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tome 2, Chapitre 10 « Renaissance » tome 2, Chapitre 10

Lorsque mes paupières s’ouvrirent, je me trouvais allongée à même le sol, libérée de mes chaînes. J’avais sombré dans un sommeil sans rêves suite au départ de Charles et le néant avait englouti mes souvenirs et angoisse, les emmenant l’espace de quelques instants loin de cette lugubre réalité.

Mon ventre me tirait et un froid hivernal parcourait chaque parcelle de ma peau. Mais désormais, la douleur ne me procurait qu’une sensation douce-amère. La croix me piquait parfois, mais la sensation de savoir cette marque de la honte inscrite éternellement sur mon corps rendait le poids de la défaite plus lourd encore.

Mon esprit repassait sans cesse les images de mes sévices successifs. Je me sentais faible, minable, dégoûtante. Je me haïssais d’avoir capitulé si vite, de ne pas avoir trouvé la force de m’évader avant que le mépris de mon ravisseur ne déferle en moi comme les vagues d’un océan de noirceur.

Je me relevai soudain, avant de m’étirer paresseusement. Alors que mes bras craquaient dans un mouvement libérateur, je me figeai.

Quelque chose n’allait pas.

Mes blessures, à l’exception de la croix, avaient disparu. Mes doigts frôlèrent aussitôt ma peau et touchèrent une délicate surface lisse, glacée… et pure. La douleur de mes brûlures était minime, presque inexistante. Mes jambes me portaient de nouveau, sans lourdeur, sans fatigue.

Oui, c’était cela. C’était comme si je me réveillais d’un long sommeil réparateur… et d’une longue nuit d’hiver. Je me sentais pleine d’énergie, revigorée… et plus affamée que jamais. Ma chevelure platine brillait de mille feux, plus flamboyante encore que ma regrettée chevelure rousse.

Je restai immobile, stupéfaite. Mes pensées se bousculèrent, passant de ma brutale transformation aux avertissements d’Irène. Mon mentor, celle qui m’avait tout appris. En dépit de nos nombreux désaccords, elle m’avait fourni les armes nécessaires pour survivre.

J’avais survécu. Mes pouvoirs ne m’avaient pas détruit et Aleksandar n’avait pas réussi son œuvre. Je me tenais debout, plus fière que jamais.

Chaque détail de ma prison m’apparut sous un jour nouveau. Tout semblait d’une netteté surnaturelle, de la poussière flottante aux néons du couloir défaillants. Chaque bruit grondait contre mes oreilles. Le vent soufflait contre les parois de ma cellule, arrachant presque les feuilles des végétaux sur son passage.

Cependant, je notai un silence anormal. J’avançai à pas de loups vers la porte. Aucun garde ne la gardait. Je ne ressentais ni leur présence, ni leurs éclats de voix.

Un grincement sinistre me fit comprendre qu’on l’avait laissé ouverte. Non pas qu’elle aurait été difficile à briser, mais ma poitrine se gonfla d’une quiétude et d’une excitation bienvenue.

Charles avait tenu sa promesse.

Je traversai les couloirs, me remémorant le chemin emprunté pour me rendre à la douche. Je passai devant une salle entrouverte, où un groupe d’hommes jouait aux cartes. Le bruit du sang coulant dans leurs veines et l’odeur de leur chair fraîche m’arracha un frisson de plaisir.

Alors j’ouvris un peu plus la porte, me délectant du fluide vital contenu dans ses corps si imposants et pourtant si fragiles. Mes genoux bondirent par réflexe et après avoir immobilisé mes proies, je m’abreuvai enfin de ce nectar qui m’attirait depuis trop longtemps.

La réalité m’échappa, ce fut comme si un humain assoiffé découvrait un gigantesque lac face à lui. Même lorsque leur sang cessa de couler, la soif m’enivrait encore. Ma langue rêvait de râper leur incroyable saveur encore et encore, mon ventre ronronnait d’envie et de plaisir.

