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tome 1, Chapitre 8 « La Ruse de l'Oiseau de Feu » tome 1, Chapitre 8

– M’expliqueras-tu à la fin de quelle ruse tu as usé, maître goupil ?

– Ma foi, j’ai échangé tes vêtements contre ceux d’un mort. Qu’y a-t-il de si extraordinaire ? Je lui ai expliqué qu’avec de semblables habits il ne passerait point inaperçu dans le monde des vivants ; sans omettre son fumet particulièrement relevé. Il en a donc conclut qu’en portant un costume neuf et parfumé, il n’aurait aucune difficulté à se glisser hors des enfers. Je lui ai alors proposé l’échange, qu’il s’est empressé d’accepter. Quel nigaud !

Amaël éclata de rire, malgré l’incongruité du lieu.

– Maintenant, comment t’y es-tu pris pour changer cette vile boue en or ?

– Ce fut encore plus simple ! Lors de ma première escapade, j’ai aperçu ce que vous autres appelé l’or des fous ; un vil métal dont l’éclat peut tromper, s’il est bien employé. J’en ai donc recouvert ma fausse pièce et, par un sortilège de mon cru, je lui ai donné l’apparence d’un écu. N’y a-t-il point un dicton qui dit que l’or est la merde du Diable ? conclut le renard, ravi de sa farce.

Dès lors, le chemin, s’il était moins abrupt, n’en était pas moins accidenté et dangereux et ils progressaient avec difficulté. Soudain, une puissante odeur de fauve les prit à la gorge, comme ils arrivaient en vue d’un promontoire. Ainsi, de l’autre côté, surmontant une vallée encaissée, un gigantesque chien noir à trois têtes traquait les âmes qui tentaient de s’enfuir.

– Te voici dans les terres de Cerbère, chuchota la camériste. C’est un perpétuel ventre creux. Jette-lui donc ce renard qui dort autour de ton cou. Il sera bien trop occupé à le dévorer et tu pourras passer sans qu’il ne te voie.

Sur ses gardes, Amaël se résolut de ne rien en faire. Il ne donnerait point en pâture à ce monstre ce maître rusé qui lui avait prouvé sa loyauté et sa fidélité. Cependant, tout ce que lui avait soufflé la vieille femme n’était point sculpté entièrement dans le mensonge. Cerbères était véritablement affamé.

– Ah que voici un bien terrible adversaire ! commenta le renard. Si je n’étais point si lent, je m’en irais le duper avec aisance et élégance.

– Rapide, murmura-t-il, alors que lui revenait le souvenir d’un bélier encore plus vif qu’un éclair.

Il sortit alors de sa besace, le flûtiau taillé dans la corne d’un mouton à la toison dorée. Cependant, il n’en eut pas joué plus de quelques notes que ce dernier se présentât devant lui.

– Bonjour Amaël. Ainsi, tu requiers mon aide ?

– En effet, maître bélier. Je dois me rendre de l’autre côté. Hélas, je ne serai jamais assez rapide pour échapper aux mâchoires de ce gardien affamé.

Il se pencha sur la crête. Les mouvements des trois têtes étaient si vifs qu’il peinait à les suivre.

– Il a beau en posséder trois, il n’en sera pas moins bête, gloussa le bélier, hilare, avant de sauter de la saillie rocheuse.

Arrivé aux pieds du géant, l’animal lui tint à peu près ce langage :

– Comme vous avez de grands yeux, seigneur Cerbère.

– La flatterie ne te mènera nulle part, mouton à la toison dorée. Je m’en vais plutôt te dévorer.

– Loin de moi cette idée, ô seigneur. Cependant, je ne peux m’empêcher d’admirer et vous déclamer comme vous avez de grandes oreilles.

– Vas-tu enfin cesser ton babillage, animal. J’ai grand-faim et ta chair saura me repaître.

– À votre guise, ô grande sublimité et, si je puis me permettre, comme vous avez de grandes pattes.

– Ce sera pour mieux t’attraper, ricana Cerbère, dont les mâchoires claquèrent dans le vide.

– Je n’en attendais pas moins de vous, monseigneur. Néanmoins, je doute que vous y réussissiez, sourit le bélier narquois, comme il esquivait la première des trois têtes.

Cependant, ce n’était plus un, mais des milliers de ses semblables qui défilaient sous les yeux du gardien, dont les paupières de plus en plus lourdes se fermaient les unes après les autres. Parfois, l’une se ressaisissait, mais c’était pour mieux s’assoupir bercer par les milliers de moutons qui se succédaient.

– Poursuis sans crainte ton chemin, Amaël, s’écria le bélier depuis le contre-bas. La route te mènera tout droit au Maître des Enfers.

En effet, sur le promontoire, le chien, gardien redouté des enfers, ronflait. Cependant, qu’il descendît le long de la paroi rocheuse, Amaël pensait à la princesse Judicaëlle et à la manière dont il s’y prendrait pour la délivrer.

– Ah, mon garçon. Le Diable est un marchand d’âme, l’aurais-tu déjà oublié ? Et la tienne brille de mille éclats, susurra la camériste au fond de son esprit.

Qu’entendait-elle par là ? Devrait-il échanger son âme pour la libérer ? Mais, qu’adviendrait-il alors de lui-même ? Serait-il précipité dans le Cocyte ou le Phlegethon, où prendrait-il place aux côtés de son père ? Confondu par ces questions, il s’assit et laissa libre cours à son chagrin. De grosses larmes coulaient le long de ses joues et mouillèrent la fourrure épaisse du maître de la ruse.

– Allons, mon garçon ! Quelles sont donc les raisons de cette soudaine affliction ? l’interrogea son ami goupil.

Derrière eux, la masse sombre du gardien tricéphale assoupi se découpait dans l’obscurité, tandis que se découvrait une plaine verdoyante, où poussaient d’immenses arbres aux fruits défendus, entourés d’une rivière, dont les notes cristallines emplissaient les lieux.

– Pourquoi ne te reposerais-tu point, mon garçon ? Tu as certainement faim et ces fruits sont si délicieux. Goûte-les donc !, ronronnait la vieille femme.

Sa voix était si douce, si sucrée, elle était semblable à du miel. Affamé, alléché par tant de promesses, Amaël en oublia son chagrin et se précipita vers l’un des pommiers, dont les branches ployaient tant elles étaient chargées de fruits. Leur peau charnue était d’un rouge profond tandis qu’elles exhalaient un parfum qui aurait ravi même les moins gourmets. Cependant, alors qu’il s’avançait, un murmure jaillit de l’onde aquatique. Quelqu’un l’appelait ; une ondine à la voix cristalline.

– Amaël ! Amaël ! chantait-elle. Viens avec moi ! Rejoins-moi ! Plonge dans la rivière et je te montrerai celle que tu cherches.

– Judicaëlle ! s’exclama-t-il.

– Amaël ! l’apostropha une autre voix.

Hélas, il ne l’entendait point et poursuivait son chemin en direction de la créature qui l’attendait au milieu de la rivière sans fond. Comme il demeurait sourd à ses suppliques, le maître renard, la mort dans l’âme, lui mordit cruellement la main. Amaël poussa un hurlement de douleur lorsque les mâchoires du goupil se refermèrent sur son index. Hébété, il contemplait son doigt tranché d’où s’échappait un flot écarlate.

– Pardonne-moi Amaël. Mais tu étais prisonnier d’un sortilège et tu allais te perdre.

Autour de lui, la plaine couverte de vergers, ainsi que la rivière, avait cédé la place à une lande désolée envahie par le chaos rocheux d’une montagne effondrée. Au loin, des fontaines de feu vomissaient des flots de magma rougeoyants et brûlants qui emportaient tout sur leur chemin. À genoux sur le sol caillouteux, il contemplait son index mutilé tandis que lui revenait les paroles de la camériste : « Je serai celle qui guidera et qui te perdra. » Le diable se jouait encore une fois de lui.

– Jeune Amaël. Que t’as donc suggéré cette vieille femme que tu appelles Anaïs ? le questionna le renard assis sur un piton rocheux.

Ce dernier lui confia alors ses interrogations et ses doutes qui lui empoisonnaient le cœur. Comment pourrait-il délivrer Judicaëlle et tenir sa promesse, s’il devait se sacrifier lui-même ? Songeur, le renard s’était pelotonné sur ses cuisses.

– Un instant mon garçon ! s’écria-t-il soudain. Ne m’as-tu point dit que tu avais avalé la moitié d’âme de la camériste de la reine et que le diable possédait l’autre ?

– Mais oui. Auriez-vous une idée, maître de la ruse ?

– Cela se pourrait. Encore une fois, que t’a-t-elle confié au sujet de ton âme ?

Amaël le fixa un instant sans comprendre, puis il lui répéta les paroles de la défunte camériste.

– Ton âme brille de mille feux, m’a-t-elle confié. Néanmoins, quelque chose m’avait gêné dans le ton de sa voix.

– Comme un accent de gourmandise ? lui suggéra le renard.

– Oui, c’est tout à fait cela, s’exclama le jeune garçon. J’ai cru un instant qu’elle se serait tout de suite emparée de mon âme pour la dévorer, si elle en avait été capable.

À ces mots, le renard ricana tout bas.

– Alors nous tenons là le moyen de lui ravir la princesse à son nez et à sa barbe. As-tu toujours en ta possession la plume que t’a confiée le phœnix ?

– Bien sûr ! acquiesça Amaël, bien qu’il s’interrogeât sur les intentions de son rusé compagnon.

– Fort bien ! conclut le maître rusé, satisfait avant de disparaître.

Cependant, Amaël n’en conçut aucune rancœur. Il savait qu’il reviendrait. Plusieurs heures s’écoulèrent, quand soudain il réapparut un petit paquet dans la gueule.

– Amaël ! j’espère que tu me feras toujours confiance. Tu as sauvé ma vie, à mon tour de te rendre la pareille. Mange donc ceci et ne crains pas ce qui t’arrivera par la suite.

– Pourquoi me mettre ainsi en garde, l’interrogea Amaël, alors qu’il mordait à pleines dents dans a motte spongieuse.

Soudain, son visage changea, se tordit. Il voulut pousser un cri, mais ce furent des flots d’eau boueuse et fangeuse qui s’échappèrent de sa bouche. Incapable de reprendre son souffle, il sentait l’air vital lui manquer, tandis que sa vue se brouillait.

– Ne te perds point, Amaël ! Je l’aperçois ! s’écria le renard, comme le jeune homme n’en finissait plus de vomir les flots furieux.

À bout de force, il éructa dans un dernier sursaut une perle de lumière qui flottait dans les airs. Aussitôt, le renard s’en saisit et l’enferma dans une minuscule boule de cristal, dissimulée dans sa queue.

– Ne le prends pas mal, chère âme. Mais à rusé, rusé et demi, la complimenta le renard, tandis qu’il rangeait le précieux objet au milieu de sa fourrure. Maintenant Amaël, donne-moi cette plume de l’Oiseau de feu, que je t’aide à attraper le diable à son propre jeu.


Texte publié par Diogene, 29 septembre 2017 à 10h30
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