Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 1 « Chapitre 1 : Pacte » tome 1, Chapitre 1

Chapitre 1 : Pacte

Des hommes armés pourchassaient Lyre à travers les ruelles escarpées de Topo. Un jeune homme la tirait toujours plus au sud pour qu’ils s’échappent au plus vite.

Elle avait des nattes rousses, des yeux marron et un nez retroussé vers le haut au-dessus d’une bouche fine. Des taches de rousseur constellaient son visage. Une chemise beige, un corsage vert, une veste lilas, une jupe marron et des bottines assorties ; toutes ces couleurs ne manquaient pas d’attirer l’attention. Ses mitaines blanches s’ornaient d’un cercle rouge sur le dessus. Et le jeune homme l’entraînait fermement à sa suite. Vêtu exclusivement de noir, des cheveux de jais et des yeux rubis, quelques poils au menton.

Des flèches passèrent très près d’eux. Il la tira contre lui et la souleva dans ses bras pour se remettre à courir plus vite. Un bout de flèche lui perfora l’épaule, mais il ne ralentit pas.

Après un long moment, il réussit à les semer et déboucha dans une forêt dense. Il déposa Lyre et pesta en constatant que sa chemise était trouée. La jeune fille s’en inquiéta.

– Vous souffrez ?

– Oh ça ? Ça va guérir tout seul. Par contre je ne sais pas coudre, c’est embêtant.

– Je suis plus douée en invocations qu’en couture, je regrette…

– Et avec tout ça nous n’avons même pas fait les présentations.

– Ah pardon ! Vous avez raison ! Je m’appelle Lyre. Et vous êtes Jagen c’est bien ça ?

– Vous m’avez invoqué sans en être certaine ?

– En fait vous êtes mon premier Démon…

– Ah… je n’aime pas les novices…

– Pardon…

Tout s’était passé très vite. Lyre avait pris la décision de s’attaquer à un gros morceau, les autorités avaient senti la menace et lui avaient ordonné de se rendre. Pour aggraver son cas, elle avait fui avec lui.

Mains sur les hanches, Jagen fixait les chemins qui se dispersaient dans la forêt.

– Quelle est la mission qui m’incombe ?

– C’est délicat…

– Je ne vais pas attendre qu’il fasse nuit pour savoir pourquoi je suis là.

Lyre tripota ses doigts, nerveuse.

– Une… Une vengeance !

Elle n’avait pas l’air convaincue elle-même, mais le Démon s’en contenta.

– Bien, quelle est la cible ? Histoire qu’on en finisse et que je retourne chez moi.

Lyre était déçue qu’il souhaite déjà partir.

– Le Roi.

– Le Roi ? Quel Roi ?

– Arold Nenkiark.

– Avec un nom pareil… – grinça-t-il entre ses dents – Bon très bien.

– Vous ne me demandez pas pourquoi ?

– Les motivations humaines ne me concernent pas. Vous connaissez le procédé ?

– Oui, je dois vous donner mon sang pour vous conférer ma puissance.

– Oui. Alors allons-y.

– Maintenant ?

– Quand sinon ?

– Ne pourrions-nous pas trouver un abri avant ?

Sans plus de considération, il s’empara de sa main et mordit son poignet. Lyre gémit en se tortillant. C’était plus douloureux qu’elle ne l’avait cru ! Jagen se lia ainsi à elle. Les mitaines brillèrent alors, ils étaient scellés l’un à l’autre le temps de remplir le contrat. Lyre trouvait ce contact très intime et la beauté du Démon ne faisait que renforcer cette impression.

Mais alors qu’elle rêvassait, un friselis dans les fourrés laissa une silhouette en surgir. Une jeune fille, rousse elle aussi, de taille moyenne. Elle était fort peu vêtue, les cheveux sur sa nuque en bataille. Des yeux bleus, pas de maquillage et de petits seins. Deux pièces d’armure en cuir couvraient sa pudeur, assorties à une écharpe du même rouge sombre, ainsi qu’une ceinture, de longs gants en cuir et des sandales lacées jusqu’aux genoux. Une lanière en cuir encerclait son front.

– Oups, je ne voulais pas vous déranger ! Vous pourriez faire comme si vous ne m’aviez pas vue ?

Jagen n’y vit pas d’objection particulière. Lyre ajouta :

– Si vous pouviez en faire autant…

– Vous en faites pas ! C’est après moi qu’ils en ont !

Elle ramassa son énorme sac et le hissa sur son dos avant de repartir en courant. L’hallali sonnait dans les bois. Jagen reconsidéra la situation.

– Peut-être que nous devrions trouver un endroit plus reculé pour nous mettre à l’abri.

– C’est ce que je m’efforce de vous dire !

Indifférent au poignet sanguinolent de sa contractante, Jagen la tira brutalement dans une direction qu’il jugeait fiable. Elle trébucha, il pesta et la souleva pour se dépêcher.

L’odeur des armes envoûtées pour le réduire à néant agressa ses narines. Jagen quitta la forêt de Topo pour arpenter une route. Il déposa Lyre et marcha normalement.

– Qu’est-ce que vous faites ?

– Trimballer une humaine en courant ne passe pas vraiment inaperçu…

– Ah oui… En effet…

– Vous êtes sûre d’être diplômée en Invocations ?

– Ne vous moquez pas !

– Je ne vous ai pas traitée de gourde que je sache. Et même si je le pense je ne l’ai pas dit.

– Vous venez de le faire !

– Non je le pense c’est tout.

Rouge, Lyre le suivait en laissant un bon mètre entre eux. Des hommes finirent par sortir de la forêt mais rebroussèrent chemin. Personne en fuite ici et une autre voix criait qu’ils avaent trouvé sa trace dans la forêt.

Jagen commenta :

– Finalement les soldats en ont bien après la voleuse.

– C’était une voleuse ?

Jagen grogna.

– Pourrions-nous honorer ce Pacte au plus vite, que je rentre chez moi ?

Vexée mais curieuse, Lyre demanda :

– C’est comment chez vous ?

– Comment c’est ? Comme partout, une petite maison, un familier…

– Mais ce doit être différent en Enfer, non ?

– Enfer, Enfer… C’est un mot simpliste. Pour nous l’Enfer c’est chez vous. Il y a toujours un imbécile pour nous déranger.

– Et comment vous occupez-vous ? Pas de conquête du monde ?

– C’est ringard… Je bois mon café devant mon journal, mon chat sur les genoux.

– Oh vous avez un chat ?

– Oui, noir avec cinq queues. Une vraie peluche !

Lyre laissa échapper un petit rire. Jagen s’en offusqua.

– Quoi ?!

– Non rien ! C’est juste d’imaginer un Démon comme ça… C’est… vraiment adorable !

– Elle est toquée celle-là… Vivement que je rentre…

Leur marche dura longtemps. Lyre ne s’en plaignit pas, bien qu’elle fatiguait beaucoup. Ils trouvèrent une petite auberge qui accueillait les voyageurs en attendant d’atteindre Koral, dont les clochers perçaient le ciel.

Ils burent du jus d’orange, enfin Lyre but pour deux. Jagen lui, opta pour un alcool à base de mélisse que seuls les connaisseurs pouvaient apprécier. Ils mangèrent un plat de viande imprégnée de fruits sucrés, c’était fameux. Puis ils prirent une chambre, tout cela sur la note de Lyre dont la bourse n’était pas négligeable.

– Ne regardez pas ! – somma-t-elle en se déshabillant.

Jagen se tourna pour la forme, non sans lâcher :

– Pour ce qu’il y a à voir…

Lyre explosa.

– Vous êtes lié à moi pour l’heure, alors vous devez me respecter !

– Si je ne vous respectais pas je serais déjà reparti.

– Le Pacte vous l’interdit !

– Il n’y a pas que des Démons honnêtes. Certains repartent avec leur contractant sans remplir leur part du marché. Et ce qu’ils font en bas peut choquer la morale.

– Mais c’est horrible !

– Ce qui est horrible c’est votre caractère niaiseux qui sent la guimauve à plein nez !

– Quelle insolence !

– C’est bon, votre absence de seins est hors de ma vue ? Merci de préserver mes yeux de cet art abstrait !

Lyre se jeta sur l’oreiller, morose. Jagen s’allongea sur le plancher poussiéreux sans faire de commentaire. Au moins il se taisait, ça faisait du bien. Mais elle était tellement énervée que le sommeil ne venait pas. Elle tourna et vira.

– Vous devriez penser à ces pauvres lattes qui souffrent sous vos hanches trop grasses. Si elles cassent vous devrez les rembourser.

Rouge de colère, Lyre arrêta de bouger en soupirant. Jagen était tout bonnement odieux ! L’invoquer était une erreur. Elle se le répéta jusqu’à somnoler lourdement.

Une petite douleur dans le nez la réveilla. Jagen venait de la pincer, le soleil était levé.

– Madame ronfle pour ne pas léser ses nombreux défauts.

– Je ne ronfle pas !

– Si et il fait jour. Alors où allons-nous ? Quand pourrais-je tuer Arold Nenkiark ?

Une migraine matinale arrivait alors qu’elle était encore au lit.

– Laissez-moi le temps de m’habiller et manger.

– Votre cerveau sera moins mou qu’hier ?

– Arrêtez avec vos piques ! Ça m’agace !

– Elles sont méritées.

Lyre se massa les tempes, refit ses nattes, se rhabilla et descendit boire un chocolat chaud. À sa surprise, la fille croisée la veille était là elle aussi, sirotant un thé à une table.

– Vous ?

– Ah ? Les amoureux d’hier, bien dormi ?

– Euh… Oui… Mais… Je ne m’attendais pas à vous voir ici.

Jagen fit demi-tour, peu désireux de faire la conversation. Lyre en profita pour se présenter en s’asseyant à sa table.

– Lyre hein ? Ça sonne bien. Moi c’est Mera. Enchantée !

Mera suscitait les questions. Que transportait-elle dans la forêt ? Ça avait l’air lourd… Pourquoi la garde lui courait après ? Avait-elle volé quelque chose d’important ?

Lyre baissa ses doigts sur sa tasse fumante.

– Mera, au sujet d’hier…

– Je n’ai pas parlé de notre rencontre.

– Moi non plus.

– Très bien alors !

Elle mordit dans du pain chaud, du lard dégoulina à l’intérieur.

– Je me demandais juste pourquoi… – insista timidement Lyre.

– Ah ça je ne peux pas te le dire ma mignonne !

Cette familiarité embarrassa l’Invocatrice qui craignait de parler à une tueuse.

– Je comprends…

– Toi par contre, tu as invoqué le type que j’ai vu.

– C’est bien ça, vous êtes bien informée.

– Rien de secret là-dedans, je l’ai entendu en prenant la fuite.

Encore une fois, Lyre se demanda ce qu’elle avait pu faire de si grave. Est-ce que sa propre bourde n’était qu’un prétexte pour lâcher la garde et trouver Mera ? Le sac n’était pas là, peut-être dans sa chambre ? Elle avait très envie de savoir ce qu’il contenait. Mais elle ne pouvait pas fouiller comme ça, ce serait très mal vu et Mera l’en empêcherait de toute façon.

Une fois son pain englouti, elle retourna dans sa chambre où Jagen griffonnait dans un cahier pour passer le temps.

– J’ai une faveur à vous demander… – commença-t-elle.

– Je m’en tiens au contrat.

– Mais le sac est à côté ! Nous pourrions savoir ce qu’il contient !

– Encore cette obsession ?

– Nous pourrions découvrir pourquoi Mera est recherchée !

– Ça me fait une belle jambe.

Lyre était déçue. Elle ne voyait pas comment le convaincre.

– Que voulez-vous en échange ?

– Rien, juste rentrer chez moi.

– Et si je vous trouve d’autres cahiers ?

– Ah ça ? – fit-il remarquer en pointant la couverture pleine de chiffres – Ce sont des Sudokus pour mes phases d’ennui.

Lyre ne connaissait pas ça. L’Enfer était décidément très bizarre…

– Bon eh bien, si je vous en procure d’autres ?

Jagen garda un œil fermé, considérant son offre. C’est vrai qu’il arrivait à la fin et que cette fille lui causerait un ulcère avant la fin de sa mission.

– Trois.

– Trois ?

– J’exige trois cahiers comme celui-ci.

– D’accord. Marché conclu. Où puis-je les acheter ?

– Chez le gars bizarre du coin.

– Pardon ?

– Quoi, tu n’as jamais remarqué qu’il y a un vendeur qui porte les mêmes vêtements dans chaque ville ?

– À vrai dire non. Et nous ne sommes pas en ville…

– Il est devant l’auberge.

Lyre ne l’avait pas remarqué mais s’empressa de le trouver. Il avait un mixeur géant dans son dos, vêtu en uniforme de marin.

– Bonjour, vous désirez quelque chose ?

– Je voudrais…

– …non malheureuse ! Cochez ici !

Il lui tendit une ardoise.

Je veux acheter.

Je veux vendre.

Je veux synthétiser.

Rien merci !

– Euh… Je cherche juste des cahiers de Sudokus…

Le marchand s’énerva.

– Vous devez cocher une case !

Il devait lui en manquer une, mais elle ne dit rien et cocha acheter. L’ardoise suivante proposait le contenu :

Épée en fer

Potion de soins mineurs

Tunique basique

Il n’y avait pas de Sudokus.

– Je ne vois pas ce que je cherche mais je vais vous acheter trois Potions.

– Bien bien, 30 pièces !

Lyre le paya. Puis un point d’exclamation rouge apparut au-dessus de sa tête.

– Attendez ne partez pas ! Je dois vous parler de la Synthèse qui permet de créer des objets !

– D’accord, comment fait-on ?

– Vous voyez ce mixeur ? Mettez vos ingrédients et paf !

Lyre réfléchit.

– Ce ne serait pas le Super Mixeur des Bras de la Sorcière qui a fait faillite il y a 10 ans ?

– Ah non ! Le Sorcier qui était derrière tout ça a été capturé et a promis qu’il ne toucherait plus à la mécanique et à la cuisine en même temps ! Les explosions de crème fraîche ont fait couler un théâtre qui faisait sa promo !

– Bon… J’aimerais synthétiser trois cahiers de Sudokus.

– Haha ! Je suis moderne et infiniment compatissant ! Je ne vous demanderai pas la recette, jeune voyageuse niveau 1 !

– Je ne suis pas niveau 1…

– Car j’ai toutes les recettes du monde ! Pour un cahier de Sudokus, il vous faut un cahier.

– Je ne l’ai pas.

– Du papier et de la corde.

– Oui j’ai.

Elle lui remit. Le marchand fourra ça dans son Mixeur géant puis il se dandina.

– C’est pour mélanger !

Drôle d’explication… En tout cas, un cahier vierge en sortit.

– Maintenant rajoutez de l’encre !

Elle lui donna. Un roman en sortit avec un bel éphèbe sur son trône en couverture, intitulé « Mémoire d’Ignus ».

