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Chapitre 3 : Captifs

Dans l’étroit labyrinthe, Jagen avait tout tenté. Et rien n’avait fonctionné. Il croupissait là, sans possibilité de sortir… Il se sentait faible et somnolent. Il n’avait même plus envie de se relever.

Un bruit de coques clinquant l’une contre l’autre envahit le ciel. La minute d’après, il était devant une grotte, proche du vide à couper le souffle. Mera et Alcaste étaient présents, ainsi qu’une… chose accompagnée des deux méduses. Homme ou femme, c’était difficile à déterminer. Il avait les traits trop fins mais des pommettes masculines ainsi qu’une pomme d’Adam. Pourtant ses ongles vernis de rouge et noir étaient purement féminins. Il avait le visage peinturluré de blanc et rouge, le crâne d’un monstre sur la tête, des dreadlocks noires aux reflets cuivrées jusqu’au bas du dos. Des peaux de bêtes et une forte odeur d’épices et d’herbes l’imprégnaient. Il tenait un bâton dont les coques ocre clinquaient ensemble. On aurait dit deux maracas solides.

Alcaste se jeta à ses pieds.

– Evarius, je ne sais comment te remercier !

– Je croyais avoir ta promesse de ne plus passer par ce souterrain pour me voir.

Sa voix n’était ni vraiment celle d’une fille ni d’un garçon.

– Oui je sais bien ! Ce n’était pas mon initiative mais la sienne !

Alcaste pointa du doigt Jagen, dans la peau de Lyre. Evarius braqua son regard sur lui. Deux géodes en quartz titane doré. Le jaune le plus pur s’irisait jusqu’à croiser une ambre profonde, puis un caramel brûlant au soleil. Soutenir un tel regard demandait une habitude que Jagen n’avait pas. Il détourna les yeux, malgré toute son expérience.

– Intéressant. Tu la possèdes, mais son âme n’est plus en dedans. Ce n’est pas une possession habituelle.

– Vous allez la ramener à la vie ?

Evarius bougea subrepticement son bâton.

– Non.

– Non ?!

– Une personne incapable de me remercier pour mon aide, qui réclame un autre service de surcroît, ne mérite pas mes faveurs.

– C’est vous qui m’avez sorti du labyrinthe ?

– Il n’y avait pas de labyrinthe, juste votre esprit.

– Quoi ?

Quelque part, ça se tenait. Quand Jagen avait attaqué les murs, il s’était agressé lui-même et son nez avait saigné. Evarius se leva, les méduses violacées flottant gracieusement autour de lui.

– Je vous permets de vous reposer. Vous partirez demain.

Jagen se redressa, furax.

– Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien ! Si vous ne m’aidez pas, je vous y forcerai !

Evarius plissa les paupières, las.

– Sincèrement, vous croyez m’impressionner ? Vous pensez pouvoir dompter le monde à votre guise ? Vous tombez de votre piédestal aujourd’hui, car je ne vous aiderai pas. Vos compagnons se sont montrés plus généreux en me remerciant dès leur réveil. Mais il s’agit de votre requête, du corps que vous possédez.

Jagen s’apprêtait à invoquer après avoir crié :

– Je vous ferai changer d’avis !

Evarius souffla sur une poudre bleutée dans sa direction. Jagen s’endormit instantanément. Mera soupira.

– Il est comme ça, faut pas lui en vouloir.

– Je me moque de son tempérament, lorsqu’il n’y a pas de respect pour ce qui nous entoure, rien ne m’oblige à accorder ma contribution. Alcaste a dû vous le dire : je décide qui j’aide.

– Ou alors c’est pas dans vos compétences.

– Bien essayé mais je connais mes pouvoirs et mes limites. Ramener une âme est une de mes facultés. Cela dit, c’est une pratique réprouvée par le Siège d’Arlor.

– Attendez, vous vivez là pour cette raison ?

Evarius cilla à peine. Tout son visage n’exprimait aucune émotion.

– Ils n’apprécient pas le fait qu’ils n’ont aucun contrôle sur cette méthode.

– Mais, que deviennent les personnes ressuscitées ?

– Elles vont dans l’Azol.

– En Enfer ?!

– Les gens de ce monde le nomment ainsi pour la majorité.

Mera eut un déclic.

– Vous devez être recherché dans ce cas…

– En effet, mais ils ne peuvent m’atteindre dans ces montagnes.

– Pourquoi ?

– J’y ai apposé un charme d’illusion qui les désoriente. Et si jamais ils arrivent trop près, mes Esprits les condamnent dans leur propre rêve. Je leur laisse toujours une chance. Mais quand ils reviennent je me montre moins clément.

– C’est quoi exactement ces Méduses ?

– Des Esprits très puissants liés à notre inconscient, nos secrets.

– Evarius… Je sais que vous avez dit non, mais j’aimerais beaucoup que vous rameniez Lyre…

– Cette décision ne t’implique pas. C’est entre lui et moi.

– Vous attendez que Jagen s’excuse ?

– Qu’il réalise qu’il n’est pas tout puissant. Vu son aura, il est clair que ses entrées dans notre monde ne datent pas d’hier.

– Il est trop confiant, c’est clair… Mais il est bien embêté dans ce corps.

– Je crois au contraire qu’il apprécie sa condition et aimerait en jouir à souhait.

– Ça c’est vrai, il l’a même dit. Mais je ne le laisserai pas faire.

Evarius ferma les yeux un long moment. Mera se demanda s’il ne s’était pas endormi. Mais au froissement de peau qui arquait ses sourcils, elle devina qu’il se concentrait. Lorsqu’il rouvrit ses yeux étranges, il révéla :

– Jagen n’est pas une Invocation réglementaire. L’Armée des Nentos est ici pour lui.

– Des Nentos ?

– Ce sont des Chasseurs de Démons. Je crains que vous ne deviez partir.

– Déjà ? Mais et vous ?

– Ils n’en ont pas après moi.

– Euh, si vous voulez mon avis, s’ils font partie du Siège, ils en profiteront pour vous capturer.

Evarius pesa ses propos. L’Armée d’Arlor et les Nentos qui leur étaient affiliés, étaient bien différents. Ces Chasseurs de Démons étaient formés pour frapper plus brutalement, réussissaient à les pister à des kilomètres et les traquaient sans répit. Ils portaient des Masques d’Onis grimaçants, vêtus d’un shozoku. Ils capturaient ou tuaient parfois sur place.

Le Chaman leva la tête.

– Ils ont tranché mes illusions…

– Tranché ?

– Avec leurs katanas… Bientôt ils seront ici… Et je crains que même mes Esprits ne soient pas à la hauteur…

Alcaste le rejoignit.

– Je refuse de te laisser tout seul avec une armée de ce genre par ici.

– Ton inquiétude me touche. Je crois qu’il est sans doute temps pour moi de reparcourir le monde. Ma vie en temps qu’ermite touche à sa fin.

Il souffla sur une poudre verte devant le visage de Jagen qui reprit aussitôt conscience.

– Ah enfin ! Je…

– …nous partons.

– Pardon ?

– Ils sont là.

– Qui est là ?

– Les Nentos.

Jagen sentit leur présence au même moment où Evarius prononçait la dernière syllabe. Le Chaman rappela ses Méduses. Il s’approcha du vide.

– Vous allez devoir me faire confiance.

Jagen n’aimait pas du tout la perspective de croiser le fer avec des Nentos… Il s’était déjà fait capturer par le passé…

Alcaste et Mera se rapprochèrent. Une armée de 40 hommes envahit la Grotte, munie de Katanas, de Bâtons, et de quelque chose d’autre pour certains, une forme en perpétuel mouvement.

