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tome 1, Chapitre 6 « Soleil doré » tome 1, Chapitre 6

Nous passâmes l’après-midi entier à remettre la maison en ordre. Le capharnaüm était tel et le personnel si peu nombreux que Cristina fut contrainte d’accepter mon aide. Elle fit néanmoins en sorte de m’attribuer les tâches les moins compliquées et passa son temps à s’excuser de me faire perdre mon temps.

— Cristina, cessez de vous agiter. J’accomplirai toutes les tâches nécessaires à la remise en ordre de cette demeure, assurai-je d’une voix douce.

La gêne de la cuisinière ne s’estompa pas pour autant et il fallut l’intervention d’Ian pour qu’elle accepte de se calmer.

— Pourquoi Lord Hamilton n’embauche-t-il pas de domestiques supplémentaires ? demandai-je discrètement à Maddy.

— Parce que toutes les mains sont prises au village, soupira la jeune fille en ramassant les débris de meubles. De plus, personne ne souhaite venir s’installer ici à cause… à cause du Fléau.

La conversation entre les Patrouilleurs et le maire me revint en mémoire. S’agissait-il des mystérieuses créatures et de la brume qui entouraient le village ? La question me brûlait les lèvres mais les allers et retours incessants de Cristina m’empêchèrent de poursuivre mon interrogatoire.

Une fois l’ordre rétabli, je constatais que des visiteurs indiscrets s’étaient installé près du portail d’entrée. Je les chassais avec agacement et tout le monde se dispersa, à l’exception d’une jeune femme du même âge que Maddy.

— Vous n’avez donc rien compris ? Partez, il n’y a rien à voir ici !

La jeune fille sourit timidement et sortit une liasse de lettres de sa besace.

— Attendez, Lady Catherine ! s’exclama-t-elle. Je… je suis venue vous donner ça !

Surprise, j’attrapai les lettres qu’elle me tendait. La jeune fille fronça les sourcils, puis me fit signe d’approcher.

— J’aurais voulu vous les donner avant votre retour au village, mais votre accident et le Fléau m’ont empêché de remettre ces lettres à temps, chuchota-t-elle. Votre ami vous transmet ses salutations et vous souhaite un bon rétablissement.

Décidément, tout allait de mal en pis depuis ma rencontre avec ces cavaliers fous ! Cette fille n’avait rien d’un facteur classique. C’était donc une messagère privée et à en juger par l’empressement avec lequel elle s’était éclipsée, ce courrier n’avait rien de décent.

Catherine possédait-elle un amant ? La pensée me fit sourire.

Je remontai dans ma chambre afin d’examiner les effets personnels de ma jumelle. Il y avait en tout quatre mallettes. Les deux premières, énormes, ne contenaient rien d’intéressant : des robes, des affaires de toilettes, des chaussures hauts de gamme. Comme moi, elle appréciait les teintes bleues ainsi que les robes amples, qui n’entravaient guère les mouvements. La troisième comportait quant à elle des objets de valeurs, dont des bijoux de famille.

Ils n’en voulaient pas à son argent, notai-je en réprimant un frisson.

Je m’intéressais ensuite au courrier, espérant trouver quelque chose de plus palpitant que des robes froissées. D’instinct, je m’assurai qu’aucun bruit de pas ne trainait dans les environs et ouvrit la valise. Il y avait en tout une dizaine de lettres, toutes signées d’un pseudonyme.

Ma chère Catherine,

L’annonce de ton mariage a plongé le village dans la folie. Ian est surexcité, il ne cesse de harceler la mairie pour que tout soit prêt à temps. Ah, les hommes !

Tu trouveras joint avec ma lettre un peu de sel béni. Le voyage ne sera pas sans risque et il faut te protéger au maximum. Je crains tellement pour ta vie… J’ai entendu dire que les Patrouilleurs vous escorteront une partie du chemin. Pour une fois, leur présence me rassure.

Les préparatifs du mariage occuperont tout ton temps, mais entre deux essayages, pourrions-nous nous retrouver pour discuter un peu ? Je ne peux t’en dévoiler plus au cas où cette lettre tomberait entre de mauvaises mains, mais crois-moi, les choses deviennent sérieuses ! L’un de nos projets se concrétise enfin et je tiens à te l’informer en première !

