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tome 2, Chapitre 9 « Chapitre 7 - La marque » tome 2, Chapitre 9

À mon réveil, je constatai qu’un bandeau avait été posé sur mes yeux. Mes bras me tiraient douloureusement, étirés par de lourdes chaînes qui mordaient la chair de mes poignets. Je portais encore le tee-shirt remis par Charles et mes pieds, suspendus en partie dans le vide, touchaient à peine le sol froid et poussiéreux.

— Tu es réveillée.

Un couinement pitoyable s’échappa de mes lèvres. Des pas résonnaient autour de moi ; ce pervers était de retour et tournait autour de moi, comme un requin prêt à dévorer sa proie. Je secouai mes chaînes dans un geste désespéré, mais celles-ci, solidement ancrées au plafond, entravèrent aussitôt mes mouvements.

Ses doigts jouèrent avec ma chevelure. Je poussai un juron avant de sentir un grondement émaner de mon ventre, comme une bête sur le point de rugir. Je me figeai, surprise. Une rage brûlante me dévorait. Je mordis mes joues pour tenter de conserver mon sang-froid.

Réduite ainsi à l’impuissance, je ne pouvais rien faire d’autre qu’attendre que la sentence du démon en silence. Mais la bête tapie au fond de moi grognait et j’eus toutes les peines du monde à la dompter. Je voulais me jeter sur Aleksandar et le labourer de mes griffes. Comme Charles, je voulais planter mes crocs dans ses artères juteuses et le saigner à mort, non pour me repaître, mais pour contempler son corps vidé de son sang.

Les ombres mortelles ne dansaient plus, une fois encore, mon pouvoir était trop faible pour que je puisse espérer le moindre salut. Le monstre sortit un canif. Si je ne pus voir l’objet, je reconnus le bruit caractéristique de la lame que l’on sortait de la manche.

Celle-ci, aiguisée, rasa mon cou jusqu’à y laisser perler des petites gouttes de mon fluide vital. Son odeur m’enivra, elle possédait une teinte amère, mais agréable. Je passai ma langue sur mes lèvres sans me contrôler.

L’absence de questions de mon geôlier me fit comprendre qu’il n’y aurait pas d’interrogatoires. Ma tête vacilla de nouveau et j’eus toutes les peines du monde à tenir sur la pointe des pieds. Mes bras me tiraient, mes jambes en coton peinaient à me soutenir et mon bas-ventre se contractait pour me faire plier en deux.

Aleksandar se plaça derrière moi et d’un geste, déchira l’arrière de mon tee-shirt à l’aide du canif, qui tomba à mes pieds. L’air glacé de la pièce me fouetta légèrement la peau, mais la bile qui me montait à la gorge chassa cette sensation. Je réprimai un haut-le-cœur, imaginant soudain ce monstre abuser de moi à nouveau.

Saisie par l’épouvante, ma mâchoire se serra et la douleur au creux de mon ventre s’amplifia. La bête au fond de moi rugit et je compris que ce salaud savait. Il savait que ma transformation arrivait bientôt à son terme et que le maudit héritage de mon ancêtre me protégerait probablement d’une mort certaine.

Mais pour le moment, j’étais encore humaine. Alors les coups plurent tout d’abord, accompagnés par moments des marques que la lame fabriquait sur ma peau. Il taillada ma chair sans doute pour y laisser des obscénités. Ma peau brûlait mais dans une vaine résistance, je me mordis les joues pour garder le silence.

Je ne résistai pas. Le souvenir de Kaća se matérialisa alors dans mon esprit et força la bête à se calmer. Ses sanglots coulaient encore et encore et sa voix chantante m’implorait de ne pas l’abandonner. Je l’écoutais sans réellement prêter attention à ses paroles. Elle était là et le reste m’importait peu. Aleksandar ne pouvait m’arracher cela. Il ne pouvait détruire le lien qui m’unissait à elle. J’aimais Kaća et rien, ni personne ne m’empêcherait de la sauver.

Lorsque la torture cessa, mon bandeau me fut ôté et ma vision brouillée découvrit les chaînes suspendues au-dessus de moi. J’étais allongée à même le sol, haletante, de nouveau brisée, mon corps nu épousant presque les couleurs grisonnantes de ma prison.

— Tu as soif, Svetlana ? interrogea-t-il d’un ton faussement compatissant.

Sans attendre ma réponse, il me lança un récipient rempli d’eau à la figure. Déshydratée, j’éludai l’humiliation infligée par le démon et léchai mes lèvres dans l’espoir de me désaltérer un peu. Je me mis à genoux et savourai les gouttelettes ruisselantes sur mon visage. Une fois celles-ci dégustées, je songeai que rien ne valait le goût de la chair et du sang.

— Capitule, dit Aleksandar. Tu n’es plus que l’ombre de toi-même.

Je me rallongeai sur le sol glacial, ignorant ses paroles. J’avais si mal. Du sang maculait mon corps meurtri et mon ravisseur avait sûrement raison. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même.

Elena surgit soudain dans la pièce et se figea en découvrant le spectacle de ma torture. Mes prunelles étincelèrent de délectation à sa vue et elle dut le remarquer, puisqu’elle effectua un mouvement de recul.

Aleksandar m’attrapa soudain par la chevelure et claqua des doigts. Deux hommes lourdement armés pénétrèrent en trombe dans la pièce et me relevèrent, pour me tenir agenouillée face à ce couple pervers. Ma chevelure platine couvrait mes seins. Si cela ne changeait rien à ma nudité et à mon humiliation, cela me procura le sentiment d’être protégée.

— Sur le bas du dos, dit Elena sans sourciller. Je veux qu’elle le sente au plus profond de sa chair.

Aleksandar ébaucha un rictus de satisfaction et hocha la tête en guise d’assentiment. Un troisième homme arriva ensuite, un crucifix chauffé au fer rouge à la main. J’écarquillai les yeux de stupéfaction, avant de saisir l’horreur de ma situation. La bête rugit avec violence mais la terreur qui gela mes entrailles à ce moment-là la réduisit au silence une seconde fois.

— Que pensera Laurent en te voyant ainsi ? susurra Aleksandar en tournoyant le crucifix devant moi. Quel homme voudra de toi, désormais ? Même si tu m’échappes, kurva, cette marque te rappellera que tu m’appartiens.

Mes larmes redoublèrent et ma bouche étouffa une pitoyable supplication. Je tentai de me débattre, d’obliger ces hommes à me lâcher, mais au même moment, ma vision se brouilla et mes dents s’entrechoquèrent.

Mes yeux s’écarquillèrent soudain, tandis que le fer rouge marquait mon dos. Une brûlure incendia ma peau et mes supplications se transformèrent en un hurlement déchirant. Lorsque le fer fut retiré, le démon bondit d’un geste face à moi et esquissa un sourire presque angélique. Ses prunelles humaines trahirent presque de la compassion et je rassemblai mes dernières forces pour voir au-delà du masque.

Son apparence monstrueuse m’apparut alors et sa queue velue s’agita avec un plaisir non-dissimulé. Les gardes me relâchèrent et je me laissai tomber, pantelante, avant de me relever en poussant un feulement bestial.

Elena et les gardes reculèrent sans masquer l’angoisse qui les tenaillait, tandis qu’un grondement rauque s’échappait de ma bouche. Je fléchis les genoux, prête à bondir, mais une part de mon âme, consciente du danger qui me guettait, m’obligea à rester immobile.

La vue de la facette monstrueuse d’Aleksandar atténuait ma peur. Il me semblait moins réel, moins… menaçant, comme si j’étais capable de lire à travers lui pour deviner ses failles.

— Te transformer en l’une des leurs ne changera rien, cracha-t-il d’une voix presque inhumaine.

La brûlure m’arracha un autre grognement de douleur, comme si l’on m’écorchait vivante. Mes jambes m’abandonnèrent de nouveau et je fus contrainte de m’agenouiller pour ne pas chanceler.

— Tu faillis déjà, murmura-t-il. Même en devenant une bête, tu ne me résisteras pas longtemps. Et lorsque ton âme sera mienne, j’enverrai ton corps brisé à Laurent.

L’appel des ombres mortelles m’envoûtèrent. Mes paupières s’alourdirent et un bras invisible m’entraîna tout d’abord vers le sol, puis vers les abîmes. Je m’évanouis.

***

— Allez vous mettre vos excuses là où je pense, persifflai-je d’une voix faible.

Mes yeux s’écarquillèrent et de violents tremblements m’agitèrent. Les chaînes me retenaient à nouveau au mur et je bondis vers mon gardien dans l’espoir de planter mes canines dans sa nuque. Ce dernier recula et mon élan se heurta au vide. Je poussai un cri de rage avant de sentir une douleur lacérer mon crâne.

De la bile me remonta dans la gorge et je recrachai ce que mon corps contenait encore de nourriture. De la transpiration s’écoula ensuite sur mon front moite et j’éclatai soudain de rire. Charles ne se laissa pas décontenancer et me tendit avec précaution une bouteille d’eau, que j’envoyai valser dans les airs.

