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tome 1, Chapitre 12 « Le bûcher de la sorcière » tome 1, Chapitre 12

— Vous aviez raison depuis le début, messieurs, soupira Richard d’un air maussade. Je regrette que Graham soit mort pour m’ouvrir les yeux, mais désormais, je suis prêt à agir. Ces meurtres, ce Fléau… cela ne peut plus durer.

— Heureux de vous voir enfin revenir à la raison, ironisa Géralt. À cause de ces pourritures, nous avons perdu un membre estimé de notre village.

— C’est pour cette raison que dès la fin de ce procès – et l’exécution des condamnés-, nous utiliserons la liste des personnes suspectées de sorcellerie et paganisme, intervint Xénia. Une enquête approfondie sera menée, comme Richard vous l’a promis précédemment. Et j’aimerais que vous la dirigiez, Géralt. Vous êtes un homme de confiance et de talent, qui d’autres que vous saura établir la vérité sur la nature de ces personnes ?

— J’ai envoyé un messager à la capitale pour obtenir une autorisation de torture, annonça Richard. Si vous estimez que les soupçons sur ses personnes sont avérés, vous me livrerez leurs noms et nous nous chargerons d’obtenir les aveux.

Malgré moi, je laissai échapper un soupir d’effroi. Je plaquai aussitôt ma main sur ma bouche pour éviter de me faire remarquer.

— Bonne initiative, répondit Géralt. Il est grand temps de faire le ménage. Vous savez, j’ai toujours eu l’intime conviction que ces sorciers augmentaient la menace de ce Fléau. Ils se réjouissent de notre malheur, j’en suis certain ! Et parfois, je me demande même s’ils n’en seraient pas à l’origine…

— Les hommes les plus robustes seront rassemblés sur la place centrale. Vous choisirez alors vos nouvelles recrues, dit Xénia. Choisissez autant d’effectifs que nécessaire, mais restez néanmoins discret sur cette mission. Ils risquent de prendre la fuite au moindre soupçon.

— Faites-moi confiance, miss Mortagh, je réduirai ces personnes en cendres d’ici la fin du mois. Que le Seigneur veille sur nous tous, mes amis.

***

Le tribunal était rempli à ras-bord. Des tribunes supplémentaires avaient été ajoutées afin de permettre à un maximum d’habitants d’assister à ce spectacle. Par mon statut privilégié, Ian et moi avions obtenu une place à l’avant. Les juges, sinistres, ne partageaient en rien la ferveur des habitants. Assis, ils contemplaient la masse de villageois insignifiante et surexcitée comme s’il s’agissait d’un banal public.

La haine et l’avidité étaient facilement perceptibles. Je les ressentais de plein fouet, absorbant cette énergie néfaste et l’imprégnant au fond de moi. Sur la place centrale, quatre bûchers avaient été dressés, arborant en guise de poteau de sombres croix de pierres.

— Soyez forte, ma chérie…

Face à mon état de torpeur, Ian n’avait manifesté aucun contentement à voir ces « païens » arrêtés. Délicat, il gardait le silence sur le sujet, me soutenant du mieux qu’il pouvait. Je m’en voulais et avait terriblement honte. Honte de condamner ces personnes innocentes, honte d’endosser ce rôle.

— Et si nous nous trompions ? murmurai-je soudain. Et si Karen était innocente ? Je ne peux la laisser mourir ainsi, elle, elle…

Ian m’attrapa et me serra contre lui, à la fois pour me réconforter, mais aussi pour étouffer mes protestations.

— Mon amour, chuchota-t-il en caressant mes cheveux. Pas ici. Vous risqueriez d’attirer à nouveau les soupçons.

Le juge frappa la table avec son marteau. Les hommes d’Église prirent place et la porte d’entrée s’ouvrit pour laisser entrer les quatre accusés enchaînés. On les plaça sur le côté, où ils s’assirent en silence. Seule Karen, par défi, resta debout, stoïque, faisant face à une foule haineuse qui ne réclamait qu’une chose : sa mort. Sa dignité me frappa, la ressemblance avec sa mère était incroyable.

La séance d’aujourd’hui portait sur les accusations de sorcellerie. À la barre se succéda une multitude de témoins, qui livrèrent des histoires similaires à celles que l’on avait racontée lors de mon procès.

— Ils dansaient le sabbat à proximité de la forêt ! vociféra une habitante.

