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tome 1, Chapitre 41 « Le Pacte - I » tome 1, Chapitre 41

Cette nuit-là, l’énervement commençait à agiter l’ensemble du manoir Hamilton. Notre séjour chez les Montfleury arrivait à son terme et il était temps de se diriger vers le coven des Roses Blanches. Une missive de Lyra avait été envoyée la veille afin d’avertir Beatriz de notre arrivée.

— Cette femme vous guidera vers le bon chemin, m’avait assuré Archibald. Une fois votre rencontre terminée, tout deviendra limpide dans votre esprit.

Je peinais à le croire. J’avais le sentiment de parcourir ce chemin à l’aveuglette. Beaucoup d’éléments m’échappaient encore et il me fallait encore trouver le moyen d’obtenir du Démon-Créateur ce que je voulais.

— Élia, dit le médecin en pénétrant dans ma chambre. Je tenais à vous remettre ceci avant que l’intimité du carrosse ne m’empêche de discuter librement avec vous.

À l’instar de Lyra, il m’avait évité durant notre séjour. Ma trahison, nécessaire selon ses mots, avait du mal à faire écho dans son esprit. En dépit de mon sentiment de culpabilité, je le comprenais. J’avais aussi trahi ses amis, après tout.

Il sortit de sa mallette un grimoire, celui que Raonaid m’avait offert à mon arrivée au coven. Aussitôt, un frisson m’envahit. Je l’avais prêté au jeune Will dans l’espoir de combler sa soif de curiosité.

— J’aurais dû vous avertir plus tôt, mais vous étiez si mal que j’ai préféré retarder l’échéance, s’excusa-t-il. Le petit l’a remis à Irène avant son départ pour…

Il laissa la phrase en suspens et je compris aussitôt où il voulut en venir. J’hochai la tête d’un air défait. Je savais, au fond de moi, que sa famille suivrait Raonaid. Qui ne l’aurait pas fait face au danger ? Mes mains tremblèrent et le livre faillit m’échapper.

— J’ai échoué, soupirai-je.

— Ne vous blâmez pas, Élia. Pour le moment, Irène demeure sans nouvelles. L’espoir est encore permis.

— Will est si jeune et… et il maîtrise son pouvoir comme un chef. Il me rendait tout le temps visite.

J’en profitai pour parcourir les pages du manuscrit. Will n’avait sûrement rien compris aux symboles du langage des morts, mais je devinai, grâce aux pages pliées, qu’il avait dévoré les légendes rédigées dans sa langue natale. Il avait même laissé des commentaires à l’aide d’une plume.

— Ce livre fait tourner les têtes de nombreux membres du coven, sourit Archibald. Comme personne ne sait d’où il provient, il est facile d’imaginer nombres de choses à son sujet.

— Raonaid espérait que je parvienne à résoudre ce mystère. Hélas, malgré mon pouvoir, les symboles assemblés demeurent sans queue ni tête.

— Beatriz m’a un jour parlé de ce grimoire et de son origine. Son hypothèse m’a semblé farfelue sur le moment, mais suite à votre récit, je me demande si elle n’avait pas raison. Souhaitez-vous l’entendre ?

— Cette femme est décidément merveilleuse. D’où viendrait ce livre, dans ce cas ?

— Il s’agirait d’un ouvrage créé par la Dame Blanche. Même si son arrivée dans notre coven demeure un mystère, il possède une faculté exceptionnelle, celle de résister à l’œuvre du temps. Si… si quelqu’un décidait d’écrire quelque chose sur ces pages aujourd’hui, cet ouvrage serait affecté à la fois dans le passé et dans le futur. Un lecteur d’une autre époque aurait accès aux mots inscrits dans le présent.

— Comment est-ce possible ? Maddy pense que la magie ne peut franchir les frontières du temps.

— La Dame Blanche est un esprit qui échappe à toutes ces règles, Élia. Elle connaît notre destin et son rôle est de veiller à ce que nous le respections. Si… si l’hypothèse de Beatriz est vrai, cela signifie que les symboles du langage des morts ont peut-être été écrits dans le passé ou le futur.