Dès que tu le pourras, dans la nuit de préférence, retrouve-moi à l’endroit habituel.

Avec toute mon affection,

Ton soleil doré.

Il s’agissait d’une lettre bien mystérieuse. Impossible de déterminer si l’écriture appartenait à un homme ou une femme. Je poursuivis donc ma lecture, de plus en plus intriguée.

Ma chère Catherine,

Les nouvelles sont mauvaises. Ces vauriens ont encore frappé ; les Patrouilleurs ont trouvé cinq cadavres pendus par les pieds. Apparemment, le spectacle n’était pas beau à voir et cela s’est déroulé dans la forêt, à quelques centaines de mètres du village et en pleine journée !

La folie commence à gagner les habitants et je crains de plus en plus qu’une chasse aux sorcières ne soit lancée par la mairie. Richard a réussi à calmer le jeu, mais pour combien de temps encore ? Xénia profite de la situation pour tenter de se débarrasser de nous.

Catherine, fais attention à toi. Prenez avec vous une escorte supplémentaire, ou suppliez les Patrouilleurs de faire le trajet entier avec vous. Tentez également de modifier votre trajet ; tout le monde dans la région est au courant de ton arrivée. Je t’en supplie, il en va de ta vie !

PS : tu peux faire ta transaction sans risque, personne ne te posera de question.

À nouveau, mes sourcils s’écarquillèrent. Catherine cachait quelque chose – il n’y avait plus aucun doute à avoir - mais quoi ? Si Richard les avait découvertes, elle aurait été bonne pour une arrestation !

Catherine,

L’argent a été reçu avec succès ! La mairie n’y a vu que du feu. Grâce à toi, un nouveau projet va se réaliser. Autant te dire que nous avons bu un verre à ta santé l’autre soir !

Pour le moment, il va falloir rester discret. Géralt a l’œil et l’oreille fine, je crains qu’il ne se doute de quelque chose. Ne t’étonne donc pas si c’est le calme plat au village ; te souviens-tu du dernier procès en date ? Nous avons bien trop à perdre !

Je ne comprenais pas tout ; mais les sous-entendus dévoilaient nombre d’indices. Visiblement, Catherine, non contente d’être ma copie parfaite, nourrissait également des sympathies païennes. Des sympathies, ou plutôt, une véritable adoration, puisqu’elle détournait de l’argent pour eux.

Par mesure de prudence, je brûlais les lettres. Mes pensées se tournèrent alors vers mon ami perdu. Je ne pouvais plus attendre que Gale soit retrouvé par les Patrouilleurs. L’hypothèse qu’il se soit fait capturer par ces… personnes, comme Catherine, était la plus crédible à mon sens. Cela expliquerait pourquoi ses cris ne m’avaient pas alerté. Une question me taraudait tout de même l’esprit : pourquoi m’avaient-ils épargné ?

Un soupçon germa soudain dans mon esprit. Je me figeai, enivrée par la méfiance. Et si Ian était mêlé à la disparition de ma jumelle ? Et s’il avait découvert ses allégeances païennes et l’avait fait disparaître, tout en rejetant la faute sur les responsables de ces meurtres ?

Je me rassis sur le lit, pensive. Ian était certes doux et prévenant, mais aussi autoritaire et profondément religieux. Si sa fiancée avait été démasquée, sa position au sein du village aurait été menacée.

Pourquoi se montre-t-il aussi prévenant et délicat ?

Chacune de ses phrases était ponctuée par une déclaration d’amour. Mon hypothèse s’effondrait, mais je devais en avoir le cœur net. Par la fenêtre de ma chambre, je distinguai le jeune Lord occupé à donner des ordres à ses deux domestiques. Celles-ci buvaient ses paroles et je profitai de leur inattention pour me risquer dans le bureau de mon nouveau fiancé.

Dès mon retour, une règle d’or m’avait été rappelée : il m’était interdit de pénétrer à l’intérieur du bureau de son bureau. J’ignorais la raison d’une telle interdiction, mais j’avais eu le temps d’échafauder de nombreuses hypothèses, plus farfelues les unes que les autres.

Quoi qu’il en soit, s’il cachait quelque chose, ce ne pouvait être que là-bas. Le Patrouilleur gardant la clef accrochée autour de son cou, il me faudrait crocheter la serrure. Je ne connaissais guère l’art de la serrurerie, mais je me souvins des longues après-midis passées dans le domaine familial, à vagabonder avec mes cousins.

Un jour, nous avions réussi à crocheter la serrure d’une vieille remise. Si les souvenirs de ce moment étaient flous, les éclats de rire et d’excitation qui avaient suivi restaient vivaces dans mon esprit. Je me faufilai dans la cuisine et dérobai un couteau de boucher. Puis, m’assurant que le jeune Lord discutait toujours avec les domestiques, je me précipitai vers son bureau et enfonçai la lame dans la serrure.

Mon cœur battait la chamade. L’idée que Ian ne découvre ma véritable identité me terrifiait, mais celle de le savoir responsable de la disparition de sa fiancée l’était plus encore. Et s’il utilisait mon amnésie pour me rendre docile ?

La serrure, après moults efforts, céda. Les pulsations de mon cœur redoublèrent et je refermai délicatement la porte. La pièce était de taille modeste. Un portrait de la véritable Catherine trônait au-dessus de son bureau recouvert de feuilles volantes. Un crucifix veillait également, accompagné de l’insigne des Patrouilleurs. Un frisson parcourut mon corps et je balayai le bureau du regard, à la recherche désespérée d’une information intéressante.

Mes bras, dans ma hâte, manquèrent de faire tomber trois anneaux d’or suspendus près d’un chandelier. L’objet trembla et je le bloquai d’un geste. Les feuilles étaient pour la plupart remplies de gravures incompréhensibles, comme si l’on avait tenté de dessiner… un monstre.

J’ignorai quoi chercher. Des indices sur Catherine ? Ou sur mon fiancé ? Mes doigts tremblaient et j’avais la sensation de perdre le contrôle.

— Que faites-vous ici ?

Mon cœur effectua un bond contre ma poitrine et mes mains lâchèrent les feuilles que je tenais. Sur le seuil de la porte, Ian me fixait avec incrédulité. Il ramassa le couteau que j’avais utilisé pour forcer l’entrée et posa de nouveau son regard océan sur moi.

— Je… je… je suis désolée.

Mes joues s’incendièrent sous l’effet de l’angoisse et de la honte. Je jetai un regard peu amène en direction du couteau. Ian s’avança vers moi et demanda d’une voix posée :

— Que faites-vous ici, Catherine ? Ne vous avais-je pas rappelé les règles de cette maison ?

Je voulus inventer une histoire valable, un mensonge capable de justifier ma présence dans ces lieux secrets. Mais à la place, je baissai la tête, telle une enfant prise en faute. Mes joues se teintèrent de rouge et j’attendis que l’orage s’abatte. Les bras de Ian restèrent pendus le long de son corps et lorsqu’il leva la main, je tressaillis

.

Au lieu de me frapper comme je m’y attendais, elle se posa sur ma joue. Il vrilla mon menton pour l’obliger à soutenir son regard.

— Je, je… je n’aurais pas dû venir ici, bafouillai-je.

Son pouce caressa ma joue et un sourire tendre s’étira sur ses lèvres.

— Que faisiez-vous ici ? répéta-t-il avec patience. Pourquoi avez-vous crocheté la serrure ? Y-a-t-il quelque chose que vous me cachez ?

Son regard trahissait une sincère surprise.

Il ignore tout des allégeances de sa fiancée, songeai-je.

— Je… je croyais que vous me cachiez quelque chose, confessai-je, le visage brûlant. Vous vous obstiniez à ce que la vie reprenne son cours, pour m’aider comme le médecin l’a suggéré. Et… je me suis inquiété, je… j’ai imaginé le pire et je vous ai désobéi.

