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tome 1, Chapitre 10 « Une tombe à ciel ouvert » tome 1, Chapitre 10

L’air était frais lorsque je m’aventurai à pas de loups dans le jardin. Mon manteau ne suffisait pas à atténuer mes frissons et je m’empressai de courir vers le potager cultivé par Cristina. Si le climat anglais était habituellement frais et pluvieux, celui d’Endwoods était sec et froid, mordant mes joues jusqu’à les faire rougir.

Je disposais de quelques minutes seulement. Cristina se levait dès l’aube. Je grattai un peu de terre et y versai quelques gouttes de mon fluide vital, marmonnant une prière dans le silence de la nuit. Le souvenir de la procession se matérialisa dans mon esprit.

La mystérieuse langue claqua contre mes oreilles tels des coups de fouet, puis le cri strident de la Dame Blanche manqua de me faire perdre connaissance.

Un soupir de désespoir s’échappa de mes lèvres. L’aide de la Déesse demeurait toujours plus nébuleuse et mon avenir incertain. La colère de la veille s’était atténuée, mais j’avais le sentiment d’avancer à l’aveuglette vers le rebord d’une falaise.

Une fois ma prière et mon offrande effectuée, je retournai dans ma chambre. À son réveil, Ian me rendit visite dans ma chambre et je ravalai ma salive. Ses menaces résonnaient encore et ma fuite avortée me contraindrait un jour ou l’autre à remplir mon devoir conjugal s’il l’exigeait. Pour empêcher cela, j’avais espéré l’arrivée de mes menstruations.

Mais celles-ci étaient en retard. Je croisai alors les doigts pour que le mariage ne devienne pas à l’ordre du jour.

— J’ai discuté avec le médecin hier en ville, m’annonça-t-il. Il m’a fait part d’une proposition afin de faire avancer l’enquête. À ce propos, qu’avez-vous décidée pour le commissaire ?

— J’aimerais que vous soyez mon garant, répondis-je. Je… je vous fait confiance pour me représenter, mon amour.

Il hocha la tête pour me signifier son accord. Je souris faiblement, soulagée de déléguer cette tâche. Ma supercherie risquait de s’effondrer à tout moment et si ce commissaire était aussi futé que Géralt, je risquais de me trahir moi-même.

Ian me remit ensuite un écrin, dans lequel se trouvait une nouvelle bague de fiançailles.

— J’ai conscience d’avoir été dur envers vous, s’excusa-t-il. Je vous ai imposé de nombreuses choses et vous ai menacé. Pardonnez-moi pour mon indélicatesse.

— N’ayez crainte, Ian. Vos décisions sont guidées par l’amour, n’est-ce pas ?

Il acquiesça et plaça l’anneau à mon annulaire. Je m’efforçai de sourire, malgré le sentiment de trahison envers Gale. Avec cette bague, j’appartenais désormais à Ian. Je deviendrai bientôt sa femme et serai prisonnière de cette cage dorée.

Un éclat de rire, sec, tranchant, traversa mon esprit. Pourquoi me prenais-je pour Catherine ? Je ne jouais qu’un rôle. En dépit de notre ressemblance physique, j’étais Élia. Cependant, au fur et à mesure des jours qui s’écoulaient, le lien entre ma mystérieuse jumelle et moi devenait de plus en plus flou.

— Quand… quand aura lieu le mariage ? balbutiai-je.

— Dans quelques semaines, je le crains. Vous devez faire le deuil de vos parents et l’enquête risque d’occuper tout mon esprit. Lorsque la situation redeviendra… normale, nous nous marierons. Qu’en pensez-vous ?

J’acquiesçai afin de lui signifier mon accord. Cela me laissait un bref répit avant de préparer une nouvelle fuite.

— Le médecin m’a suggéré de vous emmener sur les lieux de votre accident, m’annonça-t-il. Géralt souhaiterait organiser une excursion au crépuscule. Il pense que cela serait bénéfique pour votre perte de mémoire. J’ai donné mon autorisation, mais j’aimerais m’assurer que vous vous en sentiez capable.

