Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 52 « Une longue nuit d'hiver » tome 1, Chapitre 52

Autour de moi se trouve une vaste plaine qui semble s’étendre à l’infini. Le ciel est en flamme mais peu à peu, l’obscurité envahit tout. En levant la tête, je distingue la lune. Immense, l’astre se rapproche dangereusement de la Terre. Autour, les étoiles chutent les unes après les autres et je ne peux m’empêcher de contempler ce spectacle apocalyptique avec fascination. Un fracas sourd retentit soudain, des hurlements résonnent autour de moi.

Catherine s’arrête près de moi, mais demeure toujours lointaine. Ses yeux verts brillent de terreur. Elle m’appelle, clame un SOS, me supplie de fuir avant qu’il ne soit trop tard. Mais je ne peux plus bouger. Mes jambes sont paralysées, j’assiste impuissante à la chute du Demi-Monde.

Catherine s’éloigne alors et la lune pénètre dans le ciel. Les hurlements redoublent d’intensité et je retrouve enfin l’usage de mes jambes. Mais il est trop tard pour fuir. La lune étincèle de mille feux, des flammes s’écrasent sur la plaine et je ferme les yeux. Lorsque je les rouvre timidement, un tremblement fracture le sol et des ondes de lumière se propagent dans toutes les directions.

Soudain, le décor change. J’entends le tic-tac d’une horloge. Tout autour de moi est blanc et je constate que je me trouve maintenant sur une montre géante. Le tic-tac retentit encore et encore. Les aiguilles tournent de plus en plus vite et me voici contrainte de prendre part à cette course frénétique. Quand cela cesse, j’entends cette fois-ci le bruit des cloches.

Que signifie ce rêve ? Tout cela n’a aucun sens, rien n’a de sens, depuis mon arrivée dans ce monde maudit, j’ai perdu le contrôle ! Les murs blancs se teintent de milliers de visages : Xénia, Richard, Géralt, Ian, Gale. Des visages souriants, vivants, traces de mon existence.

Le temps se fige soudain, les aiguilles s’immobilisent et tout se concentre dans un filet, comme si l’on pouvait resserrer le temps et les souvenirs dans le poing d’une main. Bientôt, ce filet m’attire à lui et tout implose.

J’hurle et me voici précipitée dans un gouffre interminable. Je viens pourtant de réussir la première partie de ma mission. J’ai invoqué l’armée des Morts et mon cri a résonné à travers les couloirs du temps. Plus rien ne nous empêche désormais de marcher, droits et fiers, vers l’Apocalypse…

***

— Élia ?

Mes paupières s’ouvrirent avec difficulté. Malcolm attendait à côté de moi, inquiet. Je posai une main engourdie sur ma tête et tentai de revenir à la réalité. Nous nous trouvions encore au cromlech, mais les morts n’étaient plus là.

— Que s’est-il passé ? m’étonnai-je. Où… où est passé la brume ? Et… et les créatures de l’enfer ?

Le soleil agressif avait disparu et un ciel éclatant berçait la vallée. En dépit de son apparence délabrée, le Devil’s Village semblait bel et bien désert. Les oiseaux qui nous avaient attaqués la veille n’arpentaient plus le ciel et tout semblait paisible.

Mon corps entier semblait avoir reçu une pluie de coups. Chaque mouvement me procurait une douleur mécanique, comme si j’avais brusquement vieilli d’une cinquantaine d’années. Une fois debout, des voix résonnèrent à nouveau dans ma tête. Je posai mes mains contre mes oreilles afin de les étouffer, mais cela ne fit qu’amplifier leurs plaintes.

Je sentis soudain quelque chose m’aspirer et Malcolm attrapa ma main pour me retenir.

— Quelqu’un vous invoque ! s’écria-t-il. Et on a utilisé un sortilège très puissant !

En effet, un tel sortilège fonctionnait seulement lorsque l’invocateur se trouvait dans les environs. Or, il n’y avait plus d’âme vivante à des kilomètres ! Le Patrouilleur eut beau lutter pour me retenir, rien n’y fit. En quelques secondes, je fus aspirée par une force inconnue, qui entraîna mon compagnon avec moi.