Une fois la frénésie retombée, je repris ma course et montai un escalier, qui me mena à un immense couloir bien différent des murs grisonnants de ma prison bétonnée. Décoré de somptueux tableaux et tapisseries datant probablement du Moyen-Âge et de la Renaissance, j’avais l’impression de me trouver dans un château.

Les murs pourpres renforçaient l’obscurité naturelle des lieux. Tout était désert : aucun garde n’effectuait de patrouilles et les caméras de surveillance n’émirent aucune alerte à mon passage. Je déambulai tranquillement, fascinée par ce décor d’un autre âge.

Soudain, la voix d’Elena résonna non loin d’ici.

Je trouvai son bureau avec une facilité déconcerte. La jeune femme discutait au téléphone, sûrement en français à en juger par les sonorités. Je pénétrai à l’intérieur et refermai la porte. À la vue de mon ennemi, mon cœur se remplit de rancœur et d’envie. Ses poils se hérissèrent sur sa peau lorsqu’elle m’aperçut. Plusieurs de ses veines ressortaient.

Jamais la vue du sang ne m’avait procuré un tel plaisir, mais l’attaque précédente me permit de me contrôler encore un peu.

Elena lâcha son téléphone.

— Que… que faites-vous ici ? balbutia-t-elle.

— Te demander des comptes, répondis-je en humectant mes lèvres.

Elle brandit aussitôt son portable pour tapoter un SOS, mais en un bond, je l’éjectai de ses mains et l’attrapai par le cou. Si l’envie de la tuer immédiatement me brûlait les veines, j’inspirai un grand coup pour contenir ma rage.

— Tu as trahi l’Agencija et a envoyé ma sœur vers le passé, en pleine période de chasse aux sorcières. Tu t’es servie d’elle alors qu’elle te faisait confiance.

— C’était un mal nécessaire. Michail était trop juste pour s’en sortir. Ce monde ne l’est pas, seule la loi du plus fort l’emporte. Et les sorcières nous auraient été inutiles pour l’emporter face aux Cachés.

J’éclatai de rire.

— Menteuse. Tu savais que ma sœur pouvait envoyer ton sale démon au bûcher et tu as préféré l’envoyer se faire sacrifier dans l’espoir qu’elle parvienne à assassiner Laurent en même temps ! C’est de l’idiotie pure, Elena. Même si Kaća avait réussi à l’assassiner, les Cachés auraient trouvé un autre moyen de détruire l’humanité et repousser l’Antimonde.

— Non. Car le pacte avec Élia ne se serait pas conclu. Les sorcières auraient été détruites avec les hommes.

Une bouffée de haine m’envahit alors. Un cri bestial rugit depuis ma gorge.

— Kaća a échouée, mais elle a survécu, susurrai-je à son oreille. Tout ce que ton sale démon et toi avez mis en œuvre sera bientôt réduit à néant.

— Grâce à quels pouvoirs ? Ils n’ont aucun effet sur Aleksandar !

— Mais je suis une bête, maintenant. Nos âmes sont peut-être liées, mais il ne pourra plus lire mes émotions. Je le prendrai à son propre piège.

Elle tenta de se débattre, mais je resserrai un peu plus mon étreinte autour de sa nuque. Dans mes mains, elle semblait si frêle, si vulnérable. L’Elena qui avait trahi l’Agencija, qui avait claqué la porte de son unité du jour au lendemain sans crier gare, qui avait vendu ses renseignements à un démon assoiffé de sang, faisait pâle figure face à la bête que j’étais.

Un sentiment de puissance m’envahit. Je n’avais jamais été faible, du moins, je m’étais toujours battue pour obtenir ce que je voulais. Mais tenir cette femme entre mes mains, ôter à ce démon l’un de ses joujou favoris… il n’y avait rien de plus agréable.

— Tu me fais presque pitié, dis-je.

Mes crocs s’enfoncèrent dans sa chair douce. Elena tenta d’hurler, mais son souffle fut rapidement coupé face à ma force inhumaine. La réalité s’effaça et plus rien d’autre ne compta, hormis la délicieuse saveur sur mes papilles. Je bus son sang d’une traite. Son goût défiait la raison, il valait toutes les nourritures du monde. Une fois repue, je lâchai son corps et l’observai avec une avidité malsaine.

La sortie secrète, comme indiquée par Charles, se trouvait derrière un pan de mur. J’ébauchai un rictus. La technologie du clan de Prague, bien qu’élaborée, datait de l’Antiquité. Pas de porte automatique, pas de code secret. Juste un passage secret digne d’un château hanté. Malgré tout, je fouillai le bureau et le portable d’Elena afin de trouver un plan.

Charles avait parfaitement préparé son coup. Fuir de ce domaine était en réalité un jeu d’enfant si l’on savait détourner l’attention de ses gardiens.

Je désactivai la localisation du portable et capturai l’écran d’une carte stockée dedans. Je m’empressai de franchir la porte secrète, qui menait à un jardin délimité par un immense mur de pierre. Une pluie diluvienne tombait dehors.

Un petit portail me barra le passage un peu plus loin, mais un simple coup de pied résolut le problème.

M’émerveillant de ma force, je continuai ma route d’un pas tranquille. La route était droite et j’arrivai sans peine à l’adresse indiquée par Charles. Il s’agissait d’une maison isolée, dissimulée à la vue des autres par un épais bosquet. Les volets étaient fermés, même si l’intérieur était éclairé. Sur la boîte aux lettres, aucun nom.

Intriguée, je m’avançai et flairai une odeur trop familière. Un sourire jubilatoire s’étira sur mes lèvres. Charles ne respectait pas seulement sa promesse, il m’offrait ma vengeance sur un plateau d’argent.

Paul Schenpfoff me soupçonnait de sorcellerie depuis son arrivée à Vienna. Sans même me connaître, le médecin m’avait pris en grippe et m’avait longtemps espionné, sans succès. Je redoutais cet homme : malgré sa cupidité, il était intelligent et rusé. Mais sa position enviée, qui lui valait l’entière attention des Kennedy, avait failli précipiter ma perte.

Aleksandar avait dû négocier cette maison isolée en échange de sa collaboration. Sans cela, le médecin aurait été massacré sans aucune considération suite aux bombardements.

Je restai immobile un moment, cherchant le moyen de pénétrer par effraction chez lui sans attirer son attention. Contrairement aux autres, je voulais garder le contrôle jusqu’au bout. Bête ou non, je profiterai de son agonie jusqu’au bout.

Je découvris finalement un fusil rangé dans un entrepôt et fracassai la porte d’entrée avant de pénétrer dans la demeure d’un pas nonchalant. J’avais beau ne pas réaliser mon nouvel état, je flottais sur un petit nuage et me sentais invincible. Des bruits de pas étouffés retentirent près de moi et le médecin apparut alors, l’air mortifié.

— Ce fusil ne vous servira à rien, cracha-t-il avec mépris.

J’arquai un sourcil et répondis, radieuse :

— Vous avez entièrement raison.

Je posai délicatement l’arme sur le côté et bondis vers le médecin. Une fois ce dernier projeté à terre, j’écrasai son épaule à l’aide de mon pied. Un craquement sourd retentit et Schenpfoff poussa un gémissement plaintif.

— Que fais-tu dans ma maison, sale sorcière ?

Je renforçai la pression sur mon pied et le toisai avec mépris.

— Je suis venu confesser mes crimes, répondis-je. Après tout ce que tu as fait pour m’accuser, je te devais bien ça.

Je ne boirai pas son sang. La tentation était forte, mais tout son être n’était que poison. Au lieu de cela, je le torturerai et l’assassinerai comme n’importe quel humain.

— Tu avais raison, Schenpfoff. Je suis coupable. De tous les crimes que ton ami Desert et toi m’avez imputé.

Ses traits se tordirent, visiblement peu ravi d’entendre une telle confession dans ces circonstances. Il pâlit et ses yeux globuleux semblèrent sur le point de sortir de leurs orbites.

— Assassiner vos ordures de collègues, en particulier votre ami Desert, m’a procuré une joie sans nom, continuai-je. J’ai attendu tant d’années avant de mettre ma vengeance à exécution. Mais vous aviez raison sur un point. Les sorcières sont les servantes du Diable. Nous aurions pu devenir de bonnes personnes. Mais vous nous avez traqués et jetés aux flammes. La terreur ne divise pas. Elle nous a réunis, rendu plus puissantes et aiguisée notre soif de vengeance.

— Pitié, ne…

Je lui assénai un violent coup de poing dans le thorax. Schenpfoff gémit de nouveau et je l’écrasai jusqu’à ce qu’un second craquement sourd résonne.

Ses veines m’imploraient de plonger ses canines dans sa peau, mais je résistai. Finalement, j’attrapai la tête de son ennemi avant de l’arracher avec rage et la jeter un peu plus loin. La vue de son corps inerte et ensanglanté me procura une joie immense.

Pour la première fois depuis longtemps, je réalisais une bonne action. Schenpfoff était différent. Il méritait de mourir, lui qui avait tant fait de mal aux sorcières. Sa lutte secrète avait mené à la disparition de nombreuses femmes, pour la plupart innocentes. Sa mort signait une nouvelle fois la fin de Vienna.

Le téléphone d’Elena vibra soudain. Un désagréable frisson me ramena à la réalité lorsque s’afficha le nom de geôlier. J’avais certes désactivé la localisation, ce salaud n’appelait pas sans raison.

— Bonsoir, Aleksandar.

Ma voix trembla légèrement, mais je me ressaisis. Il ne pouvait m’atteindre désormais, en tant que Cachée, mon âme lui était beaucoup plus difficile d’accès.

— Svetlana, cracha-t-il d’une voix sucrée. Tu t’es échappée.

Instinctivement, je posai une main sur le bas de mon ventre, comme pour me protéger. Même à travers ce portable, il pouvait déceler mes failles. Pourquoi ne parvenais-je pas à m’en défaire ?

— J’ai rendu une visite de courtoisie à ton jouet avant de m’en aller, lâchai-je. Son sang était si bon.

Ma voix était calme, posée. S’énerver et l’injurier ne serviraient à rien. Seule la patience, la ruse et l’intelligence m’aideraient à détruire ce pervers.

— Tu n’aurais jamais dû faire ça. Tu sais que je te ferai payer au centuple la mort d’Elena.

Sa menace s’enroba dans les notes veloutées de sa voix. Malgré la terreur qui envahit chaque parcelle de mon âme, je me forçai à sourire.

— C’est fini, Aleksandar. Je ne suis plus entre tes griffes. Je ne t’appartiens plus.

Je marquai une pause avant de reprendre :

— Tu ne réussiras pas à me détruire. Je ne te laisserai jamais mon héritage, tu comprends ? Je te détruirai, mais avant cela, je réduirai à néant l’œuvre de ta vie. Tous tes alliés mourront les uns après les autres, qu’ils soient humains ou démons. Elena et Schenpfoff sont les premiers de la liste. Jamais l’Antimonde ne règnera sur l’Europe et le Demi-Monde. Tu as ma parole.

— Tu es trop faible, sorcière.

— Je ferai les sacrifices nécessaires pour te vaincre. Je porterai ta marque avec fierté, car je ne suis pas une simple sorcière. Je suis l’héritière d’Élia Montgomery. Et tu brûleras en enfer bien avant moi.

Je raccrochai avant de jeter le portable à terre. J’attrapai ensuite une bouteille d’alcool qui traînait un peu plus loin. J’en aspergeai Schenpfoff avant d’allumer une flamme à l’aide d’un allume-gaz de la vieille époque. Le feu démarra et se répandit rapidement au reste de la pièce.


Texte publié par Elia, 1er avril 2018 à 18h35
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