Nous sommes vendredi, aujourd'hui.
La clé tourne dans la serrure et mon cœur bat soudain plus fort. Encore quelques secondes et je te verrai apparaître dans l'entrée, ta valise à la main et ton manteau sur le bras. Ton regard se posera sur moi, fatigué, mais tu souriras parce que tu es enfin rentré. Chez toi. Alors je sourirai en retour parce que je suis heureux que tu sois enfin là. Avec moi. Mes mains tremblent dans les poches de mon jean délavé. Comme chaque vendredi, je suis nerveux à l'idée de te revoir. Je crois que j'ai peur de passer le week-end en ta présence. J'ai peur de craquer ; j'ai peur de pleurer ; j'ai peur de te supplier. De tomber à genoux devant toi et de te demander de revenir chez nous. Définitivement. Si tu savais combien tu me manques. Je déteste cette situation ; je déteste te voir revenir pour mieux repartir après ; je déteste ce que nous sommes devenus. Mais je suis le seul responsable et je me déteste encore plus pour ça. Je ne veux plus de toute cette merde. Je ne veux plus de ton travail là-bas, dans ce pays par delà la mer ; je ne veux plus de ces week-ends trop courts, trop douloureux ; je ne veux plus de tes mots doux qui sonnent faux, trop faux. Je voudrais seulement que tu reviennes. Que tu me reviennes. Pourquoi me retrouver chaque semaine si tu en es arrivé à me haïr ? Je ne supporte plus ton regard me hurlant ta douleur, ta déception et ta colère. Il me détruit, me tue à petit feu et tu ne le vois pas. Parce que moi, je t'aime encore tu sais. Tellement que je préfèrerais m'arracher les yeux plutôt que d'apercevoir encore une fois ton regard bleu translucide et éteint.
Si seulement je pouvais revenir en arrière ; si seulement je pouvais ne pas Le toucher ; si seulement je pouvais m'enlever de la tête cette horrible image de ton regard blessé, anéanti. Tu sais, chaque nuit je fais le même cauchemar. Toujours. Je te regarde me hurler que tu me hais pour ce que je t'ai fait, pour ce que je suis. Tes larmes sont pires que des aiguilles enfoncées en plein dans ma poitrine ; tes mots me lacèrent le ventre. J'aimerais tellement pouvoir tout arranger. Mais c'est impossible désormais, n'est-ce pas ?
Tétanisé, je n'ai presque pas bougé depuis que je t'ai entendu rentrer. J'ai seulement eu la force de te rejoindre, la gorge sèche et le corps tremblant. Tu déposes un léger baiser sur ma bouche et sa douceur me fait violemment frissonner, me rappelant au souvenir fugace d'un amour entre nous. J'ai envie d'accrocher ta nuque ; j'ai envie de jeter mes bras autour de ton cou, de me pendre à ton corps pour que tu m'embrasses encore et encore. Comme avant. Pourtant je n'ose même pas, parce que j'ai toujours cette peur viscérale que tes mains me repoussent, que tes yeux me clouent sur place. Que tes mots m'anéantissent. Mais c'est comme si tu avais lu dans mes pensées et je sens ton bras enserrer lentement ma taille, rapprochant nos deux corps ; le tien est chaud et bouillant contre le mien si glacé. Poupée de chiffon, je me laisse faire. J'accueille avec délice ces battements irréguliers dans ma cage thoracique, ce sourire timide sur mes lèvres. Ça fait tellement longtemps que j'attends ça. Juste que tu me prennes dans tes bras, doucement, simplement. Je n'aurais besoin de rien d'autre si au moins tu me l'accordais volontiers mais c'est devenu tellement rare entre nous que tout le reste me semble bien fade et sans saveur à côté. J'ai rêvé tellement de fois de retrouver enfin tes bras autour de moi, ta chaleur contre la mienne. Ton cœur battant juste à côté du mien.
Je n'ai pas voulu te tromper, tu sais. Je n'ai pas voulu t'être infidèle. Je ne pourrais pas expliquer ce qui m'est passé par la tête. Je crois que j'ai perdu toute notion de la réalité ; je crois qu'il a ébranlé chacune de mes certitudes et que j'ai sombré sans vraiment m'en rendre compte. Pourtant, je n'ai jamais cessé de t'aimer. Et je sais à quel point ça peut être contradictoire mais ça n'en reste pas moins vrai. Jamais je n'ai oublié tous les sentiments que j'éprouve pour toi. Aujourd'hui, je sais que tu ne me croies plus. Tu ne m'as pas cru la dernière fois que je t'ai soufflé « Je t'aime » et depuis, je n'ose plus te le dire parce que j'ai peur. J'ai peur que jamais plus tu ne me croies. Et ça, ça serait pire que tout. Alors je le dis dans ma tête, le soufflant avec dévotion comme je l'aurais murmuré au creux de ton oreille après l'amour. Comme avant.
Tout est si différent depuis. Tout a tellement changé. J'ai l'impression de ne plus te reconnaître, de ne plus te connaître tout court. J'ai l'impression de recevoir un étranger sous mon toit. Et je ne sais plus comment me comporter avec toi, ce que je peux te dire ou pas, ce que je peux faire ou non. Je crois que je réfléchis trop ; je crois que j'ai perdu toute spontanéité. Te rappelles-tu du tout début de notre histoire ? J'étais tellement timide que j'osais à peine, je bafouillais quand je te parlais, je rougissais comme une foutue collégienne et je m'en voulais pour être si peu confiant. Mais tu m'avais toujours assuré que ce côté incertain te faisait fondre et que tu m'aimais tel que j'étais, avec mes qualités et mes défauts. Mais maintenant, maintenant que tout semble brisé entre nous, qu'aimes-tu encore de moi ? Aimes-tu mes silences ? Aimes-tu ces mots doux que je ne te dis même plus, ces gestes que je n'esquisse pas ? Aimes-tu mon regard embué de larmes ? Aimes-tu mon corps tremblant et amaigri ? Moi, je n'aime plus rien. Je n'aime plus rien de moi.
Je n'ai même pas remarqué que tu nous avais menés jusqu'au canapé du salon, que tu t'étais frileusement pelotonné contre moi comme si tu avais froid. Pourtant les beaux jours reviennent, c'est bientôt le Printemps. Serais-tu comme moi, tellement glacé à l'intérieur que seule ma présence arrive à ramener la chaleur dans chacun de tes membres ? Je réprime un sourire amer, de peur que tu le remarques et te méprennes sur le sens de ma réaction. Je ne crois pas que tu aies besoin de moi pour ça. Plus maintenant. Parfois, je me demande encore pourquoi tu reviens le week-end. Parfois, j'aimerais arriver à me convaincre que ce serait mieux pour nous si tu me quittais pour de bon ; parfois, je me mets à penser que ta vie serait mieux sans moi. Et alors, je fonds en larmes. Je fonds en larmes jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Plus rien que la fatigue et la lassitude. Ta main fraîche sur ma joue me fait revenir au présent, à ton corps collé à moi, à ton visage si près du mien. Et je me noie dans ce sourire sur tes lèvres, un sourire si doux qu'il m'en fait mal au cœur. J'ai l'impression qu'il se déchire dans ma poitrine, je crois même que j'entends mes côtes craquer sous son explosion en milliers de petits morceaux. Ne vois-tu pas que tu me fais mal ? Ta bouche se pose sur la mienne et mon ventre tressaute. De brûlants frissons remontent le long de ma colonne vertébrale. Je crois que je gémis un peu sous la surprise d'un tel geste. C'est si... spontané. Inhabituel depuis que tu es parti. J'ai presque perdu l'habitude de ta tendresse, de la sensation rassurante de te savoir là pour prendre soin de moi. Ta langue vient taquiner la pulpe de mes lèvres et, incapable de te résister, j'entrouvre les mâchoires pour te laisser prendre possession de ma bouche, de moi tout entier. C'est comme un volcan en pleine éruption, une véritable coulée de lave qui me calcine de l'intérieur, réduisant mon cœur à l'état de cendres. Ça me fait mal autant que c'est bon. Ça me fait me sentir vivant autant que ça me détruit. Tu m'allonges doucement sur le sofa et je commence à m'affoler. Je n'ai pas envie de ça, pas maintenant. Ça gâcherait tout. Et pourtant je sais que je ne te repousserai pas. Je n'en aurai pas la force ni même le courage. J'ai trop besoin de ça ; j'ai trop besoin de toi.
Certains soirs, avant de m'endormir, j'essaye de me souvenir de ce que ça me faisait de sentir tes mains sur moi, ta peau contre la mienne et ton corps emboîté au mien. Et tout ce dont je me rappelle c'est que c'était bon. Tellement bon. Comme une perte de connaissance, un évanouissement prolongé. Un cocon de chaleur et d'amour dans lequel tu m'enveloppais précautionneusement. Quand tu m'embrassais, j'avais juste l'impression de m'envoler, d'avoir la tête qui tournait agréablement. Et j'aimais ça. Quand tu me faisais l'amour, j'avais juste la sensation de me perdre dans tes yeux, de me fondre en toi pour ne faire plus qu'un avec ton corps, que ton cœur rejoignait le mien pour qu'ils ne battent plus qu'ensemble, à tout jamais. Et j'aimais ça. Parce que tu étais là, parce que j'étais à toi. Parce que tu m'aimais. Maintenant, il n'existe plus rien de ces moments volés au temps entre toi et moi. Il n'existe plus rien sinon les blessures trop profondes, la douleur et l'humiliation. Plus rien n'est pareil. Je m'écœure et j'ai peur que tu te rendes compte à quel point je suis sale et monstrueux. J'ai peur que tu remarques ces marques au creux de mon bras, ces kilos perdus parce que je ne mange pas. J'ai peur que tu voies ce que je suis devenu depuis que tu m'as laissé ici et que tu es parti là-bas. Si loin de moi. J'ai peur de voir le dégoût dans tes yeux, que tout en moi finisse par te rebuter et que tu me demandes juste de m'en aller. Mais j'ai tellement besoin de toi que je n'ose jamais protester à chacune de tes demandes et je me laisse faire, sans jamais rien dire. J'ai trop peur de te perdre alors je te laisse suivre chacune de tes envies tout en priant silencieusement pour que tu ne remarques rien. Pour que tu ne voies pas que l'homme que tu aimais n'existe plus. Et pour que tout soit aussi fantastique que dans mes souvenirs, comme par enchantement. Comme avant.