Lorsque nous atterrîmes, nous découvrîmes une modeste demeure en bois, à l’apparence familière. Des bibelots poussiéreux décoraient des étagères prêtes à s’effondrer et une odeur de whisky planait dans la pièce. J’époussetai mon uniforme et clignai des paupières, certaine d’halluciner. Comment avions-nous pu nous téléporter de la Vallée fantôme jusqu’ici ?

— Qui vous a invoqué ? marmonna Malcolm en se grattant la tête.

Je ne répondis rien et me précipitai vers la première porte que je trouvais. Celle-ci menait à un escalier étroit, que j’empruntai, le cœur battant à tout rompre. Que fabriquions-nous dans l’ancienne boutique de Raonaid ?

À l’étage, personne. Je découvris une minuscule pièce, qui contenait un lit de fortune rempli de cafards. Les murs étaient décorés de broderies élimées et une désagréable odeur de nourriture en décomposition me chatouillait les narines.

— J’entends des bruits, dit Malcolm en penchant sa tête à travers la petite fenêtre. On dirait une foule en colère…

Celle-ci donnait vue sur une minuscule ruelle, située, selon mes souvenirs, près de la place centrale d’Endwoods. Je me plaçai aux côtés du Patrouilleur et pus discerner une foule de villageois, armée de fourches et de torches, se diriger vers la mairie.

Saisi par la curiosité, nous descendîmes en trombe vers la boutique et sortîmes dans la rue, nous cachant derrière une statue pour ne pas être repéré. Le bûcher collectif avait été détruit et remplacé par un autre échafaud. Trois nœuds coulants attendaient de recevoir des condamnés. Des rondins de bois avaient été placés en dessous de chacun afin de brûler le corps des pendus. Les portes du tribunal s’ouvrirent ensuite et trois personnes aux mains liées furent traînées en direction de la potence.

— Xénia ! Richard ! Edwige… m’horrifiai-je.

Combien de temps s’était-il écoulé depuis mon départ ? Comment les époux avaient-ils pu être condamnés à mort en si peu de temps ? Avant que je ne parvienne à trouver de réponse à mes questions, Edwige sortit à son tour du tribunal. On la traîna jusqu’à la potence et l’on serra le nœud coulant autour de son cou frêle. Ses parents étaient blêmes, les traits déformés par la terreur. Le bourreau prononça un discours, englouti par les bruits de la foule.

— Je crois savoir qui vous a invoqué, dit Malcolm tandis que la foule poussait un hurlement de joie. Raonaid doit se trouver dans les parages. Retournons chez elle.

En quelques secondes, nous regagnâmes la boutique et la minuscule pièce de vie de la sorcière. Cette fois-ci, la cheffe du coven demeurait prostrée face à son lit, les yeux bouffis et le corps amorphe. Je me statufiai : que faisait-elle ici, à la merci des habitants, alors qu’elle avait pris la fuite quelques semaines plus tôt ?

— Raonaid ! s’exclama le Patrouilleur.

Il se pencha vers elle, mais fut aussitôt chassé par un coup violent. La sorcière portait une robe païenne, qui laissait ses bras nus. Des plaques rouges y avaient poussées. Son teint était vitreux et ses yeux semblaient éteints. Horrifiée, je fermai la porte derrière moi tandis que Malcolm l’aidait à se relever.

— Que fais-tu ici ? demandai-je, saisie de tremblements. Que se passe-t-il ? Où… où sont les autres ?

Raonaid ne répondit rien et se laissa docilement faire lorsque le Patrouilleur enroula une couverture miteuse autour de ses épaules. Mon sang ne fit qu’un tour et je l’obligeai à me faire face.

— Où sont les autres, Raonaid ?

Elle secoua frénétiquement la tête et je découvris avec dégoût son visage marqué de cicatrices. Elle se laissa choir dans mes bras.

— J’ai entendu le souffle des morts à l’aube, répondit-elle d’une voix faible. Je l’ai ressenti jusqu’au fond de mes entrailles. J’ai senti l’ombre de la mort planer sur moi. Donne-moi le baiser fatal maintenant, Élia. Aie pitié.

— Où sont les autres ? hurlai-je.

Ses sanglots redoublèrent et elle s’agenouilla devant moi, posant sa tête sur mes pieds, comme pour les embrasser. Je me dégageai avec vigueur, partagée entre le mépris et la pitié. Même si j’en avais envie, je refusais de la laisser partir sans explications. Après toutes ces trahisons, je méritais de connaître le destin réservé à mes semblables.

