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tome 1, Chapitre 44 « Brume II » tome 1, Chapitre 44

Je recrachai la terre avalée, manquant de m’étouffer tant l’air me manquait. Mes lèvres parvinrent ensuite à laisser échapper un râle et je repris mon souffle avec difficulté. Tandis que je reprenais peu à peu contact avec la réalité, une douleur vrilla mon ventre. Je fus contrainte de me rallonger sur la terre humide, tandis que de désagréables bourdonnements résonnaient dans ma tête.

— Élia ! s’exclama soudain une voix masculine.

Des sanglots coulèrent de nouveau contre mes joues pâles et Malcolm posa une main sur mon front moite. Le Patrouilleur semblait également mal en point. Il avait revêtu l’uniforme prêté par Henry et arborait un masque pour se protéger.

— Le halo de votre Démon-Créateur vous protège, assura-t-il. La brume n’a donc pas agi sur vous. Mais vous avez de la fièvre. Pouvez-vous vous relever ?

Face à mes gémissements, il passa son bras derrière mes épaules et attrapa mes jambes, non sans difficulté, avant de me remettre debout. Je chancelai, pantelante et vaseuse.

— Que s’est-il passé ? demandai-je.

Autour de nous, seul un silence lugubre régnait. Je clignai des paupières d’un air hébété avant de découvrir la brume, opaque et dense, qui s’était installée autour de nous. Son odeur acide m’arracha une toux. Malcolm me remit un morceau de tissu pour couvrir mon nez.

— Elle s’est installée durant notre… évanouissement, expliqua-t-il. Cela fait plusieurs heures que nous sommes à son contact.

Elle masquait les arbres alentours, ainsi que le ciel. Elle était si dense qu’il nous était impossible de discerner quoi ce soit à des mètres à la ronde. Le peu que je voyais n’augurait cependant rien qui vaille. Toute la végétation alentour s’était flétrie et avait rendu l’âme.

— Votre sortilège vous épargne, quant à moi… j’ai enfilé cet uniforme à temps.

— Que s’est-il passé ? répétai-je, épouvantée.

— La diligence a croisé la route d’une meute de démons. Ils… ils fonçaient droit vers nous. Vous avez ensuite hurlé et la diligence s’est fracassée contre un arbre. Maddy et moi avons réussi à sauter à temps, mais…

Mes veines se glacèrent à l’annonce de cette nouvelle.

— Où sont les autres ?

Malgré la brume, je découvris la diligence, étendue à terre et partiellement détruite. Les différentes malles étaient éventrées un peu partout, marquées cette fois-ci du même symbole retrouvé sur celles de Catherine.

Le soleil agressif.

— Ce ne sont pas les Cachés, précisa aussitôt Malcolm. Leur soleil contient une croix à l’intérieur. Là, c’est l’Antimonde.

Je ravalai ma salive, certaine de nager en plein cauchemar. Comme pour confirmer les dires du Patrouilleur, une dizaine de cadavres apparurent un peu plus loin. Toutes les créatures qui composaient la meute avaient été décimées. Leurs corps avaient été brisés en plusieurs morceaux et leur sang ne faisait plus qu’un avec la terre humide et détruite par la brume.

Malcolm me désigna ensuite un tas de cendres.

— Laurent a visiblement envoyé des renforts, dit-il. Mais ils n’ont pas survécu à l’attaque.

Selon le grimoire de Lyra, les Cachés, une fois transformés, perdaient leur Humanité et ne pouvaient accéder au monde des morts. Le prix de l’immortalité, disait-elle. Lorsque l’un d’eux mourrait, son âme disparaissait à tout jamais et son corps, à l’instar des humains, devenait poussière.

Cette pensée me redonna un bref baume au cœur. Laurent ne m’avait donc pas menti. Mais rapidement, la vue d’une autre silhouette chassa ce soulagement. Je blêmis en découvrant Lyra, inerte, le corps maculé de sang. Sa robe avait été déchirée et son visage recouvert de bleus et de saignements.