— Je suis prêt à vous sortir d’ici, déclara-t-il calmement.

Je laissai échapper un éclat de rire en guise de réponse. Les larmes coulèrent aussitôt sur mes joues pâles, mais je n’avais plus la force de réfléchir à l’absurdité de la situation. Maintenant que ce pervers m’avait marqué comme sa propriété, je sentirai à jamais le poids de sa présence dans mon âme… et sur ma chair.

Cela faisait plusieurs heures que la marque avait été posée, mais chaque mouvement que j’effectuais me procurait une douleur sans nom.

— Svetlana, reprit-il alors que mes jambes m’abandonnaient. Svetlana, écoutez-moi. Je vais vous sortir d’ici, mais avant cela, j’ai besoin de votre aide. Est-ce… est-ce que vous comprenez ?

Je secouai violemment la tête avant de plier mon corps en deux sous l’effet de mon ventre qui se contractait. Ce fut comme si une lame aiguisée le déchirait depuis l’intérieur. La peau de mon visage devint collante à force de transpirer et lorsque je parvins à recouvrer mon souffle, le jeune homme reprit :

— Votre sœur… je sais où elle repose. Est-ce… est-ce que vous avez réussi à la localiser ?

— Non, balbutiai-je. Je… j’ai réussi à établir un contact par télépathie avec elle, rien… rien de plus.

Pour me calmer un peu, je calquai ma respiration sur la sienne, plus tranquille.

— Vos pouvoirs peuvent-ils franchir les limites spatio-temporelles de ce Monde ? interrogea-t-il.

— Si c’était le cas, ma sœur serait sauve, crachai-je. J’ignore si le spectre qui m’appelle se trouve à notre époque ou à quatre-cent ans de là. À quoi rime ces questions, pour l’amour du ciel ?

— J’ai besoin de votre aide, murmura-t-il. Je sais que votre sœur a remonté le temps et qu’Elena l’y a aidée. Je… j’ai besoin de localiser les portails temporels… ainsi que ma fiancée.

— Votre fiancée a aussi remontée le temps ?

Il secoua la tête d’un air maussade.

— Elle, non. Moi, oui.

Je déglutis, comme si l’on venait de m’asséner une gifle. Un silence pestant s’installa dans ma cellule et la colère qui me rongeait s’atténua.

— Nos histoires sont liées, Svetlana. Kaća et moi errons tous les deux dans une époque qui n’est pas la nôtre. Je crois savoir où elle repose actuellement et… et j’ai besoin de votre aide, à toutes les deux.

— Comment pouvez-vous être certain de l’endroit où elle repose ? m’écriai-je avec un peu trop d’ardeur. Cela fait des années que je tente de la localiser ! Pourquoi, pourquoi…

— Est-ce que le nom d’Eduardo vous dit quelque chose ?

— Bien sûr. C’est le chef des territoires libres du clan d’Argent. C’est le rival de Laurent. Tout le monde le connaît.

— Vous souhaitez vous rendre là-bas pour trouver votre sœur, mais vous n’êtes pas certaine qu’elle s’y trouve.

— Le tombeau d’Élia Montgomery se trouve là-bas. Lucifer, le valet, m’a assuré qu’Eduardo lui a offert son aide avant sa disparition, expliquai-je. Le seul indice dont je dispose est que ma sœur lui a demandé d’amener son corps avec elle, pour reposer auprès d’elle jusqu’au moment venu.

Je marquai une pause, haletante, avant de soupirer :

— C’est maigre, je sais, mais c’est le seul indice dont je dispose. Les rumeurs prétendent qu’un portail temporel se trouverait là-bas, alors… alors peut-être qu’Élia, avant de disparaître définitivement, a aidé le corps de ma sœur à retourner à son époque.

Mon gardien fronça les sourcils, sans doute sceptique face à mon récit décousu. Je ne disposais d’aucune preuve solide pour m’assurer de la présence de Katharina sur ces terres. Lucifer m’avait confirmé les relations étroites entre son chef Eduardo et mon ancêtre, ainsi que la présence d’un corps endormi à son arrivée sur les futures terres libres.

Le territoire du clan d’Argent ne représentait qu’une infime partie du Demi-Monde. Situé aux confins Est de celui-ci, il avait pour particularités de se situer près de l’entrée du royaume des morts ainsi que d’abonder sur les pierres magiques, jadis utilisée par les sorcières et certains humains du Demi-Monde.

