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– Bonsoir !

– Bonsoir, monsieur, lui renvoie le reflet derrière le bar. Que puis-je pour votre Dame ?

L’homme, affable, le dévisage. Comment s’appelle-t-il ? Léandre ? Lysandre ? Anaximandre ? Alexandre ? Il a oublié. Pourtant quelque chose lui semble familier.

– Ma Dame ?

En face, l’autre sourit et pointe son index vers une table plongée dans le noir. Assise sur une chaise, les jambes croisées, gainées de bas de soie, une jeune femme attend. Le long de ses épaules descend un torrent de feu, souligné par des yeux ourlés de velours qui chatoient de mille feux. Attend-elle son amant ? Peut-être. Son visage plonge dans la pénombre, l’on aperçoit plus que ses lèvres purpurines qui s’étirent en un facétieux sourire.

– Votre Dame, répète le barman, derrière son comptoir.

Cette dernière leur envoie une œillade, lourde de passions sous-entendues. L’homme au bar frissonne. Il ignore pourquoi.

– Pourquoi est-ce tout noir ici ? demande-t-il soudain.

– Mais parce que vous êtes entrés dans la Loge Noire, monsieur… Mersandier, ronronne l’homme derrière le comptoir.

– Mersandier ? Répète en écho, l’homme, égaré.

En face de lui, son interlocuteur le couvre de son regard, dissimulé derrière son étrange paire de lunettes noires.

– Pourquoi portez-vous des lunettes noires ? Il fait déjà si noir.

– Pour mieux vous voir, monsieur Mersandier, susurre l’homme aux lunettes noires.

– Puis-je les voir ?

– Quoi donc ?

Sa voix se fait encore plus douce que de la soie.

– Vos lunettes noires. Votre regard.

– Je doute que vous appréciiez de les entrapercevoir. Désireriez-vous boire ?

– Boire ?

L’homme derrière le comptoir étire ses lèvres en un sourire narquois et ses dents transpercent le noir.

– La même chose que ma… Dame. Il paraît que j’ai rendez-vous avec elle dans le noir.

Le barman acquiesce et sort un verre, qu’il accompagne de plusieurs bouteilles.

– Les Yeux de Jack, monsieur Mersandier. Tel est le nom de ce cocktail qu’a commandé votre Dame, glisse ce dernier en débouchant la première.

Au bout de ses doigts, il tient entre ses phalanges un morceau de sucre brut qui tombe soudain dans un bruit cristallin au fond du verre.

– Voyez, monsieur Mersandier ! La petite fée verte ! C’est elle qui vous guidera dans le dédale de la Loge Noire. Elle sera habillée d’une fleur de coquelicots et emportera avec elle la trompette des anges.

Dans le verre, les couleurs s’entremêlent et, alors qu’il rajoute ce liquide bouillonnant aux nuances chatoyantes, un être de lumière verte s’en échappe. Elle demeure un instant au-dessus de la masse liquide, embrasse soudain Henri sur le bout du nez et s’enfuit par la fenêtre d’occident.

– Ne vous l’avais-je point dit, monsieur Mersandier, souffle le barman comme il ajoute la touche finale ; un petit parapluie végétal.

– À votre santé, monsieur Mersandier ronronne-t-il tandis qu’il pousse le verre devant lui.

Henri tend une main, mais suspend tout à coup ton geste. Il est inquiet.

La bouche sèche, il articule avec peine :

– Vous n’êtes pas Alexandre, n’est-ce pas ?

En face de lui, l’homme étire de plus bel ses lèvres fines.

– Et si tel était le cas ?

– Je ne sais pas. Qui êtes-vous alors ? soupire Henri.

– Moi ? susurre l’homme derrière le comptoir.

Lentement, il abaisse ses lunettes noires qui lui mangent le visage et dévoile enfin son regard.

– Moi ? Je ne suis que l’homme aux yeux de Jack, monsieur Mersandier.

Ses deux yeux d’argent tournés vers ce dernier.


Texte publié par Diogene, 13 août 2017 à 13h23
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