– Qu’est-ce que c’est que ça ?

– Un roman en vogue qui vient d’un autre monde !

– Comment avez-vous pu créer ça ?

– Recette secrète.

– J’ai très envie de le lire, mais je dois créer des Sudokus.

– Bien, avez-vous des défections de monstre ?

– Des… – Lyre était interloquée – Non, pourquoi, ça rentre dans la composition ?

– Bien sûr !

Où était la logique là-dedans ? Non elle n’en avait pas, mais le Synthétiseur lui offrit en marmonnant que le MJ souhaitait avancer le scénario. Les trois cahiers furent fabriqués et Lyre en profita pour recréer « Les mémoires d’Ignus » qu’elle rangea dans son sac. Étonnants ces sacs, ils pouvaient contenir quantités d’affaires…

Le temps que Lyre retrouve Jagen, Mera était déjà partie et le Démon n’avait rien trouvé de mieux à faire que jouer sur une console noire tactile qu’il rangea à son arrivée. Il récupéra les cahiers en soulignant l’heure tardive et aussi le fait que la voleuse était repartie. Lyre s’emporta, Jagen l’ignora.

Ils se remirent en route. L’après-midi était déjà là et le début de l’été chauffait l’air d’odeurs puissantes.

Mera les attendait au bord de la route.

– Hé salut ! Ça vous dirait que je vous accompagne ?

Lyre soumit sa condition :

– Montrez-nous votre sac avant ça !

Jagen s’irrita, il n’allait pas se coltiner deux casse-pieds en même temps ! Qu’on lui demande son avis tout de même !

Mera ouvrit son sac qui ne contenait que des oranges.

– Tadam !

Lyre était sidérée.

– Mais… Vous êtes recherchée… Certainement pas pour des oranges…

– Hey miss, tu m’as demandé ce qu’il y avait dans mon sac, pas la raison pour laquelle je suis pourchassée.

– Oui… Mais… Je croyais…

– Maintenant on voyage ensemble !

Le visage de Jagen se décomposa.

– Je ne pense pas que ce soit possible…

– Oh le Démon, je ne t’ai pas sonné. J’ai passé un accord avec ta maîtresse, pas avec toi.

Jagen fixa ses yeux bleus, décontenancé. Lyre bredouilla. Elle n’objecta pas lorsque Mera remonta son sac d’oranges sur son épaule et passa devant.

– Vous venez ?

– Oui mais où ?

– J’aimerais le savoir moi aussi… – ronchonna Jagen.

– La prochaine ville c’est par là. On s’y arrête, non ?

– Euh oui…

Mera força un peu l’allure. Jagen s’était renfrogné. Lyre acceptait ses torts et n’essaya pas d’engager la conversation en conséquence. Jagen souffla un peu, du silence enfin ! Quand la cruche se taisait, c’était plus supportable.

Ils croisèrent d’autres voyageurs, des charrettes remplies de marchandises. Ce ne fut que le soir ; tardivement, qu’ils arrivèrent à Chapia, une ville en effervescence. Ils prirent une chambre commune à la demande de Mera, qui y prit ses aises rapidement.

– C’est chouette par ici, j’aime bien ! Bon et sinon ? Vous avez des projets ?

Jagen déclara simplement :

– Je dois tuer quelqu’un. Ensuite je rentre chez moi.

Mera lui fit un clin-d ’œil.

– J’espère pour toi que ce n’est pas Nenkiark !

– Pourquoi ?

– Il est déjà mort pardi !

Jagen se tourna vers Lyre, mécontent.

– Je n’étais pas au courant de ce petit détail…

– C’est-à-dire que…

Mera joua avec sa montre à gousset qu’elle fit tournoyer.

– C’est un mort-vivant.

Jagen fulmina.

– Ce n’était pas mentionné dans le contrat !

– Euh… Oui… Je n’ai pas encore eu le temps de tout expliquer…

Il se déplaça très vite, l’empoigna par le col et la plaqua contre le mur, intimidant.

– Vous essayez de me berner, Invocatrice de pacotille… Je peux très bien vous plonger dans les abysses et rentrer chez moi…

Lyre attrapa fébrilement une feuille qu’elle sortit de sa poche.

– Vous êtes loyal ! C’est marqué là !

– Quand le contrat est clair oui. Je n’ai jamais été informé que ma cible était déjà morte. Ça change tout.

– Je vous en prie ! Accordez-moi une chance pour tout expliquer.

– Hum… Et toi la voleuse d’oranges, comment savais-tu que c’était lui ma cible ?

– Oups ! Bon j’avoue, je vous écoutais depuis un moment !

– Ce n’est pas très poli.

– Plaquer sa contractante contre un mur non plus.

Jagen lâcha Lyre comme un vulgaire mouchoir usagé.

– Je vais prendre l’air…

Il sortit en claquant la porte. Lyre toucha sa chemise, la mine défaite.

– Pourquoi lui avez-vous dit ?

– Bah quoi ? Il t’en aurait voulu encore plus sinon !

– Il risque de repartir sans honorer son contrat…

– Si tu te fies à tes manuels ma poule, t’as pas fini de subir !

– Pourquoi ?

– Tu crois quoi ? Que tout est toujours juste là-dedans ? C’est bidon !

– Que connaissez-vous à l’Invocation ?

– Rien. Mais je connais les gens. Et ce sont des gens qui ont écrit tes bouquins.

– Ça n’a rien à voir…

– Et puis t’es super empotée, c’est pas comme ça que tu vas y arriver.

Lyre serra les poings fébrilement.

– Je dois réparer mes erreurs…

– Quoi tu comptes sortir la nuit ? Mais c’est que tu es téméraire toi ! Tu ne sais pas qu’il y a toujours des trucs louches en pleine nuit ?

– Si… Mais je dois me réconcilier avec Jagen…

– Bon ok, je te suis.

Lyre ferma à clé sur la recommandation de Mera. Puis elles sortirent. Les musiciens de Chapia jouaient de leurs instruments sur la Grand-Place. Des guirlandes de lumières décoraient la ville. Toutes sortes de spécialités locales se vendaient jusqu’à rupture de stock.

Lyre ne savait pas où trouver Jagen dans cette grande ville. Tous les hommes aux longs cheveux noirs jusqu’à la taille l’induisaient en erreur.

– Jagen ? – appela-t-elle.

Elle s’éloigna, Mera n’était pas convaincue que ce soit la meilleure chose à faire.

– Hé, où tu vas comme ça ?

– Le chercher.

– C’est dans les petites ruelles qu’il se passe plein de trucs glauques. On reste dans le coin animé de la ville.

– Je regrette Mera… Mais je ne pense pas qu’il y soit. Vous n’êtes pas obligée de me suivre, bien entendu.

La voleuse se tapa le front.

– Mais quelle idiote ! Tu crois que je vais te laisser toute seule ? Tu n’as pas l’air débrouillarde du tout ! D’ailleurs comment tu as réussi à invoquer un Démon si tu ne sais pas te protéger toute seule ?

– Je… je ne suis pas si inutile qu’il y paraît…

– Mouais… ça reste à prouver…

Lyre quitta les rues bondées pour s’éclipser dans les ruelles sombres et malfamées de la ville. Mera maugréa qu’elle n’était pas contente mais l’accompagna. Il y avait tant de lumière dans la ville qu’elle éclipsait les étoiles. Par ici la musique devenait lointaine.

– Si tu veux mon avis, c’est pas une bonne idée…

Tandis qu’elle disait ça, deux ivrognes leur tombèrent dessus.

– Oh regardez qui voilà ! Deux superbes filles qui se sont perdues ! On vous ramène chez vous ?

– Non merci. – déclina fermement Mera.

– C’est qu’elle a du caractère celle-là. Et l’autre ?

Trois autres types déboulèrent et sortirent des couteaux. Lyre replia ses mains sur son buste, terrifiée. Mera avait les doigts prêts à passer à l’action, des armes dissimulées un peu partout. Un homme la bouscula, elle prit un de ses couteaux très fins pour attaquer la main qui saigna aussitôt.

– Et elle attaque la catin !

Deux scélérats saisirent Lyre. Un troisième lui palpa les seins sans vergogne.

– Celle-là est plus docile, on pourra en faire ce qu’on veut.

– Mate ses gants !

– Ils sont classes ! On devrait les revendre à bon prix !

Mera cracha par terre.

– Vous me dégoûtez. Vous croyez franchement que je vais vous laisser faire ?

– Pourquoi c’est ta copine ? Vous vous broutez le minou ?

– Tss… Voilà pourquoi faut sortir armée… Pour se défendre face aux connards dans votre genre…

Celui qui était blessé essayait de l’approcher en même temps que le cinquième. Des lames dans chaque main, Mera ne les quittait pas des yeux, prête à trancher des gorges au besoin.

Pendant ce temps les deux types maintenaient fermement Lyre, tandis que leur boss tirait sur la pointe de ses seins. Elle gémissait, honteuse et sans défense. Mera avait intérêt à se dépêcher…

Cette dernière passa à l’attaque lorsqu’un des deux félons fut assez près. Elle creusa une profonde entaille dans son avant-bras. Mais le deuxième l’enferma dans ses bras. Elle fit coulisser la lame dissimulée dans le gant en cuir qui couvrait ses phalanges à son conde, et l’enfonça dans ses côtes. Très vite ce fut la cohue. Mera était devenue une vraie diablesse, entaillant par-ci par-là. Mais lorsqu’elle se reçut un coup de gourdin en pleine tronche, elle perdit connaissance.

– Elles nous ont donné du fil à retordre les salopes…

– Tu l’as dit.

– Tu as vu mon bras, putain…

– Va falloir recoudre.

– J’aimerais attendre. Faut en profiter quoi.

Deux mâles arrachèrent les maigres attributs de Mera pour livrer sa nudité. Le boss du gang faufila ses doigts entre les cuisses chaudes de Lyre.

– Te crispe pas comme ça ma mignonne. Tu vas aimer ça.

Les autres frottaient leur entrejambe sur ses mains attachées. Lyre avait les larmes aux yeux et de la morve qui coulait, désespérée. Elle allait se faire violer, comme Mera qui avait essayé de l’aider…

Mais à cet instant une tortue géante les écrasa.

– Qu’est-ce que c’est que ce délire ?

Sur son dos, un homme, la cape déployée dans le vent. Du moins essayait-il de cadrer son plus beau profil.

– Point de vilain pour les rousses !

– Quoi ? C’est qui celui-là ?

– J’ai créé ce groupe ! Point de vilain pour les rousses ! Parce qu’elles méritent toutes un Prince Charmant ! Par exemple… moi !

Il appuya sa main gantée sur lui-même.

– Aller Turtur ! À l’attaque !

L’énorme bestiole piétina les agresseurs qui abandonnèrent face à ce monstre qui résistait aux coups. Ils détalèrent. Lyre fondit en larmes. Le justicier descendit de sa monture. Sa frange blonde cachait un de ses yeux bleus. Sa chevelure blond pâle rebiquait jusqu’au milieu de son dos. Il était très maigre, ça se voyait malgré son armure gris sombre.

– Douce dame, ne craignez plus rien, je vous ai secourue ! Et votre amie ne craint plus rien non plus ! Deux rousses ! Oh mon cœur ne peut en supporter d’avantage ! Vous pouvez échanger de nouveau vos baisers sans crainte !

– Nous ne sommes pas… Nous sommes justes amies… Merci de nous avoir sauvées… Vous êtes ?

– Alcaste ! Je suis dévoué à la rousseur de ces dames !

Lyre aurait pu se demander s’il les aurait sauvées si elles n’étaient pas rousses, mais elle était trop choquée pour réfléchir. Un frisson continuait de la faire tressaillir, et même en se lavant, elle n’était pas certaine de pouvoir enlever la sensation de ces doigts odieux dans sa vulve…

– Je m’appelle Lyre, et voici Mera…

– Vous êtes toutes deux sublimes mais votre amie ne peut rentrer ainsi !

Il dégrafa sa cape et en enveloppa la voleuse sonnée qu’il porta dans ses bras.

– Je vous ramène chez vous, douces dames !

– C’est à l’auberge.

– Oh des voyageuses ! Je prendrais volontiers un verre avec vous.

– Et votre tortue ?

– Oh, vous m’avez tant ébloui que j’ai oublié de la révoquer !

Elle disparut aussitôt.

– Vous êtes un Dresseur de Monstres ?

– Tout à fait ! Brillante avec ça !

N’importe qui l’aurait deviné…

Alcaste jacassa jusqu’à l’auberge. Il lui raconta qu’il avait fondé le groupe Point de vilain pour les rousses ! Il servait la rousseur et lui vouait une grande dévotion. Son but dans la vie était de servir les rousses exclusivement, même si elles n’étaient que de passage.

– Et si j’avais été blonde ?

– Hohoho ! Quel humour ! Vous êtes parfaite voyons !

– Ça veut dire non ?...

– Hum, je ne suis pas un goujat quand même ! Je vous aurais aidée, mais je pense que je vous aurais demandé de m’offrir un verre. Là c’est moi qui offre et plus encore. Vous désirez prendre un bain ? De la nourriture ? Un service particulier ?

Lyre but son broc de cidre dans la chambre commune, Alcaste penché vers elle, prêt à la satisfaire.

– En fait oui… J’aimerais que vous retrouviez quelqu’un pour moi.

– Une autre amie ?

– Pas exactement. Il s’appelle Jagen.

– Ah, ça m’intéresse moins…

– Il a de longs cheveux noirs, des yeux rubis, habillé tout en noir.

– Le genre ténébreux donc.

– Oui… Nous étions sorties pour le trouver. Enfin… j’étais sortie… Mera n’a fait que me suivre pour m’éviter des ennuis… Et finalement ça n’a pas suffi… Sans vous… nous nous serions…

Elle serra son broc frais, les lèvres tremblantes. Alcaste posa sa main gantée sur la sienne.

– Mais tout va bien maintenant !

Il avait un nez excessivement pointu, comme son menton. Trop de cils sur ses yeux bleus et des dents espacées très carrées.

La porte s’ouvrit sur Jagen qui lâcha tranquillement :

– Ah je vois le genre, je pars me promener et la planche à pain se trouve un cavalier…

– Jagen ! Je suis soulagée que vous soyez revenu !

Alcaste se releva et fit face au Démon.

– Sachez Monsieur, qu’il m’est intolérable de vous savoir absent pour une rousse en danger !

– Hein ?

– Vous ne réalisez pas que ce sont elles les plus belles, les plus désirables, les meilleures amantes ?

– De quoi il cause celui-là ?

– Votre dulcinée a failli se faire ravir avec son amie dans les ruelles ! Vous êtes responsable ! Vous brillez par votre absence ! Qu’elle s’inquiète pour pareil goujat m’est intolérable ! Oui Monsieur !

– Vous êtes taré vous…

– Fou d’amour pour la rousseur, je l’avoue !

Il joignit les mains en les balançant d’un côté et de l’autre. Jagen reporta son regard sur les deux femmes. Mera portait la cape de ce fou et Lyre avait l’air abattu.

– C’est vrai ce qu’il dit ? Vous avez failli vous faire violer toutes les deux ?

Elle préféra regarder par terre pour ne pas répondre. Il soupira. D’après le contrat, il ne devait rien arriver au contractant. Oui mais elle l’avait berné, alors après tout… Oui mais un viol quand même… Il n’était pas friand de cette pratique…

Il sortit un ustensile noir singulier. Ça faisait de la lumière quand il appuyait sur un bouton et il recrachait de la fumée avec. Une sorte de pipe.

– Bon, je veux bien honorer le contrat… Mais les âmes des mortels ne sont pas liées à notre monde s’il n’y a pas de Pacte. En bref vous allez avoir besoin d’une personne compétente pour chercher l’âme de ce type. D’ailleurs… pourquoi m’avoir demandé de tuer une personne déjà morte ?

– P…parce que !

– Surtout que pour une envie de vengeance, vous n’êtes pas très convaincante.

Alcaste s’agenouilla et prit les mains de Lyre.

– Oh ma mie, vous souhaitez vous venger de quelqu’un, c’est bien ça ?

Jagen marmonna :

– Il n’est pas sourd mais demeuré, c’est bon à savoir…

– Vous le goujat, je ne vous ai pas sonné !

– Je ne suis pas une cloche contrairement à celle-là…

Il se redressa.

– Attention je suis Dresseur de Monstres !

– Et moi un Démon supérieur.

– Un… Un Démon ?

– Comme je le disais, vous êtes un demeuré…

– Je… Je ne vous permets pas ! – il se tourna vers Lyre – Pourquoi avez-vous invoqué un Démon douce amie ?

– Parce que j’étais certaine qu’il pourrait remplir cette tâche.

Jagen se gratta l’oreille, plutôt pointue par ailleurs.

– Ouais, eh bien si personne ne m’ouvre une brèche sur le monde des esprits, c’est impossible.

Alcaste essayait de suivre.

– Je crains ne pas comprendre. Vous voulez vous venger d’un esprit ?

– Écoutez, ce sont des affaires personnelles. J’admire votre dévouement, mais nous ne nous connaissons pas…

– …mais nous le pourrions. Ce… Démon ne vous satisfera jamais ! La plupart des hommes sont ainsi ! Moi je suis tout dévoué à votre cause ! Je trouverai cette personne et je vous l’amènerai !

– Vous savez ériger un portail sur le monde des esprits ?

– Non hélas. Mais il y a un fameux Chaman qui vit dans la Grotte de Lanka.

– La Grotte de Lanka ?

– Elle est assez loin c’est vrai, mais sa réputation n’est plus à faire.

Jagen s’appuya au mur.

– Non… Pas un de plus…

Personne ne lui prêtait plus attention. Lyre mordait à l’hameçon.

– Bon, très bien, allons trouver cet homme !

– Je serai votre guide, chère dame !

Elle esquissa un sourire embarrassé.

– Très bien… Maintenant j’aimerais me laver…

– Oh bien sûr je comprends ! Je vais vous faire porter le nécessaire !

Jagen se frappa le crâne dans le mur, le fissurant sans le vouloir. Une fois que l’hurluberlu partit, il lui demanda, de dos :

– Que vous ont fait ces hommes au juste ?

Elle ferma ses cuisses, les doigts recroquevillés.

– Je ne souhaite pas… en parler…

– J’ai l’impression que c’était assez grave. – il se retourna – J’ai beau être un Démon, j’ai tout de même une morale.

Ainsi, les poings serrés, la mâchoire défiante, des braises plein les yeux ; il dégageait un air protecteur très attirant. Elle dit simplement :

– Merci Jagen…

Il frotta sa tête, gêné.

– Ça ne signifie pas que nous sommes amis. Je préfère que les choses soient claires. Dès que j’aurai rempli ma mission, je rentrerai chez moi.

– Bien sûr…

Il avait raté son jet de gentillesse. Il gratta sa joue distraitement.

– Bon… Puisque j’ai trois cahiers sans vous avoir donné satisfaction, dois-je poursuivre les mécréants et les tuer ?

– Vous ne savez même pas à quoi ils ressemblent…

– En analysant vos souvenirs, je le saurai.

– Analyser mes… Non ce n’est pas utile, merci.

– Vraiment ? J’ai le pouvoir de les torturer sous vos yeux si vous préférez.

Elle ouvrit la bouche sans prononcer une parole, puis Mera reprit conscience. Jagen se retira, surtout qu’Alcaste amenait la bassine d’eau chaude. Il ressortit à son tour pour le vilipender.

– Je reste sur mes positions, vous auriez dû protéger ces dames.

– Je peux faire payer ces hommes, mais elle refuse.

– Oh, elle est peut-être sensible.

– Toi là, partage tes souvenirs pour que je fasse justice.

– Partager mes souvenirs ? Comment ?

– Comme ça.

Il tendit sa main griffue sur son visage et s’empara de la scène qu’il recherchait. Il vit la déchéance. Il retira sa main et s’interrogea tout haut :

– Mais en tant qu’Invocatrice, elle aurait pu se défendre… Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?

– Les femmes ont besoin d’un valeureux chevalier pour les protéger !

– C’est ça… Va dire ça à notre Reine…

Jagen s’éloigna d’un pas décidé.

– Où allez-vous ?

– Régler ce problème.

– Tout seul ?

– Oui. Je n’ai besoin de personne.

La nuit était déjà très avancée. La plupart des divertissements avaient cessé. Quelques soulards chantaient encore sur la Grand-Place, les joues brûlantes. Jagen savait déjà où trouver ces malfrats. Il aurait pu y aller en volant, mais préféra opter pour la discrétion. Certains insomniaques étaient parfaitement lucides.

Lentement, il se faufila dans le taudis qu’ils squattaient et leur trancha la gorge. Bien sûr deux d’entre eux se réveillèrent, mais ils ne purent rien faire. Jagen sectionna leur carotide d’un coup de griffes. Le sang se répandit partout, il referma ses doigts, peu désireux de boire une liqueur aussi minable.

– Ce sera compté comme un extra… J’aurai un peu de paix supplémentaire…

Il rentra, couvert de sang, en volant jusqu’à la fenêtre. Il n’y avait plus personne dehors cette fois, et les rares ivrognes imaginaient tant de choses…

Accroupi devant la fenêtre, il frappa brièvement. Lyre lui ouvrit.

– Jagen, qu’avez-vous fait ?...

– Justice.

– Mais je ne vous ai pas donné mon autorisation…

– J’ai le droit de faire certains choix durant mon séjour ici. C’en est un.

Il rentra, elle ferma derrière lui.

– Je vais demander de l’eau chaude.

– Non inutile.

– Ah…

– Dormez. Je vous embêterai de nouveau demain.

– Pardon ?

– J’ai été gentil ce soir. Mais c’est une exception. Bonne nuit.

Il prit la bassine dans laquelle les filles s’étaient lavées et s’aspergea le visage.

– Jagen, j’essaierai de vous acheter de nouveaux vêtements demain.

– Tout à l’heure vous voulez dire.

– Euh… Oui…

– Pfft… Si vous voulez.

Lyre retourna se coucher aux côtés de Mera. Un peu plus tôt sa compagne de route lui avait posé la question à laquelle elle s’attendait : est-ce que ces hommes les avaient abusées ? Elle s’était empressée de lui répondre que non. Toutefois, Lyre conservait cette sensation affreuse. Et voir Jagen utiliser l’eau avec laquelle elle s’était lavée la gênait beaucoup. Il n’avait pas l’air d’en faire grand cas. Pire, au plissement de ses yeux, il semblait apprécier l’instant. Soit il était trop propre, soit c’était un pervers. Elle penchait pour la seconde option. Après tout, on savait peu de choses sur les Démons. Ils étaient invoqués pour les sales besognes et repartaient. Il lui avait dit avoir un chat, une maison… Son mode de vie n’était pas si différent du sien. Et beaucoup d’humains étaient pervers ici aussi.

Il croisa son regard, à peine visible au-dessus de la couverture.

– Dormez.

– J’essaie mais c’est gênant… ! – chuchota-t-elle.

– Quoi donc ?

– Cette bassine !

– Quoi cette bassine ?

– Nous nous en sommes servies !

– Et alors ?

Elle rougit de plus belle et se retourna face à Mera, peu désireuse d’en dire plus. Jagen haussa les épaules et continua de se nettoyer.

*

Les coups répétés à la porte tirèrent Lyre de son rêve. Elle remarqua que Jagen remplissait son Sudoku sans se soucier de la personne qui poireautait devant la porte. Elle se leva et ouvrit à une servante chargée d’un lourd plateau.

– De la part de Monsieur Alcaste ! Puis-je le poser ?

Ses mains tremblaient fort. Elle devait attendre depuis un moment.

– Oh, oui bien sûr !

Lyre lui céda le passage.

– Merci !

La jeune servante maigrelette posa le plateau sur le guéridon avec soulagement. Elle se retira en lui souhaitant un bon appétit. Une fois la porte fermée, Lyre exprima son mécontentement.

– Vous auriez pu lui ouvrir.

– J’aurais pu. Mais je n’en ai que faire.

– Vos chiffres sont donc plus importants que cette pauvre fille qui portait un plateau trop lourd pour elle ?

– Exactement.

Mera grogna et se frotta les yeux.

– Mm… C’est déjà le matin ?

– Oui Mera. Et assez tard vu la position du soleil.

– Ça sent bon…

– Alcaste nous a fait porter un bon petit-déjeuner. Il faudra le remercier.

Mera portait une des robes de Lyre, trop grande pour elle. Elle se jeta sur la nourriture avec gourmandise. Il y avait des gaufres à la viande, des œufs brouillés, du jus d’orange et du lait. Les pichets pesaient lourds. Lyre jeta un coup-d’œil à Jagen.

– Vous ne mangez pas ?

– Vous ne m’invitez pas ?

– Si…

Mera planta sa fourchette dans une gaufre.

– Hé c’est un Démon ! Il a vraiment besoin de manger ?

– C’est une bonne question…

– Quoi, tu ne sais pas ?

– À vrai dire, non…

Jagen découvrit ses crocs dans un sourire malicieux.

– Je me nourris de sang mais je peux me contenter de nourriture de ce monde durant mon séjour.

– Je crois que c’est préférable…

Elle avait encore mal là où il avait mordu, surtout que ses agresseurs avaient appuyé dessus. Son gant avait absorbé son sang, s’imprégnant de son pouvoir.

Lyre partagea sa propre part en deux et en donna à Jagen. À sa surprise il s’attabla et mangea avec une grande distinction, rien à voir avec la voracité qu’il avait témoigné en croquant sa chair. Devant son air ébahi, il plissa une paupière.

– Oui ?

– Euh… Rien…

Mera gardait jalousement sa part.

– Partage si tu veux, moi je mange tout ce qu’on m’a donné.

– Bien sûr Mera, vous avez raison.

Une fois le repas terminé, elles descendirent et remercièrent Alcaste qui les attendait.

– Oh, je vous en prie, ça me fait plaisir ! Nous n’atteindrons pas la Grotte en un jour, alors autant se mettre tout de suite en route.

La destination de Koral était donc reportée. À moins d’y faire un crochet bref. Personne n’y voyait d’inconvénient, sauf Jagen qui désespérait de rentrer chez lui. Alors ils décidèrent de s’y rendre ensemble malgré ses ronchonnements.

Chapia le jour avait une facette bien différente. Les tavernes à ciel ouvert étaient bondées. L’odeur de la bière se mélangeait à la sueur des saltimbanques qui remuaient sur des airs entraînants.

Ils passèrent chez le tailleur acheter de nouveaux vêtements, puis partirent à cheval, Lyre disposant d’une somme qui fit pâlir le Dresseur de Monstres.

– Madame, vous êtes belle et riche !

– J’ai simplement des économies…

– Vous n’avez pas lésiné sur la qualité !

– Je me suis dit que c’était important…

– C’est ça, aller on avance. – coupa sèchement Jagen qui en avait plus qu’assez.

Lyre montait un cheval crème, Mera un brun, Alcaste un cheval monstrueux avec des piques au niveau des articulations de ses pattes dorées, Jagen le noir. Aimait-il tant que ça cette couleur ou était-ce dans sa charte de le laisser croire ?

Ils quittèrent Chapia au moment où une armée investissait la ville. Lyre tâcha de garder son calme, tout comme Mera. Ils questionnaient un marchand, elles en profitèrent pour sortir tranquillement. Puis les chevaux forcèrent l’allure une fois lâchés sur les routes.

Alcaste essayait de les suivre.

– A…attendez ! Vous allez trop vite !

Le cheval aux yeux vermeil n’avait pas envie de se dépêcher. Déjà qu’il devait obéir à ce type qui avait une emprise sur lui… Il piaffa, mécontent.

– Golden Beaf, il serait temps que tu arrêtes de n’en faire qu’à ta tête !

– Hiii !

Les piques dorés s’élançaient également sur ses oreilles et sur ses flancs.

– Lyre ! Mera ! S’il vous plaît !

Elles ralentirent. Jagen continua sans s’en préoccuper. L’Invocatrice attendit qu’Alcaste soit à sa hauteur.

– Vous devez vous poser des questions…

– J’avoue que je m’inquiète, en effet… L’armée vous recherche ? J’ai remarqué votre air anxieux…

– Euh… C’est… Eh bien…

Mera lui jeta un regard torve.

– Je suis une voleuse, pigé ?

– Oh, d’accord, très bien…

Derrière eux, la ville entière explosa. Un formidable champignon enflammé embrasa l’air et consuma toute chose. Jagen s’arrêta en tirant d’un coup sec sur la bride, choqué. Il retourna jusqu’aux autres.

– Lyre, vous avez invoqué un Esprit lié au feu ?

– N…non ! Ce n’est pas moi !

Dans tous les cas, il ne fallait pas rester là…

– Nous en rediscuterons ! Allons-y !

Il se lança au galop, suivi des autres. Sous l’effet de la peur de ce champignon enflammé, Golden Beaf ne rechigna plus à accélérer.

Le feu se propageait jusqu’aux champs qui jouxtaient la route. Il y avait des hurlements terribles, une odeur insupportable qui brûlait la gorge et faisait pleurer les yeux. Respirer devenait difficile, qu’est-ce que ce devait être pour les habitants ?

Alcaste s’arrêta. Lyre lui cria :

– Que faites-vous ?!

– Je ne peux pas… Excusez-moi douce dame, mais il y a peut-être d’autres rousses en danger en ville…

– Alcaste… J’admire votre bravoure, mais c’est du suicide… Je ne pense pas qu’il reste des survivants.

Le Dresseur de Monstres hésita.

– S’il y en a, mon honneur sera bafoué… Cela signifiera que j’ai abandonné de belles dames à ce funeste sort…

Lyre tendit sa main, Alcaste la prit.

– Alcaste, je suis moi-même en péril n’est-ce pas ? Vous m’avez dit vous-même que je n’étais pas en sécurité avec Jagen. Et Mera a beau savoir se défendre, sans votre intervention nous serions…

Le trémolo dans sa voix termina de le convaincre.

– C’est vrai, vous avez raison !

En vérité elle craignait surtout qu’il meure inutilement là-bas. C’était certes héroïque, mais stupide. En plus avec son armure, il cuirait à vitesse grand v. D’ailleurs pourquoi portait-il une armure alors qu’il était Dresseur de Monstres ? Sans doute pour se faire passer pour un chevalier dévoué. Ce qu’il criait haut et fort.

Ils reprirent leur course. Pendant longtemps, personne ne dit un seul mot. Le ciel répandait une couleur de lave, des cendres se perdaient dans l’air saturé. En sueur, tous avançaient, perdus dans leurs pensées. Comment cette explosion avait pu se produire ? Pourquoi ? Alcaste avait décidé de rester dévoué à la cause de Lyre, même si elle était la suspecte idéale, poursuivie par l’armée qui venait certainement de se faire décimer ; sa loyauté restait intacte.

Jagen était convaincu qu’elle avait invoqué un Esprit lié au feu pour détruire la ville. C’était assez extrême… Il n’était pas là pour juger les décisions de sa maîtresse, bien entendu… Cependant, plus les heures s’égrenaient, plus elle lui paraissait truffée de secrets.

Les sourcils arqués sous la tension et la peine, Lyre prenait la tête. Jagen aurait bien aimé lire ses pensées pour connaître ses motivations. Comme elle passait devant, il ne voyait pas son visage. Il l’imaginait impénétrable.

Mera fixait Lyre sans un mot. Ce qui venait de se produire était trop fort. Et il était trop tôt pour en parler.

Plusieurs heures s’écoulèrent. Jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent que l’air était pur. Il l’était depuis longtemps. Seulement ils ne s’en étaient pas rendu compte avant.

Ils quittèrent la route principale et descendirent de selle, au milieu d’un large pâturage. Jagen passa à l’offensive aussitôt.

– Pourquoi avoir détruit cette ville ?

Lyre s’en offusqua :

– Pourquoi m’accusez-vous ?! Ce n’est pas moi !

– Vous êtes Invocatrice et vous avez réussi à me convoquer.

– Ça ne fait pas de moi une meurtrière !

– Je ne vois pas qui ça pourrait être d’autre.

– N’importe qui !

– Lancer un tel sort demande une dextérité particulière, des années de savoir-faire…

– Puisque je vous dis que ce n’est pas moi ! – Mera lui jeta un regard désabusé – Comment, vous aussi vous me croyez capable d’une chose pareille ?!

– Bah… C’est vrai que tout t’accuse… Mais je ne t’ai pas vue à l’œuvre donc je t’accorde le bénéfice du doute.

– Merci… Et vous Alcaste, me croyez-vous capable de cela ?

Il avait le regard fuyant.

– Je préfère vous imaginer comme une douce dame qui a besoin de moi…

– Mais vous le pensez…

– Oh non, loin de moi cette certitude ! Ce ne sont que des spéculations qui ne trouvent pas de fondement ! Si vous pouviez détruire une ville, vous vous seriez défaite de ces malfrats toute seule !

Lyre ramena une main contre elle. Jagen haussa un sourcil.

– C’est vrai ça. Pourquoi ne les avez-vous pas tués ?

– Pardon ?

– Les malfrats. Vous en avez le pouvoir.

Lyre bégaya légèrement sans fournir la moindre réponse. Jagen croisa les bras.

– Vous auriez pu invoquer un Esprit mineur, cela aurait suffi.

Elle était embarrassée. Alcaste resta près d’elle.

– Dame Lyre n’a aucune envie de répondre, laissons-la, voulez-vous ?

– J’aime avoir un contrat clair, un maître dont les motivations sont limpides, quelles qu’elles soient.

– Eh bien, elle a certainement ses raisons. Ne brusquons personne. Après tout, nous n’avons aucune preuve pour l’accuser d’avoir détruit Chapia.

– Juste l’armée à ses trousses…

– Certes je vous le concède, mais ce n’est guère suffisant. Bien, et si nous mangions un peu ?

– Je n’ai pas faim.

– C’est normal, vous êtes un Démon !

Jagen lui jeta un regard courroucé. Ah oui, parce qu’il était un Démon il ne pouvait pas avoir faim ou soif ? C’était raciste… Certains Démons ne savaient pas voler, ce qui décevait beaucoup leur maître. Chacun était différent. Lui tout particulièrement.

Il s’éloigna enfoncer ses griffes dans un rocher pour soulager ses nerfs. Ce dernier s’effrita.

Lyre laissa Mera et Alcaste pour le rejoindre.

– Il ne le pensait pas…

– Bien sûr que si. Et gardez votre pitié, elle me donne envie de vomir.

– Ce n’est pas de la pitié. Mais de la compassion.

– Encore pire.

Penchée vers lui, ses nattes rousses tombant devant elle, avec ses grands yeux de biche, elle paraissait fragile. Mais les apparences étaient trompeuses. Il restait persuadé qu’elle était coupable.

– J’essaie juste… d’être gentille… Peut-être que je m’y prends mal…

– Foutez-moi la paix !!

Il lui avait hurlé dessus, lui arrachant une mine défaite. Elle bafouilla, confuse, puis retourna vers les autres, penaude. Alcaste l’assaisonna de reproches que Jagen ignora royalement.

Ils mangèrent, mais Lyre s’assura d’en laisser et lui amena, même s’il boudait dans un coin. Elle craignait qu’il ne lui crie encore dessus. De fait elle déposa l’assiette et recula très vite comme s’il allait la mordre. Jagen prit l’assiette et mangea la viande séchée en se cachant partiellement derrière le rocher explosé.

Alcaste n’était pas content.

– Il ne mérite pas tant d’attention si vous voulez mon avis.

– Pour quelle raison ?

– Ce n’est qu’un Démon !

– Pourquoi les Démons n’auraient pas de cœur ?

Le Dresseur de Monstres resta bête.

Ils se remirent en route et firent escale dans un petit village pas très peuplé. Il n’y avait qu’une seule auberge, peu d’échoppes. Du soir ils soupèrent ensemble et Lyre regarda la rue presque déserte par la fenêtre. Jagen demanda :

– Vous avez envie de vous promener ?

– Ce n’est pas prudent… J’en ai bien conscience…

– Vous craignez de retomber sur des malfrats ?

– Oui…

– Dans un coin pareil ça m’étonnerait, mais je peux vous escorter si vous le souhaitez.

– J’aurais préféré sortir seule.

Il la regarda intensément.

– J’avoue que vous m’intriguez.

Elle tourna la tête pour fuir son regard. Jagen tira son bras et pressa son poignet pour y lécher quelques perles vermillon.

– Votre tribut.

– Mais je n’ai pas… !

Il la tira par la main à l’extérieur. Mera ne s’y opposa pas. Ce Démon était sous son contrôle, il ne tenterait rien contrairement à ce que croyait Alcaste.

Le village d’Opale était parfaitement calme. Quelques insectes bruissaient. Les gens étaient rentrés chez eux pour la plupart. Quelques lucioles virevoltaient près des berges. Lyre s’arrêta pour les admirer. Mais il rompit le charme en demandant :

– Puisque vous pouvez détruire une ville à vous seule, pourquoi m’avoir invoqué ?

– Jagen… Pour la dernière fois, ce n’est pas moi…

– J’aimerais vous croire, ou tout du moins, que vous soyez honnête avec moi. Mais c’est une qualité rare chez les hommes.

Lyre resta debout, à écouter la nuit. Jagen vérifia les alentours, non il n’y avait pas la moindre menace. Il insista :

– Lyre, dites-moi, pourquoi souhaitez-vous détruire un mort-vivant dont l’âme est enfermée dans un autre plan ?

– P…Parce que…

– J’ai eu l’impression que ce n’était qu’un prétexte quand je vous ai demandé l’objet de ma mission.

Elle était confuse. Il l’attrapa par ses deux poignets en espérant lui faire mal, pour la pousser dans ses derniers retranchements.

– Quel rapport entretenez-vous avec Arold ?

– J-je… !

– Et surtout… êtes-vous aussi faible que vous souhaitez le faire croire ?

Son air chagriné lui fit pitié. Elle avait l’air sans défense.

– Vous me faites mal…

– J’avoue y prendre du plaisir. – il appuya d’avantage – Allez-vous me dire la vérité ?

– S’il vous plaît lâchez-moi…

– Quand vous me livrerez la vérité…

Ses yeux rubis la menaçaient.

L’air changea soudain. Une ombre venait empoisonner la nuit. Et alors que Jagen la tenait fermement, quelqu’un planta Lyre par derrière. Un fleuret invisible. La tache rouge émergea sur la poitrine de l’Invocatrice qui regarda son Démon d’un air hagard. Jagen n’eut pas le temps de comprendre.

– Eh bien, finalement, ce n’était pas si compliqué.

Un jeune homme aux cheveux blonds très courts essuyait sa longue tige invisible. Il portait un uniforme singulier, de blanc, de noir et de doré, avec une fibule qui retenait une draperie fine.

Jagen avait la bouche ouverte, incapable d’articuler un son. Sa maîtresse venait de se faire transpercer le cœur par cet homme… Elle le regardait, des larmes perdues sur ses joues, avec ce regard beaucoup trop doux…

Il la déposa par terre. Lyre scruta le ciel, la tache rouge grossissant sur son sein. Jagen serra les poings, en colère.

– Comment avez-vous osé l’attaquer lâchement par derrière ?!

– Et toi tu es ?

– Vous l’ignorez ?

– Complètement.

Pourquoi l’avait-il tuée dans ce cas ? Jagen était persuadé que Lyre était poursuivie pour avoir libéré un Démon de sa trempe sans autorisation préalable. Et ce type n’en savait rien mais l’avait quand même tuée…

Ses griffes s’enfoncèrent dans ses poings. Elle ne pouvait pas mourir maintenant, il fourmillait de questions. Parce qu’avec un regard si tendre, elle ne pouvait pas détruire une ville entière… Elle ne pouvait pas tuer tout court…

Sa canine s’enfonça dans sa lèvre inférieure, lui arrachant une perle incarnate qu’il avala, la rage au cœur. Il jeta sur l’assassin un regard froid et résolu. Ce dernier s’en amusa.

– J’ai tué ta copine et tu veux te venger, c’est ça ?

Jagen l’attrapa et se téléporta hors du village. Plus il buvait de sang, plus ses compétences croissaient. La qualité de ce dernier avait une forte influence sur ses possibilités en ce monde.

Après quoi il frappa fort. Son adversaire avait du répondant, aussi le fleuret rencontra ses mains qui le brisèrent en deux.

– Mon fleuret légendaire…

Jagen lui arracha le cœur à pleines mains et le dévora. Et même une fois qu’il fut bien mort, il s’acharna à le violenter pour le faire payer. La rage le consumait et sa brutalité aurait fait fuir n’importe qui.

Alcaste faisait les cent pas.

– Elle est bien longue cette promenade.

– Ils ont bien le droit de s’envoyer en l’air s’ils veulent.

– Dame Mera !

– Bah quoi ? Fais pas l’innocent.

– Ce n’est pas le genre de Dame Lyre ! Je vais aller voir.

– Tu risques de gâcher l’ambiance. M’enfin, fais comme tu veux.

Alcaste sortit donc en appelant Lyre, et au petit attroupement qui s’était formé dans le village, son cœur bondit. Il se hâta et manqua défaillir. Les villageois essayaient d’aider Lyre qui fixait le ciel, la bouche ouverte.

– Dame Lyre !

– Vous la connaissez ? – demanda une villageoise.

– Oui ! Elle voyage avec moi ! Où est Jagen ?! Comment cela est-il arrivé ?!

– Jagen ? Un homme en noir ?

– C’est lui ! Je le savais ! Il est fautif !

– Il était là mais il y avait aussi un autre homme, blond. Ils sont partis ensemble.

Alcaste le considérait maintenant comme un sale traître qui l’avait tuée à l’aide de son complice. Il demanda d’une voix blanche :

– Où peut-on mettre le corps ?

– Elle vit encore.

– Elle ?... vit encore ?...

– Oui mais plus pour longtemps…

– Puis-je la porter à l’auberge ?

– Bien sûr. Partagez ses derniers instants, c’est important…

Alcaste la porta. Elle était lourde. Vraiment lourde malgré son apparence chétive. Il l’allongea sur son lit sans se soucier de le salir. Mera s’alarma.

– Lyre ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Alcaste repoussa sa natte échevelée.

– Elle est en train de mourir… Je me sens coupable…

– Attends, tu vas la laisser crever ?!

– Je ne suis pas Soigneur, je regrette…

– Et tu n’as aucun Monstre capable de l’aider ?! Au moins retarder sa mort le temps qu’on trouve quelqu’un ?!

Il n’y avait pas pensé.

– Oui… En effet… Mais est-ce qu’ils pourront user de leurs dons de guérison sur elle ?

– Essaie ! Vas-y !

Alcaste invoqua un monstre féminin qui usa de ses talents pour la soigner, ce qui échoua lamentablement. Lyre était exsangue et regardait le monde comme si elle n’en faisait plus partie. Mera avait les larmes aux yeux et criait.

– Pars pas ! T’entends ?! Reste avec nous !

Lyre la regardait de ses grands yeux marron en se demandant ce qui la rendait triste. Ce n’est pas comme si son existence avait la moindre importance. Elle venait de la rencontrer. Le Dresseur de Monstres avait l’air triste lui aussi, mais s’efforçait de ne pas pleurer et invoquait d’autres Monstres. Sans résultat.

Jagen rentra alors, couvert de sang et d’autres substances malodorantes. Il les observa d’un air vide. Et comprit que Lyre n’était pas tout à fait morte. Alcaste commençait déjà à hurler sur lui pendant que Mera tentait de le raisonner, ce n’était pas le moment !

Jagen se précipita alors et déploya ses ailes pour enfermer Lyre contre lui. Il planta ses crocs dans son cou et s’abreuva tout en enroulant ses doigts dans les siens.

– Tu es mienne… Désormais, ton corps sera mon réceptacle !

Lyre rendit l’âme. Les ailes disparurent en même temps que Jagen. Ne restait que Lyre qui gardait les yeux grands ouverts, comme endormie, en plein rêve.

*


Texte publié par Mishakal Yveldir, 5 août 2017 à 20h24
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 1 « Chapitre 1 : Pacte » tome 1, Chapitre 1
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2629 histoires publiées
1177 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Audrey02
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés