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tome 1, Chapitre 32 « Sans Issue II » tome 1, Chapitre 32

À notre retour, Ian dormait encore et Cristina venait à peine de se réveiller.

— Où étiez-vous passées ? interrogea-t-elle. La maison était bien silencieuse !

— Lady Catherine et moi avons rendu visite à Lady Lyra, répondit Maddy. Nous avons obtenu l’accord de Lord Hamilton à son retour de patrouille.

— Dans ce cas, petite Maddy, traîne pas. J’ai une dizaine de plateaux à laver, alors au travail ! Ma pauvre enfant, soupira la cuisinière en se tournant vers moi. Lord Hamilton est sévère envers vous, mais ses décisions sont seulement guidées par l’amour. Il reviendra rapidement à la raison, je vous le promets.

J’en doutais fort, mais je gardais mon avis pour moi. La cuisinière se préparant ensuite à visiter le marché, je me retirai dans ma chambre, toujours aussi bouleversée.

— Catherine, articula une voix agacée. Qu’a donnée la visite à Lyra ?

Je soupirai. J’avais une fois encore oublié le don de clairvoyance de la sorcière, don qu’elle utilisait seulement lorsque cela s’arrangeait.

— Si tu es capable de t’introduire ici sans m’en avertir, pourquoi ne visites-tu pas toi-même ce laboratoire ?

— Ma maison est surveillée presque en permanence ! rétorqua-t-elle. Les Patrouilleurs pénètrent à l’intérieur quand ça leur chante. Ils ont tout perquisitionné et… je ne peux prendre le risque de me faire surprendre là-bas.

— Tu m’envoies donc faire le travail à ta place ? ironisai-je. As-tu conscience que cette intrusion me menace également ? Combien de fois faudra-t-il te répéter de ne pas surgir ici à l’improviste ? Et si Ian nous entendait ? Et si un Patrouilleur frappait à ta porte ?

— Tu me fais des réprimandes, maintenant ?

— Tu mériterais bien plus qu’une simple réprimande, espèce d’idiote ! Maintenant, puisque tu veux tout savoir, sache qu’il te faudra revoir tes plans. Vous ne pouvez pas partir d’ici. Sais-tu ce qu’est un gardien de la forêt ?

— Oui. Ce sont les protecteurs de notre région. Ils empêchent les intrus de s’introduire ici.

— Ils ne les empêchent pas seulement d’y entrer. Ils… ils empêchent également les habitants de la région de franchir le portail liant le Demi-Monde au Monde.

La cheffe garda le silence et me dévisagea d’un air fermé. Elle comprenait où je voulais en venir, pourtant, j’avais la désagréable sensation qu’elle ne me croyait pas.

— Qu’insinues-tu, Catherine ?

— Si… si le coven prend la fuite, vers le Sud, le Nord, l’Est, l’Ouest, peu importe, mais si vous vous dirigez vers les frontières du Demi-Monde, les cavaliers vous tueront !

La sorcière éclata de rire. Mais celui-ci n’avait rien d’amusé, ni de chaleureux. Il était glacial, aussi cassant que des éclats de verre.

— Les cavaliers nous tueront ? reprit-elle.

— Ils vous tueront, oui. Lorsque j’ai franchi ce portail, ils étaient sur le point de nous fendre en deux. Gale et moi devons notre vie à la chance, puisque nous avons traversé le portail au moment où l’épée allait s’abattre. Cela ne se reproduira pas une seconde fois. Tu dois attendre.

Mon argument était faible. Raonaid faisait partie de ceux qui se fichaient des mots, d’autant plus si ces derniers provenaient d’une femme dont elle se méfiait. Le seul moment où elle aurait foi en mes paroles serait lorsque les cavaliers brandiraient leurs armes sur les fuyards. Il serait alors trop tard et je refusais qu’une telle chose se produise.

— Malcolm ne m’a pourtant jamais parlé de cela, dit-elle.

— Malcolm ignore tout cela. Crois-moi, je ne mentirais jamais sur un sujet aussi grave. Si vous partez maintenant, vous n’aurez aucune chance !

— Mais tu as survécu, ainsi que ton fiancé ! Si je ne peux les emmener là-bas, où pouvons-nous nous réfugier alors ? Élia, il ne nous reste plus rien. Si nous ne fuyons pas, les Patrouilleurs nous trouverons et nous brûlerons !

Je sentis alors tout le désespoir qu’elle ressentait à l’idée de savoir la situation sans issue. Raonaid avait voué son existence à la cause des païens. Malgré ses sautes d’humeurs et son comportement tyrannique, le sort de ses semblables la préoccupait sincèrement.

— Tu ne dois rien tenter, du moins pas maintenant, insistai-je. Malcolm doit continuer à brouiller les pistes et vous devez veiller les uns sur les autres. Il existe une solution… mais il me faut encore un peu de temps.

— Nous n’avons plus de temps, Élia. Il ne pourra pas nous aider éternellement. Géralt est sur notre trace et la découverte de notre coven n’est plus qu’une question de temps ! Je… je… je ne peux attendre que la mise à mort ait lieu, je préfère mourir sous les coups de ces gardiens plutôt que sur le bûcher.

Des bruits de pas interrompirent soudain notre conversation. Raonaid me lança un regard désespéré et s’éclipsa sans me laisser le temps de protester. Maddy ouvrit la porte quelques secondes plus tard, la mine abattue.

— Vous devez retourner chez vous dès qu’Irène et Archibald auront été contacté, déclarai-je. La situation a pris trop d’ampleur, je refuse de vous voir mourir pour une cause perdue.

En guise de réponse, la jeune fille posa une main affectueuse sur mon épaule et acquiesça d’un faible hochement de tête. Peut-être qu’en retournant à son époque, elle croiserait le chemin de Gale et pourrait lui demander pardon de ma part. Il m’avait suivi dans cet exil par amour et tout ce qu’il avait récolté en échange était ce destin tragique. Quoi qu’il en soit, elle serait plus en sécurité qu’ici.

— Qui assurera vos arrières ? demanda-t-elle.

— Le coven. Je dois y retourner. Peut-être réussirai-je à convaincre Irène d’intervenir et d’empêcher cette tragédie. Si je reste ici, notre destin est scellé.

— Dans ce cas, Milady, permettez-moi de vous avertir. La position de la lune me permettra une traversée favorable seulement lorsque son croissant apparaîtra. Il faudra donc attendre une nuit propice.

— Cela nous laissera le temps de préparer votre départ… et le mien. J’ai le pressentiment que Géralt reviendra à la charge très bientôt. Nous attendrons votre départ dans des lieux plus sûrs.

Elle hocha la tête en guise d’assentiment et retourna ensuite à ses occupations. Je compris alors qu’elle n’avait aucune envie de retourner à son époque, qu’elle préférait sans nul doute veiller sur moi et mener à bien la mission de Catherine, aussi obscure soit-elle.

Mais je l’appréciais trop pour l’obliger à me seconder. Elle méritait mieux, bien mieux que de terminer sa courte vie dans cet horrible village condamné tôt ou tard à disparaître.

Une fois préparée pour le souper, je rejoignis Ian dans le salon. Ma robe était plus modeste que d’habitude, mais puisque nous étions en mauvais termes depuis mon retour, il valait mieux faire profil bas, d’autant plus avec mon départ qui se préparait.

— Ian, je…

Le Patrouilleur posa son regard sur moi et reposa le livre qu’il était en train de lire. Je rangeai une mèche folle derrière mon oreille et sentis mes muscles m’abandonner. Je ressentais le besoin de demander pardon, de prendre soin de lui, d'enterrer la hache de guerre. L’idée de le blesser m’était douloureuse et je savais qu’aucune parole n’atténuerait son chagrin lorsqu’il apprendrait ma trahison.

— Catherine, vous êtes resplendissante, dit-il.

Il déposa un baiser sur mes lèvres. Mes joues adoptèrent une teinte pivoine et je le lui rendis, humant son odeur doucement boisée. Lorsque ses bras s’enroulèrent autour de ma taille, un étrange frisson parcourut mon échine.

Maddy passa près de nous à pas de loups. Son silence trahissait la vive émotion qui l’agitait. Les sanglots menaçaient de couler et elle reniflait régulièrement dans l’espoir de les refouler. Mon regard passa de Ian à elle.