Jagen envoya sa Poussière écarlate. L’un des hommes au masque de Démon rouge créa un Bouclier vermillon qui couvrit l’attaque. Telles des ombres, ils se mouvaient avec une célérité impressionnante, et bientôt ils frappèrent sur une chorégraphie stratégique implacable. Mera résista, mais sous le nombre elle fut désarmée et empoignée. Alcaste envoya de nombreux Monstres, Evarius cria :

– Non ! Ne fais pas ça !

Les Nentos les pourfendirent, mais au lieu de se dématérialiser, ses Monstres tombèrent tous dans leur propre sang.

– Vous avez tué mes Monstres ?! Comment osez-vous ?!

Ils s’emparèrent du Dresseur de Monstres. Jagen déploya autant de Magie qu’il pouvait en essayant des combinaisons, pas toujours fructueuses. Mais les armes inconnues sans forme précise eurent raison de lui. Evarius se jeta dans le vide. Les Nentos envoyèrent leurs armes sur lui, mais le Chaman se changea en aigle et prit son envol, hors de leur portée.

La femme qui menait cette expédition plaça des menottes scellées sur les poignets de leurs prisonniers. Aucun d’eux ne pouvait plus avoir recours à ses pouvoirs. Ils les escortèrent à un rythme soutenu vers leur future prison.

*

Le crachin mouillait la terre. L’armée des Nentos filait dans les airs sous la forme d’un immense Dragon bleu écailleux, défiant la tempête. Ils incarnaient cette noble créature aux moustaches flottant autour d’elle, ses pattes griffues fendant les nuages, sa queue fouettant l’espace. Un son guttural remontait dans sa gorge.

À l’intérieur, ils étaient tous en état de communion, quarante Nentos focalisés sur cette forme majestueuse. Ils n’étaient plus qu’éther, comprimant d’avantage Jagen, Mera et Alcaste qui n’avaient plus de corps. Tout n’était qu’énergie fluide, vaporeuse. Un doux magenta qui baignait tout.

C’était un peu comme un rêve. Ils voyaient le ciel et le long corps du Dragon serpentant gracieusement dans les airs comme s’il s’agissait du leur. C’était une expérience unique.

Le Dragon avait mis du temps à se former. C’était un sort puissant qui nécessitait beaucoup de pouvoir et de synchronisation. Ils devaient tous le visualiser de la même façon, et il était clair que pour le manier tous ensemble, ils devaient s’entraîner pour se connaître et anticiper les mouvements.

Le Dragon chercha Evarius un moment, puis, bien décidé à ne pas s’épuiser en vain, il repartit. Il monta, encore et toujours plus haut, perçant les nuages gris. Sa gueule ouverte goûtait la pluie. Ses yeux uniformément bleus emmagasinaient le monde. Il longea les cieux, indifférent à la foudre qui ne le touchait pas.

Jusqu’à atteindre une cité de pierres noires aux formes recourbées. Le Dragon se laissa porter jusqu’à la Grande Place où tous les Nentos reprirent leur forme dans une galipette. Alcaste, Jagen et Mera tombèrent tête la première sans possibilité de se réceptionner à cause de leurs menottes.

La femme qui avait mené cette expédition releva Jagen le premier en l’attrapant par les cheveux. Les autres saisirent la Voleuse et le Dresseur de Monstres par les bras.

– Où sommes-nous ? – s’enquit Alcaste.

La femme au Masque d’Oni rouge ne répondit pas et rentra dans l’une des étranges constructions recourbées. Elle y resta quelques minutes avant de revenir les y amener. On les poussa sans ménagement. Les Karashishis, statues gardiennes inspirées du lion, grimaçaient devant la porte. Un Dragon et un Phénix étendaient leurs grâces sur le beau bois.

À l’intérieur une bougie brûlait sur un piédestal bien haut. D’autres braseros diffusaient chaleur et lumière. La commandante les déchaussa sans ménagement avant de franchir la marche qui menait au cœur du Shoin. Et tous en firent de même. C’était une coutume que seul Jagen connaissait, vu qu’il avait essayé de le faire seul, sans succès cela dit.

Une fois en chaussettes, ils envahirent la large pièce dont le plancher craqua sous le nombre imposant de soldats. Un homme était assis sur le trône. Ventripotent, une unique houppette sur son crâne chauve, des lèvres trop grosses et narquoises, un gros acrochordon contre sa narine gauche et des yeux gris clair. Il était laid, son double menton tombant sur la graisse masquant ses clavicules. Une main potelée soutenait ce visage repoussant. Des bagues cerclaient ses doigts sales dont le résidu de gras se disputait au manque d’hygiène de cet individu.

– Maître Valsius. – s’inclina la commandante – Les voici.

Elle avait une voix trop douce pour une dirigeante, c’était étonnant. Le gros homme vêtu de blanc et argent dans un costume ample mais raffiné cela dit, se tortilla sur le trône trop étroit pour son divin séant.

– Bien. Jagen, tu connais déjà les accusations à ton encontre. De plus, l’usage du Transfert est interdit dans notre monde.

Le sourire effronté de ce dernier s’élargit.

– Je vous détruirai tous.

– Oui c’est cela… Et vous deux vous êtes…

Un écran étrange apparut face à lui, affichant en transparence leur image et des lignes de texte sur une couleur verdâtre.

– Alcaste et Mera. Il est fâcheux que vous vous soyez retrouvés dans cette situation.

Même sa voix était une catastrophe, avec un léger accent hautain, un timbre lipidique haut-perché. Mera le jaugea.

– Vous êtes un Membre du Siège d’Arlor pas vrai ?

– C’est exact jeune fille. Je suis venu expressément pour régler cette affaire désobligeante.

– De quoi est-on accusé au juste ?

– Jagen de nombreuses choses. Vous, eh bien vous l’avez accompagné.

Alcaste regardait Valsius, déçu. Il imaginait les membres du Siège charismatiques, beaux… Pas… comme ça…

– Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

– P…Pour rien !

– Hum… Je sens pourtant une once de mépris.

– P-pas du tout !

– Cet entretien m’a fatigué, j’acterai de votre avenir plus tard.

Il exécuta un petit mouvement ridicule pour les chasser. La commandante s’avança.

– Puis-je les mener dans leurs cellules respectives ?

– Faites Yasuko.

Elle s’inclina et s’éclipsa avec ses hommes. Ils remirent leurs chaussures le temps de marcher sous le toit Irimoya qui les abritait de la pluie. Ils se mouillèrent néanmoins quand ils durent s’éloigner de la bâtisse. Un marchand vendait des brochettes qu’il cuisinait lui-même sur un petit stand. Certains Nentos ne portaient aucun masque. Ils avaient les yeux bridés et les cheveux noirs pour la plupart. Quelques-uns avaient le bout des cheveux d’une autre couleur comme le rouge. Une ligne pourpre soulignait la courbe des yeux de ceux qui déambulaient avec le plus de grâce. Justement l’un deux s’arrêta devant Yasuko. Il portait un kimono rouge et blanc, de longs cheveux de neige hirsutes, un museau de renard, des oreilles poilues sur la tête et des mains griffues. Il posa ses yeux jaunes sur la commandante.

– Eh bien Yasuko, tu as attrapé les vilains ennemis du Siège ?

– Ne prends pas ce ton avec moi…

Il tourna son ombrelle au-dessus de sa tête.

