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tome 1, Chapitre 36 « Les masques tombent - I » tome 1, Chapitre 36

J’aurais voulu que les flammes me dévorent et m’arrachent à ce monde. La foule s’agite, les bras se lèvent pour tenter de m’attraper. Un spasme me fait sursauter et les battements de mon cœur s’accélèrent.

La silhouette d’Edwige se dessine. La jeune fille est amenée sur l’échafaud et ses gémissements se noient dans le brouhaha ambiant. Je demeure impassible face à ce spectacle, à l’écart de la foule. Rien de tout ceci n’est réel. Ce n’est qu’un rêve et pourtant, un plaisir coupable vrille mon ventre. Edwige hurle, marmonne des paroles incompréhensibles, mais personne ne l’écoute. Lorsque les flammes incendient le bois posé à ses pieds, c’est le triomphe.

Je ne pousse aucun cri. Mes lèvres s’entrouvrent légèrement et ma poitrine se gonfle. Edwige hurle, les flammes lèchent ses pieds et laminent sa chair qui commence à fondre. Je contemple le spectacle et la joie fait palpiter mon cœur. Pour la première fois, je n’ai plus peur. La peur est passée dans l’autre camp. Les cris d’Edwige cessent, tandis que son corps se transforme en torche vivante.

***

— Catherine ?

Je me relevai d’un bond, le cœur palpitant. Deux bras puissants entravèrent mes mouvements et lorsque je recouvrai mes esprits, je reconnus Ian.

— Catherine, tout va bien, murmura-t-il en me serrant contre lui.

Je ne répondis rien et posai machinalement ma tête contre son épaule. Un frisson d’horreur parcourut mon échine et je manquai de vaciller. Ma chambre était seulement éclairée par une faible chandelle. Près de Ian, Cristina, Maddy et Lyra veillaient, en retrait.

Je me relevai avec difficulté, l’estomac noué et la gorge trop sèche pour parler. Lorsque je posai mes pieds sur le sol gelé, l’image du procès se matérialisa dans mon esprit et je vomis tout ce que mon corps contenait encore de nourriture.

— Buvez ceci, Lady Catherine, dit Cristina en me donnant une infusion. Cela apaisera vos maux.

Je lâchai aussitôt le bol, les mains trop tremblantes pour effectuer le moindre mouvement.

— Catherine ? risqua Ian. Catherine, le médecin va arriver.

— Dehors !

Je m’étais relevée d’un bond, les membres encore tremblants. Ian recula, intimidé, et se rapprocha de la cuisinière qui n’en menait guère large.

— Dehors, répétai-je d’une voix plus faible.

— Catherine, vous…

— Je vous ai dit d’aller dehors. Sortez de cette chambre, maintenant.

Ian voulut répliquer, avant de se raviser. Des larmes incendièrent mon visage, des larmes d’amertume, de rage, de désespoir. Le jeune homme capitula finalement, entraîné par Maddy et Cristina. Seule Lyra décida de braver les ordres. Mon amie, si je pouvais la nommer ainsi, effectua quelques pas en ma direction avant de me serrer dans ses bras. Telle une enfant, je versais tout ce que mon corps pouvait encore verser.

— Catherine, tout est terminé maintenant. Vous êtes en sécurité.

Elle me relâcha tandis que mes sanglots incendiaient de plus belle mon visage.

— Où sont les Mortagh ? Que… qu’est-il advenu d’Edwige ? interrogeai-je.

— Le tribunal est en train de statuer sur son sort. Elle est enfermée dans les sous-sols de la mairie. Quant à ses parents, ils se terrent chez eux. Dorian et moi avons décidé de les démettre de leurs fonctions.

Ainsi, le plan de Malcolm fonctionnait au-delà de toutes ses espérances. Il possédait le soutien du jeune couple depuis le début et je ne m’étais pas douté un seul instant de la supercherie. Pourquoi m’avaient-ils aidé ? Pour sauver les païens de la chasse aux sorcières ou pour simplement chasser les Mortagh du pouvoir ?

— J’aurais dû me douter que Malcolm possédait un soutien extérieur, soupirai-je. J’imagine qu’il ne se serait jamais opposé à Géralt sans cela.

