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tome 1, Chapitre 11 « Une victoire au goût de cendres » tome 1, Chapitre 11

— Catherine ! Catherine !

Une voix m’appelait, mais je n’y prêtais guère attention. Je balayai la forêt du regard dans l’espoir de distinguer la chevelure platine de Karen. Mon cœur tambourinait à vive allure. J’étais prête à étriper la jeune femme si cela était nécessaire.

Je me revis perchée sur une estrade, toisant d’un air épouvanté les hommes d’Église ordonnant à la foule injurieuse de se taire. Une désagréable odeur de transpiration envahissait la pièce, mêlée aux injures, crachats et regards dédaigneux que les gens m’adressaient.

Je n’avais pas l’intention de revivre cela. Je ne retournerai pas dans cette cellule sombre et humide, enchaînée comme une criminelle. Je ne réécouterai pas ces témoignages farfelus, ni les questions dénuées de sens posées par les juges. Jamais plus je ne verrai un bûcher dressé pour une sorcière.

Où était cette femme ? Mes mains se resserrèrent, prête à l’étrangler. Tout à coup, deux bras puissants m’enserrèrent et m’empêchèrent d’aller plus loin. La longue chevelure brune de Malcolm se colla contre mon visage et je manquai de m’évanouir tant il me faisait mal. Je poussai un gémissement étouffé, mais le Patrouilleur resta impassible.

— Pour l’amour du ciel, ressaisissez-vous ! pesta-t-il. Vous ressemblez à une chatte enragée !

Plus les secondes passaient, plus mes chances de survie s’amenuisaient. Karen le savait et j’étais certaine qu’elle jubilait de sa découverte. Les sanglots coulèrent le long de mes joues, tandis que mes forces m’abandonnaient peu à peu. Je lui mordis alors la main pour l’obliger à me relâcher.

Sans attendre, je repris ma folle course avant de comprendre que la fille du maire m’avait définitivement échappée. Tremblante, je m’accrochai à un arbre pour ne pas chanceler. Malcolm me rattrapa aussitôt et plongea son regard noisette dans le mien.

— Elle va me tuer, murmurai-je, la gorge sèche.

— Qui ça, Catherine ? Qui va vous tuer ?

Je secouai la tête, les joues inondées de larmes brûlantes. Je tentai de trouver une explication. Karen aurait largement le temps de révéler la vérité à ses parents. Si les Mortagh me prenaient encore pour Catherine, ils disposeraient cependant d’une preuve irréfutable de ma culpabilité.

Malcolm me serra avec gêne contre lui et tapota mon dos dans l’espoir de me calmer. Il me ramena ensuite auprès des autres Patrouilleurs qui s’étaient réveillés. Les membres déchirés de la créature avaient taché la terre ocre du bosquet de sang. D’ailleurs, le liquide vital avait également éclaboussé mes compagnons.

— La Juventus babina, commenta Géralt en posant une main sur son crâne endolori. La chose qui lui a fait ça doit posséder une sacrée force pour l’avoir réduit ainsi en charpie…

— Je n’en avais pas vu dans la région depuis au moins une décennie, grommela Malcolm. Encore une créature de l’enfer qui vient hanter notre forêt. Si Richard n’entend pas raison, on se retrouvera à abriter tous les démons de ce monde !

— Leo, Henry ! Ramassez plusieurs morceaux du corps et déposez-les chez les Montfleury ! ordonna le chef des Patrouilleurs. Lord Dorian et Lady Lyra pourront peut-être les répertorier et nous en dire plus sur elle. Si ses semblables errent dans le coin, il va falloir s’armer en conséquence !

J’arquai un sourcil. Lyra étudiait les créatures de l’enfer ? Si la situation n’avait pas été aussi dramatique, je me serais réjoui de cette nouvelle. Je ne pipai mot, consciente qu’il me faudrait échafauder un témoignage digne de ce nom pour contrecarrer les propos de Karen.

Nous regagnâmes le village dans un silence religieux. Lorsque les portes s’ouvrirent, je m’attendais à trouver le maire et une horde de soldats prêts à m’arrêter. Pourtant, tout se déroula normalement et je retournai dans la demeure de Ian sans encombre.

