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Chapitre 6 : L’Uppercut de Pastèque

Les gradins étaient pleins à craquer. Les gens sifflaient, encourageaient, tenaient des calicots aux noms de leur chouchou. Zäv garda le sourire malgré sa migraine. Il salua son public avec chaleur. Jagen avait encore plus envie de le détruire, là, tout de suite… Quand il fit son entrée, presque personne ne l’applaudit. Les habitués le huèrent. Le Démon envoya une boule de feu qui s’arrêta à deux centimètres de la figure d’un des détracteurs. L’Orc siffla.

– L’usage de la Magie est strictement interdit ! Encore plus sur les spectateurs !

Mera salua son geste bruyamment. On aurait pu remettre en question la discrétion propre à sa classe de Voleuse …

Il y avait sept candidats, tous bodybuildés à l’exception de Jagen. Le premier était un blond moustachu aux cheveux coiffés en brosse. Il portait une tenue de sport violette et verte. Tous arboraient un marcel, un short et des baskets. Jagen se fit la réflexion que les baskets venaient de son monde. Et aussi qu’il était le seul qui ne s’était pas changé. Il avait noué ses cheveux en queue de cheval. Tout de noir parmi toutes ces couleurs bariolées, il paraissait être l’intrus. Ses yeux d’escarboucle avaient soif de sang.

L’Orc présentait chaque candidat tour à tour. Après le blond Bully, venait Fregan, un homme qui aurait pu correspondre à un Mexicain dans le monde de Jagen. Mais très musclé avec une coupe afro. Des chansons stupides lui vinrent en tête et il se bidonna tout seul. Le troisième était Shalyel, un Demi-Elfe excessivement musclé, les cheveux verts et les yeux bleus. Le quatrième avait moins de muscles, plus sec, le cou énorme. Le crâne rasé de près et un nez écrasé dans son visage. Malgré son manque de charisme, il avait des fans dans le public.

– On t’aime Rel !

Il joignit les poings pour faire sortir ses biceps. En cinquième venait Grof, un Troll qualifié à chaque tournoi. Un monstre de la nature. Quand il mettait une gifle, son adversaire devait décoller. Ou plutôt sa tête devait s’arracher… Jagen le jaugea avec la plus grande prudence. Il ne sentait pas bon, mesurait plus de 2m… Ses paluches pouvaient broyer n’importe quoi… Mais lorsque l’Orc Sin passa à Zäv, ce fut la folie. Tout le public rentra en euphorie. Jagen les trouva aussi stupides que les fans de football dans son monde… Mais ici les règles étaient différentes… Il n’allait pas se gêner pour mettre en branle le Siège d’Arlor…

– Et voici une nouvelle recrue venue de l’Azol… – le public retint presque son souffle – Oui Mesdames et Messieurs… Un Démon… Peut-être que son haut niveau lui donnera une petite chance ! Saluez Jagen !

Les gens applaudirent, plus parce qu’ils craignaient une nouvelle boule de feu qu’autre chose… Mera sauta bien haut pour l’encourager, Evarius hocha la tête, Yasuko garda les mains sur Ankis, assise sur ses genoux et Alcaste tapa des mains sans comprendre pourquoi Jagen participait à ce tournoi. À côté de lui, un homme d’une grande prestance ne manqua pas de dévisager Jagen avec une curiosité extrême. Des cheveux d’argent en queue de cheval, des yeux bleus acérés ridés, une bouche peu aimable… Le Dresseur de Monstres l’aborda.

– Vous avez l’habitude d’assister aux matchs ?

– En fait non, c’est mon premier. Je suis venu à Aleïs pour affaires. Je me suis permis une petite pause, sans m’attendre à voir un Démon combattre…

– Jagen a des idées tordues des fois !

– Vous le connaissez ?

– En effet, nous faisons route ensemble.

– Ah…

Intéressé, Helariel les compta en devinant qui figurait dans l’équipe. Elle s’arrêtait à la rouquine là-bas qui s’excitait sur son siège. Cette dernière croisa son regard et lui décocha une sale tête. Helariel lui sourit affablement, réservé. Il revint sur Alcaste.