— Géralt demeure encore le chef des Patrouilleurs, même si son temps est compté, révéla Lyra. Nous ne disposons d’aucune preuve solide pour l’arrêter, même si son erreur de jugement à propos de votre arrestation lui a valu les foudres du juge. Dorian statuera sur son sort, mais cela ne presse pas. L’essentiel est d’avoir réduit cette famille au silence.

— Dorian et vous allez donc reprendre la gestion de ce village ?

— Dès que l’arrestation des Mortagh sera ordonnée, Dorian deviendra maire.

— Depuis quand ?

Lyra arqua un sourcil.

— Depuis quand ? répéta-t-elle.

— Depuis quand planifiez-vous la destitution des Mortagh ?

Tout avait été simple, trop simple. Les Mortagh demeuraient une figure crainte et respectée des villageois. Leurs paroles étaient promesses d’évangiles et aucun juge n’aurait ordonné leur arrestation aussi facilement. À moins que…

Tout a été planifié avec les juges avant l’audience.

Toute l’horreur de mon mensonge jaillit face à moi. La trahison de Raonaid et de Malcolm était claire dans mon esprit, mais la mienne était plus terrible encore. Par ma faute, une adolescente serait probablement envoyée sur le bûcher et trois de mes amis avaient été exécutés. Peu importait qui tirait les ficelles de ce complot : j’étais responsable de ce désastre.

— Catherine, je l’ai fait pour protéger ma famille, dit Lyra. Vous êtes désormais ma cousine au même titre que Ian, vous êtes ma chair, mon sang. Il est de mon devoir de vous soutenir et intervenir lorsque la situation l’exige.

Je l’observai, mortifiée. Mes pensées se bousculèrent et je crus, l’espace d’un instant, que tout ceci n’était qu’un cauchemar. Lyra n’avait pas pu destituer les Mortagh et faire tomber Edwige seulement pour me protéger. Je ne pouvais… je ne pouvais pas avoir poussé l’horreur de mon mensonge au point d’avoir provoqué la mort d’une innocente.

— Si vous étiez tombé, Ian aurait été destitué de ses fonctions et le nom Hamilton aurait été éclaboussé, précisa la jeune femme. J’ai tenté de faire entendre raison à Géralt, de… d’éviter ce désastre. Mais il n’a rien voulu entendre. Il… il m’a dit que vous étiez une usurpatrice et que la vraie Catherine était morte.

Mais je n’entendis pas sa dernière phrase. Une furieuse envie de lacérer Malcolm et Raonaid me saisit. Le Patrouilleur avait dû voir dans ce scandale l’occasion idéale de retarder la chute du coven. Il s’était servi de moi comme un joueur plaçant ses pions sur un échiquier.

Je me demandais pourquoi mes amis n’avaient pas été soumis à la question avant le procès, avant de sentir l’effroi dresser mes poils sur la peau.

Iris leur a déjà donné les informations nécessaires.

Géralt n’en resterait pas là. Même si Dorian parvenait à atténuer la folie ambiante, le chef des Patrouilleurs et le commissaire de la Ville des Cendres disposaient de preuves capables de faire tomber le coven d’Endwoods à long terme. Cela me surprenait que celles-ci n’aient pas été utilisées durant le procès. Cependant, connaissant Géralt, je me doutais qu’il n’en resterait pas là.

Je songeai ensuite au mot de Raonaid. Face à l’agitation du procès, je n’avais guère accordé de pensée à mes amis. De nombreuses courraient droit vers la mort. J’ignorais comment la cheffe ferait pour localiser le portail, mais le temps écoulé entre sa décision et aujourd’hui signifiait qu’il était trop tard pour la rattraper.

Je clignai des paupières afin de refouler mes sanglots. Les images de mon cauchemar dansèrent devant moi et je réprimai une envie d’hurler et de tout envoyer valser. Près de moi, Lyra m’observait, désolée. J’esquivai son regard, prenant conscience que cette plaisanterie avait assez duré. Je ne pouvais plus me réfugier dans les abîmes du déni.

— Lyra, je, je…

Je m’éclaircis la gorge, incapable de trouver les mots adéquats.