Incapable de trouver le sommeil, je m’assis sur un fauteuil du salon, écoutant le tic-tac de l’horloge rompre la morosité de cette nuit différente. Quelque chose se tramait. Mon procès, sans aucun doute, mais aussi autre chose. La présence de Karen dans les bois m’étonnait. Pourquoi nous avait-elle suivi ? Depuis quand observait-elle cette reconstitution ?

L’aube se leva trop rapidement à mon goût et dès que l’église sonna sept heures du matin, la famille Mortagh, réunie au grand complet, frappa à la porte du manoir. Xénia m’adressa de brefs remerciements et prit directement place dans le salon, suivie de son époux qui n’en menait visiblement pas large.

Au lieu de m’adresser son habituel sourire glacial, Karen m’ignora. Mes nerfs manquèrent de lâcher. À quel jeu jouait-elle ?

— Lady Catherine, dit Richard, veuillez accepter nos plus sincères condoléances pour le décès de vos parents. Votre aide a été très précieuse et pour cette raison, j’ai ordonné l’envoi d’une expédition au cromlech du Devil’s Village. Vos parents seront ramenés ici et enterrés dans la plus grande dignité. Que le Seigneur veille sur leurs âmes.

J’hochai la tête en évitant soigneusement de croiser le regard de Karen. J’ignorais où se situait ce village, mais si je ne parvenais pas à fuir de là avant le retour de l’expédition, ma supercherie serait enfin dévoilée au grand jour.

— L’opération durera quelques semaines, soupira-t-il. Peu de Patrouilleurs se sont portés volontaire au vu des circonstances… M’enfin, justice vous sera rendue, Catherine. C’est tout ce qui compte, n’est-ce pas ?

***

— Allons, Lord Hamilton, vous n’allez pas faire l’enfant ! le réprimanda Cristina.

Assis sur une chaise, Ian tentait tant bien que mal d’ignorer la douleur qui lui lacérait l’épaule. Sa mauvaise chute avait également eu raison de son bras, que le médecin avait placé dans une écharde. Contraint de se reposer et d’arrêter momentanément le travail, il ne cessait de râler depuis la visite de ce dernier.

— Cessez de gigoter comme ça ! s’exclama la cuisinière. Sinon, je ne pourrais pas nettoyer votre blessure !

À mon tour, je lui adressai un regard de reproche pour l’inciter à se calmer. J’avais eu plus de chance que lui : le médecin s’était seulement étonné de la morsure, à laquelle j’avais feint d’ignorer sa provenance.

— Tenez, Lord Hamilton, dit Maddy en apportant une tasse bouillante. C’est une infusion de verveine, rien de mieux pour s’endormir !

Réticent, Ian fit signe à la jeune fille de la poser sur la table. Au même moment, quelqu’un frappa à la porte. Laissant Cristina finir son travail, j’ouvris, pour découvrir une Lyra blême sur le pas de la porte.

— Catherine ! s’écria-t-elle en pénétrant en trombe dans le hall d’entrée. Catherine, je…

Je lui fis signe de s’avancer dans la cuisine, où elle manqua d’éclater en sanglots.

— Lyra, que se passe-t-il ? demandai-je.

— Ils viennent d’arrêter les responsables de l’accident, m’annonça-t-elle. Le maire a reçu une lettre de dénonciation en début de matinée et une perquisition a été faite. Quatre personnes ont été arrêtées, trois hommes et une femme.

— La culpabilité est totalement sûre ? bondit Ian.

— Quasiment oui. Géralt et le maire sont en train de convoquer le tribunal afin d’organiser le procès. Tous les habitants sont conviés à s’y rendre. Catherine, je… je suis heureuse de savoir les coupables aux mains de la justice, mais… mais il y a quelque chose que vous devez savoir. La femme qui a été arrêtée… il s’agit de Karen, la fille du maire.

Ce fut la stupeur générale. Cristina en fit tomber la bassine d’eau qu’elle utilisait pour nettoyer Ian. Maddy se signa, horrifiée. Lyra aurait aussi bien pu m’annoncer qu’une tornade allait s’abattre sur la ville que cela aurait eu le même effet. Karen, coupable ? Comment la fille d’un couple si puritain se trouvait-elle mêlée à un tel scandale ?

— Que risque-t-elle ? demandai-je.

— Si les charges sont prouvées, et elles le seront, ce sera le bûcher. Les juges sont déjà en chemin, ils viennent tout droit de la Ville des Cendres. Il y aura également deux religieux.

Je réprimai un rire amer. Avec l’Église dans cette histoire, les accusés n’avaient aucune chance de s’en sortir. Ils ne feraient qu’aggraver les charges qui pesaient contre eux.

— La nouvelle s’est répandue il y a un peu moins d’une heure, expliqua Lyra. Richard a tout fait pour étouffer cette histoire, mais cela a fuité. Il sortira de son bureau dans quelques minutes et une foule furieuse se dirige en ce moment vers la mairie. Nous devons nous y rendre maintenant, Catherine. La diligence de Dorian nous attend.

— Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée, objecta Ian.

— Catherine doit y aller, sa présence est nécessaire ! insista Lyra.

— Ça va aller, Ian. Personne ne me fera de mal.

Pourquoi le sort de Karen m’attristait-il autant ? Elle m’avait pourtant haïe dès le départ. Si elle était coupable, il était normal que la justice la punisse. Mais en mon for intérieur, je pressentais que quelque chose clochait dans cette histoire. L’affaire tournait en rond depuis des semaines, et voilà que du jour au lendemain, on arrêtait les coupables alors que les corps des Montgomery n’avaient pas été retrouvés !

Je repensais à l’épisode de la forêt. Et si Karen n’était pas venue dans le but de m’espionner ? Si ces avertissements avaient un autre but, en rapport avec les « païens » ? Que fabriquait-elle là-bas ? Avait-elle lancée cette créature sur nous ?

Je fis signe à Lyra de m’attendre et attrapai un manteau.

— Si la situation dégénère, revenez immédiatement ici ! s’écria Ian, alors que la porte d’entrée se refermait déjà.

Lyra était sur le qui-vive. Par Ian, je savais qu’elle était proche des Mortagh et ce scandale l’affectait énormément. Qui resterait insensible à cela, d’ailleurs ? Karen était la fille des personnalités les plus importantes du village, elle était vouée à de grandes fonctions. Comment avait-elle pu en arriver là ?

— D’après Xénia, deux charges majoritaires sont retenues : l’implication dans l’accident de votre famille, mais aussi la pratique de la sorcellerie. Sa chambre a été également perquisitionnée et l’on a trouvé des choses assez… explicites. Il est aussi prouvé qu’elle connaissait bien les trois autres accusés.

— Comment ont réagi les Mortagh en apprenant la nouvelle ?

— Étrangement. Richard et Xénia ne laissent rien paraître, en revanche, Edwige est dévastée.

Devant la mairie, la quasi-totalité des habitants s’étaient réunis. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous protestaient avec la même véhémence. Nous descendîmes de la diligence et seule l’imposante présence de Dorian nous évita d’être happés par les mouvements de la foule.

— Ne lâchez pas ma main, me murmura Lyra.

Nous nous faufilâmes jusqu’au bas des marches qui faisaient face à la mairie. Tout en haut, les Mortagh attendaient, le visage fermé.

Face aux cris et aux injures qui ne cessaient pas, Richard leva la main.

— Mes amis ! s’écria-t-il avec un calme exemplaire. Je comprends votre colère. Elle est légitime après tout, nous avons été trahis, dupés par ces personnes qui se prétendent « humaines » ! Quoi qu’il en soit, un procès s’ouvrira, procès auquel vous êtes tous conviés. Les juges ne feront preuves d’aucune clémence à leur égard. Ce crime, autant les pratiques sataniques que le meurtre des Montgomery, est impardonnable !

La foule s’éveilla à nouveau, réclamant la mise à mort immédiate des accusés.

— Quant à notre fille, reprit Xénia d’une voix ferme, je comprends également vos doutes. Sachez que nous serons intransigeants et si sa culpabilité venait à être prouvée, alors nous n’interviendrons pas. La sentence sera exécutée. Moi, Xénia Mortagh, ainsi que mon époux, le jurent devant vous et notre Seigneur !

Cette fois-ci, ce ne fut pas un élan de colère qui s’empara des personnes, mais un élan de ferveur, de fierté de voir le maire et son épouse abandonner publiquement leur enfant. Richard m’aperçut alors et me fit signe de le rejoindre. Encouragée par Lyra et masquant mon dégoût pour cette mise en scène macabre, j’obéis et me plaçai entre eux deux.

— Que la justice soit rendue à Catherine Montgomery ! Que ceux qui l’ont accusé d’être liée à ces monstres implorent le pardon de notre Dieu ! clama-t-il.

Pour la première fois, aucune hostilité ne fut lancée contre moi. La foule répéta la phrase du maire avec avidité. Ce dernier ressemblait à un roi sermonnant ses soldats sur le point de combattre.

Une fois les habitants calmés, la foule se dispersa, le même sujet de conversation à la bouche. Lyra fit signe qu’elle m’attendrait sur la place centrale, puis Xénia me demanda de la suivre, la mort dans l’âme. Edwige en profita pour laisser les larmes couler sur ses joues, ses sifflements dû à l'émotion arrachant un soupir d’exaspération à sa mère.

Cette dernière m’amena dans son bureau. Je distinguai ses yeux légèrement rougis. Nous restâmes silencieuses un moment. Que pouvais-je lui dire ? Je ne pouvais enfoncer Karen. Ce n’était pas dans ma nature, cette mère risquait de perdre son enfant, je refusais de les briser encore plus. Pourtant, inévitablement, je jouerai un rôle primordial dans ce procès. Et mon destin serait désormais lié à celui de cette famille.

— Asseyez-vous, Catherine, dit Xénia en me désignant une chaise en velours.

— Xénia, je…

Elle leva la main pour m’interrompre.

— Catherine, écoutez-moi. Ce qu’il s’est passé dans cette forêt est impardonnable. Les coupables doivent être punis. Si… si ma fille a attenté à la vie de vos parents ainsi que de votre ami, il est de votre devoir de la dénoncer. Ni mon mari, ni moi, ne chercherons à influencer votre témoignage. Si Karen est coupable, elle périra sur le bûcher.

Elle contrastait tellement avec mes parents. Le visage remplis de larmes, ils n’avaient pas hésité à frapper chez les juges, les implorant au mépris de leur réputation de m’épargner. Ils s’étaient battus becs et ongles pour m’épargner un sort tragique. Comment supporterait-elle de voir sa fille mourir dans d’atroces souffrances ?

— Soyez en accord avec votre âme et Dieu vous pardonnera comme il pardonnera à Karen, ajouta-t-elle.

— Xénia, il s’agit de votre fille, protestai-je. Je…

— Je ne peux avoir une sorcière pour fille ! s’écria-t-elle durement. Elle doit payer, Catherine. Si ce n’est pas pour le meurtre de vos parents, ce seront pour ses croyances.

Ahurie par une telle intransigeance, je n’insistai pas. Xénia esquivait mon regard, comme si elle-même était coupable de sorcellerie. Persuadée qu’elle serait prête à tout pour sauver sa fille, le choc se mêlait à une profonde déception. Qu’elle haïsse les païens était une chose ; qu’elle renie sa propre fille pour cela en était une autre.

— Si cela est possible, j’aimerais parler avec votre fille avant le début du procès.

Xénia me regarda comme si je venais d’attraper la peste.

— Parler à Karen ? répéta-t-elle.

— Je dois encore comprendre certaines choses.

— Ce… ce n’est pas une bonne idée. Ma fille vous a peut-être ensorcelée, elle vous veut du mal !

— Quel mal peut-elle encore me faire ? Tuer mes parents, m’arracher ma famille, qui y a-t-il de pire, dites-moi ?

Elle baissa ses yeux sombres vers le sol. Je venais de marquer un point.

— Vous avez suffisamment souffert, je ne veux pas…

— Je dois lui parler, Xénia. C’est l’unique moyen pour moi de faire le deuil. Son statut lui permet d’éviter la torture, n’est-ce pas ? Alors je lui poserai les questions moi-même.

Elle capitula finalement et me demanda de la suivre. Elle rejoignit Richard, lui annonça ma requête - à laquelle il protesta avec ardeur - puis s’introduisit dans le bureau de celui-ci pour attraper un trousseau de clefs.

La prison du village se situait à l’intérieur même du tribunal, qui possédait plusieurs cellules spécialisées. Elles accueillaient le plus souvent des prisonniers de courtes durées, soit pour les affaires minimes, soit les condamnés à mort. Les autres étaient quant à eux envoyés à la capitale et ne revenaient jamais dans leur village natal.

Nous traversâmes l’imposante salle du tribunal, puis descendîmes aux sous-sols. De petites fenêtres laissaient filtrer la lumière du jour. Les cellules différaient des cachots, seuls d’épais barreaux empêchaient le détenu de s’enfuir. Il n’y avait donc aucune intimité, les gardiens surveillant les moindres faits et gestes de leurs prisonniers. Karen faisait néanmoins exception à la règle : sa cellule se situait dans une pièce à part.

Également barreaudée, une table avait été installée pour qu’un gardien la surveille de temps à autre. Xénia s’arrêta au seuil de la porte et parla au gardien en lui ordonnant de nous laisser seules.

— Je laisse la porte ouverte. Au moindre problème, criez et on maîtrisera la situation, cracha ce dernier.

Je lui signifiai mon accord puis pénétrai, non sans appréhension, dans la pièce. Celle-ci empestait la sueur et je découvris la jeune femme recroquevillée contre le mur, enchaînée comme une galérienne. M’assurant que le gardien n’entendrait pas notre conversation, je m’approchai des barreaux. Karen remarqua ma présence et leva ses yeux de glace vers moi.

Son bref séjour en prison l’avait déjà transformée. Ses vêtements habituels avaient été remplacés par une infâme robe grisâtre et ses cheveux, coupés au-dessus de ses fines épaules, semblaient secs comme de la paille.

— Mon instinct ne m’avait donc pas trompé, lança-t-elle. Je savais que tu viendrais me rendre visite. Tu n’as pas pu t’en empêcher, hein ?

Sa voix, amère, se teinta d’une ironie qui me blessa.

— À vrai dire, je m’attendais à me retrouver à ta place et non l’inverse, répondis-je d’une voix neutre. Ma curiosité est fondée, tu ne penses pas ? Pourquoi n’as-tu pas accouru au bureau de ton père après notre rencontre de l’autre soir ?

— J’aurais pu le faire, en effet, admit-elle. Cela n’aurait rien changé de toute façon. Nous le savons toutes les deux : tu n’es pas Catherine et la vraie repose à l’heure qu’il est six pieds sous terre. Enfin, je le crois. Mais comment prouver cette incroyable supercherie ? La ressemblance est parfaite !

— Comment l’as-tu su ?

Au prix d’un effort considérable, elle se releva en dépit des lourdes chaînes qui l’entravaient et s’approcha de moi.

— La ressemblance est parfaite, je comprends pourquoi tout le monde, même mes idiots de parents, ont fait la confusion ! Mais ça ne prend pas avec moi. J’ai toujours sentie ces choses-là, depuis l’enfance. Tu sembles plus vieille, de deux ou trois ans je dirais.

— Quatre, précisai-je.

— Je l’ai remarqué dès notre première rencontre.

— Pourquoi avoir gardé le secret ?

— Parce que je ne suis pas censée connaître Catherine, du moins, personnellement. J’aurais pu inventer une histoire, mais je craignais que la vérité ne remonte à la surface. Alors j’ai gardé le silence. Tu dégages une étrange aura, je n’avais jamais vu cela auparavant. Elle est difficile à décrire, mais pour cette raison, je me suis méfiée de toi. Je croyais au début que tu lui avais fait du mal et que l’on t’avait envoyé pour prendre sa place. Mais après réflexion, cette hypothèse ne tient plus.

— Pourquoi ?

— Parce que tu as l’air totalement perdue. C’est une excellente idée de jouer les amnésiques, hein ? Très judicieux, même ! Mais tu ignores ce que tu fabriques ici, je dirais même que tu ne joues pas ce rôle volontairement ?

Ou cette fille était voyante, ou elle lisait dans mes pensées. Face à mon air ahuri, elle éclata à nouveau de rire. Pour la première fois, elle me parut sympathique. L’hostilité des premiers jours avait disparue, le masque tombait enfin. Karen luttait pour garder sa dignité. Je m’étais trompée sur elle depuis le début. Je ne l’avais en aucun cas imaginé de mon côté, partageant les mêmes croyances que moi. Je m’étais figée dans mes premières impressions, la jugeant sans lui accorder la moindre chance.

— J’ai toujours su que je me ferais attraper un jour ou l’autre, confessa-t-elle.

— Je pourrais témoigner en ta faveur, affirmer ton innocence …

— Non, non, ria-t-elle, amère. C’est inutile. Je suis une sorcière, non pas une simple païenne, mais une vraie sorcière. J’ai conscience de mes pouvoirs et j’ai renoncé depuis longtemps à toute forme de chrétienté. Mon sort est scellé et mes parents ne feront rien pour m’aider. Des preuves ont été trouvées dans ma chambre ainsi que chez mes complices. J’ignore qui m’a dénoncé, mais cela devait tôt ou tard arriver. L’essentiel est que mon idiote de sœur ne soit pas incriminée non plus.

— Pourquoi m’avoir lancé ce carreau, dans ce cas ?

— J’étais effrayée. Sais-tu seulement à qui tu as eu affaire ? La créature qui t’a attaquée est puissante, elle chasse dans le but de se nourrir de la chair et du sang des humains. Sa force est colossale, et pourtant, tu l’as combattu sans hésitation. Elle a dû être attiré par ton odeur … Leur repaire se localise normalement à l’est de notre monde, dans une chaîne de montagnes inaccessible à l’Homme. Elles ne chassent jamais dans cette forêt, c’est la première fois que j’en vois une, pour tout te dire.

— Si tu es innocente, je ne peux te laisser …

— Je suis innocente, m’interrompit-elle. Je le jure sur ma vie. Jamais je n’aurais fait de mal à Catherine. Son aide a été considérable, elle a permis à notre coven de prospérer ! Nous lui devons énormément. As-tu reçu les lettres que je lui ai envoyées ?

— Le Soleil Doré ?Tu l’aidais à détourner son argent, n’est-ce pas ?

— Oui. J’effaçais ses traces une fois cela fait, confirma-t-elle. Tu lui ressembles tellement … pas seulement au niveau de l’apparence, mais aussi par votre nature. Tu es une païenne, mais également une sorcière.

— Je partage tes croyances, mais je ne suis pas une sorcière.

Les sorciers découvraient leurs dons durant l’enfance, au plus tard, au début de l’âge adulte selon les légendes. Leurs pouvoirs se manifestaient du jour au lendemain et touchaient autant les femmes que les hommes. Ils se transmettaient aléatoirement, un enfant issu de parents sorciers pouvait très bien ne pas hériter de leurs pouvoirs.

Karen dit :

— Je m’y connais en sorcellerie et je ne me trompe pas. Tu as parlé le langage des morts lors de l’attaque.

— Le langage des morts ? Que racontes-tu comme sornettes ?

— Tu le parlais comme si tu connaissais cette langue depuis toujours. Voilà pourquoi cette créature a cessé brièvement de t’attaquer, voilà pourquoi ce mort t’a sauvé la vie ! Nous les païens ne pouvons parler ce langage. L’apprendre requiert des décennies d’enseignement et le parler naturellement est presque impossible.

— Comment ai-je pu parler une autre langue sans m’en apercevoir ? Et pourquoi ce mort est-il intervenu ? Je n’ai pourtant appelé personne …

— La protection des morts, expliqua Karen. C’est un don très ancien, sans doute transmis par ta famille depuis la nuit des temps. Quoi qu’il en soit, tu dois faire très attention. Si quelqu’un te surprend à parler cette langue, il te suspectera de parler avec le Diable.

Mais comment éviter cela ? Si je parlais cette langue sans même m’en apercevoir, il serait aisé d’être démasqué à tout moment.

— J’ai rencontré Catherine avant qu’elle ne séduise Ian. Elle est arrivée ici dans un contexte très tendu, expliqua la fille du maire. Mes parents sont sur le point de lancer une chasse aux sorcières et ce Fléau n’arrange pas notre situation.

Mon père est un homme faible et stupide, mais ma mère, elle, est capable du pire. Elle n’occupe pas la position de maire de par son statut de femme, mais gouverne officieusement. Tu dois te méfier d’elle, jumelle de Catherine. Elle est plus redoutable encore que ces crétins de Patrouilleurs.

Elle marqua une pause et ajouta :

— Les païens et sorciers sont très inquiets et ne peuvent pas fuir, car l’est de notre monde est envahie par cette brume démoniaque. Nous n’avons aucun endroit où nous réfugier.

Elle voulut ajouter quelque chose, mais se ravisa, craignant d’en avoir trop dit.

— Les meurtres continueront et mes parents s’en serviront pour envenimer la situation. Tes pouvoirs sont puissants, mais tu ne peux rester seule dans ce village de malades. Il te faut les maîtriser et te lier à tes semblables. Rends-toi à la boutique de madame Sempyr et dis-lui que tu viens de ma part. Ne te présente surtout pas comme Catherine, elle te démasquerait aussitôt. Fais attention cependant, car elle est en tête sur la liste de mes parents.

Elle me remit un pendentif offert par madame Sempyr, pendentif que je devais lui remettre afin de prouver ma bonne foi envers cette dernière.

— Catherine, avant de disparaître, en savait beaucoup sur les responsables de ces meurtres « païens ». Elle refusait de nous en dire plus car elle se sentait surveillée. Il y a cependant un nom qui revenait régulièrement : Laurent. Le connais-tu ?

— Non.

— Ce ne sont encore que des rumeurs, mais son nom glace le sang de nombreux païens. Je ne le connais pas non plus, mais Catherine le redoutait.

— Il serait donc lié aux meurtres païens ? Ainsi qu’à la disparition de Catherine et de ses parents ?

— Personne n’en est sûr, car elle a emporté tous ses secrets avec elle. Catherine connaissait la vérité sur ce qui se trame ici et on l’a puni pour cela. Les personnes qui ont commis ces meurtres veulent que la faute soit rejetée sur nous.

Soudain, le gardien frappa à la porte pour me signifier que j’avais dépassé le temps accordé.

— Merci pour ces renseignements, murmurai-je.

— Hé ! s’écria Karen avant que je m’éloigne. Catherine, enfin, peu importe qui tu es, tu dois m’accorder une dernière faveur ! Je sais que je me suis mal comportée avec toi, mais s’il te plaît, avant de mourir, aide-moi !

— Je t’écoute.

— Je suis condamnée. À compter de cette heure, je suis morte et il ne tient qu’à toi d’accélérer mon agonie. Ne tente rien pour me sauver, compris ?

J’écarquillai les yeux, stupéfaite d’une telle requête.

— Tu me demandes de… de mentir ? m’épouvantai-je.

— L’attente est insupportable. Si je dois mourir brûlée, fais-en sorte que cela arrive au plus vite. Je t’en supplie, peu importe que les vrais coupables ne soient pas punis, ce qui compte à présent est de mettre fin à mes souffrances. Garde le silence afin de ne pas attirer l’attention sur toi, mais ne mens pas à ce tribunal pour me sauver. Comprends-tu où je veux en venir ? Catherine !

Sa voix se fit suppliante. Elle passa sa main enchaînée à travers les barreaux. Je voulus alors la rassurer, lui faire cette promesse, mais la porte s’ouvrit et le gardien m’arracha de la cellule. Karen, presque hystérique, clama mon nom à plusieurs reprises et le poids sur mes épaules s’alourdit un peu plus.


Texte publié par Elia, 31 décembre 2017 à 14h24
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