– Tu as beau diriger cette armée, je reste le plus haut placé de par mon sang noble. Je te prie de bien vouloir t’incliner et présenter des excuses. – Yasuko serra les poings – À moins que tu ne préfères que j’en réfère au Siège ?

Elle abdiqua et s’excusa en s’inclinant. L’individu ignora Jagen.

– Je ne suis pas attiré par les transgenres, navré.

Il piqua un fard, outré. L’homme s’arrêta devant Mera.

– Tu es très mignonne. Tu sais, c’est rare qu’on amène des gens de l’extérieur. Voilà ce que je propose, le transsexuel et le quartier de lune vont dans leurs cellules et elle tu me la cèdes.

Mera appuya ses poings sur ses hanches.

– Hé ! Parle pas de moi comme si j’étais pas là ! Ni comme d’une marchandise ! Pour ta gouverne, les animaux finissent dans mon estomac. – il sembla ne pas comprendre – Face de renard !

Il ouvrit des yeux ronds, abasourdi.

– Ai-je bien entendu ? Tu te permets d’insulter Won-Zan, le fils de l’Empereur ?

– Je sais pas ce qu’est un Empereur. Et ouais, je me permets. J’en ai marre de tous ces mufles qui essaient de m’avoir dans leur lit.

– Quel caractère ! J’apprécie ! Je ne vais pas te trousser tu sais.

– C’est ce qu’ils disent tous. Et crois-moi, même menottée, j’ai de la ressource.

– Nous serons entourés, je te rassure. Viens avec moi.

– Je préfère encore crever avec les autres.

– Tu tiens tant que ça à ces… personnes ?

Il avait hésité sur le mot à employer. Mera le regarda, impavide.

– Ouais, ce sont mes amis.

– Tu as d’étranges fréquentations !

Il essaya de lui attraper l’épaule, elle le mordit sauvagement. Les Nentos pointèrent leur katanas tout près de sa gorge. Le sang perla, elle desserra les dents. Won-Zan avait la peau de la main trouée. Les autres s’en inquiétèrent.

– Majesté, voulez-vous que nous la décapitions pour la punir ?

– Non pas de tuerie sans l’aval du Siège. Ils leur appartiennent.

– Vous avez besoin de soins au plus vite !

– J’y vais de ce pas avec elle. J’attends qu’elle essaie de me convaincre d’épargner ses amis. Et oui petite, j’ai un certain statut ici, tu l’as compris. Je pourrais peut-être faire pencher la balance.

Mera cracha un peu de son sang par terre, défiante.

– Qu’on discute si ça te chante, si tu essaies plus je t’émascule.

– Quel vilain mot dans une si jolie bouche !

– Ma bouche va t’arracher les bourses, tu verras…

Les nobles se couvraient les lèvres, horrifiés par tant d’insanités et de menaces. Les dames portaient des coiffes aux perles d’or ou des épingles fleuries. Beaucoup avaient les cheveux ramenés en arrière d’une drôle de façon, ce devait être difficile à peigner.

Won-Zan sourit.

– J’aime ta témérité. Ici la plupart des femmes sont soumises. J’apprécie les forts tempéraments. Allons discuter dans mes quartiers privés.

Plusieurs gardes s’emparèrent de Mera qui flanqua un coup de pied dans les burnes du plus proche. Il s’écroula par terre.

– Pfft tu parles d’une armée de Chasseurs de Démons… Un homme reste un homme.

Elle consentit ensuite à le suivre. Maintenant qu’il avait vu qu’elle savait se défendre et qu’elle était certaine de ne pas rester seule avec lui, elle allait négocier leur libération.

Yasuko était sidérée. Elle détestait Won-Zan, cette petite venait de le remettre à sa place. Elle aurait aimé écouter leur conversation. Mais elle devait amener les autres dans leurs cellules.

Elle reprit donc son cheminement. Les cerisiers poussaient vers le quartier noble. Mais par ici les érables rougissaient le sol.

Elle ouvrit le battant d’un édifice en bois et en céramique, surmonté d’un toit Irimoya là encore. Ils furent séparés, chacun dans une cellule. Alcaste demanda à Yasuko :

– Pourquoi obéissez-vous au Siège ? – elle ne répondit pas – Je suis innocent ! Et si invoquer des Démons était réellement interdit, le Siège n’aurait pas instauré cette pratique.

Elle tourna enfin son Masque d’Oni grimaçant dans sa direction.

– Tu parles beaucoup trop.

– Ma remarque est fondée, admettez-le.

Elle ferma à clé.

– Pourquoi parlerais-je à des condamnés ?

– Alors je vais vraiment mourir ?!

– Certainement.

Elle repartait déjà avec ses hommes, Alcaste attrapa un pan de son kimono.

– Yasuko attendez !

Elle se retourna, les ficelles rouges encadrant son masque s’agitant aussitôt.

– Vous osez toucher la Commandante des Nentos…

– J’ose toucher votre pitié. Est-ce juste de nous condamner sans motif ?

– Les motifs appartiennent au Siège.

Jagen s’en mêla.

– Laisse tomber Alcaste. L’armée est aussi fidèle et stupide qu’un chien.

– Je m’y refuse ! Une voix aussi douce ne peut appartenir à une tortionnaire !

Confuse, Yasuko dégagea brutalement les doigts d’Alcaste qui la retenaient. Elle partit d’un pas vif avec ses hommes.

Jagen soupira.

– Et voilà… J’y suis de nouveau…

– De nouveau ? Attends, tu es déjà venu ?

– Oui. À l’époque ce n’était pas elle qui dirigeait. Et vu ses réticences, elle a dû être promu récemment.

– Peut-être qu’elle acceptera de m’écouter alors.

– Ne te leurre pas. Elle reste une Nentos.

Alcaste regarda les barreaux et glissa :

– Mais je croyais que les Nentos ne comptaient que des Chasseurs ?

– En fait non. À la base oui c’est vrai, c’était le cas. Mais ils se sont reproduits entre eux, il y a même eu des sangs-mêlés. Le Siège a tout d’abord éradiqué les enfants impurs. Mais c’est à ce moment-là que de nouvelles unions eurent lieu, entre le Siège et les Nentos.

– Comment se fait-il que tu en saches autant alors que tu viens de l’Azol ?

Jagen expira longtemps par le nez.

– Je sais beaucoup de choses sur ce monde. Je possède une bibliothèque pleine de renseignements sur vos coutumes, vos Rois, votre histoire…

– Ah je vois.

– Certains sont écrits dans ma langue mais d’autres le sont dans la vôtre. Comme ça je ne perds rien de mes acquis.

– Donc si je comprends bien, Won-Zan a de l’influence parce qu’il est le descendant d’un membre du Siège d’Arlor ?

– Exact.

– J’espère qu’on va s’en tirer…

– Je ne compte pas crever ici. Ils vont regretter de m’avoir attrapé une nouvelle fois.

– Tiens c’est vrai ça, comment t’es-tu enfui la dernière fois ?

Jagen sourit.

– Fais-moi confiance.

Les quartiers nobles étaient très différents de la Grande Place en pierre noire. Ici tout était un faste de rouge, de brun, des fleurs de cerisier rose semant leurs pétales au gré du vent qui jouait avec les larges manches. Les pavés étaient gris, en forme octogonale. Les lanternes suspendues devaient diffuser leur halo une fois la nuit tombée.

Mera n’avait pas dormi depuis longtemps. Ils avaient voyagé un long moment sous forme de Dragon. Néanmoins elle en prenait plein les yeux. Ce n’était pas le genre de paysages qu’elle voyait tous les jours. Des nobles se promenaient, leurs ombrelles couvrant leur jolie peau. Elle ne voyait pas de bijoux tape-à-l’œil, c’était plus subtil.

Une rivière courait à côté d’une berge pas très loin. Des gens prenaient le thé à l’ombre des arbres. Comment des Nentos pouvaient être si distingués et raffinés ?

Le plus gros édifice lui ouvrait ses portes. Le Palais de l’Empereur. Les mains toujours attachées dans le dos, Mera pénétra dans cette enceinte sacrée, légèrement intimidée. Tout était somptueux, grand, paré de mille couleurs avec du jade et de la porcelaine exposée divinement bien. Les yeux brillants, la bouche ouverte, elle absorbait tout ce luxe, tout cet espace, toutes ces soieries délicates, où qu’elle pose le regard. Ses petits crocs saillaient dans un ébahissement total qui ne fit que s’accentuer lorsque Won-Zu et ses groupies la précédèrent dans ses quartiers. Immenses, équipés de tout le nécessaire, mais surtout d’un balcon donnant une vue splendide sur les cerisiers en fleurs. Elle s’approcha du balcon, Won-Zu l’attrapa par l’épaule.

– Doucement, je ne voudrais pas que tu tombes. À cette hauteur tu pourrais te faire très mal.

Mera pensait autrement. Avec tous ces cerisiers elle pouvait amortir sa chute, même menottée. Elle connaissait la juste mesure de son agilité. Et pour le moment elle devait discuter avec lui.

Il la ramena à l’intérieur. Même là, l’odeur puissante des cerisiers embaumait la vaste pièce séparée par des cloisons en papier de riz. Les courtisanes prirent place et préparèrent du thé. Won-Zu prit ses aises en se faisant soigner la main.

– Qu’on ôte ses menottes.

Les soldats aux Masques d’Onis hésitèrent.

– Mais, Altesse, elle risque de vous attaquer de nouveau.

– Je prends ce risque.

Ils se regardèrent. Ils devaient se plier aux décisions de leur chef en devenir. Mais il s’exposait à un sérieux danger. Et si cette fille le tuait ? Non seulement ils finiraient décapités, mais en plus tout l’avenir de leur patrie serait compromis.

– Altesse, elle possède des facultés imprévisibles…

Mécontent, les oreilles de Won-Zu remuèrent. Ses pupilles verticales s’étrécirent.

– Vous souhaitez réellement me contrarier ?

– Non Altesse.

– Vous êtes censés être une armée redoutable. Ne me dites pas que vous craignez cette charmante jeune fille parce que l’un d’entre vous a reçu sa mauvaise humeur dans ses bijoux de famille ?

Ils ne voulaient pas l’admettre ouvertement, mais il est vrai que cette attaque surprise les avait déstabilisés. Muets, ils obéirent, prêts à la pourfendre au besoin.

Mera se frotta les poignets, ses épaules roulèrent quand elle les déboîta et les remit en place. Puis elle fit craquer ses vertèbres.

– Ça va mieux. Mais je ne vais pas dire merci. C’est votre faute si j’ai ces vilaines marques aux poignets.

Won-Zu lui prit ses mains. Elle faillit lui assener un coup de poing en pleine figure et se retint à grand-peine.

– Je regrette que ça se passe ainsi… En d’autres circonstances je suis sûr que nous aurions pu nous apprécier.

– Ouais c’est ça. Toi tu veux me sauter. Et moi je veux me barrer.

– J’ai beaucoup de mal à supporter le couteau verbal dont tu fais usage ma chère… D’ailleurs quel est ton nom ?

– Mera.

– Mera, c’est très joli ! Moi…

– …Won-Zu, oui je suis pas sourde. Bon, et si on négociait pour libérer mes amis ?

– Patience ! Tu viens d’arriver.

– C’est chouette chez toi. Je ne dis pas. Mais eux croupissent dans une cellule moisie.

– Elle n’est pas moisie.

– Ils sont quand même prisonniers. Je ne vois pas pourquoi j’aurais un traitement de faveur et pas eux.

– J’admire ta loyauté. C’est une qualité qui… n’existe que vers l’Empereur ou le Siège. Les gens entre eux se médisent bien vite, humains ou non, c’est du pareil au même.

Mera allongea ses pieds sur la table basse à côté du service à thé. Les courtisanes chuchotèrent entre elles mais ne dirent rien pour ne pas déplaire à leur Seigneur.

– Au fait, pourquoi tu as une face de renard ?

– C’est une question assez abrupte…

– Bah quoi ? Ton père est zoophile ou un truc comme ça ?

Won-Zu rougit sous le coup de son impertinence. Et ce langage cru lui plaisait tout à la fois.

– Non pas du tout. Certains d’entre nous ont des attributs animaux car l’Esprit du Grand Kitsune nous habite.

– Kitsune ?

– Renard.

– Comment ça marche la reproduction ? Parce que copuler avec un esprit ça doit être gazeux non ?

Les femmes se couvraient légèrement les lèvres, même les gardes la trouvaient grossière. Les oreilles de Won-Zu se dressèrent bien haut sous le coup de la surprise.

– Euh… Eh bien…

– Eh ben, ça vole pas haut… Tu sais même pas comment t’es né. M’enfin, ça me regarde pas. Bon tu veux parler de quoi, qu’on en finisse.

– Euh… As-tu toujours été ainsi ?

– Ainsi ? C’est-à-dire ? Franche ? Ouais.

– Si… brutale dans tes propos…

– Ouais.

Elle jouait maintenant avec la lame de son couteau en se curant les ongles. Les gardes la menacèrent une nouvelle fois, Won-Zu leva la main pour les calmer.

– J’ai du mal à concevoir une telle vulgarité, un caractère si entier… Tu as dû avoir des ennuis, non ?

– Bien sûr. Mais je ne vais pas me transformer en potiche pour satisfaire des cons.

Elle avait dit ça en regardant les courtisanes qui lâchèrent un hoquet indigné. Won-Zu sourit.

– J’ignore pourquoi, mais j’aime ça. Pas uniquement parce que ça me change de mes invités habituels. Il y a en toi une force que j’apprécie beaucoup.

– Ah ouais, t’es le genre de mec qui aime se faire dominer à coups de talons aiguilles c’est ça ?

– De quoi ?

– Laisse tomber. En gros t’es maso et tu aimes quand la femme domine.

Won-Zu faillit bégayer, rouge. Il accusa le coup. Ce qu’elle disait trouvait un certain écho en lui. Et obéir à une telle fille l’attirait beaucoup. Mera pouvait claquer des doigts pour qu’il la satisfasse à genoux. C’était honteux. Le fils de l’Empereur réduit à espérer qu’une condamnée à mort le mâte à la baguette… Qu’elle l’humilie, l’écrase, lui accorde ses faveurs selon son bon vouloir, un sourire mesquin sur le visage…

Mera croisa son regard avec une lueur désabusée.

– Flippant…

– Ah… Je suis le fils de l’Empereur, hum ! Ici les hommes dominent !

Mera changea de pied en croisant ses jambes sur la table basse. Le thé faillit se renverser. Les courtisanes le retinrent en lui jetant des regards accusateurs qu’elle ignora tout bonnement.

– J’ai comme l’impression que t’aimerais ça. Mais d’une force… Le truc c’est que j’ai pas besoin de larbin. Déjà qu’on a un fanatique des rousses dans l’équipe… Mais si tu libères mes compagnons, je t’autorise à lécher mes chaussures.

Le cœur de Won-Zu manqua un battement. Non il ne pouvait pas cautionner ça en public…

– Tu coucheras avec moi et j’intercéderai en ta faveur ! Vous tous, sortez ! C’est entre elle et moi !

Les gardes gémirent :

– Mais Altesse ! Elle est armée…

– Obéissez ! Et vous aussi !

Les femmes sortirent avec leur démarche veloutée, les gardes mirent plus de temps en jetant des regards inquiets. Won-Zu ferma les portes. Il était rouge et légèrement échevelé. Il s’approcha jusqu’à la surmonter de toute sa hauteur.

– Ce que tu as dit est… inacceptable.

Yeux mi-clos, Mera caressait la lame.

– Je ne me suis pas plantée.

– Tu n’as pas le droit de dire ce genre de choses devant tout le monde…

– Bouh, le fils chéri de l’Empereur est maso et soumis !

Il s’empourpra un peu plus, les oreilles baissées.

– Oui, j’avoue…

– Alors, ça tient ?

– J’aimerais plus.

– Faut le mériter pour ça et t’es tellement arrogant que t’auras rien.

Il s’agenouilla en face d’elle, posa ses mains à plat par terre, oreilles basses et appuya sa tête au sol.

– Je le demande humblement…

Mera appuya ses chaussures sur son dos.

– T’aimes ça, pas vrai ?

Il sentait le poids de son autorité sur son dos et en redemandait.

– Je sais, c’est étrange !

– Hum… Et si je disais à tout le monde que c’est ta grande passion ? Tu crois que ton père apprécierait ? Je crois pas, tu m’as dit qu’ici les hommes dominent. Il te déshériterait, pas vrai ? – une perle de sueur coula jusqu’à son menton – À moins bien sûr que tu nous fasses tous libérer.

– Je… je ne sais pas si j’y parviendrai…

– Quoi, t’as fanfaronné ?

– Pas exactement, j’ai bien un statut mais…

– Y a pas de mais. – elle frappa ses deux pieds au sol, lui prit le visage pour le remonter devant le sien – Tu vas m’obéir au doigt et à l’œil. Je vais te dresser tu vas voir…

Won-Zu sentit l’excitation le gagner à ces mots. Pourtant il avait goûté à bien des femmes, mais celle-ci le domptait, le dominait malgré sa petite taille. Il avait envie d’être sien, son esclave, qu’elle lui fasse tout ce qu’elle voulait… L’admettre était enivrant. Et cette résolution et ce mépris tout à la fois qu’elle lui adressait, faisait bouillir son sang.

– Bien… Maîtresse…

Elle tapota sa tête entre ses oreilles.

– Bien, tu apprends vite…

*

Lyre se réveilla et s’étira en bâillant. Décoiffée, elle se leva et s’habilla, encore tout ensommeillée. Elle bâilla encore devant le miroir de pied en nattant ses cheveux flamboyants. Ses yeux marron lui renvoyèrent des interrogations muettes. Ce qu’elle n’avait pas pu découvrir. Tout lui revint. Son immersion dans le livre, Velvet…

Résolue, elle se rendit dans la petite cuisine dont le bar officiait de support pour la cafetière, le journal. Ankis se toilettait tranquillement.

– Ankis ! Il faut que je te parle du livre que j’ai emprunté cette nuit.

– Tu devrais manger. Du café ?

– Non merci, c’est trop amer.

– Plus rarement Maître Jagen boit du thé, il doit en rester…

Elle bondit sur un établi et s’appuya sur ses pattes arrière pour désigner l’étagère en joli bois en haut. Lyre saisit la poignée toute ronde et jeta un œil pour voir. Effectivement, il y avait une théière légèrement fissurée aux cerisiers fleuris, des oiseaux orange clair sur les branches. Tout un assortiment avec de jolies petites tasses et soucoupes. Lyre s’en empara timidement.

– Pourquoi est-elle fissurée ?

– C’est une très longue histoire.

– Je suppose que tu ne veux pas en parler ?

– Pour faire court, elle m’appartenait. – Lyre la reposa aussitôt – De là où je viens, les traditions se mélangent entre porcelaine et fonte.

Lyre devina :

– Tu es une Nentos…

– Exact. Je l’étais tout du moins. Une Chasseuse sous les ordre d’Ibara, notre chef. Mais je suis tombée amoureuse de son prisonnier. Et je l’ai aidé à s’enfuir. – elle leva les oreilles, ses yeux bleus tournés vers le placard sans le voir – Et je vais recommencer car il y est…

– Comment ça ?

– Jagen s’est fait enfermé à Nenya. Je dois le secourir, comme la dernière fois.

– Tu peux franchir notre monde comme il te plaît ?

– En dernier recours seulement. Jagen a besoin de moi.

– Et moi ?

– Tu n’as pas de corps. Ici on peut dire que ton âme s’est solidifiée. Vois ça comme ça, ce sera plus simple.

Ses queues s’agitèrent. Elle trottina hors de la cuisine dans le couloir, tout au bout. Sa chambre. Elle posa sa tête contre la porte qui s’ouvrit aussitôt. Lyre la suivit, curieuse. À l’intérieur elle vit un tableau immense qui couvrait une bonne partie du mur. La lumière qui entrait n’était pas colorée par l’automne mais l’hiver. De fins flocons moutonnaient dehors. Lyre était sur le pas de la porte, incapable d’entrer. Le tableau peignait Jagen et une superbe femme aux yeux bleus bridés, les cheveux noirs. Tous deux s’enlaçaient dans le même lit, souriant au peintre. Lyre sentit l’amertume et aussi la tristesse l’accaparer. Cette fois elle était vraiment triste pour Ankis. Parce qu’elle voyait son ancienne enveloppe. Elle était condamnée dans la peau d’un chat. Et ça aurait pu être elle… Cette dernière saisit un collier rouge orné d’un grelot en argent étincelant dans sa gueule.

– Peux-tu le nouer ? D’habitude c’est Maître Jagen qui s’en charge. Je ne suis jamais partie toute seule.

Lyre lui attacha.

– Ankis, es-tu certaine que tu peux le faire ?

– La question n’est pas de savoir si je peux. Je le dois. Les Nentos sont cruels. Il risque sa vie. Et je pense que les personnes dont tu m’as parlé sont sans doute avec lui.

Lyre laissa sa main quelques secondes dans le pelage couleur charbon.

– Tu comptes affronter une armée à toi seule ?

– Je suis devenue une Démone, ne l’oublie pas.

Elle se demandait comment justement. Mais Ankis avait l’air pressée. Un cercle apparut sous elle.

– Je reviendrai ne t’en fais pas. À bientôt.

Lyre n’en était pas si sûre. Elle se demandait si ce n’était pas la dernière fois qu’elle la voyait…

*

Lorsqu’elle rouvrit ses prunelles de saphir, il pleuvait. Elle était sur un toit avec une jolie vue sur les érables qu’elle affectionnait. La nostalgie la gagna aussitôt. Ainsi que la mélancolie. Elle se revoyait sous sa forme humaine, les mains de Jagen courant dans son kimono. Elle se souvenait de la chaleur de leur couche quand cette même pluie trempait le monde. Leur souffle se mêlait et leur passion s’embrasait. Leurs deux chevelures s’entremêlaient à l’unisson dans une ribambelle de soie noire. Elle se souvenait de lui, enfoncé entre ses jambes, leurs kimonos bleu et rouge à moitié défaits. Sa bouche au creux de ses seins, parcourant son corps, la dévorant tout entière. Ses crocs fichés dans son poignet et sa cadence profonde.

Le désespoir gagna Ankis. Parce que c’était dans cette cité flottante qu’elle avait connu tout cela… Elle perdait du temps à se remémorer cette extase qu’elle ne connaîtrait plus… Elle devait libérer Jagen au plus vite.

Jagen soupira une nouvelle fois. Alcaste n’avait pas bronché depuis un moment.

– Eh quartier de lune, ça ne va pas ?

– Comment voudrais-tu que ça aille ? Mes Monstres se sont fait tuer, nous sommes condamnés à mort d’après Yasuko…

– Tu en trouveras d’autres.

– J’y tenais ! C’étaient mes Monstres ! Je les ai capturés moi-même !

– Si tu avais écouté Evarius…

– Quoi ?

– Il t’a crié de ne pas faire ça.

Dans le feu de l’action, il n’y avait pas prêté attention. Alcaste se recroquevilla d’avantage sur lui-même.

– Peut-être qu’il va venir nous sauver…

– Je ne connais pas assez ce Chaman. Mais toute personne sensée ne se risquerait pas ici.

– Je suis son ami…

– Et après ?

Le bruit d’un grelot délicat se rapprocha. Jagen se redressa, incrédule. La fourrure noire se hâta jusqu’à lui.

– Ankis…

– Je suis venue te libérer.

Elle essaya de crocheter la serrure, opération qui échoua. Après quoi elle posa ses coussinets sur le métal qui fondit. Jagen sortit. Alcaste s’exclama :

– Et moi ?!

Ankis lui adressa un regard froid.

– Maître Jagen ne s’encombre pas d’êtres humains.

Alcaste n’osait y croire. Mais le Démon la contraria :

– J’aimerais que tu le libères.

– Jagen… Tu n’es pas sérieux…

– Si, je le suis.

– Je ne te reconnais plus…

– Brise mes menottes, je m’en charge.

Ankis essaya de les briser, mais son pouvoir ne suffit pas. De fait, elle accorda au quartier de lune la liberté. Alcaste déclara :

– Nous devons sauver Mera avant de partir.

Ankis objecta :

– Certainement pas ! Si elle n’est pas ici, je ne vois pas pourquoi nous prendrions des risques supplémentaires.

Bien que menotté, Alcaste conservait sa noblesse de cœur.

– Je refuse de laisser périr la moindre rousse !

Jagen dit :

– Si au moins nous pouvions défaire ces menottes magiques…

Ankis baissa légèrement les oreilles. Elle ne comprenait pas pourquoi Jagen s’attardait sur le cas de ces deux personnes. Non, de ces trois personnes, il avait sauvé Lyre également. En tout cas, elle devrait suivre ses décisions même si elles ne lui plaisaient pas…

*

Dans la chambre d’Ankis, Lyre fouillait pour en apprendre plus sur elle. Elle trouva toute la collection des Mémoires d’Ignus. Elle ouvrit un tome au hasard et choisit une page.

« …et j’ai planté la tête de Feliel sur un bâton pour en faire ma marionnette ! C’était excessivement drôle ! J’ai pu tenir de longues discussions avec lui ! Il était plus bavard mort que vif ! Bon, j’avoue que Salaün ne connaît pas tous les détails, déjà qu’il m’en veut d’avoir tué son père… En même temps, s’il m’avait laissé entrer sans histoire, il n’aurait peut-être pas fini sur une pique ! Enfin peut-être, je ne sais pas trop. »

Lyre s’interrogea. Tout le monde s’arrachait ça ? Vraiment ? Qu’y avait-il de palpitant là-dedans ?

Elle ouvrit un autre ouvrage.

« Ma lutte avec les Lapins Zombies est une longue épopée que je me dois de transcrire ici. Azaroth est chargé de ne pas faire de fautes, car moi, ce n’est pas encore ça. Et puis il faut bien que quelqu’un fasse tout le sale boulot pour immortaliser mes aventures ! N’allez pas croire que cette histoire est fictive, je l’ai vraiment vécu dans ma tête ! Comment ça dans ce cas elle n’est pas réelle ?! Azaroth, garde tes commentaires ! Quoi tu es en train d’écrire ? Bon tant pis, tu laisseras ça dans l’impression, ça grossira le livre. »

Lyre allait abandonner lorsqu’elle tira le cinquième volume des Mémoires d’Ignus. « Tome 5, entre Azol et Enfer » Elle commença au début.

« Après toutes ces péripéties, les anciens Inquisiteurs qui se sont mis à bouffer, violer et dépecer tout le monde ; mon aventure en tant que Roi déchu, Shelzar n’existant plus… Oh et puis non, comment pourrais-je être sûr que vous avez lu et surtout acheté le tome précédent ?! Vous imaginez le travail que ça représente ?! Non ?! Demandez à Azaroth combien de litres de café il ingurgite pour tenir ma verve si brillante ! J’ai dit verve ! Pas verge ! Bande de cochons !

Hum ! Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, à l’instar de mon beau grand-père, l’illustre Elgendir Yveldir, l’Elfe Légendaire, j’ai moi aussi voyagé de monde en monde. Dont un. Je me dois de le noter parce que j’ai passé de bons moments dans le coin. Nofelna m’en veut toujours pour ça, ah les femmes… Je crois qu’elle aurait préféré que je l’emmène. Quoi que non, vu son état à ce moment-là, que je reste. Oui sans doute. Mais vous me connaissez, je me dois en tant que héros d’apporter mon aide partout où je passe. Azaroth arrête de me regarder comme ça ! Si j’ai tué des Shelzariens, c’est parce que… Je suis fou, tu le sais bien ! Quoi non ?! Tu écris ça aussi ? Bon ça ne fait rien.

Bref, j’ai décidé d’y aller. C’était un monde bizarre que l’Azol dépeignait comme l’Enfer. Je suis arrivé là-bas et ils avaient des idées bizarres à vouloir invoquer des forces qui les dépassaient. Et le pire c’est qu’ils les nommaient Démons, on est d’accord, ils cherchaient les ennuis ! Dans ce monde, j’ai fait la connaissance d’Ankis et Jagen qui sont devenus de bons amis. Nous avons fait équipe ensemble. Une sacrée aventure ! »

Lyre répéta :

– Ignus…

Elle avait vu ce nom ailleurs dans la pièce. Sur une table, sous un socle de verre, des roses orange embrasées flottaient sans jamais s’éteindre.

« En cadeau, tant que votre amour durera, ces fleurs ne s’éteindront jamais. »

Lyre sentit l’amertume revenir. Jagen aimait toujours Ankis, ça ne faisait aucun doute. Les têtes de rose brûlaient doucement, les pétales restaient intacts tout en se consumant. C’était un présent étrange et beau. Ignus était un excentrique, mais ce cadeau ne manquait pas de romantisme.

Une image les représentait tous les trois. Ignus avait de grands yeux violet et un sourire amusé sur son visage de psychopathe. Des cheveux roux et un costume de Mage des plus voyants, mêlant orange, rouge, vert, doré… Un léger bouc. Ce n’était pas un dessin, c’était comme si le papier tout lisse avait capturé leur image. D’autres personnes qu’elle ne connaissait pas se disputaient le cliché.