— Tu avais raison, Élia. Depuis… depuis le début, bredouilla-t-elle. Si je t’avais écouté, si j’avais accepté de conclure ce pacte et d’attendre, alors… alors… Pardonne-moi, s’il te plaît.

Je l’empêchai de s’accrocher à ma jambe et la repoussai avec violence. La cheffe ne se formalisa pas de mon rejet et continua :

— Ils ont tué tout le monde… les... les Gardiens de la forêt... ils… ils ont brandi leurs épées et… et ont tué tout le monde.

— Pourquoi es-tu encore en vie, dans ce cas ? crachai-je. Pourquoi te terres-tu ici ? Je croyais que tu étais la cheffe de ce coven !

— J’ai… j’ai tenté de revenir vers le coven, avec quelques survivants… mais… mais tout… tout était fini.

Ses sanglots redoublèrent d’intensité.

— Géralt a découvert l’emplacement du coven, révéla-t-elle. Il sait tout… absolument tout. Il… il connaît l’identité de chaque membre du coven et… et… sait pour vous deux. Il… il sait que tu es… es de notre côté, Malcolm et… et il a la preuve formelle de… de ta fausse identité, Élia. Les… les Patrouilleurs de la capitale et… et du vi… village ont exécutés les… les survivants avec… avec qui j’étais. Je… j’avais… j’avais si… si peur, alors, alors je me suis téléportée.

Elle désigna ensuite du doigt des minuscules perles suspendues au plafond. Malcolm s’approcha et ébaucha une moue crispée.

— C’est le poison utilisé par Xénia, dit-il. Il doit se trouver ici depuis des mois…

— Dès… dès le jour où elle a inscrit mon… mon nom sur la… la liste, elle… elle… a envoyé quel… quelqu’un saupoudrer ma maison.

Voilà pourquoi la sorcière avait dépéri de semaines en semaines. Ce poison perfide l’avait tuée à petits feux. Depuis le début, Xénia, fautes de preuves pour l’arrêter, avait signé son arrêt de mort. Tout à coup, les bruits de colère se rapprochèrent. Malcolm entrouvrit les rideaux de la fenêtre et les referma aussitôt.

— Ils viennent pour moi… soupira Raonaid. Je… je n’ai plus la force de vivre. Je… je… je veux retrouver la Déesse. Géralt a gagné. Les Patrouilleurs ont gagné. Tout est fini.

Malcolm et moi échangeâmes un regard, ignorant quoi faire. Si nous abandonnions la sorcière à son sort – et elle le méritait tellement -, les villageois la brûleraient vivante. Mais si nous prenions la fuite, nous serions à notre tour capturés. Je n’étais pas en mesure d’assassiner une centaine de personnes en même temps ou de me téléporter.

— Pourquoi viendrait-il pour toi maintenant ? demandai-je.

En guise de réponse, elle me tendit un morceau de papier froissé. Un avis de recherche à son nom, cloué la veille par Géralt.

— Il faut nous en aller ! déclara Malcolm.

— Nous… nous n’avons plus d’endroits où nous réfugier… j’ai échoué. J’aurais dû t’écouter, oui, j’aurais dû le faire… Puisque tu te refuses à me tuer, Élia, donne… donne-moi ça.

Elle m’indiqua un flacon, posé sur le buffet un peu plus haut, rempli sûrement d’un poison. Je l’attrapai, partagée entre l’envie de le briser et livrer la sorcière aux griffes des habitants, et celle d’hâter son agonie.

— Passez-lui ce flacon et allons-nous-en ! pesta Malcolm.

Les hurlements de joie commencèrent à s’estomper. J’attrapai le flacon et tournai les talons avec rage. Ma mâchoire se contracta sous l’effet de la rancœur accumulée contre mon ancienne cheffe. Elle méritait de finir ainsi, livrée à la foule de la même manière dont elle avait livrée Karen, Donovan, Iris et Pernelle.

Puis, dans un bref sursaut de remords, je me retournai et lui jetai le poison au visage. Malcolm me suivit, effaré, et nous descendîmes les escaliers en trombe. Il m’entraîna vers une petite porte, située près de l’escalier, qui menait à une cour similaire à celle que Lizzie et Henry possédaient. Elle menait à une rue parallèle, plus discrète et éloignée de la place centrale et des habitants.

