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tome 2, Chapitre 21 « L'ouvrage » tome 2, Chapitre 21

L’ouvrage

Finalement, le lendemain matin, lorsque je me réveille, je constate avec regret et déception qu’Elya n’est toujours pas revenu. Je suis inquiète et je me pose d’innombrables questions, surtout nous concernant. Je commence à sérieusement douter de notre relation, non pas de sa solidité, mais plutôt à savoir si nous avons bien fait de nous marier ou si nous aurions dû nous tourner le dos. Les choses auraient été peut-être plus simples pour chacun. Au lieu de ça, les seules choses que nous connaissons depuis notre union sont les catastrophes, la peur, les inquiétudes, la solitude aussi. Le seul moment magique que nous avons connu a été sur ce navire, jusqu’à ce que cette vipère s’immisce dans notre vie. J’ai peur que jamais tout ça ne s’arrête, mais je ne peux plus fuir. Il faut que je prenne mes responsabilités de reine et que je nous protège contre tous les dangers. Elya pourra peut-être à lui seul arrêter cette créature, mais si elle parvient à s’enfuir, elle parviendra à me manipuler. Il faut que nous l’arrêtions et que nous montrions aux autres que nous ne craignions rien d’eux, mais qu’eux doivent nous craindre.

Revigorée par un nouvel élan de courage, je me jette hors du lit et franchis en quelques enjambées la distance qui me sépare de la porte que j’ouvre à la volée. Là, je découvre un homme plutôt robuste, une armoire à glace plantée devant ma porte, sur le perron. Quand il se tourne vers moi et que ses yeux amandes jaune poussin me scrutent tandis que ses lèvres s’étirent en un trop large sourire, dévoilant quatre rangées de dents tranchantes, je comprends aussitôt pourquoi Elya a choisi cette créature pour me protéger.

— Bonjour, ma reine. Avez-vous bien dormi ?

— Pas vraiment. Dites-moi, existe-t-il un moyen d’envoyer un message d’un royaume à un autre ?

— Oui, absolument, nous avons de superbes oisoailles voyageurs et très rapides.

— Ois… Quoi ? Et où… ?

Il tend son bras pour me montrer un petit bâtiment plus loin. De loin, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une baraque à frites en bambous, mais la présence de nombreux oiseaux et les cages juste derrière l’homme qui tient le stand ne me donnent pas raison. Cependant, même si je sais parler le dolomenian, je ne sais pas encore l’écrire. En revanche, Toriel sait lire ma langue. Je remercie l’homme et me dirige vers le petit bâtiment. Le réceptionniste, en me voyant arriver à grands pas, se redresse aussitôt et commence à regarder autour de lui avec un air anxieux, comme s’il n’était pas à l’aise.

— Bonjour !

— B-B-Bonjour Ma-Ma-Majesté !

Il fait une courbette en manquant de peu de se cogner le front contre son bureau et j’arque un sourcil. Ce petit jeu me gêne quelque peu, mais j’ai des choses plus importantes à faire. Quand l’homme se redresse, je sursaute en poussant un cri et mon garde du corps accourt aussitôt, à l’affût.

— Que se passe-t-il ? s’affolent-ils tous les deux.

— Votre visage est violet !

— Oh ! Oh, je…

— Oh mon Dieu, il vire au rouge ! Vous êtes en train de faire un malaise ! Docteur !

— Non, non, non, tout va bien ! Je rougis simplement…

Je reste muette, ébahie, et je ne peux m’empêcher de le dévisager, encore sous le choc. Il est vrai qu’à part le teint particulier de sa peau, il semble se porter plutôt bien. Mon garde-du-corps soupire et rengaine sa machette. Je n’avais pas remarqué qu’il était armé. Pourtant, ce n’est pas la taille de sa machette qui lui porte préjudice.

— C’est un phénomène propre aux Acarites, dit-il en souriant. Vous n’avez pas l’habitude d’en voir, Majesté, n’est-ce pas ?

— Je découvre seulement ce monde, ne m’en veuillez pas.

— Et sinon, Ma-Ma-Majesté, que puis-je pour v-v-vous ?

— Je voudrais envoyer de toute urgence une missive à Dolomen. Septuna.

Aussitôt, l’Acarite violacé me tend feuille et encrier. Il décolore doucement mais sûrement tandis que je rédige ma missive à l’intention de Toriel, où je lui explique en détails la situation et lui demande de déployer un maximum de forces pour retrouver cette femme, tout en laissant une partie de nos forces militaires dans le royaume pour veiller à sa sécurité. Il est hors de question de laisser Dolomen sans la moindre défense. Une fois la missive rédigée, l’Acarite prend soin de m’expliquer que l’oisoaille arrivera à destination dans trois jours, alors que le Diamant Blanc a pris un mois entier à venir ici.

— Dès que vous aurez une réponse, informez-en-moi, d’accord ?

— Bien, madame.

Je le remercie et, tandis que je m’éloigne, j’entends une voix dans mon dos qui me hèle. C’est Elya, il est de retour de ses recherches. À en juger par sa mine déconfite, il n’a pas réussi à remettre la main sur la créature qui m’a fait chanter et a tué des milliers de vies.

— Elle a réussi à prendre la fuite, dit-il en haletant, hors d’haleine. Je suis désolé, Amaranthe, j’ai échoué.

— Ce n’est pas grave, nous allons remettre la main sur cette femme et elle chantera beaucoup moins.

— Quoi ?

— Je prends toutes les dispositions. J’en ai assez de me laisser piétiner, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants en ont souffert par ma faute. Le prochain qui voudra s’en prendre à moi, je le réduirai en cendres.

Elya me lance un drôle de regard que je ne parviens pas à déchiffrer, mais je ne reviens pas sur mes paroles. Je passe peut-être pour un monstre ou une étrangère à ses yeux, mais je refuse de laisser qui que ce soit briser le peu de bonheur que je peux avoir avec mon mari. Ce portail m’a offert une seconde chance alors que j’étais prête à sauter le pas. Il m’a permise de découvrir un monde extraordinaire et fabuleux, de vivre une histoire magique et de rencontrer mon âme sœur. Je veux conserver tout cela.

— J’ai envoyé une missive à Dolomen.

— Nous risquons d’être coincés ici un bout de temps, me confie Elya. Le temps que Dolomen reçoive la missive, qu’elle soit traitée, qu’ils trouvent un navire libre et que celui-ci se rende jusqu’aux Îles de Therdonne, nous devons compter deux mois environ.

— Nous perdrions deux mois ? Cette femme va avoir amplement le temps de détruire le monde entier pendant que nous restons là !

— Il n’y a pas d’autres solutions, Amaranthe.

— Y a-t-il des terres à proximité ou un autre moyen de voyager que le bateau ?

Elya semble réfléchir tandis que j’essaie d’envisager d’autres options, mais je ne connais ni la carte du monde ni ce monde en lui-même pour prétendre trouver une solution. Je doute qu’un royaume ait eu le temps de développer un autre moyen de locomotion avec les runes, Dolomen est le royaume le plus avancé en termes de technologie. Cependant, il nous reste la magie et j’ignore ce que nous sommes capables de faire avec. La téléportation est-elle seulement envisageable ?

— Il y a effectivement un autre continent à seulement dix jours de là, nous pouvons demander de l’aide aux races qui le peuplent, mais je ne suis pas certain que quelqu’un nous réponde par l’affirmative.

— Et la magie ?

— Quoi la magie ?

— Elya, qu’est-ce que les magiciens étaient capables de faire, de leur vivant ?

— D’innombrables choses.

— Tu ne peux pas un peu développer ?

— Dis-moi plutôt ce que tu veux savoir, nous irions plus vite.

— Est-ce qu’ils pouvaient se téléporter ?

À nouveau ce regard étrange, puis il éclate de rire. J’ai l’impression de passer pour une folle, à ses yeux. Quand il voit mon air outré, il se ressaisit aussitôt.

— Tu étais sérieuse ?

— Bien sûr que oui !

— Amaranthe, tu me demandes sérieusement si les magiciens étaient capables de distordre le temps et l’espace pour se rendre d’un endroit à un autre en une fraction de secondes ?

— Bah, euh… Oui, je crois.

— C’est impossible, personne n’a jamais réussi un tel exploit. C’est comme si tu demandais à quelqu’un de remonter le temps, c’est inenvisageable. Personne ne peut remonter le temps !

— Pourquoi ?

— Parce que le temps est quelque chose d’inaltérable. Il s’écoule incessamment, personne ne peut l’arrêter. Même si nous voudrions l’arrêter, il continuerait de s’écouler, c’est inévitable. Alors le remonter ou même le distordre, c’est de la pure folie ! Et même en admettant qu’un magicien en soit capable, nous n’avons pas assez de connaissance et de maîtrise dans le domaine de la magie pour faire une chose pareille !

— Mais ça vaut le coup d’essayer, non ?

J’ignore pourquoi, mais j’ai confiance. Je me sens déterminée plus que jamais et jamais je n’ai eu autant foi en quelque chose. Je sais que nous pouvons le faire et je sais aussi que nous allons y arriver. Il reste simplement à savoir quand et comment, car il est vrai qu’aucun de nous ne sait comment utiliser et maîtriser la magie. La seule fois où Elya y est parvenu, c’était probablement grâce au Prince Morlan. Il lui a sûrement indiqué la marche à suivre pour me transmettre son énergie, ce qui veut dire qu’il s’y connaît en magie et qu’il serait le plus à même de nous aider !

— Il faut que j’envoie une autre missive !

— À qui ?

— Au Prince Morlan !

— Pourquoi ?

— Il n’est peut-être pas magicien, mais je suis certaine qu’il s’y connaît malgré tout. Il peut peut-être nous aider !

Aussitôt, je me rapproche de l’Acarite qui devient violacé. Et, sous l’œil vigilant d’Elya qui ne quitte pas le pauvre Acarite du regard, j’écris une seconde missive, cette fois à l’intention du Prince Morlan où je lui demande expressément des conseils en magie. Je ne veux pas me retrouver coincée ici pendant deux mois entiers. Cette lune de miel n’en n’est plus une et ma haine pour cette femme qui m’a fait chanter ne fait que grandir. Je vais lui montrer de quel bois je me chauffe. Elle s’est frottée à la mauvaise personne.

Une fois la missive envoyée, je salue l’Acarite et je suis obligée d’appeler Elya qui s’apprêtait sans doute à le menacer.

— Qu’est-ce qu’il t’a fait, ce pauvre Acarite ?

— Il te scrutait.

— D’autres créatures vont me scruter et continueront toujours de me scruter. Ce sont des choses qui arrivent, tu ne vas pas tous les menacer de mort, si ?

— Si je suis de mauvaise humeur, si. J’ai passé une nuit à chercher une créature qui a fait chanter ma femme et a tué des milliers de vies, alors mieux ne vaut-il pas me chercher maintenant. Je ne suis pas d’humeur.

— Je vois ça.

Malgré tout, je ne peux m’empêcher de trouver ces paroles touchantes, car c’est la première fois que j’entends Elya s’exprimer en ces termes. Il saisit mes mains dans les siennes et ancre son regard dans le mien.

— Amaranthe, je suis désolé que les choses ont si mal tourné. Nous aurions dû prévoir le coup et ne jamais quitter Septuna…

— C’était notre décision, nous connaissions les risques.

— À cause de nous des milliers de personnes sont mortes !

— Oui, et nous allons leur rendre justice en attrapant cette femme. Elle ne va pas s’en tirer aussi facilement.

— Comment peux-tu être certaine que nous allons la retrouver ?

— Je ne sais pas, mais ce que je peux te dire c’est que je sais que nous allons l’attraper.

Il reste silencieux de longues secondes, avant de hocher d’un signe affirmatif de la tête. Maintenant, nous devons simplement attendre que des réponses nous viennent du continent et j’espère qu’elles seront rapides, car le temps presse.

***

Une semaine s’est écoulée depuis que j’ai envoyé les deux missives, mais nous sommes toujours sans aucune nouvelle de Dolomen. Je commence alors à m’inquiéter, à me demander si les oisoailles sont arrivés à destination, si Toriel a su décrypter les messages, si elle est parvenue à prendre les dispositions nécessaires ou s’il est arrivé malheur. Cette attente me paraît longue et insupportable. Plus le temps passe et plus je me sens nerveuse, au point de ne plus être capable de réfléchir correctement. Elya a bien tenté de me changer les idées en me proposant des promenades, un rafraîchissement au bar, une visite du village ou d’autres activités proposées par les villageois, mais rien ne me tente. Je suis trop occupée à réfléchir et m’inquiéter pour faire autre chose.

Elya me caresse tendrement le dos comme il a l’habitude de le faire depuis trois jours. Moi, je suis assise sur le lit, le regard perdu dans le vide, à me ronger les ongles en essayant de réfléchir, mais toutes mes pensées se mélangent dans mon esprit confus. Finalement, trois coups violents sont frappés à la porte et me font sursauter. La personne n’attend pas de réponse et entre. Je reconnais aussitôt l’Acarite. Il paraît essoufflé et tient dans sa main deux morceaux de papiers. Je sais aussitôt qu’il s’agit des missives.

— Majesté, voici les réponses que vous attendiez !

Je me lève aussitôt et accours, le cœur battant à tout rompre. Je me saisis des missives sans ménagement et les déroule, puis commence à lire. La première vient de Toriel qui m’informe qu’elle a exécuté mes ordres sans attendre et qu’elle fait affréter un bateau aux Îles de Therdonne pour nous chercher. La deuxième vient du Prince Morlan, probablement rédigée par Toriel, car elle est écrite dans ma langue et les deux écritures des missives sont identiques. Je m’attendais à un message un peu plus long, mais le Prince Morlan s’est simplement contenté de me dire que la magie ne s’apprend pas grâce à une simple missive et qu’il faut un apprentissage complet. Je n’attendais pas ce genre de réponse et ma déception est grande.

— Oh, attendez !

L’Acarite s’agite soudainement et ouvre son manteau pour fouiller à l’intérieur. Il en sort un paquet.

— Il était joint avec la seconde missive. Il vous est adressé.

Je m’en empare aussitôt et déchire le papier. C’est un livre assez épais avec une magnifique reliure en cuir, un travail plutôt raffiné et de qualité. Cet ouvrage doit valoir une fortune. Elya me prend le livre des mains avant que je n’aie pu l’ouvrir.

— Je n’en reviens pas…

— Quoi ? Que se passe-t-il ?

— Ce livre a été rédigé par le premier magicien. Il a été ensuite recopié à maintes reprises pour la formation d’autres magiciens, mais celui-ci est l’original !

— Et pourquoi le Prince Morlan nous l’a envoyé ?

— Les autres ouvrages ont été détruits. Ce livre enseigne la magie, mais une magie plus redoutable que celle que pratiquaient les magiciens avant de mourir. Une magie instable, dangereuse, parfois hypocrite. Cet ouvrage a été conservé pour son authenticité, sa valeur. Il était en possession du Prince Morlan, jamais il n’a voulu le céder à qui que ce soit, pas même contre une mine d’or.

— Et aujourd’hui, il nous l’envoie… En quelle langue est-ce écrit ?

— Par chance, le premier magicien était un dolomenian.

— Oui, ça c’est même une sacrée chance…

Elya remercie l’Acarite et le congédie. Elya et moi regagnons notre place sur le lit, puis il ouvre le livre sous mes yeux. Tout a été rédigé à la main, c’est incroyable. Il doit y avoir des centaines de pages, il y a même des dessins et des gravures. C’est un travail complexe et minutieux qu’a fait ce brave magicien et, aujourd’hui, ce même travail va peut-être nous aider Elya et moi. Du moins, je l’espère.

Elya est perdu dans sa lecture, mais moi je suis à bout de nerfs et j’ai perdu ma patience depuis bien longtemps.

— Alors ?

— C’est… Ça me paraît un peu compliqué.

— Comment ça, compliqué ?

— Je ne sais pas, je ne saisis pas tout. La langue a évolué depuis le temps et il y a des phrases que je ne suis pas certain de comprendre.

— Tu te fiches de moi ?

— Amaranthe, cet ouvrage a plus de mille ans !

Ah, quand même. J’espérais qu’il soit un peu moins vieux, mais il est vrai qu’Elya m’avait déjà dit que la magie était apparue deux siècles plus tôt. L’âge de ce livre n’est donc pas très étonnant. C’est à cette époque que le premier magicien est « né » ou, du moins, qu’il a découvert ses capacités. Et comment a-t-il appris seul à manier cette magie ?

Elya referme tout à coup le livre et inspire profondément.

— Bien. Je pense qu’il va falloir s’exercer quelque temps avant d’envisager quoi que ce soit de sérieux, car la magie peut nous tuer.

— Quoi ?

Je le dévisage, étonnée, et il me sourit pour toute réponse. J’ai de plus en plus ce sentiment que notre cause est désespérée.


Texte publié par Nephelem, 3 mai 2019 à 12h25
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