Ces pierres étaient capables de repousser les démons de l’Antimonde, ainsi que les Cachés. Selon les légendes, le clan d’Argent habitait sur l’emplacement originel de ces amulettes magiques. Pour cette raison, lorsque ce clan s’était opposé à Laurent presque quatre-cent ans plus tôt, ce dernier n’avait pu riposté, car Eduardo et ses alliés étaient en mesure de repousser ses ennemis à l’aide de ces pierres… et de l’appui de certaines sorcières, à qui il en avait fourni en échange d’aide pour retourner leur pouvoir contre Laurent.

Pour cette raison, ainsi que la localisation probable du portail temporel, je soupçonnais mon ancêtre d’avoir demandé de l’aide à l’ennemi de Laurent pour protéger Katharina… et la ramener ici.

— C’est possible, admit Charles dans un soupir las.

Je redressai la tête, certaine d’avoir mal entendu.

— Eduardo a rencontré ma fiancée par le passé, révéla-t-il. Il… il l’a aidé à atteindre le royaume des morts, et depuis… personne ne sait ce qu’il lui est arrivé.

Je faillis m’étrangler. Un soupçon pernicieux germa dans mon esprit. Avant que je n’eusse le loisir de lui poser d’autres questions, il ajouta :

— Eduardo m’a offert son aide pour elle, parce qu’il l’a connu et l’estimait. Il a accepté de ne pas me transformer mais… mais il refuse de m’indiquer la localisation de son portail temporel et ce qu’il est advenu d’elle.

— Pour l’amour du ciel, comment… comment…

— L’histoire est bien trop longue pour être racontée ici, railla-t-il, amer. Alors laissez-moi vous aider, Svetlana. Je vous accompagnerai dans les territoires du Demi-Monde et plaiderai votre cause auprès d’Eduardo. Il m’écoutera. En échange, vous utiliserez votre don pour localiser ce maudit portail temporel.

Mon cœur effectua un bond gigantesque contre ma poitrine, comme si l’on venait de me jeter du haut d’un avion. Toute envie de me jeter sur lui disparut, ce fut comme si ses paroles avaient balayé la réalité. Je clignai des paupières, hébétée, avant d’acquiescer sans réellement y croire.

Charles esquissa un sourire faible, sortit un morceau de papier et y griffonna une note.

— Prenez ça, chuchota-t-il en la glissant dans le creux de ma main enchaînée. Mémorisez-la et détruisez-la ensuite.

— De… de quoi s’agit-il ?

— D’un service que vous nous rendrez à tous les deux. Vous irez là-bas une fois sortie du domaine. C’est à trente minutes à pieds d’humain. Sans doute moins pour une Cachée.

Il accentua le mot sans que je ne parvienne à saisir sa réelle opinion sur le sujet. L’adresse confirma cependant mes doutes : je me trouvais en République Tchèque, non loin de la frontière avec la Pologne.

— N’ayez crainte pour le reste. Je m’occupe de tout, mais il faudra me faire confiance. Quand la transformation se produira-t-elle ?

— Très bientôt.

Il fronça les sourcils, peu satisfait de cette réponse évasive, mais n’ajouta aucun commentaire.

— J’ai usé de tous les sortilèges et médicaments existants pour repousser la transformation, expliquai-je d’un air las. Mais cela n’est pas réglé sur un calendrier, vous comprenez ? Seul mon corps me donne des indices. Il fait face à ces changements à son rythme.

— Vous acceptez cette transformation avec sérénité, s’étonna-t-il. Évitez de m’utiliser comme repas et vous trouverez en moi un véritable allié.

— Un allié d’une femme sorcière et Cachée ?

Il ébaucha un rictus sombre.

— Je me fiche de la Cachée, j’ai besoin de la sorcière. S’il faut pour cela renoncer aux principes de ce maudit clan de Prague, je le ferai.

Je ravalai ma bile et mes lèvres s’entrouvrirent pour l’avertir, lui dire qu’Aleksandar et l’Antimonde nous traqueraient jusqu’à la fin des temps. Qu’aucune échappatoire ne serait possible, à moins de le vaincre. Mais je me ravisai et les mots se perdirent dans le silence.

Un voile sombre obscurcit le regard de mon gardien.

— Le bureau d’Elena se situe au deuxième étage, il y a un houx cloué sur la porte. Elle contient une sortie secrète qui mène droit à l’adresse indiquée, révéla-t-il.

Il tourna les talons et s’apprêtait à quitter la pièce, lorsqu’il se retourna.

— Vous aviez raison à mon sujet, dit-il. Je suis un anglais pur souche. Mais en vérité, je m’appelle Gale Turner. Je suis honoré de rencontrer la descendante de ma fiancée, Svetlana.


Texte publié par Elia, 26 mars 2018 à 19h00
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