Lorsque nous passâmes au-dessus du petit muret qui séparait la cour de la rue, ces derniers brisèrent la porte d’entrée de la boutique et montèrent jusque dans les minuscules appartements. Des fracas et des injures retentirent, suivis aussitôt de cris triomphaux.

Ignorant si elle avait eu le temps d’avaler la dose fatale, nous fonçâmes vers la sortie du village la plus proche.

***

La brume encerclait l’ensemble du village. Hors de ses fortifications, nous étions livrés au Fléau et aux créatures de l’enfer. Cependant, un maigre sursis s’offrait à nous.

Malcolm serra les poings et resta silencieux de longues minutes. Sa rage bouillonnait, telle la lave d’un volcan prêt à exploser. Il luttait pour garder contenance devant moi, mais tôt ou tard, il craquerait. Son combat se soldait par une défaite cuisante.

Il injuria Géralt de tous les noms et se précipita vers une curieuse statue de pierre, située non loin d’une tour de garde. Aucun Patrouilleur ne montait la garde, malgré la brume plus opaque qu’à l’accoutumée. La statue représentait un monstre, sans doute issu des anciennes croyances païennes qui avaient jadis animées le village avant l’instauration de la religion locale.

Dans le crâne se situait d’étranges amulettes, dont l’intensité protectrice empêchait encore la brume de franchir les limites du village. Je me figeai, interdite. Pourquoi n’avais-je pas senti ces auras protectrices auparavant ?

Malcolm inspira profondément, sécha les sanglots qui brûlaient ses joues et commença à lancer des pierres en direction du crâne.

— Que faites-vous ? m’exclamai-je en courant vers lui. Vous êtes complètement fou !

— Je vais les détruire, tous ! Je ne laisserai pas ces fils de putain s’en tirer à si bon compte !

Je lui arrachai un caillou des mains et me dressai devant lui. J’étais aussi terrifiée et déçue que lui, mais j’avais désormais accepté l’évidence. Le sacrifice envers la Déesse avait été accompli et l’armée des morts invoquée. Le Démon-Créateur envahirait bientôt les régions épargnées et les protections magiques se briseraient, pour laisser place aux démons… et aux Cachés.

Mes pensées se dirigèrent vers Dorian, Cristina et Ian. Malgré la confirmation de la supercherie, le jeune Patrouilleur avait lutté pour me sortir vivante de ce procès. Il avait sincèrement aimé Catherine. J’avais conscience de la teneur de ma trahison. Les fanatiques perdraient certes la vie, des innocents tomberaient également avec eux. La victoire ne laisserait derrière elle qu’un goût de cendres.

— Ils arrivent, promis-je. Ils sont en marche. Endwoods… Endwoods vit ses dernières heures.

Cela ne suffisait pas. Il voulait punir les responsables lui-même, écorcher Géralt de ses propres mains. La vengeance était son dernier rempart contre le désespoir. La réalité était trop douloureuse à accepter et l’avenir sombre et incertain. Nous n’avions plus de familles et de rêves. Tout avait été emporté et détruit par cette quête sans fin.

— Rien de ce que vous direz n’atténuera ma colère ! cracha-t-il.

J’aurais pu protester, le menacer de mes pouvoirs, mais cela ne changerait rien. Sa colère était légitime et aussi dévorante que la mienne. Je voulais hurler ma détresse, m’effondrer définitivement et me soulager du poids qui pesait depuis trop longtemps sur mes épaules.

Soudain, un hennissement retentit. Je sursautai et distinguai Géralt, accompagné de deux autres Patrouilleurs. Malcolm marmonna un juron et posa la main autour de la manche de son épée. Géralt ébaucha une moue narquoise et ordonna à ses compagnons d’arrêter leurs montures.

Malcolm et moi échangeâmes un regard inquiet. Je vis les compagnons de Géralt sortirent une longue corde et devinai leurs intentions. J’esquissai à mon tour un rictus, envahie d’un brusque sentiment de puissance. Malcolm avait raison : armée des morts ou non, il était hors de question de les laisser s’en tirer à si bon compte.

— Vos prunelles, Élia… murmura ce dernier. Elles…

J’admirai mon reflet dans la lame de son épée. Mes prunelles azurs avaient pris une teinte argentée et si jusqu’à présent ma transformation physique était passée inaperçu, mon affiliation avec les Cachés était désormais évidente.