Une étrange émotion enveloppa mon cœur, mélange de peur et de témérité. Certes, il me faudrait jouer la comédie et échapper aux soupçons de Géralt. Mais cette excursion dans la forêt me permettrait de mieux appréhender cette région et d’en apprendre plus sur le chemin alternatif mentionné par Lyra. Avec un peu d’attention, je trouverai un sentier qui me ramènerait sur la route de Liverpool.

— Vous en sentez-vous capable ? En êtes-vous sûre, ma douce ?

— Pour ma famille, je le ferai, assurai-je.

Et pour Gale, ajoutai-je pour moi-même.

En m’amenant là-bas, Géralt espérait également attirer l’attention des coupables. L’enquête piétinait. Les meurtres, selon Ian, se produisaient depuis plusieurs années. Les Patrouilleurs retrouvaient régulièrement des cadavres pendus par les pieds et vidés de leur sang. Si la disparition de la famille de Catherine faisait exception à cette macabre règle, les coupables étaient déjà trouvés. Puisqu’ils ne laissaient aucunes traces derrière eux, l’utilisation d’un appât était la dernière carte à abattre avant l’arrivée du commissaire. S’ils décidaient de m’attaquer ou de revenir sur les lieux par la suite, ils seraient piégés par des Patrouilleurs et jugés immédiatement.

Pour l’occasion, je m’étais revêtue d’une robe spéciale, plus courte que celles d’usage dans la noblesse anglaise. De couleur grise, la matière était plutôt lourde à supporter, mais elle avait été conçue pour me protéger d’éventuels coups d’épées et autres projectiles. Une véritable « armure féminine » selon Ian.

— Elle a spécialement été conçue pour l’expédition ! Richard refuse d’ouvrir les patrouilles aux femmes, mais Géralt souhaiterait en recruter. Ce sont des cibles plus mouvantes que les hommes et donc plus difficiles à atteindre. Mais si cela se fait un jour, je refuserais de supporter votre présence parmi nous. Je m’inquiéterais bien trop pour vous !

À la tombée de la nuit, nous rejoignîmes les autres Patrouilleurs devant la mairie. Avec plaisir, j’obtins mon propre cheval.

— Que le Seigneur veille sur nous tous, déclara Géralt d’une voix sombre.

Nous répétâmes ses paroles et effectuâmes un signe de croix. Suite à cette bénédiction, Ian m’aida à grimper sur mon destrier. Tandis que je m’installai en amazone, Géralt donna une impulsion à son cheval afin de lancer officiellement l’expédition.

Lorsque les portes du village s’ouvrirent, un étrange sentiment m’envahit. De liberté, car j’avais le sentiment de me défaire enfin du rôle de Catherine et de redevenir moi-même.

Nous nous engouffrâmes dans les bois, à l’opposé du sentier principal. Seul ce chemin permettait aux habitants et aux inconnus de se repérer dans la forêt. Pour éviter de s’égarer hors de ce sentier, les Patrouilleurs avaient placé différents dispositifs pour se repérer.

L’accident s’était produit dans un bosquet, à dix minutes à cheval d’ici. Celui-ci était difficilement trouvable : éloigné de celui-ci et masqué par les épais feuillages des arbres, il était impossible que la famille Montgomery soit arrivée ici par le fruit du hasard. Les avait-on attirés là ?

L’intérieur du bosquet était quant à lui dépourvu de la moindre végétation. Le sol était presque vierge et seule une épaisse couche de terre ocre et humide le recouvrait.

Je tressaillis. Pourquoi les coupables avaient-ils attaqués ma jumelle si près d’Endwoods ?

— Le carrosse se situait au centre lorsque nous l’avons trouvé, m’indiqua Géralt. Les affaires étaient quant à elles éparpillées tout autour.

— Le bosquet est vide désormais, mais cela n’est pas naturel, précisa Malcolm. La végétation a sûrement été arrachée ou détruite par la brume.