Tes lèvres dévorent les miennes, j'aime ce sentiment de t'appartenir encore qui vient enserrer ma poitrine jusqu'à l'étouffement. Je sens ton désir pressant, ton envie de moi vibrante et brûlante. Ça me rappelle quand je pouvais encore te déshabiller sans même avoir peur que tu te refuses à moi ; quand on pouvait encore passer des heures entières enroulés dans nos draps défaits et froissés. Quand on s'aimait encore comme des fous, comme les adolescents que l'on a été. Tes mains sont bouillantes sur mon ventre nu qui se contracte sous la caresse à peine esquissée. Elles sont un peu rêches et j'ai l'impression de brûler littéralement partout où se posent tes doigts. Seulement, au fond de moi, je sais que je n'ai pas envie de ça. Et même si mon estomac se retourne sous tes caresses ; et même si je gémis, gronde sous tes baisers ; et même si je m'accroche désespérément à toi, je ne veux pas de ça. Pas de sexe. Pas encore une fois, je ne le supporterais pas.
Je dois être plus fatigué qu'à l'ordinaire parce que les larmes se mettent à couler sans même que je puisse les retenir. J'ai pourtant essayé de les ravaler, de toutes mes forces. Tellement fort que j'en ai tremblé contre toi. Mais je n'ai pas réussi. Parce que je n'en peux tout simplement plus. Je t'aime et tu me hais. Et ça me tue.
« Non... Non, pas ça... je supplie dans un faible couinement. Sam, s'il-te-plait... »
À mon grand soulagement, tu sembles m'écouter et te redresses lentement, le corps tendu, le regard inquiet. Et maintenant j'ai peur de t'avoir arrêté parce que tu seras en colère. Tu vas crier, m'insulter peut-être. J'aurais juste dû me taire. Et te laisser faire comme tu voulais.
« Noah ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Hey, mon Ange... Ça ne va pas ? me demandes-tu en posant une main sur ma joue humide alors que je sanglote silencieusement. »
Mon Ange. Un surnom que tu me donnais et que tu n'utilises plus désormais. L'entendre dans ta bouche est si bon et si douloureux à la fois. Pourquoi revenir à ce surnom, tout d'un coup ? Est-ce parce que je pleure sous toi ? Aurais-tu pitié de la loque que je suis devenu ? Avant, je me serais fièrement redressé pour défendre mon honneur de mâle ; maintenant, je ne peux que pleurer encore et te supplier un peu plus.
« Je ne veux pas... Je ne veux pas... Prends-moi dans tes bras, je t'en prie... j'implore et je crois mourir de bonheur quand tu accèdes à ma requête sans rien dire. »
Je te serre presque convulsivement contre moi, mes pleurs redoublant. C'est comme si je ne pouvais plus m'arrêter. Mon cœur cesse aussitôt de battre lorsque je t'entends souffler « Je t'aime. Ne pleure plus. » au creux de mon oreille. Je crois revivre. Et ça me suffit. Mais déjà ton poids sur moi semble plus léger, ton corps paraît se faire plus vaporeux contre le mien, tes traits se brouillent et je ne peux que pleurer plus fort, te supplier encore de rester avec moi. Encore un peu, juste un peu.
« Reste avec moi... »
Mais tu ne sembles même pas m'écouter, tu ne fais que disparaître dans un dernier « Je t'aime. » et tout est terminé.
Ma tête est lourde, mon corps engourdi. J'ai une affreuse envie de vomir qui me retourne les tripes. Mon bras me lance, je sens encore la piqûre de tout à l'heure. J'ouvre difficilement les yeux et la déception fond sur moi, si vite que j'ai envie de pleurer, de me rouler en boule sur le canapé. Tu n'es pas là, encore une fois. Les seringues sont tombées sur le tapis, l'héroïne y a fait une tâche d'une couleur un peu étrange. C'était juste un rêve. Un délire. Encore un.
« Sam... je gémis, la voix rauque. »
Nous ne sommes que mercredi, aujourd'hui. Et ça fait bientôt six mois que tu es parti. Sans jamais plus me revenir.
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