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Celui qui voyage à travers les âges
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Je me nomme « Celui qui voyage à travers les âges », et je suis le chaman d’une tribu cheyenne. Moi et mon peuple vivions tranquilles jusqu’à ce que l’homme blanc arrive sur nos terres. Oh, ils ne se sont pas approchés de nous, trop occupés qu’ils étaient à creuser la terre pour y construire ce qui ressemble à un chemin. Mais leur présence m’a toujours inquiété, car même s’ils ne semblaient pas nous vouloir de mal, leur réputation les a précédés.

L’homme blanc aime construire des routes. Là où le peuple cheyenne se déplace d’un endroit à l’autre sans parfois jamais emprunter deux fois le même chemin, l’homme blanc lui trace toujours des sentiers pour relier différents endroits : de sa maison au puits ; du puits à la rivière ; de la rivière au village. Il creuse la terre en la foulant, à pied, à cheval, à charriot, et ne s’en écarte jamais.

Le chemin qu’il a construit cette fois est sans aucun doute le plus long qu’il m’ait été donné de voir. Aussi loin que porte mon regard, je le vois défigurer la plaine de mes ancêtres, où paissaient de gigantesques troupeaux de bisons avant que l’homme blanc n’arrive. C’est un chemin fait de bois, de gros cailloux noirs, et surtout, de grandes tiges de fer. Il traverse le territoire de mon peuple, et ceux d’autres tribus aussi. Jusqu’où va-t-il ? Je ne sais pas. Mais ça n’a pas d’importance, ce n’est pas ce qui m’amène ici. Peu m’importe sa destination. C’est son passé et son avenir qui m’intéressent.

Je m’assois en tailleur sur un des gros morceaux de bois qui le compose et j’extraie de la ceinture à poches que je porte autour de la taille une simple feuille. Je l’observe dans la lumière du soleil, satisfait de la belle couleur vert foncé qu’elle arbore. Puis je la pose sur ma langue avant de la mastiquer, puis de l’avaler. Et j’attends. Cette feuille est ce qui va me faire voyager. J’entame alors le chant du voyageur, celui que mon père m’a appris, alors qu’il était le chaman de notre tribu et moi un jeune garçon à peine sevré du sein de ma mère.

Très vite, le bois sur lequel je suis assis me parle : l’arbre dont il a été extrait était très vieux, beaucoup plus vieux que le père de mon père. Il aurait encore dû être debout, fermement enraciné dans la terre qui l’a vu naître. Mais l’homme blanc en a décidé autrement : il l’a attaqué avec le fer de ses haches, se disant qu’il serait plus utile là où il voulait l’emmener qu’ici, avec ses congénères au beau milieu de la forêt. Puis l’arbre me raconte tout ce qu’il a vu, et je suis tenté de l’écouter me parler de son histoire, mais je dois y renoncer. Le passé ne m’intéresse pas aujourd’hui.

Je me concentre un peu plus et oriente mes pensées et ma volonté vers l’avant, vers ce que ce chemin fait de fer et de bois va apporter dans la vie de mon peuple. Au début je ne vois rien, juste le vent dans les hautes herbes de la plaine où je me tiens. Puis j’entends un bruit, comme un cri qui n’a rien d’humain ou d’animal. Et je le vois : l’énorme chose en fer noir, qui avance sur cette route de fer et de bois, et qui tire plusieurs chariots. De la fumée s’échappe de son sommet, et ce cri, un sifflement si fort que même le plus gros prédateur préfère s’enfuir. Ce convoi finit par s’arrêter, et de trop nombreux hommes et femmes blancs en descendent. Ils sont tellement nombreux que le petit village est bien vite insuffisant. Il leur faut plus de place, plus de terres, pour construire leurs maisons et faire manger leurs troupeaux. Nous les gênons, ils veulent notre terre, celle où nous avons grandi et où nos ancêtres sont enterrés. Ils la veulent et ils vont la prendre, en se battant contre nous. Mais nous sommes des chasseurs, et des guerriers, et la guerre que nous leur livrons est impitoyable. Nous massacrons leurs soldats, ils déciment nos villages, mais nous tenons bons. Ils tentent de nous affamer mais nous vivons dans ce pays depuis plus longtemps qu’eux. Nous survivrons.

Les images que je vois sont atroces, mais je dois tout voir pour avertir mon peuple. Je découvre que finalement, l’homme blanc finira par gagner, mais grâce à ses armes. Un jour, une femme ramassera un bout de tissu qui trainait près de la rivière où elle était venue nettoyer son linge. Elle le gardera pour le montrer à sa famille. Plus tard, elle aura des boutons sur le visage, ainsi que tous ceux qu’elle aura côtoyé, et ceux qu’ils auront côtoyé aussi. Tous mourront. Et c’est ainsi que mon peuple perdra la guerre contre l’homme blanc : pas en se battant, mais en étant malade.

Je sens les larmes qui coulent de mes yeux, et je voudrais les fermer pour arrêter le flot d’images. Mais je suis le voyageur, je dois voir ce qui va se passer, pour pouvoir essayer de l’empêcher.

Bien plus tard, bien après le jour qu’est aujourd’hui, nous serons encore en vie. Mais tellement peu nombreux. Et méprisés aussi. Mais nous continuerons à nous battre, à défendre nos terres et nos coutumes. Une des dernières images que je vois me fait légèrement sourire : nous nous battons encore, contre d’énormes monstres de fer qui veulent dévaster un de nos derniers sanctuaires. Nous nous tenons debout face à eux, mais nous ne sommes pas seuls : des hommes et des femmes blancs se tiennent à nos côtés, et se battent avec nous.

Je ferme les yeux, j’en ai assez vu. Mon voyage dans les âges à venir est terminé. Je dois prévenir mon peuple de ce qui va se passer. Je pense même que nous devrions fuir. Les chasseurs ne voudront pas, je le sais. Mais il faut que je parvienne à les convaincre. Nous n’avons tout à perdre à rester ici, mais pour aller où ? Je ne le sais pas, mais je suis sûr que mon pouvoir de voyageur saura me montrer le chemin.

Mais pour cela il faut partir. Partir avant que le monstre de fer n’arrive et que l’homme blanc nous décime. Quitter ma Terre me désole, mais la survie de notre peuple est plus importante.


Texte publié par Quetzy, 15 octobre 2017 à 23h46
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