Un grondement sourd retentit au loin, à peine perceptible puisqu’aucun des hommes qui m’entouraient ne réagit.

— Pas maintenant, intimai-je à Malcolm tandis que Géralt dirigeait sa monture vers nous.

Avant qu’il ne puisse protester, j’ajoutai dans un murmure :

— Vous aurez votre vengeance, je vous le promets. Mais laissez-moi Géralt.

Ce dernier arriva à notre hauteur et descendit à terre. Son insigne étincelait, tout comme le poignard qu’il souhaitait m’enfoncer en plein cœur. Je restai de marbre, tentant de masquer la satisfaction qui m’envahissait. Je n’avais pas revu mon ennemi depuis la fin de mon procès et je regrettais de ne pas avoir pu admirer la déception sur son visage lors de mon acquittement.

Géralt était malin et ne tenterait pas de m’assassiner frontalement. Désormais, je le connaissais et savais d’avance ce qu’il dirait pour me faire tomber. Mais cette fois-ci, je ne comptais pas lui accorder la victoire. Il avait failli me briser en me traînant devant ce tribunal. Mais surtout, sans son acharnement, mes amis seraient encore en vie.

— Je me demandais si vous auriez l’audace de revenir ici, cracha-t-il, sans prendre la peine de masquer son mépris à mon égard. Vous n’êtes plus la bienvenue à Endwoods, sorcière.

La prononciation du nom « sorcière » m’arracha un sourire. Elle possédait une intonation bien plus désagréable que dans la bouche de Laurent. Pourtant, je ne ressentais plus aucune crainte. La peur avait enfin changé de camp.

— Je suis également surprise de vous voir encore à la tête des Patrouilleurs, Géralt, répliquai-je d’une voix mielleuse. Après votre désastreuse tentative de m’amener à l’échafaud, j’osais espérer que Dorian prenne des sanctions à votre encontre.

— Ne parlez pas de Dorian comme s’il appartenait à votre famille ! Vous n’êtes qu’une usurpatrice !

Au même moment, un autre Patrouilleur rejoignit le groupe. Ian. Mon corps se statufia, troublé par les circonstances de nos adieux, mais je m’efforçai de n’en rien laisser paraître. Le jeune homme blêmit en me reconnaissant, mais n’osa guère s’avancer.

— Malcolm, dit le chef des Patrouilleurs. Reviens à la raison, s’il te plaît. Cette femme t’a ensorcelé, tu… tu es incapable de penser par toi-même, elle te tient dans ses filets… Reviens… et tout te sera pardonné.

C’était un leurre. Derrière lui, les Patrouilleurs préparaient deux nœuds coulants. Malcolm tremblait de rage et luttait pour honorer ma demande. Sa main était prête à brandir son épée et à laisser libre cours à ses instincts. Mais je ne voulais pas voir Géralt mourir.

Du moins, pas maintenant.

— Votre œuvre sur ce monde se termine aujourd’hui, déclara Géralt. Nous vous arrêtons officiellement pour meurtres, usurpation d’identité et pratique de la sorcellerie.

Il hocha la tête en direction des deux Patrouilleurs, qui galopèrent vers nous. Mon sourire s’étira un peu plus et j’arquai un sourcil, presque amusée.

— Coopérez et votre mort sera hâtée, précisa-t-il. Si vous avouez les faits, vous serez morts d’ici quelques petites minutes. Sinon…

Je me plaçai devant Malcolm afin de m’interposer entre son chef et lui. Ma victoire se rapprochait enfin ; jamais elle n’avait eu un goût aussi brûlant. Je voulais la savourer, de la même manière dont Géralt avait orchestré mon arrestation.

Les bruits sourds se firent plus proches.

— Je reconnais les faits, déclarai-je d’une voix assez forte pour que Ian puisse m’entendre. Je ne suis pas Catherine Montgomery. Mon nom est Élia, Élia Montgomery. Je suis de confession païenne et je pratique la sorcellerie. Je vous ai menti, à tous.

Malcolm fronça les sourcils, persuadé que je perdais définitivement la raison. Les Patrouilleurs se rapprochèrent pour nous ligoter, mais au même moment, les ombres mortelles apparurent. Elles se mouvèrent autour de nos ennemis, ponctuant leurs oreilles de murmures enjôleurs. Malcolm écarquilla les yeux.