Parfois, mon désir refoulé d’une vie à l’abri de la terreur devenait si grand que je rêvais, l’espace d’un instant, d’embrasser définitivement l’identité de Catherine afin de me laisser porter par Ian. C’était étrange d’envisager cela, alors que mon esprit, peu habitué à obéir, se fustigeait dès que le Patrouilleur exerçait son autorité sur moi. Une part de moi rêvait de devenir indépendante, mais l’énergie que cela demandait m’épuisait. Tandis que le rôle de Catherine, douce, souriante, effacée et soumise, me procurait un confort rassurant.

Tout cela était un terrible gâchis.

Soudain, plusieurs coups secs retentirent contre la porte d’entrée et me tirèrent de ma rêverie.

— Le chef des Patrouilleurs demande à vous parler, Lord Hamilton, annonça Cristina.

— Encore une patrouille supplémentaire, soupira Ian en déposant un baiser sur mon front.

Je levai la tête et entendis des éclats de voix. Au vu de leur tonalité, je compris qu’une dispute venait d’éclater. Au même moment, alors que Cristina ne perdait pas une miette du spectacle, Maddy se dirigea vers moi et me remit un morceau de papier.

— J’ai trouvé ceci dans votre chambre, Milady.

J’ai conscience des sacrifices que j’ai exigé de toi. Pardonne ma trahison et les mots que j’ai eu envers toi. Tu ne les méritais pas. Mais je ne peux abandonner mon coven, mes frères et mes sœurs aux Mortagh. Nous partirons dès que possible en direction du portail spatial décrit par les légendes. En attendant, tu dois partir immédiatement. Géralt est sur tes traces pour t’arrêter. Pars !

R.

— Je n’ai pas le choix, Ian, soupira la voix de Géralt au même moment. Les preuves sont suffisantes pour permettre l’ouverture d’une enquête. Ce sont les ordres, je ne fais que les exécuter.

— Tu ne te contentes pas d’obéir, cracha Ian. Tu es à l’origine de tout ça, j’en suis sûr !

Cristina recula et se précipita vers le salon, horrifiée. Maddy blêmit et je sentis au même moment mon sang se glacer. Je jetai aussitôt le mot au feu et tentai de retourner dans ma chambre, mais avant que j’eusse effectué un pas, deux patrouilleurs saisirent mes poignets. Au même moment, deux prêtres surgirent et récitèrent des prières. L’un d’eux, qui semblait plongé en pleine transe, trempa son gros doigt dans un flacon d’eau bénite et effectua le signe de la croix sur mon front.

— Lâchez-la ! ordonna Ian. Vous n’avez pas le droit !

— Milady ! s’écria Maddy.

— Lady Catherine Marie Élia Montgomery, au vu des soupçons et preuves rassemblées, le maire d’Endwoods, Richard Mortagh, représentant de notre Seigneur au sein de ce village, ainsi que moi, Géralt Heiriv, chef de la sainte armée des Patrouilleurs, ainsi que notre Seigneur lui-même, ordonnons votre arrestation pour motif d’hérésie et de pratique de la sorcellerie.

— Tu es complètement fou ! s’horrifia Ian. Tu ne crois tout de même pas que ma fiancée est une sorcière ? Catherine, ma chérie, c’est une erreur, une terrible erreur ! Ce sera vite terminé, je vous le promets ! Je… je vous sortirai de là !

Mes jambes m’abandonnèrent et la nausée brûla mon estomac. Je fus incapable de prononcer le moindre mot et le monde autour de moi disparut, pour ne laisser entendre que les battements terrifiés de mon cœur. Les Patrouilleurs m’entravèrent les poignets avec une lourde chaîne et il me sembla un instant revivre les douloureux instants de mon procès.

Traînée au milieu de la foule haineuse, je sentis les crachats et les insultes fouetter mon visage. Pourtant, lorsque je trouvai la force de rouvrir mes paupières, je distinguai seulement les ruelles sombres et désertes d’Endwoods, assorties au silence pesant des Patrouilleurs.


Texte publié par Elia, 2 février 2018 à 19h36
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