— Je dois vous révéler quelque chose.

Je reculai de manière à m’éloigner d’elle, le cœur chargé de remords. Comment lui dire que je n’avais jamais voulu tout ça ? Comment lui dire à quel point je regrettais et me sentais monstrueuse de lui avoir menti, à Ian et elle ?

— Catherine, vous avez été innocentée, sourit Lyra. Nous allons pouvoir débuter une nouvelle vie, sur des bases plus saines et…

— Non.

Un silence s’abattit dans la pièce. Lyra ne se départit pas de son sourire et finit par renchérir :

— Plus personne ne s’attaquera à vous, mon amie. Dorian, Ian et moi vous protégerons, vous serez heureuse et…

— Non ! Vous… vous ne comprenez pas. Je suis… je suis désolée, mais je ne peux plus. Je…

— Catherine, vous êtes quelqu’un de bien. Peu importe les mensonges de Géralt ou des Mortagh, je sais que vous êtes une femme bien. Je comprends que… que tout ceci a été difficile à vivre. Ces païens étaient des êtres humains, hélas, il nous était impossible de les sauver.

— Ces païens, comme vous dites, étaient mes amis ! Lyra, je… tout ce que tribunal a raconté est vrai. Je… je suis une païenne, et… et une sorcière, une… une putain de sorcière.

— Catherine…

— Je les connaissais, Lyra. Je… j’ai vécu plusieurs semaines avec eux, je… je n’ai pas été enlevée par un monstre ! Je me suis enfuie d’Endwoods pour me réfugier au coven !

J’avais presque craché ces mots, tant les regrets s’entremêlaient à la colère. Plus je pensais à Raonaid, plus l’envie de resserrer mes doigts autour de sa nuque me saisissait.

— Catherine, calmez-vous. Vous êtes sous le choc, vous… vous avez besoin de temps pour vous remettre, vous…

— Stop ! J’ai… j’ai accusé mes amis, je… je les ai trahis, je… je suis une sorcière, une putain de sorcière. Je ne veux plus vous mentir, c’est… c’est allé trop loin, je ne voulais pas, non, je ne voulais pas…

Face à mes marmonnements dénués de sens, Lyra tenta de poser une main sur mon épaule, mais je la repoussai avec violence. Mon amie détourna la tête sans oser croiser mon regard. Elle tenta de refouler ses sanglots mais l’émotion était trop vive. Comme Maddy, elle avait cru en moi, m’avait fait confiance sans se douter un instant de la supercherie. La honte m’envahit, mêlée au soulagement. Durant quelques instants, la véritable Élia s’était révélé au monde.

— Lyra, je … je suis désolée. Je suis l’une des leurs.

Cette dernière se dirigea vers la porte vérifia que personne ne nous écoutait. Une fois assurée que nous étions seules, elle la referma doucement et me toisa, blafarde comme la lune.

— Comment est-ce possible, Catherine ? S’il s’agit de la vérité, pourquoi me la révéler maintenant ? Pourquoi êtes-vous resté fiancée avec Ian ? Tout cela n’a aucun sens, vous…

— Parce que vous croyez que cela a un sens pour moi, peut-être ? Je…je n’ai jamais voulu que ceci prenne des proportions aussi dramatiques. Je… je pensais que cela ne durerait que quelques jours.

— Que… que voulez-vous dire ?

Je repris ma respiration et consciente que je ne pouvais plus me taire, je lui dévoilai d’une traite :

— Mon nom n’est pas Catherine.

La jeune femme éclata à son tour de rire.

— Je ne comprends pas, dit-elle. Qui êtes-vous, dans ce cas ? Sa sœur jumelle ?

— Je ne connais pas Catherine, c’est… c’est… j’ignorais même son existence jusqu’à ce que les Patrouilleurs me trouvent dans la forêt. Ian m’a reconnu et je n’ai pas été capable de lui avouer la vérité.

— Qui… qui êtes-vous alors ?