Nous n’avions pas traversé cette mystérieuse brume, même s’il me semblait l’avoir aperçu au loin en dépit de l’obscurité. Je descendis de mon cheval, sensible à la folle énergie qui circulait autour de nous. Les Patrouilleurs s’écartèrent sans me quitter pour autant des yeux. L’air était étouffant et la chaleur fit perler des gouttes de sueur sur mon front.

Je déambulai le long du bosquet avant d’entendre des cris. Je sursautai avant de comprendre que j’avais été la seule à l’entendre. Aucun Patrouilleur n’avait réagi et tous me fixaient avec le même intérêt. Une seconde série de cris retentit à nouveau. Les battements de mon cœur s’accélérèrent et je dus inspirer profondément pour ne pas me laisser submerger par la panique.

Pourquoi personne ne réagissait ? Les bruits semblaient pourtant proches et résonnaient dans l’ensemble du bosquet. Lorsque le silence retomba, je tressaillis. Ces cris n’étaient pas le fruit de mon imagination, mais bel et bien ceux que la famille de Catherine avait poussés lors de l’accident.

J’ignorais ce qui me rendait aussi sûre de cette affirmation, mais je le sentais au plus profond de moi. Gale m’avait souvent répété que je possédais une sensibilité hors du commun. Une espèce de troisième œil naturel. Je m’étais toujours méfié des dons de ce genre. L’idée de voir les défunts et les choses liées à la Mort m’effrayait littéralement.

Géralt nota mon désarroi et claqua des doigts. Cinq Patrouilleurs se postèrent autour du bosquet afin de faire le guet, prêt à stopper la moindre attaque extérieure. Selon eux, diverses créatures non-humaines avaient tentées de s’en prendre à eux ces dernières semaines.

— Elles sont rapides et silencieuses, m’expliqua le chef des Patrouilleurs. Elles peuvent frapper sans prévenir si on ne les repère pas avant. Mes hommes veillent sur vous, Lady Catherine. Agissez sans crainte.

Les cris résonnèrent une fois encore dans mes oreilles avant de s’évanouir presque aussitôt.

— Marchez, faites le tour du bosquet, ordonna-t-il. Dites-nous tout ce qui vous traverse l’esprit. Si la mémoire vous fait encore défaut, laissez une trace de vous ici, pour qu’ils puissent sentir votre odeur. Touchez les arbres, parlez-nous. Si ces païens utilisent des créatures, leurs sens sont sûrement plus développés que les nôtres.

Je me concentrai mais à nouveau, l’énergie laissée par l’accident s’agitait autour de moi. Elle frôlait ma peau et je fermai les yeux afin de me concentrer sur ces sensations. J’avais l’impression de ne plus rien contrôler, comme si elles avaient pris le dessus sur mon corps.

Des éclats de voix retentirent alors, cris de stupeur et des supplications. Parmi ces différentes intonations, une se détachait particulièrement des autres.

Une voix similaire à la mienne, douce, féminine, chantante. Une voix familière, bien que je ne l’aie jamais entendu par le passé. Elle parlait à toute vitesse, à la fois en anglais et dans une langue que je ne connaissais pas. Je ne saisis pas le sens de ses paroles, elle parlait trop vite, comme si elle suppliait quelqu’un. La tension était palpable dans l’air, le désespoir se mêlant à une profonde rage et au mépris.

— Catherine ! appela Ian.

— J’ai tenté de supplier quelqu’un, dis-je.

Tous mes sens étaient en ébullition. Une onde traversa mon corps et je ressentis le même désespoir qui agitait la voix. Une terreur profonde vrillait mon ventre, les battements de mon cœur s’agitaient à une telle vitesse que la réalité m’échappait peu à peu. La vie semblait s’échapper de mon enveloppe charnelle.

L’onde quitta ensuite mon corps et un autre bruit me parvint : celui d’objets se fracassant contre le sol. Des bruits de pas se répandirent un peu partout dans le bosquet sans aller au-delà. Une limite invisible semblait empêcher les victimes de fuir.

Je me laissais tomber au sol alors que ma cage thoracique se comprimait de nouveau. Mes lèvres s’avéraient incapable de prononcer le moindre mot à cause de mon souffle qui se coupait. Je m’adossai à un arbre et fermai les yeux, imaginant la demeure familiale pour chasser la panique.

Je distinguai alors le ciel. Il faisait froid, mais le soleil brillait. Ses rayons me chatouillaient le nez. J’avais quitté la forêt et un cercle de pierres se dressait autour de moi. J’étais également allongée. Allongée et immobilisée. Je ne pouvais effectuer le moindre mouvement, mes membres étaient ankylosés et entravés.

Je tentais également de dire quelque chose, mais mon souffle se noyait dans la terreur qui me paralysait. Ce n’était pas une simple panique qui m’envahissait. Non. Celle-ci tétanisait chaque membre de votre corps et menaçait de faire sombrer votre âme dans la folie.

J’étais sur le point de mourir.

Quelque chose atterrit ensuite contre mes yeux, froid et humide. Je l’avais déjà senti lors du malaise chez Lyra. De la terre. Oui, quelqu’un était en train de jeter de la terre sur moi. Et plus les secondes passaient, plus la quantité de terre s’alourdissait sur mon corps.

On est en train de m’enterrer vivante.

Presque folle, je m’agitai dans tous les sens pour me raccrocher à quelque chose. Plusieurs Patrouilleurs m’étreignirent pour me calmer. Une fois le lien avec la réalité renoué, mon corps inerte retomba sur le sol.

— Enterrée, balbutiai-je, le souffle haletant.

— Que dit-elle ? demanda Géralt.

— Enterré, fit Ian. Catherine, enterré, mais qui ?

Mes larmes redoublèrent. Ian me prit contre lui en me berçant doucement. Je me laissai aller contre son torse, à la recherche de réconfort.

— Nnnn… non, tremblai-je. C’est… c’est moi que l’on enterrait.

Pour mes interlocuteurs, ce récit n’avait aucun sens. Comment aurait-on pu m’enterrer pour me retrouver ensuite saine et sauve ? Pour moi, en revanche, la triste vérité se dessinait dans mon esprit. Catherine avait été assassinée durant l’agression, puis enterrée. Cela ne correspondait pas aux meurtres rituels, alors sans doute avaient-ils fait une simple mauvaise rencontre ?

Mais pourquoi ce symbole sur la valise ?

— Enterrée ? s’étonna Ian. Mais comment avez-vous réussi à sortir de la tombe ? Matthew vous aurait aidé ?

Les mots se perdirent au fond de ma gorge. Je restai silencieuse, le visage baigné de larmes.

— Étiez-vous dans le noir ou était-ce une tombe à ciel ouvert ? interrogea Géralt.

— À ciel ouvert, répondis-je au bout de plusieurs secondes.

— Dans la forêt ?

— Non. Il… il n’y avait aucun arbre autour, mais… mais des pierres je crois. Oui, plein… plein de pierres.

Géralt fronça les sourcils.

— Un cromlech alors ? suggéra Malcolm. Hé, Géralt, il y a bien des cromlechs dans la région, mais ils sont à une trotte d’ici ! Imagine que ce soit celui de la Vallée fantôme !

— Si Lady Catherine ne se trompe pas, sa famille est bel et bien perdue, confirma celui-ci d’un air sombre. Ces monstres auraient donc changé de rituels ? Mais pourquoi ?

— Tu crois que je lis dans leurs pensées ? railla Malcolm. Allez, traînons pas. La demoiselle a besoin de repos et on ferait bien d’avertir les autres dès que possible. Nous allons devoir envoyer une expédition jusqu’au cromlech du Devil’s Village !

— Hors de question de remettre un pied là-bas ! Le Fléau a tout ravagé et la zone est infestée de créatures de l’enfer. Lady Catherine, merci pour votre aide. Vous avez été très courageuse, m’assura le chef des Patrouilleurs.