Lyre le reposa. Peut-être qu’elle devait commencer à bouquiner depuis le début pour comprendre. Elle reprit le Tome 1 et le commença. Ignus parlait de sa condition de prisonnier dans une cellule dont le toit égouttant un ploc-ploc constant l’avait rendu fou. Sa claustration avait duré plus de 10 ans. Lyre envisageait plus facilement sa démence en lisant ça. En attendant le retour d’Ankis, elle avait de quoi s’occuper…

*

Won-Zu humait les chaussures de Mera, rouge. Ses lèvres s’égaraient sur le cuir, sa queue blanche s’ébouriffait sous la sensation de son impérieuse autorité. Lorsque sa langue le lapa, elle le regarda, un peu écœurée. Il en retira une grande satisfaction. Se faire humilier ainsi… Sa vigueur picotait son bas-ventre. Oreilles basses, il subissait sa propre érection, muselé sous l’autorité de sa maîtresse.

– C’est bon t’as fini ?

– Presque…

Elle écrasa son doux visage sous sa botte.

– Presque, Maîtresse.

– Pardon… Maîtresse…

– J’aime mieux ça. – elle se releva, bras croisés – Va parler à Valsius.

Cet instant était trop bref. Mais il obtempéra et se releva. Mera l’attrapa par un pan de son kimono et le tira vers elle. C’était une situation curieuse car elle devait mesurer environ 1,65m et lui 1,78m.

– Débarbouille-toi, t’es pas présentable !

– Bien Maîtresse…

Il allait demander de l’eau chaude et se prit un coup de pied aux fesses.

– De l’eau froide suffira, aller bouge !

Elle craignait qu’une trop forte pression change la donne si trop de gens découvraient son travers. Won-Zu obéit, grisé par son attitude implacable. Puis il sortit avec Mera s’entretenir avec Valsius. Elle ne manquait pas de culot, aux yeux du Membre du Siège d’Arlor, elle croupissait en prison. De fait, quand il la vit arriver, il en bégaya presque.

– Won-Zu… Comment se fait-il que cette demoiselle soit à vos côtés ?

Mera nota qu’il le vouvoyait, ce qui signifiait que dans la hiérarchie, Valsius ne représentait rien. Si un sang-mêlé méritait autant de déférence sans pour autant vivre au Siège… qu’en était-il pour les autres ?

– Valsius, je viens discuter de la libération des prisonniers.

– Je constate que vous ne vous êtes pas privé pour en libérer une sans mon assentiment.

– Certes… Mais elle le mérite.

– Ne me dites pas que vous voulez coucher avec ? Il y a quantités de femmes à votre disposition.

– Il ne s’agit pas de cela.

Valsius passa une main sur son visage huileux.

– Oh non, pas de l’amour tout de même…

– Certainement pas ! – il reprit son souffle, plus ferme – En tout cas je vous demande de libérer les autres.

– N…Non… C’est une décision unanime…

Mera le poussa en appuyant sa chaussure dans son dos.

– Il fait dans son froc. Ordonne et il t’obéira.

– Je vous ordonne de libérer les prisonniers !

– M…mais… Cette jeune fille altère votre jugement… Vous ne pouvez décemment pas exiger cela…

– Vous osez me contredire ?!

Les doigts de Valsius se rejoignirent, nerveux.

– Je ne souhaite pas courir le risque de me faire exécrer par mes pairs…

Plusieurs choix s’offraient à lui. Mais il devait faire vite car la situation tournait en sa défaveur. Et puisqu’il perdait pied, il somma :

– Gardes ! Attrapez Won-Zu et la fille !

– Mais Seigneur…

– Il est prêt à mettre le Siège en péril en libérant des fugitifs très dangereux !

Mera dégaina plus vite que son ombre. Sa lame vint rencontrer la peau du cou du fils de l’Empereur.

– Reculez. Maintenant on fait à ma manière. Si tu me contraries je lui tranche la gorge.

– Vous n’oseriez pas… – tenta Valsius.

Elle appuya la lame, de sorte qu’une goutte de sang la mouille.

– Non tu crois ? À ta place je resterais sage. Pour moi il ne représente rien. Pour vous par contre… Il est le fils de l’Empereur d’ici et sa mère fait partie du Siège si j’ai bien tout compris. C’est une femme plus gradée que toi. Et une mère protège toujours sa progéniture. Si je le tue, tu auras tous les Nentos possédés par l’esprit du Kitsune qui te tomberont dessus, vu comme il est aimé. Mais c’est rien par rapport à ce que sa mère pourrait te faire…

Yasuko tourna son visage masqué vers Valsius, attendant ses ordres. Il leva les mains.

– Très bien, ne nous énervons pas… Nous allons trouver un compromis.

– Que dalle. Tu libères mes potes ou je le bute.

– Bon, bon… Peut-on deviser tous ensemble autour d’une tasse de thé, le temps que le Siège soit au courant ?

– Tu te fous de ma gueule ?

– Euh… Bon…

Yasuko prit la parole.

– Je pense que nous devrions obtempérer, Seigneur.

– Yasuko, reste à ta place !

Mera le contredit.

– Laisse-la parler, gros tas de graisse ! Elle te doit rien !

– Les Nentos nous doivent tout au contraire ! Et je t’interdis de m’appeler ainsi !

– Le trône est branlant, je crois qu’il va bientôt casser.

C’en fut trop, rouge, il cria :

– Gardes, tant pis si vous blessez Won-Zu, tuez-la !

Ils hésitèrent, indécis. Yasuko le contra :

– Ne l’écoutez pas, notre loyauté va à l’Empereur avant tout !

– Oui mais c’est un Membre du Siège…

– Nous n’avons aucune preuve que le Siège soit prêt à sacrifier l’un de ses enfants !

– Oui… C’est vrai…

Valsius s’énerva et usa d’une Magie lumineuse pour frapper Yasuko. Son Masque d’Oni se cassa, du sang coula sur son visage. Mera le détailla très bien. Des pommettes hautes, des yeux noisette assez espacés, un nez plutôt large et une bouche fine, le tout dans un visage oblong au menton très pointu.

Dans le même temps, elle avait envoyé un couteau de lancer que Valsius n’eut pas le temps d’esquiver. Il se ficha dans sa main, s’enfonçant dans l’accoudoir du trône. Il hurla. La Voleuse s’enfuit vers la prison. Yasuko, bien que blessée, lui courut après, suivie par un quart de ses hommes, les autres étant trop désorientés pour choisir leur camp.

L’alarme retentit à Nenya. Un son grave et assourdissant. Mera songea qu’ils étaient rapides. Elle se rendit à la prison avec son otage et trouva ses amis tout près avec un chat noir à neuf queues. Les Nentos étaient prêts à les écharper, mais Yasuko s’y opposa.

– Ne faites rien, Won-Zu pourrait être blessé.

– Mais Commandante, nous pouvons attaquer les autres.

Sa main restait devant eux, la mine sévère. C’est alors que la raison de l’alarme fit son apparition. Un énorme griffon qui rasa le sol en emportant ses proies entre ses serres et son bec. Les Nentos tentèrent d’agir. Mais ce dernier faucha Yasuko et partit une fois tous les membres au complet.

Sans elle, fabriquer le Dragon serait encore plus long. Hébétés, ils ne purent que contempler l’animal s’éloigner à toute vitesse.

La créature plana un long moment. Jusqu’à atteindre une forêt dense. Elle se laissa emporter et changea d’apparence une fois à proximité du sol. Tous tombèrent. Jagen et Alcaste qui étaient toujours menottés, se cassèrent la figure au sol une nouvelle fois.