— Ils ont jeté un sort sur ma famille, à cause d’eux, le mauvais œil nous a poursuivis pendant un an ! Un an, messieurs ! clama un homme. Nous avons été obligés de consulter un exorciste pour nous libérer de ces démons !

Tous ces témoignages furent ponctués des cris de la salle, réclamant la mise à mort des accusés. Brûlez-les ! Brûlez-les ! Sorciers ! Sorcières ! Fils du Diable !

Les souvenirs, que je tentai d’enfouir dans un coin de ma tête, refirent surface, ranimés par le désespoir que je ressentais à ce moment-là. Jamais je ne ferais le deuil de cette épreuve.

Des « experts » se présentèrent afin d’authentifier les matériaux ésotériques trouvés. Bougies, encens, grimoires, tout cela fut reconnu comme objets de culte au Démon. Ainsi, la culpabilité des accusés fut prouvée.

Aucun avocat ne leur vint en aide. Sans défense, livrés à des juges les ayant déjà condamnés, que pouvaient-ils espérer ?

— Nous appelons à la barre… Edwige Mortagh !

La jeune fille, qui ressemblait trait pour trait à son père avec sa chevelure auburn, se leva, intimidée. Ses larmes avaient abondamment coulées, et des tremblements agitaient sa voix.

— Vous êtes proche de votre sœur, n’est-ce pas ? interrogea un juge.

Edwige acquiesça.

— Avez-vous assisté à des activités ésotériques ? A-t-elle tenté de vous ensorceler ?

— Nnnn… non, non, jamais, répondit la jeune fille. Karen a toujours été une sœur convenable. Elle s’occupait de moi, m’écoutait quand je n’allais pas bien, jouait avec moi quand je m’ennuyais, non, elle n’a jamais rien fait « d’ésotérique ».

— Pourtant, une sœur est une confidente privilégiée. Ne vous a-t-elle jamais confié quoi que ce soit d’étrange ? Le moindre détail a son importance, miss Mortagh ! Il s’agit de sauver son âme !

Edwige secoua la tête avec véhémence.

— Jamais !

— Ces dernières semaines, vos parents nous ont signifiés qu’elle était souvent absente de la maison. En connaissez-vous les motifs ?

— Nnnn… non.

— Si votre sœur était votre confidente, vous nous cachez forcément quelque chose !

Le flot de larmes redoubla et l’espace d’un instant, j’eus l’envie de me lever de mon rang pour la prendre dans mes bras. Je m’en abstins, espérant que les Mortagh réagiraient et réconforteraient leur fille restante. Hélas, aucun ne se manifesta, laissant Edwige démunie face à ces questions absurdes.

— Ne mentez pas, Miss Mortagh ! Il s’agit de faits très graves, mentir est un péché, protéger votre sœur ne vous apportera rien de bon, croyez-moi !

— Je ne mens pas ! clama Edwige. Je le jure sur ce que vous voulez, sur ma vie, sur n’importe quoi ! Karen est innocente, ces accusations sont des mensonges ! Elle a été la meilleure sœur qui soit, elle m’a toujours aidée, protégée, soutenue. Je lui dois tout ! Ce n’est pas une païenne, ni une sorcière !

L’un des juges se pencha vers un autre pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. D’instinct, je devinai le sujet de leur conversation. Edwige avait-elle été ensorcelée ?

— Ce sera tout pour les questions, décréta-t-on.

— Karen est innocente ! s’écria la jeune fille. S’il vous plaît, épargnez-la !

Le juge principal fit signe à deux hommes d’évacuer l’adolescente hors de la salle. Edwige se débattit avec véhémence.

— Lady Catherine ! appela-t-elle en me fixant de ses yeux gris perle. Lady Catherine, vous le savez, elle ne ferait pas de mal à qui que ce soit ! Lady Catherine !

Ses derniers cris furent étouffés par la porte qui se referma.

Je me mordis la lèvre pour étouffer mes sanglots. C’en était trop pour moi. Mon esprit se téléporta dans le passé, revivant les scènes effroyables déroulées dans ce fichu tribunal. Mes parents, assis dans la tribune, pleurant en silence, mes amis traîtres, ces injures qui fusaient, encore et encore. Puis revinrent les questions, absurdes, ces hommes d’Église et leurs regards haineux. Cette salle bondée, pire qu’un public de théâtre. Cette chaleur insupportable. Cet air qui me manquait, ce désespoir sans fin, l’envie irrépressible d’en finir.