Il resta silencieux quelques secondes, avant de m’inviter à sortir. Il tenait encore la manche du couteau dérobé et soupira en constatant que la serrure était inutilisable.

— Ian, je…

— Tout va bien, Catherine. J’aurais dû vous consulter avant de prendre les décisions à votre place. Je… j’imagine que ceci est difficile à vivre et je me sens impuissant face à votre amnésie.

Il posa le couteau sur un petit meuble et me serra dans ses bras. La chaleur de son corps m’entoura d’un voile protecteur et rassurant.

— Je ne sais plus où j’en suis, murmurai-je en laissant les larmes couler. Je… je me sens vide, sans passé et sans avenir.

— Je suis là, mon amour. Même si nous ne sommes pas encore mariés, je veillerai sur vous comme un époux.

J’acquiesçai en silence, incapable de me défaire de ses bras possessifs. Telle une poupée de chiffons, je me laissai bercer, ignorant comment me défaire du mensonge dans lequel je m’étais enfoncé. Le souffle chaud du Patrouilleur caressa mon oreille. Dans un souffle, il me murmura :

— Je ne voudrais pas me mettre en colère contre vous. L’idée de vous faire du mal me serait insupportable, alors ne vous avisez plus jamais de me désobéir, Catherine.

Fuir, il me fallait fuir.

Abandonner mon fiancé à un sort si tragique me donnait la nausée. Mais je n’étais pas en mesure de le protéger. Si j’avais eu le courage de rester dans la forêt, aurais-je pu changer le cours des événements ?

Mille questions brûlaient dans mon esprit, mais une seule solution s’imposait : fuir. Et sans doute les complices de ma jumelle m’aideraient. Je ne pouvais endosser éternellement l’identité de Catherine – tôt ou tard, Ian s’apercevrait de mes véritables sentiments.

***

— Ça jase sur nous au village, m’annonça tristement Maddy après le départ de Ian. Certains prétendent que vous portez malheur aux habitants ! Si ça se trouve, les païens vous ont jetés un sort !

— Pourquoi porterais-je malheur aux habitants ? m’épouvantai-je.

— Car les gens ne comprennent pas pourquoi votre famille demeure disparue, alors que vous vous en êtes sortie saine et sauve. Ils prétendent que vous avez pactisé avec les païens… que, que vous avez sauvé votre vie en échange de celles de vos parents.

Je m’efforçai de calmer l’inquiétude qui rongeait mon corps. Voilà pourquoi ces habitants me critiquaient. J’étouffai un rire las. Catherine aurait-elle dû mourir pour préserver sa réputation ?

— Les gens sont stupides, assura Maddy. Personne ne le croit vraiment, nous… nous savons tous à quel point vous aimez vos parents. Néanmoins, Milady, faites attention. Si les rumeurs persistent, ils risquent de vous accuser de sorcellerie.

La sorcellerie était décidément omniprésente dans ce royaume. Si les superstitions se trouvaient au cœur de la vie des gens, je ne pouvais croire que le fait d’avoir survécu à un tragique accident puisse me condamner à mort.

Pauvre Catherine, tu es également tombée dans un village aussi malade que le mien.

— De sorcellerie ? répétai-je.

— Les gens n’aiment guère les manifestations surnaturelles comme celle d’aujourd’hui, avoua-t-elle. Il faut trouver un moyen de faire taire ces rumeurs, sinon, les soupçons pèseront longtemps sur vous. Mais rassurez-vous, Xénia vous sait irréprochable pour le moment.

Je décelai l’avertissement et hochai la tête d’un air entendu.

— Comment assurer ma bonne foi auprès des autres ?

— Comportez-vous en bonne croyante. Allez à la messe, faites profil bas, ne témoignez aucune compassion pour les païens en public ou avec les mauvaises personnes. Tant que vos parents ne seront pas retrouvés, même si la mémoire vous joue des tours, montrez votre tristesse – tout en restant digne. Surtout, montrez que les païens vous effraient et passez pour la victime. Car vous êtes une victime, n’est-ce pas, Lady Catherine ?


Texte publié par Elia, 28 décembre 2017 à 17h02
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