né sé voir dévant, toi ? »

(Subterfuge ou accent bien porté sont amis du rusé (Antinée, tome II).

Swan n'était pas né de la dernière pluie... l'inconnu modifiait son accent, mais il restait compréhensible.

« Vous m'avez l'air plutôt malin. Si vous pouvez juste retrouver ce que j'ai perdu, je vous expliquerai tout... »

Il marqua une pause avant d'ajouter :

« N’ayez crainte, je ne vous veux aucun mal ! »

Ouais... Et quoi encore, suis-je né de la dernière ondée, dites ?

Bah non ! Mercu ne se sentit pas d’être mauvais bougre. Point d’ effronterie, ni de fuite éperdue...; simplement le regard franc quoique attentif du jeune homme honnête.

« Mercury, à votre service... ou Vif-Argent... mais ça, c’est une autre histoire... »

En entendant ces paroles, Swan ne put s'empêcher d'éclater de rire :

« Mercury, vraiment ? Eh bien, nous étions destinés à nous rencontrer ! »

Il l'attrapa par l'épaule et continua du même ton enjoué :

« Figurez-vous que mon nom réel est justement Paul Mercury... Et le vif-argent est souvent associé à mon père, qui est l'un des plus fameux voleurs de notre monde ! »

Il frémit légèrement :

« Non que je vous accuse d'être un voleur, loin de là... Connaissez-vous un endroit... de préférence sombre, où boire un coup ? »

Chevelure hirsute ET voyante, Mercury-le-lettré ne put ignorer les yeux « soleil couchant » s’étant offerts à son regard ; mais des choses, des gens il n’aimait présupposer...

« Swan ? C’est bon signe ! osa-t-il, se fendant de son plus large, mais franc sourire. Une auberge, un troquet, un confortable estaminet ? Je crains que le patelin-ci n’offre plus ce genre d’établissement, depuis la Nuit Obscure et... euh, excusez-moi, je digresse, revenons à nos moutons, mon bon maître… Suivez-moi », poursuivit-il, indiquant une petite construction de bois, à l’écart du chemin boueux pompeusement intitulé « Grand-rue ».

Swan se demanda s'il y avait un piège à craindre... mais son nouvel « ami » lui paraissait assez sympathique. Il était rare de trouver un compagnon pour passer du bon temps dans les réalités secondaires.

« Eh bien, je vous suis ! Vous me raconterez tout de ce monde qui excite ma curiosité !

— L’endroit n’est franchement plus intéressant..., reprit Mercury, serrant davantage son « Précis des simples et plantes miraculeuses, par Dame Hildegard ».

Mais parler, comme penser donnant soif...

« Un pichet ou deux traînent ici, espérons qu’Anti n’aura pas craché dedans : « De l’urine d’auroch ! » (elle et la cervoise... !). »

Même s'il avait l'allure d'un dandy citadin, Swan avait mené une vie plus rude qu'on pouvait le supposer. Il savait profiter de ce qui lui était offert, sans pinailler. Le rouquin avait tout du forban, mais il semblait inoffensif et sa bonne disposition l’encouragea à le suivre. Le blond se demanda qui pouvait bien être Anti, mais peu lui importait. Enhardi par ce « coup de foudre de sympathie » pour ce bizarre homonyme, il avait hâte de le connaître mieux ainsi que l'univers où il évoluait...

Une porte grise les attendait, patiemment... Petit d’extérieur, l’intérieur semblait tout autrement : non plus grand dedans que dehors – n’inventons pas n’importe quoi –, mais quantité d’objets s’y présentait aux yeux ébahis du voyageur curieux.

« Euh... ici ; rien à craindre, « L’Encyclopédia-Univers-salut », tu peux te reposer dessus ! proposa-t-il, pointant une pile d’ouvrages attendant... qu’on s’assoit, dessus ! »

Tome susdit posé sur un trépied, il engagea une étagère encombrée : en tirant une cruche pansue travaillée à l’ancienne mode

« Tu vas m’en dire des nouvelles, Bro ! »

Sitôt fait : la boisson maltée fleurait bon la convivialité, les échanges entre les deux « étrangers » n’en furent que plus nourris...

Swan examina avec une curiosité gourmande tout ce fatras ; c'était très éloigné du milieu feutré où il vivait, mais il assouvirait son appétit de connaissance. Hélas, son intention de se cultiver sur ce monde parallèle sombra au fond du flacon. Dans les heures qui suivirent, les deux hommes partagèrent cette fraternité des bouchons, échangeant des aventures et des anecdotes dont aucun des deux ne se souviendrait une fois les vapeurs dissipées.

Les deux compagnons se jurèrent une amitié éternelle et Swan repartit à la nuit bien tombée, à couvert de la pénombre. Quand quelque chose crissa sous son pied, il repêcha dans la boue ce qui restait de ses lunettes... Et la suite fut très floue.

Il s'éveilla dans son lit, à Londres, mais il retrouva ses lunettes brisées et ses vêtements crottés. Avait-il rêvé ce passage dans une autre réalité ? Ou avait-il juste sombré dans une ruelle, inventant dans son ivresse cet homonyme aux cheveux roux et ce village de bouseux ?

Il tenterait à nouveau d'ouvrir une porte, à l'occasion...

Un ami, même de fraîche date, même rêvé, ne s'oubliait pas si aisément...


Texte publié par Beatrix, 14 février 2018 à 14h57
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