— Lyra ! Lyra !

La jeune femme ne répondit rien, gardant ses paupières désespérément closes. Les sanglots brouillèrent ma vue et je la secouai dans l’espoir de la réveiller.

— C’est inutile, Élia, intervint Malcolm en posant sa main calleuse sur mon épaule.

Je chassai sa main avec rage et continuai à la secouer. Près d’elle, se trouvait le médaillon de la Dame Blanche, le même qui m’avait été déposé sur mon oreiller et que le spectre portait à son poignet. Puis, une légère rafale fit virevolter les feuilles de son grimoire. Horrifiée, je me précipitai afin de les ramasser.

— Non ! Non !

— Élia ! s’exclama Malcolm. S’il vous plaît, calmez-vous, il…

Je ne l’écoutai plus. J’attrapai les feuilles volantes avant de sentir à nouveau la douleur foudroyer mon ventre, comme si l’on donnait des coups depuis l’intérieur. Je me pliai en deux dans un gémissement. Le Patrouilleur prit les feuilles des mains et les rangea dans une malle encore utilisable. Il se précipita ensuite vers moi et m’aida à m’asseoir contre un arbre.

— Elle se trouvait à l’intérieur de la diligence au moment du choc, révéla-t-il. Je… j’ignore comment elle a réussi à s’en extirper, mais le choc était trop important.

Je secouai la tête d’un mouvement frénétique, refusant de le croire. Comment cela était-il possible ? Lyra se réveillerait d’un instant à l’autre, elle ne pouvait… elle ne pouvait nous abandonner.

— Archibald a disparu, ajouta-t-il. J’ai… j’ai tenté de partir à sa recherche, mais il reste introuvable. Quant à Maddy…

Il me porta jusqu’à un bosquet plus isolé, où la jeune fille gisait, inconsciente. Blafarde comme un cadavre, je discernai néanmoins un léger râle s’échapper de ses lèvres fines. Mon cœur s’accéléra de nouveau et je sortis de ma torpeur.

Elle était encore vivante. Mes mains, plus diaphanes qu’à l’accoutumée, capturèrent son petit visage. Elle souffrait. Son visage était marqué par les mêmes blessures que Lyra, mais son cœur battait encore, très faiblement.

— Elle était inconsciente à mon réveil, même si elle a probablement eu la force de se traîner jusqu’ici, dit Malcolm. J’ai réussi à calmer quelques saignements, mais la brume a eu le temps de faire effet.

De petites boursoufflures avaient poussé sur sa nuque. D’une horrible teinte violette, la chair de la jeune fille semblait sur le point de s’effriter à son contact. Mes sanglots, doublés à un tressaillement, coulèrent de plus belle.

— Comment une brume aussi dense a-t-elle pu s’installer en si peu de temps ? m’horrifiai-je, serrant la jeune fille contre moi.

— Je l’ignore, Élia. Elle est capable d’apparaître et de disparaître sans crier gare. Mais elle peut aussi s’établir définitivement à un endroit. Voilà pourquoi nous patrouillons chaque nuit. Nous ne chassons pas seulement les païens, nous tentons de déterminer les caractéristiques de ce Fléau.

— Tout ceci est de ma faute. J’aurais dû écouter plus attentivement Laurent. Il était évident que ce démon ne se contenterait pas d’envoyer une créature.

— Inutile de ruminer maintenant. Ce démon en veut à votre vie et peu importe où vous irez, vous demeurerez en grand danger. Même si nous étions resté chez Henry et Lizzie, il aurait envoyé cette meute à votre poursuite.

Les chevaux avaient disparu et il faudrait continuer à pieds. Je posai à nouveau le chiffon contre ma bouche pour calmer ma toux, en vain. J’avais mal, terriblement mal. Mon ventre me tiraillait et j’avais envie de vomir. Comment, en dépit de mon double, avais-je pu m’en sortir sans égratignures ? Comment ce halo avait-il pu me préserver à ce point alors que je me trouvais à l’intérieur de la diligence lorsque le choc s’était produit ?