— J’ignorais que le langage des morts pouvait évoluer au point de devenir incompréhensible. À quoi sert mon pouvoir si je suis incapable de le déchiffrer ?

— Votre pouvoir sera différent une fois éveillé. Amenez ce livre à Beatriz. Je suis certain qu’il est apparu pour une bonne raison dans ce coven. Il a un rôle à jouer dans votre destin.

Sur ces paroles mystérieuses, il quitta la pièce.

Je tournai les pages jusqu’à parvenir à la dernière. Seuls quelques mots l’entachaient, rédigés d’une écriture que je reconnus sans peine. Alors que mes doigts touchaient les mots qui étaient inscrits face à moi, une rose s’échappa du livre et s’envola vers le creux de ma main.

Adieu, la noble. Nous partons vers ton monde, là où la lumière de la Déesse protègera ma famille. Tu vas me manquer, merci pour tes histoires. Je voulais t’offrir un cadeau à mon tour.

Un sourire triste s’étira sur mes lèvres, mais avant que je n’eusse le loisir de la contempler un peu plus, la fleur s’agrandit et le décor de la chambre disparut, pour laisser place à une autre pièce, plus chaleureuse encore… et futuriste.

Cette fois-ci, mon cœur battait la chamade et les larmes inondèrent mes joues. Je restai immobiles quelques instants, la vision brouillée par l’émotion et la crainte que tout ceci ne soit qu’un rêve. J’avais énormément pleuré depuis mon exil, mais pour la première fois, je versais des larmes de joie. J’ignorais comment la force de quelques images pouvaient me redonner le moral, mais après avoir connu l’impossible ici, je savais que je ne rêvais pas.

Merci, Will.

Alors que la vision du garçon s’évanouissait et que je m’apprêtai à refermer le livre, une autre page attira mon attention. Parsemée d’une écriture différente, mes sourcils se froncèrent à la lecture des mots. Les éclats de voix de mes compagnons s’évanouirent brusquement et seul le tic-tac de l’horloge résonnait encore.

Perplexe, j’éloignai le grimoire de mon champ de vision et clignai des yeux. Lorsque je relus les mots, ces derniers demeuraient intacts. Un frisson parcourut mon échine et le bruit de l’horloge se fit plus assourdissant.

— Élia ?

Je sursautai et découvris Maddy, adossée contre la porte d’entrée de la chambre.

— Il est l’heure.

J’hochai la tête et refermai le manuscrit, l’esprit embrumé par ce que je venais de découvrir. Les autres m’attendaient près de la porte d’entrée. Lyra échangeait, à l’écart, des mots chargés d’émotions avec Dorian. Le jeune couple était enlacé et le visage du nouveau maire déconfit.

— Je pars avec vous, avait-elle décrété peu avant le lever du soleil.

Son annonce avait eu l’effet d’un tremblement de terre. Personne ne s’était attendu à une telle décision de sa part, d’autant plus qu’elle venait juste d’accéder à la prestigieuse fonction d’épouse du maire. Dorian avait accueilli la nouvelle avec effarement et ses supplications n’avaient en rien atténué sa détermination à nous accompagner.

Pour ma part, j’avais renoncé aux explications. Lyra avait passé son temps à m’éviter, m’adressant la parole seulement lorsqu’elle ne pouvait plus m’ignorer. Si elle avait décidé de me suivre coûte que coûte dans ce coven, cela serait à ses risques et périls.

— Tout va bien, Élia ? s’inquiéta Archibald.

Je répondis par un faible hochement de tête et me tournai vers Dorian.

— Nos chemins se séparent ici, déclara-t-il.

— Je crains que oui. Merci, Dorian, pour votre aide précieuse. Sans votre ouverture d’esprit, je serais morte à l’heure qu’il est.

— Je vous demande pardon pour les sacrifices. J’ai beau ne guère partager les croyances païennes, j’ai conscience que cette chasse a été terrible, cruelle et injuste.

— Prenez soin de vous. Méfiez-vous de Géralt et de la liste. Ce que vous avez fait pour nous, païens et sorciers, vaut mille fois mieux que l’ensemble des maires réunis.

Il me serra dans ses bras et salua ensuite son vieil ami.

— Avez-vous le médaillon de la Dame Blanche ? interrogea Lyra, qui m’adressait la parole pour la première fois depuis trois jours.

Pour parvenir à destination sans entrer en contact avec la brume, elle avait dérobé des plans de patrouille à son cousin et avait suggéré d’emprunter le sentier hanté, tout en payant la Dame Blanche de l’un de ses médaillons.

— Comment être sûre que son carrosse nous abordera ? demandai-je. Et si la lune apparaissait ce soir ?

— Elle viendra car vous serez là.

— Qui nous dit qu’elle ne nous ramènera pas à Endwoods ?

— Parce que votre place ne se trouve plus ici, rétorqua-t-elle d’un ton évasif.

Nous quittâmes donc le village alors que la nuit s’abattait sur le village. Malcolm prépara sa monture et se plaça en arrière du cortège pour n’égarer personne. Nous marchâmes dans un silence religieux. Malgré la présence de mes amis autour de moi, je me sentais aussi terrifiée que la première fois. Je gardais néanmoins mon sang-froid et marchais comme si de rien n’était.

Soudain, un hennissement retentit. Le carrosse, toujours conduit par le même cocher sinistre, s’arrêta. Le souvenir de notre précédente rencontre m’arracha un frisson et lorsqu’il nous proposa courtoisement de voyager à bord, je lui remis le médaillon.

Il s’agissait du bijou offert par la Dame Blanche et lorsqu’il le reconnut, le cocher m’adressa un regard entendu et la porte de la diligence s’ouvrit dans un grincement lugubre. Lyra monta aussitôt et personne ne pipa mot lorsque nous découvrîmes la Dame Blanche.

Le carrosse accéléra sa course et instinctivement, je m’accrochai à mon siège pour ne pas tomber sur Maddy la tête la première. Puis, lorsque le cocher emprunta le même sentier sinueux qui précédait l’accident, mon souffle se coupa. Le souvenir de l’accident dressa mes poils sur la peau et mon cœur faillit rendre l’âme tant le cri de la Dame Blanche me glaçait le sang.

Cette dernière étincelait, en dépit de sa beauté funeste. Malgré la terreur, j’avais le sentiment de retrouver une personne familière, comme une vieille amie d’enfance. Son regard pénétrant me toisait à la limite de la bienséance et lorsque je voulus détourner le regard pour admirer les paysages, un sourire s’étira sur ses lèvres fines.

Je risquai un coup d’œil vers ses bras ornés de bracelets argentés. Je reconnus la médaille remise par le spectre de Catherine, ainsi que les divers bijoux déposés sur mon oreiller lors de mon séjour à Endwoods et au coven.

Elle veillait sur moi depuis le début.

Le carrosse accéléra soudain sa folle course et emprunta le même sentier sinueux où la Dame Blanche avait poussé son cri strident. Mais au lieu de se précipiter vers l’arbre, le cocher continua sa route agitée et arrêta les chevaux trente minutes plus tard.

— Messieurs, mesdames, vous voilà arrivés, indiqua-t-il. Bonne route, Lady Montgomery.

Dès que le dernier passager eut posé un pied à terre, un hennissement retentit et le carrosse reprit sa route. Malcolm, qui nous avait suivi, ordonna à Bourru de se calmer.

La Capitale, là où se situait le coven de Beatriz, se trouvait à plusieurs dizaines de kilomètres. Mais loin d’Endwoods, nous pouvions enfin souffler. Lorsqu’au loin je distinguai un panneau, similaire à celui de mon village d’accueil, je fus prise de panique et courus vers lui afin de le déchiffrer.

Bone’s Village.

Si je n’avais pas quitté ce maudit monde, je me sentis pour la première fois libre depuis longtemps.


Texte publié par Elia, 17 février 2018 à 17h17
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