Le Griffon avait changé de peau pour redevenir le Chaman Evarius. Yasuko se plaça en position d’attaque, ne sachant pas très bien quoi faire d’autre en pareille circonstance. Jagen maugréa :

– Pourquoi l’as-tu prise avec nous ?

– Encore une fois, ton manque de gratitude m’exaspère…

Alcaste partageait son avis.

– C’est vrai, Evarius nous a sauvés une fois encore.

Yasuko tiqua :

– Evarius, le Chaman recherché par le Siège… Celui qui rapportera une belle prime à quiconque l’attrapera…

L’intéressé plongea ses prunelles surnaturelles dans les siennes.

– Je vous ai amenée avec nous car votre cœur n’est pas complètement endoctriné par le Siège.

– Je le savais ! – s’exclama Alcaste.

Yasuko porta la main à son katana.

– Ma fidélité reste à mes créateurs !

– C’est ce que vous dites, pourtant vous n’en êtes pas certaine tout en le prêchant. Je pense que vous extraire à vos obligations vous fera le plus grand bien.

– Mon armée viendra me chercher ! Et je leur ramènerai votre tête !

Mera tenait Won-Zu par les cheveux.

– Déconne pas ou je le tue. Tu as compris les enjeux. Me pousse pas à me débarrasser de mon esclave.

– Votre esclave ?

– Ouais. Il est ultra soumis et a même léché mes chaussures. Je pense investir dans un bâillon à boule.

Won-Zu était encore plus humilié maintenant qu’elle l’avait révélé. Lorsque sa lame avait mordu sa gorge, il en avait éprouvé un tel plaisir qu’il s’était senti défaillir. Il pouvait bien mourir pour la satisfaire. Et l’idée du bâillon le rendait tout chose…

– Won-Zu, est-ce vrai ?

Rouge, oreilles basses, il hésita avant de confirmer ses dires.

– Oui je l’avoue ! Je lui suis dévoué et attendrai patiemment mon prochain châtiment !

– Châtiment… Cette fille vous a jeté un sort…

Mera lâcha ses cheveux.

– Ah non non, il était déjà comme ça. C’est juste qu’il le cachait.

Yasuko n’en revenait pas.

– Je connais Won-Zu depuis de longues années et jamais il ne s’est protesté devant quiconque hormis son père.

Mera prit sa réflexion avec amusement.

– Wouaw, s’il faisait pareil avec son vioc, m’étonne pas qu’il aspirait à un peu de changement… L’inceste ça ravage le cerveau. Bon j’suis pas sûr qu’il en ait un en état fonctionnel, mais quand même.

Yasuko sentit son corps se tendre sous l’effet de propos si outranciers.

– Votre langage est une insulte aux oreilles de tous !

– Mouais à ce qui paraît. Enfin, merci Evarius. Tu nous as tirés d’un mauvais pas. Deux fois, j’oublierai pas de payer ma dette.

– Je t’en prie. Je vous avais dit qu’il fallait me faire confiance.

– Ouais, t’es réglo comme mec, j’aime ça.

Won-Zu enregistra l’information. Elle aimait les hommes qui tenaient leurs engagements. Les queues d’Ankis s’agitèrent.

– Mais c’est moi qui ai sauvé Maître Jagen !

Mera se pencha vers elle.

– Oh je t’avais même pas remarquée.

Vexée, Ankis lui mordit la cheville, mais avec ses chaussures renforcées, Mera ne sentait rien.

– Quoi, tu veux jouer c’est ça ? Les chats qui parlent aiment les mêmes choses que les chats ordinaires ?

Elle sortit une pelote de laine. Ankis transpira à grosses gouttes pour se contenir, toutes ses queues tendues, fouettant l’air. « Ne te laisse pas avoir, ce n’est qu’une stupide boule de laine ! »

– Attends je vais t’aider.

Elle donna un petit coup de pied dans la pelote.

– Mew !!

Malgré elle, Ankis se jeta dessus et mordit le fil rose foncé avec conviction.

– Ah ouais, ça reste bien un chat en fait.

Ankis avait le museau bleu de honte. Jagen se cachait la figure. Il l’avait vue se rabaisser à un comportement purement félin. Evarius les interrompit.

– Je n’ai pas eu le temps d’évoquer tout ce qu’un Transfert implique. Jagen, je pense que tu as dû remarquer que tu as quelque peu changé.

Le Démon se rappela qu’il s’était soucié du sort d’Alcaste, ce qu’il n’aurait jamais fait en temps normal.

– Oui, c’est vrai…

– C’est également le cas de Lyre. Vos deux personnalités sont influencées par l’autre. Je pense que ton dernier Transfert était bref, ce pourquoi tu n’en as pas fait les frais.

– En gros je me… bonifie ?

– Pendant que Lyre s’assombrit.

Il retira sa main de devant son visage.

– Ankis, tu as laissé Lyre toute seule dans l’Azol ?

– Oui, je devais venir te secourir.

– Qui va la surveiller maintenant ?

– Elle n’est pas stupide ! Elle ne sortira pas !

Mera demanda :

– Comment va-t-elle ?

– Bien, hormis un intérêt poussé pour les livres que nous possédons.

– Ça me rassure…

– Moi aussi ! – avoua Alcaste – Nous devons la récupérer au plus vite ! Evarius, vas-tu nous aider à présent ?

– Si je ne le fais pas, vous resterez coincés à jamais dans l’enveloppe de l’autre. Au point de perdre votre personnalité.

Yasuko s’y opposa.

– Un Transfert est strictement interdit par le Siège !

Le Chaman laissa peser sur elle son regard ensorcelant.

– Le Siège qui l’a pourtant pratiqué et instauré dans ses manuels. Je crois que vous devriez remettre en question ce que l’on vous a appris.

Il s’assit en tailleur et demanda à Jagen de s’allonger sur le sentier caillouteux. Il s’exécuta, pressé d’en finir avec le regret toutefois de ne pas avoir pu en profiter…

– Vous autres, reculez.

Yasuko obtempéra de mauvaise grâce. Elle ne savait même pas pourquoi elle lui obéissait. Peut-être que ses propos trouvaient un écho en elle ?

Une mandala blanche apparut, libérant des papillons éphémères. Evarius tendit son bâton qui clinqua. Il se mit à parler dans une autre langue, profonde. Très vite elle devint litanie. Les mandalas se multiplièrent comme une essence qui se détachait de la première en tournoyant. Jagen se sentit mourir. Ça n’avait rien à voir avec la dernière fois… On l’arrachait de cette chair à laquelle il s’était habitué. La peur l’envahit. Il comprit ce que ressentaient les mortels en cet instant.

Lyre lâcha son livre. La tête lui tourna. Le monde devint bancal, elle se sentit tomber. Dans un gouffre sans fond et très noir. Un trou trop profond. Les images étaient floues, indistinctes.

Quand enfin elle reprit conscience, elle était allongée dans une forêt avec de nombreuses personnes autour d’elle.

Mera fit un signe victorieux, enjouée.

– Salut ! Ça fait un bail !

Alcaste se jeta sur elle.

– Lyre ! Comme je suis heureux de vous revoir !

– Doucement, tu m’étouffes… Moi aussi je suis contente de tous vous revoir.

Et puis, il était là lui aussi… Avec sa longue chevelure noire, ses yeux rubis et son air bourru.

– Bon retour parmi nous…

– Merci !

Elle ignorait tout ce qui s’était passé, en tout cas elle était de nouveau dans son monde, dans son corps. C’était l’essentiel. Même si Ankis était là également…

*


Texte publié par Mishakal Yveldir, 21 août 2017 à 09h52
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