– Il est rare que je rencontre des gens si intéressants…

– Je ne vous le fais pas dire ! Je suis le créateur du club Point de Vilain pour les Rousses !

– Qu… qu’est-ce ?

– Mais un devoir mon bon ami ! Celui de défendre la rousseur des femmes !

– Vous devez être comblé avec la jeune fille là-bas…

– Certes mais ses cheveux ne sont pas assez longs ! Lyre en revanche…

…l’expression d’Helariel changea. Lyre… Il avait prononcé son nom…

– Lyre, dites-vous… ?

Alcaste augmenta la voix pour couvrir les cris de la foule en délire.

– Oui, Lyre, une très jolie fille je l’avoue !

– Elle est ici, à Aleïs ?

– Oui, nous sommes venus pour la chercher !

Le masque de sérénité retourna rapidement sur le visage d’Helariel.

– Bonne chance pour la trouver.

Il se leva.

– Ah merci ! Vous partez déjà ?

– Oui, j’ai oublié une tâche urgente.

– D’accord, bon courage à vous !

Helariel partit. Cet homme était un imbécile, étonnant que Lyre l’ait accepté dans son groupe…

Yasuko et Ankis hochèrent la tête. Leur échange avait suscité leur intérêt. La Nentos usa de sa célérité pour suivre l’homme d’âge mûr. Où qu’il aille, il ne lui échapperait pas…

Seule dans le Sanctuaire, Lyre manqua s’étouffer. Non impossible… Pas déjà… Elle avait tout paramétré… Qu’est-ce qui avait changé ? Elle rabattit la capuche de sa capeline sur sa tête. Elle ne pouvait pas rester ici…

Elle abandonna les cierges devant la statue d’un Grand Esprit féminin. D’un pas pressé, elle se hâta.

*

Le match débuta enfin. Les challengers choisirent leurs agriculteurs en espérant avoir les meilleures pastèques en mains. Jagen croisa les bras. Il avait un excellent flair. Les plus petites avaient un arôme plus attrayant. Bully se moqua de lui quand il misa sur les pastèques d’un agriculteur inconnu. Jagen se retint difficilement de le tuer. Il risquait de finir disqualifié. En fait, en y réfléchissant, il se demandait encore pourquoi il s’était embarqué dans ce tournoi. Il n’y connaissait rien et perdait probablement son temps. C’est en voyant Zäv sur la brochure qu’il avait éprouvé l’envie de se battre. Il ne se l’expliquait pas lui-même.

Sin s’écria :

– Les challengers ont choisi leurs pastèques ! Le match peut commencer !

– Attendez ! – l’interrompit Jagen.

Bully roula des épaules.

– Quoi, il se défile le Démon ?

Jagen passa très près de lui pour souffler :

– Attends que je te fasse manger tes dents…

L’autre sourit, certain qu’il ne passerait jamais à l’acte. Les obligations envers le Contractant, tout ça… Il en avait déjà rencontré, c’étaient des familiers bien dressés. Arlor contrôlait parfaitement la situation. Jagen martela devant l’Orc :

– Un des candidats triche !

Sin n’en revenait pas.

– Jagen… Vous ne pouvez pas proférer de telles inepties… Le match n’a même pas commencé…

– Observez ses pastèques. Elles ont toutes une légère entaille au même endroit.

– Quoi ?

– Voyez par vous-même.

Le « Mexicain » Fregan sua à grosses gouttes. Sin inspecta lesdites pastèques.

– Mais c’est qu’il a raison ! Les pastèques sont toutes entaillées au meilleur point de rupture ! Fregan a triché ! Il est disqualifié ! Puisque le fournisseur est impliqué, il y aura des représailles pour lui aussi ! Un instant, nous allons vérifier toute la marchandise !

Grof le Troll maugréa, mécontent. Il perdait son temps à cause du Démon. Mais contrairement à Bully, il ne le sous-estimait pas. Il n’était pas aussi musclé que les autres, mais il se dégageait une puissante aura de tout son être. Restait à savoir s’il serait réglo ou non. La boule de feu qu’il avait jeté laissait supposer que non, et puis c’était un Démon. Beaucoup d’entre eux étaient fourbes. On racontait même que certains avaient dévoré leur Contractant. D’ailleurs où était le sien ? Normalement aucun Démon n’était bien loin de son Contractant. Tout le monde savait ça. Jagen lui rendit son regard défiant. Le Troll le soutint plusieurs secondes, puis regarda ailleurs, les bras croisés.

Jagen balaya les gradins de ses prunelles écarlates. Lyre n’était pas là… Et il se sentait chiffonné. Mais il ne comprenait pas pourquoi. Tout allait bien, ils étaient dans un lieu hautement surveillé. Personne n’allait mourir… Personne… L’angoisse s’intensifia. Comment allait Lyre ? Allait-elle vraiment bien ? Comment savoir… Ils étaient liés bien sûr… Et c’est peut-être ce lien qui le tiraillait. Si elle allait mal… Si elle était en danger… Il devait intervenir. Car elle était sa Contractante. Il devait respecter le Contrat. À savoir tuer Arold Nenkiark. Sans le vouloir, il se réjouit de ne pas être déjà rentré. Oui, il était content. Bêtement, il tirait du plaisir de ce petit voyage imprévu. La seule ombre, c’était Ankis qui s’imaginait des idioties…

– Tout est en ordre ! Vous pouvez commencer !

Bully commença. Il se plaça devant son énorme récipient, lança la pastèque en l’air et sauta bien haut pour flanquer un magnifique coup de pied dans le fruit.

– Oh c’est ¼ coupe en chapeau ! 15 points !

Jagen ne connaissait pas les découpes cataloguées. Dans son empressement, il ne s’était pas renseigné. Le blond continua son exploit, ses mollets roulant sous sa peau, des gouttelettes de sueur scintillant dans l’air vivifiant. Un dôme magique recouvrait toute la zone pour éviter que les feuilles ne gênent les candidats. Le Démon enregistra les coups portés. L’angle d’attaque, l’impulsion utilisée, les muscles sollicités, la hauteur adéquate. Seulement ces informations correspondaient aux pastèques de grosse taille. Les siennes demanderaient une précision différente. Il prenait très à cœur ce match. Et ça l’énervait de ne pas savoir pourquoi.

Zäv prit le relai. Il souriait, mais Jagen décela chez lui une gêne physique. De la douleur. Tant mieux, il perdrait plus vite… À sa surprise, le champion lança les pastèques avec une dextérité folle. Chaque coup était précis, chaque bond très haut. Jagen observa son talon frapper la pastèque au vol, du dessus. Le fruit se fendit en deux, une ligne parfaite.

– Et c’est une fente mythique ! 100 points !

Zäv enchaîna, mais à la sixième, sa migraine le décontenança. Il retomba et chercha son souffle.

– Lyre aurait honte de moi si elle voyait ça…

Jagen se tendit.

– Tu connais Lyre ?

Sin rappela :

– Zäv n’a pas terminé ! Jagen, ne parlez pas au challengeur !

Agacé, Jagen attendit qu’il termine. Sauf que l’Orc le désigna pour poursuivre. Courroucé, Jagen lança la pastèque en l’air et la frappa d’un méchant coup de poing.

– Étoile ! 20 points !

Après trois pastèques au score peu fructifiant, Jagen s’efforça de se calmer pour frapper mieux, à des endroits stratégiques, sans foncer dans le tas. Mais Zäv connaissait Lyre… Il savait où elle était…

– Oh une carotte, 2 points !

Quel score pourri… Il fallait qu’il se reprenne… Mais il ne connaissait pas les valeurs de découpe maximale. Peut-être qu’en créant quelque chose d’unique, il pouvait remonter en tête.

Pour sa dernière pastèque, Jagen se servit d’un pied et de ses deux mains, sollicitant chacune de ses phalanges. La force, il la possédait sans avoir besoin de pectoraux surdimensionnés. La puissance de son coup happa l’air.

Le silence s’installa. Sin avait la bouche ouverte, sans y croire. Tout le monde retenait son souffle, y compris Zäv. Jagen descendit en même temps que sa création. L’Orc se reprit :

– Un… C’est un lotus… ! 1000 points !

La pastèque était superbement découpée, la peau et la pulpe soigneusement dessinées. La délimitation était parfaite. Jagen le récupéra dans ses mains et le donna à Sin pour qu’il le voie de plus près. L’Orc n’en croyait pas ses yeux.

– Je vais le garder pour le moment, ça évitera qu’il s’abîme.

Indifférent, Jagen se dirigea vers Zäv et lui parla tandis que Shalyel prenait la suite.

– Tu connais Lyre ?

– Oui, c’est mon amie.

– Depuis quand ?

– Pas très longtemps. Je l’ai accueillie chez moi, lui ai donné à manger et un endroit où dormir.

Ça y est, la colère revenait. Beaucoup de mots s’amassaient sur sa langue. Des insanités. Et l’envie de le détruire qu’il réprimait en serrant les poings.

– Je…

Zäv sourit.

– Ton lotus est magnifique. Félicitations, tu as toutes tes chances.

– Hein ?

– Une telle découpe, je n’en ai vu qu’au Désert d’Octis. Même moi je ne sais pas le faire. Je l’ai enregistré dans les coups parce que la case des 1000 points était vide.

Irrité, Jagen exigea de savoir :

– Où est Lyre ?!

– Près du Sanctuaire.

– Lequel ?

– Celui du Grand Kitsune.

– C’est loin d’ici ?

– 15 minutes de marche. Mais attends, si tu t’en vas, tu risques d’être disqualifié.

– Elle a besoin de moi…

– À cause d’Helariel ?

– Helariel ? De qui parles-tu ?

– De l’homme aux cheveux argentés. Elle s’est cachée de lui.

Jagen sembla percuter.

– Helariel… Mais pourquoi ?

– Tu le connais ?

– Oui. Je dois y aller.

– Dommage, j’aurais pu te battre lors de la manche de l’uppercut…

– Tu ne me battras jamais. Je suis trop fort pour ça.

– Ce que tu crois. T’es sacrément vantard toi.

– Et toi débile. Je suis un Démon.

– Il y a des règles. Tu ne peux pas tricher.

– L’Orc m’a inscrit, je suis comme je suis. Tu ne peux pas enlever la force qui me caractérise.

– C’est vrai que t’es balèze… – il sembla réaliser – Mais attends, ce ne serait pas toi qui as pété le poignet de Lyre ?!

Jagen garda le silence. Parce que c’était vrai et que le lui rappeler, par un étranger en plus, l’embarrassait. Zäv devint très sérieux.

– Sérieux mec ! Je lui ai promis que je dégommerai celui qui lui a fait ça à coup de pastèques ! Tu ne vas pas filer ! Je vais t’aplatir !

Il frappa dans sa main en disant ça. Jagen ricana.

– Tu n’es pas au meilleur de ta forme et tu me défies ? Tu es sacrément stupide…

– Lyre est une fille bien ! Je compte sortir avec elle puisqu’elle est libre ! Elle ne t’aime pas, elle me l’a dit, alors j’ai mes chances ! En commençant par la venger ! Je la protègerai !

Jagen reçut ses paroles comme une douche glacée. Ça ne lui avait jamais fait ça… Comment des mots pouvaient le retourner comme ça… ?

– Elle n’a pas besoin de ta protection !

– Bien sûr que si ! Elle m’a dit qu’elle n’avait aucun véritable ami dans son groupe. Donc même si elle ne veut pas de moi, je resterai auprès d’elle. Elle est rigolote, sympa, j’aime être avec elle.

Le sourire de Jagen ressemblait plus à une grimace.

– Qu’est-ce que tu sais d’elle, hein ?

– Que…

– …je l’ai possédée… Tu veux coucher avec ? Rappelle-toi que j’ai posé mes mains sur son corps en l’habitant…

– Quoi ?...

– Je suis un Démon… C’est ma Contractante…

Il le disait, très proche de son visage. Zäv recula. Jägen posa les mains sur ses hanches.

– Mais tu as raison, tu mérites une correction… Je vais te balayer… Te détruire…

– Tu me menaces là ?

– Menace, avertissement… Appelle ça comme tu veux… Tu vas me le payer…

– Payer quoi ? De lui avoir porté secours après que le seul en qui elle avait confiance lui ait fait du mal ?

De dos, Jagen se statufia. Elle lui avait dit ça aussi ?... Pourquoi elle se confiait à un inconnu et pas à lui… Ça lui faisait plaisir d’apprendre qu’il tenait cette place mais… Mais la rage remontait en flèche…

– Je reste… Tu vas souffrir…

– Ok. Je t’attends. Je vais tenir ma promesse !

Helariel atteignit le Sanctuaire du Grand Kitsune. Il rentra d’une démarche feutrée. Les cierges s’éteignirent à son passage.

– Je sais que tu es là. Si tu devais te cacher, ce serait forcément ici. Je t’ai prise de court il semblerait. Un point de non-retour. Car moi-même je n’avais pas anticipé ma rencontre avec toi en ce lieu. Tu n’as pu le prévoir. Le temps te fait défaut cette fois…

Lyre était à nouveau dans le Sanctuaire. Cachée derrière un pan de mur en pierre. Tout ça pour rien… Elle avait réussi à sortir, faire d’autres choix, et voilà qu’elle se retrouvait là à nouveau… Mais peut-être qu’avec ses propres interactions, elle avait pu déjouer ce futur-là…

– Allons Lyre. Tu perds ton temps. N’es-tu pas fatiguée ?

La peur la submergeait. Helariel sourit, à cinq mètres d’elle. Il n’était pas censé la voir, mais elle savait qu’il captait sa peur comme un arôme enivrant. Il écarta les pieds, ramena ses mains comme s’il tenait un manche. Une lame d’un bleu irréel apparut devant lui, nimbée d’éclairs jaunes qui la parcouraient. Il donna une impulsion dans sa direction, le mur se déchiqueta, la faisant valser. Elle cria. Un sourire triomphal tira les lèvres minces d’Helariel.

– Je le savais…

La tête contre les marches partiellement éclatées, face à une Kitsune Gardienne, Lyre se demanda comment elle allait se sortir de cette situation. Helariel dressa son katana magique à la verticale pour préparer un coup surpuissant. Ses genoux fléchirent. Il trancha l’air, l’entaille se dirigeant vers Lyre. Elle ferma les yeux.

L’espace de quelques secondes.

Lorsqu’elle les rouvrit, Ankis gisait devant elle.

– Ankis !

Son cœur ne battait plus. Lyre ne se préoccupait plus de ce qui était en train de se passer autour d’elle. Elle porta le cadavre dans ses bras et pleura dans sa fourrure.

Pendant ce temps, Yasuko venait de perforer le cou d’Helariel de part en part, en attaquant par derrière. Il glaviota un peu de sang puis rit.

– C’est vrai, tu fais partie de son groupe. Et je me doutais qu’il y aurait des combattants avisés.

La Nentos tourna son poignard pour creuser un peu plus la plaie. Helariel se dégagea sans difficulté.

– Je suis content de trouver une adversaire à ma mesure.

Yasuko jetait des coups d’œil inquiets en direction d’Ankis en attendant qu’elle se relève, une queue en moins.

– Faisons les présentations. Je suis Helariel, un membre de Näazol.

Yasuko le dévisagea. Un Démon qui avait réussi à rester dans son monde… Il était son ennemi ! Elle serra les dents, animée par la haine. Le sourire d’Helariel n’en fut que plus grand.

– Brave Nentos au service du Siège… Je suis pourtant surpris. N’es-tu pas censée être avec les tiens ?

– Vous perdez votre salive. Je vais vous pourfendre, ici et maintenant.

– J’adore les défis… Viens, je t’attends.

Il prit une posture défensive avec son katana électrifié. Yasuko en fit autant. Elle ne se laissa pas dominer par la colère, même si elle la ressentait battre dans ses veines. C’est ce qu’il voulait. Il épiloguait pour briser son calme.

Lyre avait les yeux écarquillés de terreur.

– Non Yasuko… Ne le combats pas…

– Je suis une Nentos. Tel est mon devoir.

Elle s’apprêtait à tout lui dire. Et sans doute que ça pouvait la sauver de cet homme… Mais elle n’y parvint pas.

Ankis fuma. Une de ses queues tomba avant de se désagréger en particules ténébreuses. Lyre assistait au spectacle, fascinée. Une aura jaune accompagnée de l’odeur du soufre se dégagea du cadavre qui s’anima. Les yeux bleus d’Ankis s’ouvrirent au monde. Elle se redressa vivement, prête à épauler Yasuko dans son combat.