Ian m’aida à me relever et toujours blottie dans ses bras, m’emmena vers son cheval.

Soudain, une forte secousse fit trembler le sol. Ian m’agrippa fermement et ses collègues brandirent leurs épées. Deux secondes plus tard, plusieurs cris retentirent. Géralt s’avança plus loin pour comprendre ce qu’il se passait, lorsqu’une autre secousse, plus violente encore, fit trembler les arbres alentours. Les chevaux s’agitèrent, paniqués, tandis que sous la violence du choc, le chef des Patrouilleurs fut propulsé une dizaine de mètres plus loin.

Une intense fumée violette nous aveugla.

Une troisième secousse survint et cette fois-ci, nous tombâmes tous à terre. Les chevaux prirent la fuite. Après quelques secondes, je me risquai à relever la tête. La fumée flottait toujours dans les airs et à ma grande stupeur, je découvris tous les Patrouilleurs inconscients.

Géralt gisait un peu plus loin, un filet de sang coulant le long de son visage. Avec difficulté, je me relevai, les jambes engourdies, puis découvris un Malcolm également inconscient. D’instinct, je me retournai vers Ian pour attraper son épée. Contrairement à celles des cavaliers fous rencontrés avec Gale, la sienne paraissait légère et facilement maniable.

J’inspirai puis expirai afin de canaliser ma respiration. Plusieurs mèches folles s’agitèrent devant mes yeux. Je tremblai, même si mes mains se resserrèrent autour de l’épée. Je ne savais pas manier les armes. Cet enseignement m’avait toujours été proscrit. De toutes manières, qui aurait pu prédire ma rencontre avec un monstre pareil ?

Elle mesurait au moins deux mètres de haut et ressemblait à une femme, sans l’être pour autant. Elle n’était pas humaine. Ses yeux argentés étincelaient dans la pénombre et sa peau était blanche comme la neige et lisse comme de la soie. De grosses griffes aiguisées terminaient ses mains, assorties à des canines pointues.

Non, elle n’était pas humaine. Son regard était empreint d’avidité et elle se léchait les babines en m’observant. Pressentant l’attaque, j’esquivai de justesse un immense coup de griffe et tentai de prendre la fuite. La créature bondit alors vers moi et me donna un coup si violent que je fus éjectée une dizaine de mètres plus loin.

Je manquai in extremis de me cogner contre un arbre. Le poids de mon uniforme m’empêcha de me relever. Je poussai un gémissement désespéré et avant d’avoir pu effectuer le moindre geste, elle se jeta sur moi. Au prix d’un effort considérable, je lui griffai l’épaule.

Elle poussa un autre grognement. Je frappai à nouveau son épaule, mais elle esquiva mes coups avec une facilité déconcertante. Puis, profitant d’un bref moment d’inattention, elle me décocha un coup de poing en pleine mâchoire. Mes dents s’entrechoquèrent et je m’effondrai sur la terre. Un sourire carnassier se figea sur les lèvres de la créature. Des étoiles dansèrent devant moi et ma tête vacilla.

Pantelante, je ne réagis pas lorsqu’elle s’installa à califourchon sur moi. Elle attrapa mon poignet et planta ses crocs dans ma chair jusqu’à atteindre mes veines. Un liquide chaud se mêla à mon sang puis se répandit dans mon corps entier. C’était une douce chaleur, similaire à un feu de cheminée un soir d’hiver.

Les étoiles cessèrent de danser devant moi et je revins à la réalité. Le sourire carnassier du monstre s’effaça pour laisser place à un air mélancolique. Ses traits s’étaient radoucis et elle me contemplait, comme une mère admirant les prouesses de sa progéniture. Je me figeai, stupéfaite par son visage si… humain.

Mes yeux se posèrent ensuite sur la morsure. Je clignai des paupières, certaine de rêver. Celle-ci cicatrisait déjà. La sensation de chaleur disparut et mon corps redevint normal.