— Ces démons étaient déjà morts lorsque je me suis réveillé, ajouta Malcolm. Quelque chose les a détruits. Des Cachés ?

Le souvenir de la Juventus Babina se matérialisa dans mon esprit. Il était en effet possible que les Cachés aient généré des pertes dans la meute, mais l’hypothèse ne tenait pas.

Et s’il s’agissait de l’armée des morts ?

— Votre pouvoir est devenu plus fort, remarqua-t-il face à mon hypothèse. Peut-être que cela est dû à la proximité avec le collier de rubis ?

— Dès le début, j’ai senti quelque chose nous épier, et lorsque le danger s’est rapproché, j’ai senti les caresses de la mort. Si… si Catherine n’était pas intervenue, j’y aurais succombé.

— Si vous n’aviez pas flairé le danger, j’aurais été pris par la panique. Votre cri a scellé le destin de ses démons. Maddy et moi sommes encore vivants grâce à vous ; et pour cela, je vous en suis reconnaissant.

— Mais Lyra… ajoutai-je d’un air triste.

J’avais l’étrange sensation que la jeune femme savait ce qui se produirait. Son air maussade, sa voix défaite, son insistance pour me confier son manuscrit en dépit de sa colère. Les sanglots coulèrent, encore et encore. Le poids de la défaite s’alourdissait un peu plus sur mes fines épaules et je mourrais envie de cracher contre la Déesse de m’arracher les gens que j’aimais les uns après les autres.

Pour la première fois, je commençais à comprendre pourquoi Malcolm avait perdu la foi.

— Il faut reprendre la route, dit-il. Les créatures de l’enfer peuvent revenir à tout moment.

— Et Maddy ?

Un bref silence s’installa.

— Il nous reste plusieurs heures de marche. Elle risque de nous ralentir, rétorqua-t-il. Elle ne survivra pas, la brume l’a trop endommagée.

Mes lèvres se déformèrent en un étrange rictus.

— Vous suggérez de l’abandonner ?

— Elle n’en a plus que pour quelques heures. Je peux même abréger ses…

La gifle retentit avec une telle violence qu’une marque rouge apparut sur les joues du Patrouilleur. Malgré mes sanglots, une rage brûlante bouillonnait dans mon cœur.

— Nous l’emmenons, tranchai-je. Si vous vous avisez de l’assassiner, je vous égorgerais dans votre sommeil.

— Vous tenez à peine debout ! s’emporta-t-il. Vous… vous êtes encore plus pâle qu’un mort et vous ne tiendrez pas deux minutes s’il faut la soutenir ! Soyez raisonnable !

— Je suis bien plus solide que vous ne l’imaginez, espèce de sombre idiot ! Vous n’êtes qu’un lâche ! Elle a dix-neuf ans, ce n’est qu’une enfant ! Comment pouvez-vous abandonner une personne à son sort alors que vous avez juré de protéger vos semblables ?

— Je vous l’ai dit, je m’acquitterai de ma dette auprès de…

— Si vous n’obéissez pas, je me chargerai moi-même de votre cas.

Un autre silence pesant s’installa. Le Patrouilleur se figea et entrouvrit les lèvres pour répliquer, avant de se raviser. Mon aura magique irradiait. Il savait que j’étais sérieuse et que je le tuerais s’il refusait d’aider Maddy. Il connaissait la teneur de mon don. Peu importait le sort final de la jeune fille. C’était mon amie, mon ange gardien, celle à qui je devais ma survie dans ce monde perdu.

J’éliminerai tous ceux qui lui porteraient préjudice.

— Très bien, capitula-t-il. Attrapez deux uniformes supplémentaires et les feuilles volantes de Lyra.

Il marqua une pause, avant d’ajouter :

— Je ne veux entendre aucune plainte durant le trajet. Vous porterez Maddy avec moi et si vous faiblissez à votre tour, je vous abandonnerais toutes les deux dans cette maudite forêt.


Texte publié par Elia, 22 février 2018 à 10h30
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