Les sanglots éclatèrent. La rage incendiait mes joues. Je croisai furtivement le regard de Karen, ainsi que celui des autres accusés. Son regard me lançait des éclairs, m’ordonnant de me reprendre, de ne pas abandonner.

Ian, de sa main libre, saisit la mienne pour me calmer, mais je le repoussai vivement. Sans expliquer quoi que ce soit, je traversai la salle, plongée dans un silence monacal, pour sortir de cet enfer. Le marteau du juge retentit, suspendant la séance.

Je descendis en hâte les marches pour me retrouver au milieu de la place centrale. Cette maudite mairie se situait juste en face, et je ravalai ma fureur. Edwige, assise un peu plus loin, pleurait également. Quelques personnes nous rejoignirent, profitant de la pause pour s’aérer l’esprit. En apercevant les bûchers, j’hurlai intérieurement.

Ça aurait dû être toi. Tes amis sont morts et tu ne méritais pas ce traitement de faveur !

Les Mortagh rejoignirent leur fille, et Xénia se pencha vers elle pour la raisonner. Ian, accompagné de Lyra, vint à ma rencontre.

— Je ne peux pas, murmurai-je. Je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces !

— Catherine, je comprends votre détresse, mais leur sort est scellé, dit Ian avec tendresse.

L’impuissance était un sentiment éreintant. Je mourrais d’envie d’hurler, mais les échos de ma voix résonneraient dans le vide. À quoi bon jouer le rôle de Catherine, si c’était pour assister à la mort d’innocents ? Pourquoi n’avais-je pas trouvé le courage de retourner dans la forêt afin de retrouver Gale ?

— Mais, mais… elle est innocente. C’est… elle n’a pas confirmé les accusations, elle…

Ian m’attira à l’écart de la place centrale. Il vérifia qu’aucune oreille indiscrète ne traînait et rétorqua :

— Catherine, je… j’ai conscience que tout ceci vous dépasse. Si cette accusation vous semblait injustifiée, pourquoi n’avez-vous pas témoigné en la faveur de Karen ?

Je voulus lui révéler la vérité, ainsi que la promesse faite à la jeune femme. Face à mon silence prolongé, il dit :

— Karen est peut-être innocente. C’est possible, après tout, le pouvoir des rumeurs est capable de détruire n’importe quelle réputation. Nous ne le saurons jamais et vous devez comprendre, mon amour, que la vérité ne triomphe pas toujours.

— Les juges vont mener une innocente au bûcher, elle n’est pas responsable du meurtre de ma famille ! Je… je refuse de le croire.

— C’est une païenne, mon amour. Même si elle est innocente dans votre disparition, elle demeure coupable aux yeux de la loi.

Avant que je ne puisse protester, il posa un doigt sur mes lèvres et poursuivit :

— Le démon peut prendre de multiples formes. Peu importe que Karen soit une bonne personne, elle est païenne et ses croyances doivent être éradiquées. C’est la loi, ma chérie. Vous êtes intelligente, assez pour comprendre qu’il en va de votre vie de la respecter. Peu importe ce que l’on pense réellement.

— Et vous, Ian ? Pensez… pensez-vous que les païens soient responsables de ma disparition ?

Il se figea, horrifié par ma question. J’avais conscience qu’un Patrouilleur ne pouvait décemment défendre les païens, mais mon désir de confronter le jeune Lord à ses responsabilités avait pris le dessus.

— Catherine, soupira-t-il. Ce village vit dans la terreur depuis des décennies. Les meurtres sont devenus quotidiens et… si cela continue, les habitants sombreront dans la folie. Les monstres qui ont fait ça méritent d’être punis. J’ignore s’ils sont païens, Catherine. J’ignore tout de cette croyance obscure !

Un silence s’abattit et l’éclat qui l’avait emporté attira l’attention de plusieurs passants. Ian esquissa un sourire crispé, marqua une pause et murmura :

— Peu importe ce que je pense, peu importe si ces païens sont coupables. Ils demeurent les ennemis de notre religion. Ils n’ont pas leur place à Endwoods. Tant que les Mortagh et les fanatiques régneront ici, nous les traquerons. Ce sont eux ou nous, ma chérie.

J’acquiesçai, prenant conscience de sa sincérité. Pour la première fois, je décelai la terreur qui l’animait. Ian était à la fois Patrouilleur et cousin du châtelain d’Endwoods. Sa réputation ne souffrait d’aucune tâche, pourtant, le procès de Karen lui faisait comprendre que ses titres n’étaient pas suffisants pour le sauver d’une accusation.

Au moindre faux-pas, la justice divine s’abattrait sur lui.

***

La séance ne reprit que le lendemain. Il y avait de grandes chances que la sentence soit prononcée dès la fin. La brièveté du procès ne me surprit guère, les accusés n’étant plus que des ombres dont il fallait se débarrasser.

Les accusations de sorcellerie étant avérées, la séance porta sur l’accident des Montgomery. Chaque Patrouilleur, dont Ian, furent appelés à témoigner. Géralt relata le carrosse à terre, les affaires éparpillées au sol, ainsi que la reconstitution et mon malaise. L’attaque fut quant à elle passée sous silence. Tout le long de cette interminable séance, le regard suppliant d’Edwige pesa sur moi.

Ma voix intérieure fulminait, me rappelant à quel je manquais de conscience d’agir ainsi. Alors, prise d’une pulsion, j’envisageai de laisser tomber le masque. J’étais Élia, Élia par le ciel ! Je ne connaissais pas Catherine, c’était une ruse, une abominable tromperie ! J’imaginais alors les habitants se ruer sur moi, fous de rage, les juges taper en vain contre la table et moi, libérée de mes tourments, je rirai aux éclats, telle une démente possédée par le démon.

Pourtant, la suite se déroula sans encombre. Géralt témoigna à nouveau, accompagné des Patrouilleurs présents lors de la reconstitution. La salle, très agitée, se plongea dans un silence religieux sans même que les juges ordonnent au public de se calmer lorsqu’Ian s’avança à la barre pour témoigner à ma place. Tout le monde était suspendu à ses lèvres et je priai la Déesse de me pardonner.

À la fin de son récit, l’agitation saisit les habitants de plus belle. Karen quant à elle jubilait presque. Sa poitrine se bomba, soulagée et fière d’être associée à ces croyances.

Brûlez-les ! Brûlez-les ! Meurtriers ! Meurtrières ! Brûlez-les !

Les larmes me saisirent à nouveau, j’étais sur le point de m’évanouir. Karen, pour souligner ses propos, éclata alors de rire. Son jeu n’était pas crédible, il ressemblait à celui d’une mauvaise actrice, pourtant cela eut l’effet escompté.

J’avais réussi, ma promesse était tenue, cela ne serait l’affaire que de quelques minutes. J’avais accompli mon rôle, mais la honte me consumait, comment parviendrai-je à me regarder dans un miroir sans me sentir coupable ?

La fureur envahit à nouveau la salle et les juges prononcèrent la sentence, qui me fit tant d’effet que je crus que c’était contre moi qu’on la prononçait.

***

La mise à mort fut fixée au lendemain.

Sous un ciel éclatant, les quatre condamnés furent amenés vers le bûcher. Je n’avais pas dormi de la nuit, le spectre de Karen m’ayant hanté des heures durant.

La famille Mortagh était présente, perchée au-dessus des habitants en haut des marches. Edwige pleurait encore et encore tandis que ses parents, fidèles à eux-mêmes, restèrent de marbre. Le bourreau attacha les condamnés aux différentes croix de pierre. Contrairement à ce que j’avais espéré, les parents Mortagh ne remirent aucune bourse au bourreau.

La peine de Karen se déroulerait dans la douleur la plus totale.

Aucun discours ne fut prononcé, aussitôt les condamnés attachés, le bourreau enflamma les morceaux de bois tour à tour, sous les murmures des spectateurs avides.

Les flammes montèrent.

Impressionnantes, elles me firent l’effet d’un monstre prêt à tout dévorer. Puis elles embrasèrent leur tunique et les cris prirent le dessus. Mes larmes coulèrent abondamment, lorsque soudain, une plainte, plus forte que les cris de douleur des suppliciés, résonna sur la place centrale.

— Les Cachés ! hurla Karen. Les Cachés ! Ce sont eux les coupables !

Je compris aussitôt que le message m’était destiné. La malheureuse n’eut pas le temps de prononcer une nouvelle fois ce nom maudit que les flammes l’embrasèrent tout entier.


Texte publié par Elia, 3 janvier 2018 à 11h59
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