Mes doigts se refermèrent sur mon arme, même si j’ignorais comment me sortir de ce pétrin. Je réussis à me dégager, lançai l’épée quelques mètres plus loin, puis esquivai mon adversaire en effectuant une roulade. Je repris aussitôt mon arme et rejoignis le corps inerte de Géralt dans l’espoir de trouver d’autres armes efficaces. Alors qu’elle s’apprêtait à bondir une nouvelle fois sur moi, je criai :

— Stop !

La créature s’immobilisa et me toisa d’un air ahuri. Je me traitai mentalement d’idiote. Pourquoi écouterait-elle mes supplications alors que je me trouvais à sa totale merci ? Soudain, ma vision changea. L’obscurité régnante ne me fit plus obstacle. Tel un chat, je discernai chaque forme, chaque détail, comme si le soleil berçait encore la forêt de sa lumière.

— Vous êtes une putain de sorcière ! cracha-t-elle d’une voix cassante.

Elle se jeta à nouveau sur moi. Sans crier gare, je brandis mon épée et lui donnai un violent coup. Elle tomba lourdement au sol et je compris que j’avais entaillée son bras droit. Soudain, alors que je m’apprêtai à frapper à nouveau, quelque chose surgit des arbres et se jeta sur elle.

Après une brève lutte, la créature fut projetée à terre. Son bras fut ensuite arraché dans un cri de douleur strident. Stupéfaite, j’observai alors ce qui avait surgi. Un cadavre en décomposition. Sa peau était violacée et tombait même en lambeaux par endroits. Ses pupilles rouge sang lui conféraient un air plus démoniaque encore que la créature et l’odeur fétide qu’elle dégageait me donnait envie de vomir.

La procession.

La fuite éperdue des chiens, la fumée blanche, les incantations. Je n’avais donc pas rêvé : les créatures rencontrées lors de ma fuite dans la forêt existaient bel et bien. Le souvenir du meneur de la procession funèbre, de son regard olivâtre dépourvu de la moindre humanité et de son doigt posé sur mon front m’arracha un frisson.

Rien n’avait de sens dans cette forêt.

Quelques secondes plus tard, mon sauveur déchiqueta littéralement la créature avant de disparaître. Je soupirai, soulagée, lorsque des bruits de pas résonnèrent autour de moi. Mes poings se contractèrent, aux aguets. Ce monstre avait sûrement d’autres semblables, j’avais été idiote de l’oublier.

En dirigeant mon regard vers les bruits de pas, je découvris avec horreur Karen, adossée contre un arbre. Elle tenait une arbalète et me toisait d’un air menaçant. Ses yeux d’aciers avaient sûrement assisté à mon triomphe et je l’imaginai déjà se précipiter au bureau de son père pour tout lui raconter. Horrifiée, je m’avançai vers elle pour tenter de discuter, mais ses mains se refermèrent contre l’arme.

Elle prit la fuite. Affolée, je m’élançai à sa poursuite et me faufilai parmi les arbres, enjambant au passage les corps inconscients des autres Patrouilleurs avant de perdre sa trace.

— Non ! crachai-je.

Soudain, la chevelure blond platine de mon ennemie illumina la pénombre et je repris ma course. Mais un carreau freina mon ardeur. Lancé avec précision, je l’évitai in extremis.

— Je t’avais dit de partir, Catherine ! retentit une voix plus loin. Tu aurais dû m’écouter, maintenant c’est trop tard !

— J’ai tenté de partir ! protestai-je avec véhémence.

Karen ne répondit pas, mais je pus sentir un sourire glacial se dessiner sur son visage de nacre. J’entendis ensuite ses pas partir au loin.

Lorsque les Patrouilleurs découvriraient le corps de la vraie Catherine dans l’un des cromlechs, mon imposture serait dévoilée au jour. Et si Karen se chargeait de raconter ce qu’elle venait de voir à ses parents, alors mon destin était d’ores et déjà scellé.


Texte publié par Elia, 31 décembre 2017 à 14h21
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