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tome 1, Chapitre 35 « La chute du démon » tome 1, Chapitre 35

Peu de temps après la fin de mon entrevue avec Malcolm, je fus convoquée par Xénia. On me tira à nouveau de ma cellule pour me traîner dans ce même bureau infâme. L’épouse du maire m’attendait, assise sur la chaise qui me faisait face.

Je songeais alors à sa dernière fille. Si je l’accusais publiquement, la laisserait-elle périr sans remords ? Ou la défendrait-elle becs et ongles pour ne pas voir son héritage et sa réputation partir en fumée ?

— Le ferez-vous, Catherine ? demanda-t-elle. J’ai conscience que cela soit difficile à envisager du fait de leurs… sortilèges diaboliques, mais cela est nécessaire. Vous êtes la fiancée de l’un des hommes les plus dévoués à la cause de notre Seigneur. Je sais que vos erreurs… sont seulement dues à l’ensorcellement. S’il vous plaît, revenez à la raison.

Elle me savait coupable. Cette femme avait beau jouer à merveille la comédie, la crainte que je lui inspirais et la distance physique qu’elle gardait ne m’échappaient pas. Oui, elle ne croyait pas une seconde à mon innocence ou ensorcellement. Mais elle avait l’intention de se servir de moi pour détruire le coven.

— Serais-je… libérée après… après les avoir dénoncés ? interrogeai-je.

Elle acquiesça avec gravité. Je m’imaginais soudain témoigner devant la foule haineuse et pointer du doigt les personnes qui m’avaient tout appris. J’imaginais les cris et les supplications d’Edwige lorsque la cour se saisirait d’elle. Si je parlais, si je rompais le serment fait à la Déesse, ma vie prendrait un tournant définitif. Jamais je ne sortirai libre de ce tribunal. Mon âme serait maudite à tout jamais. Toutes les valeurs que je défendais depuis ma rencontre avec Gale disparaîtraient. Que penserait-il de moi après cela ?

— Et que fera-t-on des preuves apportées contre moi ? Et du témoignage de votre fille ?

— Ma fille n’est qu’une pleurnicharde ! cracha-t-elle dans un geste dédaigneux. Elle n’a jamais accepté l’idée que sa sœur était une païenne débauchée. Je dois avouer que son témoignage incrimine encore plus nos ennemis. C’est pour cette raison que je l’ai laissé faire.

Le choc fut tel que je faillis m’étrangler. Sans aucune gêne, l’épouse du maire reconnaissait avoir utilisé et mis en danger sa fille pour exécuter quatre païens.

— Vous avez laissé… Géralt enrôler votre fille dans sa vendetta contre moi ? Vous… vous le saviez ?

— Bien évidemment, cracha froidement Xénia. Géralt a bien été obligé de m’informer de ses projets avant de faire témoigner ma stupide fille ! Je suis l’épouse du maire !

Je repris ma respiration et tentai de calmer les tambourinements accélérés de mon cœur. J’avais envie de vomir, de cracher à la figure de cette femme. Même si Malcolm ne m’avait pas proposé ce terrible pacte, Edwige s’exposait à un grand danger si son témoignage contre moi était réfuté. Elle perdrait toute crédibilité au sein du village et serait probablement accusée par la suite d’avoir voulu venger sa païenne de sœur.

Il n’y avait donc plus aucun doute à avoir : le fanatisme de Xénia était tel qu’elle sacrifierait sa dernière fille sans l’ombre d’une hésitation.

— Vous… vous attendez donc à ce que je témoigne contre les autres accusés, repris-je. Et votre fille.

— Laissez Edwige. Je persuaderai cette petite sotte de feindre l’ensorcellement par vos misérables compagnons. L’essentiel est de faire tomber ce coven. Nous aimerions, à ce propos, des renseignements complémentaires sur sa localisation.

Mes lèvres s’étirèrent en un rictus sardonique. Malcolm avait sans doute omis ce détail pour ne pas attiser ma colère, mais je m’étais attendu à ce compromis. Xénia était la personne la plus intelligente de ce village et je savais que sa proposition impliquerait un piège de sa part.

— Comment… comment saurais-je où ce coven se situe, puisque je suis étrangère aux activités de ces personnes ?

L’épouse du maire ébaucha à son tour un rictus, comme si elle s’était attendue à cette réponse.

— Votre disparition… et ensorcellement vous ont forcément permis d’accéder à des informations utiles pour la capture des coupables. Après tout le mal que ces personnes vous ont fait, Catherine, votre cœur ne désire-t-il pas la vengeance ?

Face à mon silence, elle ajouta :

— Ce choix vous appartient. Dénoncer ces personnes… enfin, si je puis les nommer ainsi, nous garantira votre innocence. Lorsque je demanderai aux juges de vous accorder un moment, vous ferez des aveux. Si nous les jugeons convaincants, vous serez libéré sous conditions en attendant la véracité de vos faits.

Menteuse, songeai-je. Tu me jetteras aux flammes même si je te livrais mes amis sur un plateau d’argent.

Je restai stoïque malgré l’horreur qui me submergeait. J’étais horrifiée, écœurée, désespérée. Pourtant, une satisfaction coupable m’envahissait à l’idée de tenir son destin entre mes mains. Je me redressai sur ma chaise et soutins son regard sombre.

— Que le Seigneur veille sur votre âme, Xénia, dis-je.

***

Lorsque les gardes tirèrent nos chaînes pour nous présenter devant le tribunal comme des animaux de foire, personne ne broncha. La salle, prête à exploser, était plongé dans un silence funèbre. Je baissai la tête, aveuglée par la trop vive lumière du jour, mais ne pus m’empêcher de la relever lorsque j’arrivai à la hauteur de Malcolm. Ian attendait près de ce dernier, sincèrement bouleversé.

— Le Seigneur veille sur vous, Catherine, murmura-t-il. Bientôt, vous serez libéré de vos tourments.

On m’arracha à lui pour m’amener près des autres accusés.

— Le bûcher t’attend, sale traîtresse ! cracha Edwige.

Ses parents attendaient auprès d’elle, accompagnés de Lyra et Dorian. Le couple était plongé en pleine conversation et je sentis le regard de la jeune femme peser sur moi. Lorsque je le croisai, elle tapota l’épaule de son époux pour murmurer quelque chose au creux de son oreille.

— Iris est sur le point de rendre l’âme, me murmura Donovan. Elle n’a presque pas ouvert les yeux depuis le lever du jour.

La sorcière gardait la tête baissée, les yeux sans doute trop boursoufflés pour être ouverts. Des filets de sang coulaient le long de ses cheveux et seul un infime râle s’échappait de ses lèvres.

Que la Déesse ait son âme.

La séance débuta sur le témoignage sur le témoignage d’Edwige qui confirma ses propos de la veille. À l’instar de sa sœur aînée, je restai debout, animée par une rage destructrice. J’écoutais son récit sans broncher tout en jetant des coups d’œil à Donovan.

Mes amis n’avaient guère subi la question, mais le mystérieux poison de Xénia avait fait effet. La lumière du jour révélait son apparence squelettique et rongée par l’angoisse. En seulement quelques jours, il avait perdu la moitié de sa masse corporelle.

Je vous en prie, veillez sur eux.

Ce fut au tour de Cristina de monter à la barre. La vue de la cuisinière me redonna un peu de baume au cœur. Elle m’adressa un regard compatissant avant de jurer honnêteté aux juges.

— Beaucoup accusent Lady Catherine d’horribles choses, dit-elle. Mais j’ai juré de dire la vérité alors vous vous contenterez d’un témoignage honnête, messieurs les juges. J’ai été élevé une bonne croyante, personne dans ce village ne peut nier cela. Et je jure sur ce que j’ai de plus cher que Lady Catherine n’est pas une sorcière. Croyez-moi, dans ma vie, je vis au quotidien avec elle. Nous partageons le même toit et tout dans une maison se sait un jour ou l’autre. Ce n’est pas une sorcière et encore moins une menteuse. Jamais elle n’aurait fait de mal à ces pauvres gens.

— Vous affirmez donc que Lady Montgomery est innocente de ses accusations ? En dépit des témoignages accablants contre elle ?

— Oh que oui, messieurs les juges. Nombre de gens présents dans cette salle l’accuse en se fiant aux rumeurs ! Mais je la connais, messieurs. Elle est innocente.

Cristina, d’habitude si discrète et si sérieuse, aurait fait le meilleur avocat du monde. Elle avait parlé avec une assurance et une franchise qui en aurait fait frémir plus d’un.

— Témoin suivant : Lord Ian Hamilton !

Mon fiancé se leva. Sincèrement accablé, il ne devait pas dormir depuis mon arrestation. Il arborait son uniforme et la croix des papistes. Lorsque son regard se posa sur moi, il ébaucha un sourire qui se fana presque aussitôt. Il semblait à bout de forces.

— J’affronte mes collègues en disant cela et certains prétendront que j’agis par amour, mais sachez que je suis un Patrouilleur. Je suis un homme de devoir et jamais je ne prendrais pour femme une sorcière. Catherine Montgomery n’en est pas une. En la retrouvant dans la forêt il y a de cela plusieurs semaines, j’ai lu une sincère détresse au fond de son regard. Géralt et mes collègues se trompent. Ma fiancée n’est pas une sorcière, ni une meurtrière ! Ces accusations sont injustifiées, vous commettez une grave erreur en accusant cette jeune femme.

Il pointa alors du doigt Pernelle, Iris et Donovan.

— Voilà des vrais sorciers ! Voilà ce qu’est un monstre ou une créature de l’enfer !

La salle sortit de sa torpeur et des éclats de voix se répandirent un peu partout. Les juges eurent beau demander plusieurs fois le silence, cela n’eut aucun effet. Des gens se levèrent et s’avancèrent vers notre tribune, prêts à nous réduire en morceaux.

Pour éviter notre mise à mort prématurée, les Patrouilleurs nous transférèrent dans une salle annexe du tribunal, plus petite mais aussi isolée de la foule enragée. De violents coups retentirent contre la porte tandis que les juges délibéraient. Les Patrouilleurs tentèrent de les repousser, avec de plus en plus de difficulté au fur et à mesure que les gens s’amassaient face à eux.

— On est fichus, on est fichus, marmonna Donovan, le cœur au bord des lèvres.

Je m’adossai contre le mur et fixai la croix accrochée face à moi, la vision brouillée par les larmes. Mes chaînes bloquaient mes mouvements et les cris des habitants m’empêchaient de réfléchir.

— Cette mort sera douloureuse, dit Pernelle, mais nous rejoindrons bientôt la Déesse. Nous serons libérés de ce monde maudit. Donovan, ce moment sera difficile, mais Elle nous récompensera au-delà de toutes nos espérances !

Je me fichais de cette récompense. Je devais absolument trouver la force de témoigner et de mener ces innocents à la mort. Mais qu’adviendrait-il ensuite ? Qui succéderait aux Mortagh ? Continuerait-on leur œuvre folle ou mettrait-on un terme à ces massacres ?

L’image de Raonaid se matérialisa dans mon esprit et mon désespoir augmenta un peu plus. En ce moment même, mes amis fuyaient droit vers la mort et je ne pouvais rien faire pour les sauver. Il n’y avait plus aucune issue. Nous étions condamnés à mourir et à voir notre espèce s’éteindre.

Les Patrouilleurs rouvrirent la porte et les injures de la foule fusèrent de plus belle. Ils entraînèrent mes amis à l’extérieur de la salle, tout en se frayant un chemin parmi les habitants, tandis que Malcolm pénétra à l’intérieur.

— Vous collaborerez, Lady Montgomery ? murmura-t-il. Tout a été arrangé avec lord Dorian et Lady Lyra.

— Lord Dorian ? Lady… Lyra ? répétai-je sans comprendre où il voulait en venir.

— Si les Mortagh tombent, Lord Dorian prendra la place de Richard, expliqua-t-il. Si vous répétez le même récit que je vous ai raconté hier, alors cette misérable famille sera réduite en cendres d’ici la fin du mois. À la sortie de cette audience, Edwige sera arrêtée !

— C’est … c’est trop …

Mes larmes coulèrent sur mon visage. Autour de moi, le décor avait disparu. Ma tête menaçait d’exploser comme si des dizaines de marteaux la frappaient au même moment.

— Lady Montgomery, s’il vous plaît, la seule chose qui importe est ce que ces gens pensent ! implora le Patrouilleur. Je sais ce qu’il s’est passé avant votre arrivée ici. Raonaid m’a raconté pour ce procès. Personne n’interviendra pour commuer votre peine en bannissement. Vous avez quitté notre monde pour une raison précise. Je me fiche d’où vous venez, je me fiche de qui vous êtes, je … vous devez tuer la femme apeurée en vous. Je vous en conjure.

— La femme apeurée ? Avez-vous conscience, Malcolm, de ce que vous me demandez ? Je suis ici par votre faute, vous…

Je n’achevai pas ma phrase, les joues brûlantes de colère.

— Je n’aurais jamais dû vous écouter, soupirai-je après de longues minutes de pause. J’aurais dû tous vous envoyer paître en enfer !

— Lady Montgomery, je vous en conjure…

— Non ! Vous mériteriez d’être traîné sur le bûcher avec mes amis ! Vous mériteriez de subir mille tourments pour vous être servis de moi ! J’espère que Raonaid mourra sous les coups des gardiens de la forêt ! Allez en enfer !

La porte s’ouvrit et avant que Malcolm ne puisse répliquer, deux bras tirèrent sur mes chaînes pour me ramener auprès de mes amis. Sur l’estrade, Iris, brisée, avait perdu tout contact avec la réalité. Pernelle, quant à elle, tentait de soutenir un Donovan chancelant.

Je me remémorai leur accueil chaleureux lors de mon arrivée au coven. J’avais caressé ce jour-là l’espoir d’une vie meilleure. Elle l’avait été à ce moment-là, mais cette période n’avait été qu’une parenthèse trop courte. Pourquoi la Déesse me soumettait-elle à ces épreuves ? Pourquoi me faisait-elle rencontrer ces personnes pour me les arracher si rapidement ?

Malcolm réussit à s’approcher de ma tribune et me lança un regard insistant.

— Les preuves sont prêtes. Xénia va demander aux juges d’intervenir d’un instant à l’autre. C’est à vous de jouer.

Les juges reprirent finalement la parole mais l’épouse du maire s’approcha d’eux afin de leur demander un délai supplémentaire. Ceux-ci acceptèrent et réclamèrent le silence d’une voix si sévère que la salle se tut immédiatement, pour quelques minutes du moins.

Xénia lissa les pans de sa robe, s’éclaircit la gorge et déclara :

— Avant l’annonce du verdict, Lady Catherine a quelque chose à déclarer aux juges.

Donovan, Iris et Pernelle me dévisagèrent d’un air étonné.

— N’est-ce pas, Lady Catherine ? reprit-elle.

J’hochai la tête dans un mouvement presque imperceptible et tendis mes bras entravés aux Patrouilleurs afin que l’on m’entraîne jusqu’à la barre des témoins.

— Pernelle, Iris, Donovan… Pardonnez-moi, confessai-je.

— Pourquoi nous demandes-tu pardon ? s’étonna Donovan.

Le silence se rabattit dans le tribunal et toute l’attention se tourna vers moi. Une fois amenée sur la barre des témoins, je m’accrochai à cette dernière pour ne pas m’effondrer. J’avais la nausée et mon estomac menaçait de vomir le peu d’aliment qu’il contenait encore.

— Nous vous écoutons, Lady Montgomery, dit l’un des juges.

Il redressa ses lunettes d’un air las et ses doigts se mirent à pianoter sur la table. Il avait visiblement hâte d’en finir. Je m’éclaircis à mon tour la gorge et fixai la croix suspendue derrière lui. Je ravalai mes sanglots et inspirai profondément, telle l’actrice sur le point d’entamer sa première représentation.

Alors que les scrupules me dévoraient de plus belle, une voix intérieure m’implorait de mettre un terme au règne des Mortagh. Si Malcolm avait décidé de faire confiance à Dorian Montfleury, cela signifiait qu’au fond, le jeu en valait la chandelle.

— Lady Montgomery ? reprit un juge.

Le regard pénétrant de Xénia pesait sur moi et mes sanglots redoublèrent. Oui, je devais le faire. De toutes manières, le destin de mes amis était d’ores et déjà scellé.

Tu as enfin le pouvoir de changer les choses, Éli.

— J’ai… j’ai men… menti au tribunal.

Les mots étaient sortis de ma bouche sans même avoir été réfléchis.

— Nous n’avons rien entendu, Lady Catherine, soupira le juge. Pouvez-vous répéter ?

— J’ai… j’ai…. J’ai menti au tribunal.

Je m’étais redressé et au prix d’un effort considérable, je soutins le regard des habitants désormais suspendu à mes lèvres. Des murmures d’incompréhension se répandirent dans la salle.

— Que voulez-vous dire, Lady Montgomery ?

— Les mensonges n’ont que… que trop duré. Je… je demande pardon au Seigneur d’avoir dévié du droit chemin. Je… je ne veux pas finir… finir damnée. Je n’ai pas été étrangère aux activités ésotériques des accusés présents dans cette salle. Je… je connaissais leur nature, mais… mais par peur, je me suis tu au lieu de les dénoncer.

— Enfin, mais… mais qu’est-ce que tu racontes ? s’horrifia Donovan.

Ce fut comme si un incendie s’était déclenché à l’intérieur de mon corps. Une étrange chaleur bouillonna dans mes veines et poussée par l’énergie du désespoir, je pointai mon doigt en direction des autres accusés.

— Je jure sur ce que j’ai de plus cher au monde que je n’ai jamais voulu participer à leurs rites, mais… mais ils m’ont ensorcelée. Je… je ne contrôle plus rien, ni… ni mes gestes, ni… ni mes pensées. C’est… c’est comme si un voile obstruait mon jugement… et la réalité.

Ma langue se déliait. Je fermai les yeux et me remémorai les pires instants de mon précédent procès. Je revis mes amis m’accusant de tous les maux, je réentendis chaque insulte, chaque crachats proférés à mon encontre.

Au même moment, ma bouche prononçait des mots que je n’étais même plus certaine de comprendre. La honte se mêlait à l’incendie qui irradiait mon corps, mais je l’ignorai. Tout cela n’avait plus aucune importance. J’inventais des mots, des noms fictifs. Oui, ce fut comme si quelqu’un d’autre avait pris possession de mon corps.

Une fois mon récit terminé, la foule explosa et prononça toute sorte d’injures en direction de mes amis. Xénia confirma mon témoignage, mais cela ne fut pas suffisant pour m’innocenter.

Malcolm s’avança alors vers les juges pour leur soumettre une requête. Il recula ensuite jusqu’à ma barre et murmura sans même se retourner :

— Quoi qu’il arrive, confirmez tout ce qui sera dit.

Les juges ordonnèrent aux gens de se rasseoir. Alors que les chuchotements s’estompaient avec difficulté, Malcolm se dirigea vers leur estrade et y déposa un coffret.

— Messieurs les juges, déclara-t-il. Je suis navré de présenter cette requête à la dernière minute, mais des éléments viennent aujourd’hui prouver que l’accusation de Lady Catherine repose sur des mensonges. En effet, il y a quelques semaines, un scandale éclaboussait la famille Mortagh. Leur fille Karen était accusée d’hérésie et de sorcellerie. Ses parents ont pris leurs responsabilités face à notre Seigneur, mais leur fille a menti.

Géralt échangea un regard ahuri avec les autres Patrouilleurs. Sans sourciller, Malcolm se tourna vers lui et révéla d’une traite le récit destiné à faire tomber Edwige.

— Vous insinuez donc qu’Edwige Mortagh aurait menti pour venger sa sœur ?

— Je n’insinue pas, messieurs les juges, je l’affirme.

Un rictus s’étira sur mes lèvres sèches. Edwige avait blêmi et fixait ses parents d’un air terrorisé. Son corps frêle tremblait et elle se recroquevilla sur elle-même. Un élan de satisfaction m’envahit à la vue de ce spectacle. Perchée du haut de mon estrade, j’avais le sentiment de tenir son destin entre mes mains. Ce n’était qu’une illusion, bien sûr. Mais pour la première fois depuis longtemps, une joie coupable dansait à l’intérieur de mon corps.

— Non seulement elle a menti pour venger Karen, mais elle a aussi menti pour assurer ses arrières, renchéris-je d’une voix étonnamment posée. Elle a, pour cette raison, fait parvenir jusqu’au manoir de Lord Hamilton des lettres dans le but de m’incriminer. Elle a prétendu qu’il s’agissait d’une correspondance entre Raonaid Sempyr et moi-même.

Mon intervention improvisée arracha un rictus à Malcolm Suite à sa proposition la veille, il m’avait détaillé la liste des preuves utilisées contre la famille Mortagh.

— C’est un leurre ! intervint-il. Edwige a menti et pour le prouver, Lady Hamilton m’a aimablement fournie une correspondance entre elle-même et Lady Catherine. Comme vous pouvez le constater, l’écriture entre les lettres imputées à Lady Catherine et la sienne ne correspondent pas.

Les juges sortirent leur loupe pour examiner les preuves et hochèrent la tête en guise d’approbation. Le visage d’Edwige se décomposa et j’en profitai pour reprendre la parole :

— Edwige était au fait des activités ésotériques de sa sœur aînée. Elle a cherché, dans une tentative désespérée, à la sauver malgré son serment devant ce tribunal. Elle a également cherché à me punir pour avoir accompli mon devoir en la dénonçant.

— Dans ce coffret apporté par Malcolm, déclara Dorian en se levant, se trouve les mêmes matériaux destinés à vénérer une « Déesse » en lui présentant des offrandes. Edwige et sa sœur disposaient d’une cachette entière regorgeant de ces offrandes contre-nature.

Il marqua une pause, balaya la salle du regard et renchérit :

— Les Mortagh vous ont fait croire qu’ils ne toléraient guère les pratiques païennes de leur fille. Lorsque le procès a eu lieu, ils l’ont livré sans le moindre remords aux flammes. Pourtant, ils ont protégé leur cadette et ont refusé d’ouvrir une enquête supplémentaire lorsque je le leur ai demandé.

— C’est un mensonge ! bondit Xénia. Ma fille n’est pas une païenne ! Jamais notre famille ne tolérerait de telles dérives !

— Vraiment, Xénia ? rétorquai-je d’une voix doucereuse. Vous avez pourtant laissé votre fille m’accuser sans réagir. Vous savez pourtant ce qui est arrivé à ma famille. Ne m’avez-vous pas dit, il y a peu, que je devrais désirer la vengeance et justice pour le mal que ces monstres ont fait ? Pourquoi me priver de cela alors que ma famille est morte par la faute de menteuses comme Karen et Edwige ?

— Je vous ai demandé l’autorisation d’enquêter en toute bonne foi, dit Dorian, et vous avez refusé. D’autant plus que plusieurs témoignages, qui ont été recueillis durant la préparation du procès de votre fille aînée, mentionnaient Edwige Mortagh. Pourquoi ne pas avoir fait parler ces témoins à la barre ?

Malcolm sortit un registre où était consigné à l’écrit les témoignages pour chaque procès. Si celui de Karen s’était déroulé dans la plus grande hâte, je savais que les Mortagh, de par leur fanatisme et leur désir d’éradiquer les païens, avaient collectés le plus de preuves possibles pour garder le soutien des habitants.

— Si ce que Lord Dorian affirme est vrai, alors les Mortagh ont failli, déclara un juge.

— C’est un mensonge ! protesta Richard. Tout ceci est un coup monté !

— Pourquoi avoir laissé votre fille m’accuser sans fondement dans ce cas ? crachai-je.

— Qu’on se saisisse d’Edwige Mortagh pour une enquête approfondie, trancha un juge.

Aussitôt, le silence qui s’était installé dans la salle se rompit. Les juges se levèrent ensuite pour annoncer notre sentence mais le verdict se noya dans la folie ambiante. Deux Patrouilleurs se saisirent d’Edwige sous le regard impuissant de ses parents, qui quittèrent discrètement la salle avant de subir les foudres des habitants.

La foule en liesse poussait des cris avides. Donovan chancela, imité par Iris. Des gardiens les obligèrent à se relever. À la vue de ce spectacle, mon ventre se noua. La foule se tourna vers nous et nous tira jusqu’à la sortie. Les gardiens tentèrent tant bien que mal de les repousser, mais je fus attirée hors de mon estrade.

Ian, au prix d’un incroyable effort, me rattrapa et m’extirpa de là. Dehors, il pleuvait des cordes et les gouttelettes d’eau glacée fouettèrent mes joues. Lyra enfila une couverture autour de moi. Je portais la même robe depuis une semaine et j’étais frigorifiée. L’humidité et le poison m’avaient rendu malade et j’étais sur le point de vomir.

Quelques secondes plus tard, les habitants sortirent à leur tour. Nous nous éloignâmes. Richard et Xénia se frayèrent un chemin parmi eux, sous un flot d’injures.

— Rentrons, dit Ian. Catherine n’a pas besoin d’assister à ça.

Lorsqu’au loin je distinguai Donovan, Iris et Pernelle, c’en fut trop, et je m’évanouis.


Texte publié par Elia, 6 février 2018 à 15h27
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