— Je m’appelle Élia Montgomery et Catherine est… est ma descendante. Je viens d’un pays nommé l’Angleterre. C’est… c’est un endroit similaire à ici, tout… tout est similaire. La langue, l’architecture, les coutumes, je… Vous ne connaissez pas ce nom parce que… parce que cette île n’appartient pas au Demi-Monde. J’ai… j’ai fêté mon vingt-cinquième anniversaire il y a quelques mois, en l’an… en l’an 1699.

— Vous… vous venez du Monde ?

J’acquiesçai tristement.

— Catherine… Catherine aussi ?

— Oui.

— Comment avez-vous survécu aux gardiens de la forêt ? Pourquoi… pourquoi avez-vous menti ?

Je lui racontai alors, en omettant certains détails, ma rencontre avec les Gardiens de la forêt, ainsi que mon arrivée au Demi-Monde au côté de Gale et sa disparition soudaine.

— Où est-il à présent ? interrogea Lyra, de plus en plus sceptique.

— Il a franchi un portail temporel. Il… il se trouve à cinq siècles de là, à… à l’époque de Catherine.

Lyra resta silencieuse de longues minutes et détourna le regard, visiblement en proie à une lutte silencieuse. Je l’observai, incapable de détacher mon regard d’elle. Malgré le danger auquel je m’exposais en lui révélant la vérité, je me sentais libérée d’un poids devenu trop lourd à porter.

— Avez-vous conscience du mal que vous avez semé autour de vous ? s’épouvanta-t-elle. Vous… vous nous avez menti, vous… vous avez abusé de ma confiance, de… de celle de Dorian… de… de Ian. C’est… comment avez-vous pu nous mentir et supporter votre reflet dans le miroir ?

— Je n’ai jamais souhaité une telle chose.

— Vraiment ? cracha-t-elle. Pourtant, vous êtes revenue ! Vous auriez pu vous enfuir sans vous retourner. Savez-vous à quel point Ian a été malheureux durant votre disparition ? Je l’ai vu s’effondrer à de multiples reprises, je… je l’ai réconforté un nombre incalculable de fois ! Et vous lui avez menti !

— J’étais terrifiée. J’ignorais que nous avions franchi un portail spatial, je… je n’ai jamais voulu me servir de Ian. Je… je pensais que mon fiancé serait retrouvé, que… que nous rentrerions chez nous.

— Pourquoi n’êtes-vous pas resté dans ce coven ? Pourquoi êtes-vous revenue ?

— J’ai été obligée de revenir !

— Vous auriez dû refuser ! Pour l’amour du ciel, avez-vous conscience de ce que j’ai fait pour vous ? J’ai trahi les Mortagh, j’ai… j’ai envoyé une adolescente à la mort, et… et tout ça parce que je croyais innocente !

Elle marqua une pause, bouleversée, et ajouta :

— Vous ne pouvez plus rester dans cette maison. Ian ne mérite pas ça. Il déteste ce que vous êtes et vous livrera à la justice s’il apprend la vérité. Catherine… enfin peu importe votre nom, vous devez rompre maintenant.

J’hochai la tête en silence. Elle s’adossa contre le mur, comme si soudain, le poids de mes révélations était devenu trop lourd à porter.

— Lyra, je…

Mais déjà, elle ne m’écoutait plus.

— La Dame Blanche, murmura-t-elle sans me regarder. C’est elle, depuis le début. J’aurais dû m’en douter, réfléchir un peu plus, oui.

Elle se tourna ensuite vers moi et ajouta :

— La seule chose qui m’empêche de rappeler le commissaire est la promesse que j’ai faite à la Dame Blanche. Croyez-moi, sans cela, je vous jetterais en prison et ferais en sorte qu’il ne vous reste plus rien. Au lieu de cela, aujourd’hui, vous informerez mon cousin de la rupture de vos fiançailles et de votre départ imminent. Ce soir, vous quitterez le village. Si vous refusez de m’obéir, espèce d’usurpatrice, je lui révélerais la vérité.

Sans ajouter quoi que ce soit, elle quitta ma chambre en me laissant dans une profonde détresse. J’avais pris un risque considérable en me dévoilant, mais je savais que son sens de l’honneur l’empêcherait de me trahir. J’avais appris à la connaître et son sursis était une récompense que je ne méritais pas.


Texte publié par Elia, 10 février 2018 à 15h32
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