Le katana d’Helariel pivota, indécis.

– Je ne désire pas te tuer. Va-t’en.

– Je ne bougerai pas. – déclara la chatte.

Il ferma les yeux.

– Bien… Comme tu voudras… Ankis.

Elle remua une oreille. Il la connaissait ?

– Attends, comment me connais-tu ?

– Jagen ne t’a donc rien dit ?

– Non…

Yasuko cria :

– Ne l’écoute pas ! Il essaie d’empoisonner nos réflexes avec ses paroles !

Et il y parvenait. Ankis n’avait plus envie qu’il meure. Lyre connaissait déjà la suite. Elle se prépara à la subir.

La Démone était intriguée.

– De quoi parles-tu ?

– Tu as besoin de moi vivant pour le savoir. Mais cette jeune femme souhaite me dévisser la tête. Laisse-nous régler ce différend et je te répondrai ensuite.

– Je ne te laisserai pas faire du mal à Yasuko.

Helariel soupira.

– Tu n’es plus une Nentos depuis fort longtemps, Machiko…

Yasuko la dévisagea bêtement. Il l’avait appelée Machiko… La favorite de l’Impératrice, plus belle femme de Nenya, fortunée, désirable, au destin tragique… Oui elle en avait entendu parler. Elle s’était fait maudire une fois devenue Démone, ce qui l’avait fait battre en retraite.

– Une part de mon cœur appartiendra toujours à Nenya. – expliqua Ankis.

– Une loyauté mal placée.

– C’est possible. Mais je n’oublierai jamais tous les souvenirs heureux que j’aie vécu là-bas…

– Tu étais encagée. Jagen t’a libérée.

– Jagen m’a enfermée d’une autre façon. Crois-tu que passer jour après jour dans le même espace, seule la plupart du temps, est bénéfique ?

– Tu aurais pu t’affranchir et venir vivre à Näazol.

– Je ne vois pas comment… Le Siège d’Arlor me chercherait forcément.

Alors elle envisageait cette possibilité… Yasuko était déçue qu’elle baisse les armes si vite… Helariel descendit son katana.

– Comment crois-tu que nous faisons, nous autres ? La membrane qui recouvre l’île déjoue la technologie d’Arlor.

– Mais le Siège a pourtant connaissance de ce bastion…

Elle aurait pu dire votre, ou encore notre. Le « ce » la plaçait dans la neutralité.

– Oui et ils sont démunis. Viens avec moi et je te promets une nouvelle vie. Tu feras partie de ma famille.

Il tendit une main tentatrice. Les oreilles d’Ankis s’agitèrent. Il lui offrait un moyen de vivre en-dehors de l’Azol sur le long terme. Elle regarda Yasuko. Sa détermination flancha. Elle avait très envie de rester avec elle. Mais cela impliquait côtoyer Jagen, au moins jusqu’à ce que Yasuko ramène Won-Zu… Et sa présence lui devenait insupportable au fil des jours…

– Uniquement si tu laisses Yasuko en paix.

– Très bien.

– Tu acceptes ?

– Ma cible n’est pas cette fille. En réalité je suis venu pour des raisons bien différentes. Et j’ai trouvé ce que je cherchais vraiment.

Il adressa à l’Invocatrice un regard entendu.

– Tu parles de Lyre ?

– Oui. Il est temps que j’abrège sa vie.

– Elle est déjà morte de toute façon.

Il remit en question ce qu’elle sous-entendait. Yasuko la défendit :

– Je ne vous laisserai pas faire !

– Oh ? Pourtant ce n’est pas une Nentos, rien ne t’oblige à lui porter secours.

– Elle est votre ennemie, donc mon alliée.

– C’est assez réducteur.

– Vous n’emporterez ni Ankis ni Lyre !

Il plissa les yeux.

– Je m’attends à un beau combat contre toi.

La Nentos usa de sa célérité et dématérialisa son arme magique. Elle n’avait pas de forme concrète et se mouvait de sa propre volonté en attendant l’impulsion mentale de sa propriétaire. Un rai de lumière en perpétuel mouvement.

L’attaque qu’elle venait de placer à distance essuya un échec. Helariel leva à peine son katana pour la déjouer sans mal.

– Je m’attends à beaucoup mieux de la part d’une Nentos.

De leur chef, songea-t-elle… Lyre cria encore :

– Yasuko, fuis, n’essaie pas de le vaincre !

– Il en va de mon honneur !

Elle frappa à distance, se gardant d’approcher de sa lame électrifiée. Mais rien ne l’atteignait. Son arme rejetait les dégâts.

– À mon tour.

Sa geta glissa sur le sol tandis qu’il prenait une posture offensive. Le bras fléchit au-dessus de sa tête, la lame à l’horizontal, son deuxième bras en parallèle, le pouce, l’index et le majeur tendus. Il tournoya sur lui-même, des gerbes d’eau venues de nulle part éclaboussèrent le Sanctuaire. Le vent malmena les gouttelettes, emportant l’entaille droit sur son ennemi. Yasuko esquiva de peu. Elle réalisa finalement que son adversaire était supérieur à elle. Puis du sang coula de sa bouche, sa main se porta à son flanc. Ses intestins débordaient en dehors de son corps par une blessure très nette. Elle ne comprenait pas très bien ce qui se passait. Ankis hurla à pleins poumons.

Lyre se cacha la bouche d’une main tremblante. Tout était perdu… Elle avait déjà essayé de déjouer ce fil deux fois. Dans le premier elle était présente au match et Jagen se faisait déchiqueter les ailes une fois Helariel lâché depuis les gradins. Dans le deuxième, le combat avait lieu dehors, le remue-ménage attirait des Grands Esprits et des Elfes. Une hécatombe…

Elle n’avait plus assez d’énergie pour remonter le cours du temps… Ankis se battait à présent contre Helariel. Lyre s’attendait à ce qu’elle meure dès la première seconde. Mais des ténèbres se dégageaient de la chatte dont les huit queues battaient l’air. Elle attaqua, bondissant en l’air, ses griffes creusant l’espace autour d’elle, comme si une bête de plusieurs mètres attaquait.

Échevelée, Lyre ne savait plus quel choix faire. Pouvait-elle encore modifier le cours des choses ? Yasuko se vidait de son sang en tenant ses boyaux, recroquevillée sur elle-même. Est-ce qu’elle pouvait encore l’aider ? Elle se redressa fébrilement et s’approcha d’elle. Elle essaya de la soigner, ses deux mains tendues devant elle. La Nentos la voyait comme son dernier espoir. La lumière jaillit des mains de Lyre, puis s’éclipsa aussitôt, laissant un filet de sang couler de son nez. Elle avait gaspillé toute son énergie…

Yasuko comprit :

– Je vais mourir, c’est ça ?...

– Utilise ta célérité ! Trouve un Soigneur !

– Je suis… – elle vomit un peu de sang – incapable de bouger… Tu diras à Ankis… que je l’aimerai… même dans la mort… Par-delà… Elle reste ma sœur…

Yeux exorbités, Lyre tira sur ses tresses à moitié défaites, en larmes. Pourquoi chaque scénario avait ses failles ? Et pourquoi perdait-elle forcément ses compagnons de route ?...

– Ramène Won-Zu… C’est ce que je t’aurais dit… Mais je ne sais plus ce qui est juste… Dis-moi, pourquoi Helariel te pourchasse… ? Je vais mourir… Tu me dois bien ça…

Les lèvres de Lyre tremblèrent. Si son âme partait dans l’Azol, si elle conservait ce souvenir, alors elle deviendrait une menace…

Elle attendit qu’elle expire sans l’exaucer.

– Pardon… Yasuko…

La Nentos mourut, frustrée. Son regard se ternit. Sa bouche ouverte exprimait la plus grande incompréhension. Lyre pleura toutes les larmes de son corps tandis qu’autour d’elle, tout volait en éclats. Elle avait envie d’abandonner, là, tout de suite… C’était vain… C’était tellement vain… Et jusqu’au bout elle conservait ses secrets, à l’abri du temps…

*


Texte publié par Mishakal Yveldir, 18 octobre 2017 à 16h15
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