Il les voyait pour la première fois. Ma soif de revanche, éteinte jusque-là, était désormais si forte que mon pouvoir montait en puissance sans que je n’eusse besoin d’en souffrir. Géralt discerna aussi les ombres et tenta de les chasser d’un geste, en vain.

Il poussa ensuite un gémissement de douleur et fut contraint de s’agenouiller, tandis que mon regard argenté ne cessait de le fixer. Les autres Patrouilleurs, dont Ian, reculèrent et j’hochai la tête en direction de Malcolm :

— À votre tour.

Mon compagnon bondit vers ses anciens amis et sans qu’ils n’eussent le temps de réagir, planta son épée dans le cœur du premier et trancha la tête du second. Géralt tenta de les défendre, mais les ombres mortelles l’entravèrent et l’obligèrent à rester agenouillé.

Ian tira les rênes de son cheval et je m’avançai vers lui.

— Si je dois mourir, dit-il, j’exige un combat singulier, Malcolm !

— Vous ne mourrez pas aujourd’hui, répondis-je d’une voix sombre.

— Je… je… je ne comprends pas, bredouilla mon ancien fiancé.

Prenant mon courage à deux mains, je m’avançai vers lui. Ian resta immobile et me dévisageai, sans doute pour déterminer ce qui me différenciait de sa bien-aimée. Je compris alors sa douleur. Il aimait Catherine et même si cette dernière était attachée à lui, jamais plus il ne la reverrait.

— J’ai conscience que rien de ce que je dirais n’atténuera la monstruosité de mes actes, confessai-je. Mais j’étais sincère envers vous, Ian. Je n’ai jamais voulu vous faire le moindre mal.

Un rictus se dessina sur les lèvres de ce dernier.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il en luttant pour ne pas m’étrangler. Où est ma fiancée ?

— Partie, répondis-je. Elle ne reviendra plus ici et vous devez la laisser partir.

— Que lui avez-vous fait ?

— Rien, assurai-je face au ton désespéré de sa voix.

Malgré ses probables tentatives de ne rien laisser paraître à ses compagnons, le départ de sa fiancée le rongeait. J’espérais, tristement, que la découverte de mon mensonge ne l’aide à accepter la réalité et à aller de l’avant.

— J’ai conscience de ne pas mériter votre pardon, alors… s’il vous plaît, laissez-moi vous offrir ceci avant de vous laisser partir. Si cela ne vous rendra pas votre fiancée, elle vous permettra, je l’espère, de trouver la paix.

Malcolm marmonna un juron, mais se tut aussitôt face à mon regard autoritaire. J’inspirai une grande goulée d’air et révélai :

— Catherine est ma descendante. Elle… elle a traversé le temps pour sauver la cause des païens et des sorciers. Elle… elle rentrera un jour chez elle. En attendant, les protections d’Endwoods tomberont dans peu de temps. Votre Monde est voué à périr. Prenez votre monture et fuyez au nord, ou dans les portails spatiaux dont parlent les légendes. Lyra a laissé une partie de ses recherches dans ses bureaux, vous trouverez peut-être des informations en le fouillant.

Je marquai une pause et ajoutai :

— Emmenez Cristina avec vous, ainsi que Dorian. N’avertissez personne d’autre.

Ian, sans doute convaincu par mes révélations et mon apparence trop pâle pour être normale, hocha la tête sans protester. Avant de donner une impulsion à son cheval, il demanda :

— Catherine… a-t-elle… a-t-elle été sincère envers moi, ne serait-ce qu’une fois ?

Son regard trahissait une sincère détresse et je ne pus me résoudre à le blesser une fois de plus. J’acquiesçai avec douceur. Le bruit sourd se transforma en un grondement de plus en plus perceptible. L’armée des morts arriverait dans quelques heures. Son aura funeste s’étendait au-delà de la vallée et déferlerait de villages en villages.

Ian l’entendit également, car il hâta sa monture pour préparer sa fuite.


Texte publié par Elia, 28 février 2018 à 11h51
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 52 « Une longue nuit d'hiver » tome 1, Chapitre 52
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2628 histoires publiées
1176 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Defghard
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés