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tome 2, Chapitre 5 « L'occupation » tome 2, Chapitre 5

Je dois rêver, oui. J’ai probablement dû m’évanouir sous la torture, et maintenant je suis en train de rêver. Ce qui est en train de m’arriver n’est pas croyable. Elya ne peut pas être là, juste à côté de moi, à me tenir le bras en m’entraînant avec lui à travers tout un dédale de couloirs, protégé par ses gardes tandis que le combat fait rage. Il est devenu roi, il est venu avec son armée. Il n’a jamais eu autant de classe et je reste complètement admirative et abasourdie en le suivant comme un petit chien fidèle à son maître l’aurait fait. Je ne réalise pas très bien ce qui se passe en fait, je vois seulement des Tarbenians aux prises avec des soldats dolomenians. J’entends des sons de fer qui se croisent, des hurlements, des bruits sourds. Je vois les silhouettes défiler devant mes yeux, effarée, et c’est seulement là que je réalise ce qui se passe.

La capitale s’est transformée en un champ de bataille gigantesque, mais les dolomenians sont clairement plus nombreux que les Tarbenians et leur nombre, aux Tarbenians, diminue progressivement à mesure que les corps tombent et jonchent le sol.

Finalement, je suis conduite hors de l’immense yourte. Dehors, l’endroit est désert. Il y a quelques cadavres, mais plus personne en vie pour se battre.

Je ne sais pas où Elya envisage de m’emmener, mais nous quittons l’oasis pour nous diriger vers une haute dune et ainsi nous enfoncer dans le désert, là où la chaleur est insoutenable. Au moins sommes-nous loin des bruits et de l’agitation qu’il y a dans l’immense yourte, mais je commence déjà à sentir mes forces faiblir. J’essaie d’ignorer au mieux les étourdissements qui reviennent et de garder un pied dans la réalité même si j’ai encore du mal à croire que tout ceci soit réel et que j’ai été au cœur de ce qui s’approche le plus d’une attaque surprise. Je me rappelle encore de la remarque de Roran, surpris que le cor n’ait pas sonné pour annoncer la présence d’un ennemi. À ce moment, il était déjà trop tard, la capitale avait déjà été prise d’assaut.

Lorsque nous atteignons le sommet des dunes que j’escalade péniblement, soutenue par Elya et Toriel, c’est là que j’aperçois le camp. Des milliers de tentes blanches ont été dressées, dissimulées à la vue des Tarbenians, trop occupés à mener leur petite vie et à me soutirer des réponses pour se préoccuper du guépard tapis dans l’ombre qui guette sa proie. Le camp est bien évidemment désert, mais le nombre de tentes me laisse pantois. Je n’avais pas imaginé que les dolomenians puissent posséder une armée aussi impressionnante, mais Mélisandre m’avait mise en garde : Dolomen est le royaume le plus puissant de ce monde, je ne devrais donc pas en être étonnée.

— Viens, Amaranthe, nous y sommes presque…

Elya m’aide à descendre la pente en m’évitant soigneusement de glisser et nous nous approchons d’une rangée de tentes. Mes jambes commencent à trembler, à devenir molles et flasques. J’ai même l’impression que mon visage se liquéfie et que mes yeux roulent. Je vois le monde chavirer et sens des bras me rattraper.

— Mélisandre, aide-moi.

J’ai à peine le temps de sentir mon corps être soulevé que les ténèbres se referment lentement sur moi pour me plonger dans l’obscurité.

— Mrwwwaow !

Ce glapissement étrange suivi par un ronronnement bruyant, je le connais. Je sens également une langue humide me lécher la joue.

— Shou, laisse-la tu vas la réveiller !

Ça, c’est Toriel et son énergie incroyable. Je crois ne l’avoir jamais vue fatiguée ou épuisée. Je suis tout son contraire ; toujours dans le cirage. Et je ne pense pas que cette fois-ci soit la dernière, mais je commence à être agacée d’être toujours la victime et d’avoir besoin de secours pour me sortir du pétrin. Je n’ai rien demandé de tout ça. Je voudrais être comme Mélisandre, personne ne l’embête, lui. À ce propos, comment cela se fait-il ? Qu’a-t-il pu faire dans le passé pour que personne ne l’approche ?

Je sens à nouveau la langue de Shou sur mon visage et je gémis en essayant de le repousser. J’aimerais dormir encore un peu, car mon corps est fatigué, mais mon esprit, lui, est bien éveillé.

J’ouvre brusquement les yeux et vois Toriel debout, à côté de moi, qui tient Shou dans ses bras.

— Qu’est-ce que je t’avais dit ! le tance-t-elle à voix basse en le grondant. Désolée, Amaranthe, il est intenable…

— Ce n’est rien…

Je me redresse lentement et observe la tente dans laquelle j’ai été amenée. Elle est grande, le tissu est bleu avec des bordures dorées. J’ai l’impression de me trouver dans une véritable chambre et je suis prête à parier qu’il s’agit de la tente d’Elya, de la tente du roi.

Tout était donc vrai : l’assaut, le sauvetage, Elya… Où est-il ? Je le cherche des yeux, mais ne le vois pas.

— Il est avec ses généraux, me répond Toriel en me voyant faire. Ils tentent d’établir un nouveau plan d’attaque pour prendre d’assaut la deuxième capitale de Tarbenar.

J’acquiesce d’un signe de la tête et me frotte le visage. J’ignore si je dois sauter de joie ou m’effondrer en larmes, je ne sais plus quel comportement adopter face à une telle situation. Je suis évidemment ravie de retrouver Toriel et j’ai envie de savoir ce qui s’est passé en mon absence, comment les choses ont évolué, mais en même temps j’ai envie de pleurer et remercier Dieu de m’avoir tirée d’un tel enfer. J’ai vécu les pires moments de ma vie auprès de ces Tarbenians, ils savent s’y prendre avec leurs prisonniers et j’ai réellement pensé ma dernière heure venue. Je me suis trompée et c’est un véritable soulagement.

Mes lèvres remuent sans que je le leur commande. Elles veulent sourire mais aussi se crisper pour laisser sortir des sons qui témoignent de ma tristesse et de ma peur. Quand Toriel m’aperçoit dans un tel état d’incertitude, partagée entre plusieurs sentiments, elle pose doucement Shou à terre et vient me serrer dans ses bras avec force.

— Oh, Amaranthe ! Ne t’en fais pas, tout va bien maintenant… Tu es sauvée…

Elle me caresse le dos et j’hésite longuement avant de lui rendre son étreinte et nicher ma tête au creux de son cou en laissant les larmes couler librement, sans plus chercher à les retenir.

— Tu m’as tellement manquée, je marmonne d’une voix chevrotante. Désolée de vous avoir abandonnés ainsi, Toriel, mais je… Je suis désolée…

— C’est bon, Amaranthe, je sais. J’ai tout de suite compris, mais c’est terminé maintenant, d’accord ?

Je hoche doucement la tête et renifle bruyamment, puis m’écarte de Toriel. Je suis tellement contente de la retrouver ! Mais je voudrais également revoir Elya. Quand il m’a sauvée, j’avais l’impression de me trouver dans un rêve, tout me semblait irréel. Maintenant que je suis plus ou moins rétablie, du moins que je me sens plus en forme, je voudrais me tenir face à lui, toucher son visage, contempler ses yeux. J’ai besoin de le voir, le toucher, le sentir…

— Est-ce que tu peux m’amener auprès d’Elya, Toriel ?

— Oui, bien sûr…

Elle me fait signe de la suivre et nous franchissons quelques allées de tentes avant d’en aborder une plus grande que les autres. Toriel me fait entrer et, aussitôt, toutes les têtes se tournent alors vers moi. Il y a une dizaine de personnes au moins, toutes penchées sur une large table sur laquelle a été étendue la carte du monde.

J’ai du mal à trouver Elya, mais je le vois bientôt se diriger vers moi pour me serrer dans ses bras.

— Amaranthe… Tu vas bien ? Tu m’as fait une peur bleue…

Il soupire et notre étreinte dure quelques instants pendant lesquels je savoure ce moment, puis il s’écarte de moi, m’étudie attentivement, avant de retourner vers la table. J’avoue que cette distance qu’il met entre nous me refroidit légèrement en même temps que de me laisser perplexe, mais j’imagine qu’il veut laisser une bonne image à ses généraux. Après tout, il n’est roi que depuis peu de temps, il n’a pas encore eu le temps de montrer à ses sujets de quoi il est capable.

Je balaie donc d’un revers de la main les mauvaises pensées qui commencent à me tarauder et m’approche de la table. Mélisandre est là lui aussi. Ils semblent bloqués sur un problème.

— Que se passe-t-il ? je demande, intriguée.

— Nous voulons prendre d’assaut la deuxième capitale de Tarbenar, Doloran, mais nous ignorons comment nous y prendre.

Il déploie une autre carte sous mes yeux et je ne peux qu’en déduire qu’il s’agit de Doloran.

— Elle est barricadée par de hautes murailles impossibles à escalader car les murs sont trop lisses, et lancer des harpons pour nous hisser serait trop risqué car trop bruyant, sachant que des gardes sont postés un peu partout tout le long de la muraille. Nous ne pouvons pas non plus attaquer par les airs, nous ne possédons pas de bombardiers.

— Et celui de Dame Affriola a été détruit…

— Ceux des Tarbenians sont restés à Cemptrion, nous n’avons aucune possibilité de les récupérer, car ils campent la capitale.

— Il n’y a aucun risque que Doloran soit avertie de l’assaut que vous avez donné ici ?

— Nous avons tué tous les messagers, les porte-paroles, les coursiers, les colombophiles… Alors pour répondre à ta question, Amaranthe, oui il n’y a aucun risque.

Mélisandre me scrute depuis un moment déjà et il sait très bien qu’une idée a commencé à germer dans mon esprit. Je pense qu’elle va le faire sourire quand je l’aurai mise à découvert.

— Habituellement, quels sont vont termes avec les Tarbenians ?

— Nous étions plutôt neutres.

— Bien…

Je relève la tête et souris à Mélisandre.

— Le cheval de Troie.

Il tique, cligne des yeux et se redresse, étonné, mais finit par sourire. Elya et ses généraux, eux, n’ont rien compris et cela ne m’étonne pas vraiment.

— De… Quoi ?

— Et si vous leur faisiez une offrande ? Un cadeau pour signer un traité de paix ou proposer des échanges commerciaux. Vous leur offrez une immense statue en bois, mais une statue à l’intérieur de laquelle se trouveraient cachés des soldats. Là, ils attenderaient la nuit, sortiraient de la statue, attaqueraient les gardes postés à l’entrée, ouvriraient la porte et l’armée s’introduirait à l’intérieur de la ville.

— C’est une idée absolument ingénieuse !

— Je n’ai aucun mérite.

— Bien sûr que si, tu viens de régler le problème en un clin d’œil alors que nous planchions dessus depuis une semaine !

Je souris, ravie, mais je me sens également coupable, car je sais pertinemment que cette idée ne vient pas de moi. Je ne suis pas assez ingénieuse et audacieuse pour planifier une chose pareille. Ça, je le dois plutôt à Ulysse et Epéios. Merci à eux de m’avoir permis de monter dans l’estime d’Elya. J’espère pouvoir encore l’impressionner par la suite.

L’assemblée se disperse rapidement après qu’Elya ait donné des ordres. Le camp sera levé demain, nous nous dirigerons ensuite vers la forêt la plus proche de Doloran pour envisager la construction de l’offrande et l’amener alors aux Tarbenians.

Nous ne sommes plus que tous les deux dans la tente et Elya s’occupe d’enrouler les cartes pour les ranger dans de grands tubes en papier.

— Alors… ? je demande tout à coup. Vous avez récupéré toute la magie liquide et solide ?

— Oui, et nous l’avons stockée dans un endroit sûr et très protégé, inviolable, me répond Elya. Nous nous en servirons le moment venu.

— C’est bien… Il s’est passé beaucoup de choses pendant mon absence ?

— Assez, oui.

Il me sourit.

— Mais ça, Amaranthe, tu le découvriras le moment venu quand nous reviendrons à Septuna.

— Oui, bien sûr, c’est évident…

— Et tu vas y retourner sans moi, je t’y rejoindrai une fois que Tarbenar appartiendra à Dolomen.

— Quoi ? Tu n’es pas sérieux Elya !

— Bien sûr que si.

— Je me suis entraînée justement pour ce genre d’événements ! Je suis douée à l’arc, j’ai maintenant des compétences qui peuvent être utiles !

— Amaranthe, ne conteste pas mes ordres, je suis ton roi maintenant. Et si je te dis de retourner à Septuna, alors tu y retournes. Tu seras évidemment accompagnée par Toriel et une vingtaine de gardes pour assurer ta protection.

— Mais je…

— Tu ne crois sérieusement pas que je vais te laisser agir stupidement ? Tu as vu dans quel état je t’ai retrouvée ?

— C’était simplement…

— Non !

Son regard est ferme et sa voix sans appel. Je sais que je ne parviendrai pas à lui faire entendre raison, je ne vais pas avoir d’autres choix que de lui obéir. Tout cet entraînement, ces deux mois d’acharnement, n’auront finalement servi à rien. Il est clair que tout le monde m’empêche de devenir ce que je veux devenir, jamais je ne pourrai être la femme accomplie que je souhaite être.

Dégoûtée, je tourne les talons et quitte la tente. J’ai besoin de prendre l’air et de réfléchir posément pour comprendre tout ça. Je sais bien qu’il m’a ramassée à la petite cuillère, mais à mes yeux ce n’est pas une raison suffisante pour m’écarter ainsi du combat, d’autant plus que c’est moi qui leur ai fourni l’idée du cadeau empoisonné pour les Tarbenians ! Je devrais donc faire partie de cet assaut.

Je retourne alors dans la tente où je me suis réveillée. Toriel est là et quand elle me voit, elle devine tout de suite que quelque chose ne va pas. Maintenant, nous sommes comme des sœurs, nous connaissons chacune nos regards, expressions, tons…

— Amaranthe, qu’est-ce qui se passe ?

— Elya veut que je retourne à Septuna alors que moi je veux combattre à ses côtés.

— Oh, ça… Moi, il voulait que je reste à Septuna, mais j’avais l’intuition que je te retrouverais.

— Il n’arrive pas à contester tes ordres ou dire non à tes caprices, Toriel. Tu es sa sœur et il tient à toi.

— Il tient à toi aussi.

— Oui, peut-être, mais nous n’avons aucun liens familiaux. Nous n’avons pas le même sang, alors me contester est plus simple et plus facile. Je ne peux rien.

— Et si tu lui désobéis ?

— Non, Toriel. La dernière fois que j’ai voulu lui désobéir il m’a assommée, tu te souviens ?

— Ah oui…

Je souris à ce souvenir. Maintenant il m’amuse, mais quand j’étais en plein dedans, je souriais beaucoup moins. J’étais même au bord des larmes. C’était le moment où nous découvrions le désastre qu’il y avait eu à Cereus, le massacre du roi Goldorus en réponse à un refus. Je me demande ce qu’il est advenu de lui et de Dame Affriola, mais je suppose que ce ne sont pas mes affaires. Je suis mise à l’écart de tout pour une raison qui m’échappe totalement et j’ai l’impression d’être une parfaite étrangère. Je n’aime pas ça du tout, il y a quelque chose dans l’air qui se trame. Je le sens. Je le sens trop bien. Même Toriel semble plus… objective que d’habitude, elle qui est toujours pleine d’entrain.

Il est inutile de raconter le voyage qui s’est déroulé de Tarbenar jusque Septuna. Il a été plutôt long et ennuyeux, sans intérêt et sans incident. En faire un récit détaillé n’apporterait donc rien de bien utile, mais j’avouerai que lorsque j’ai aperçu le château de Septuna et ses tourelles au loin, mon cœur s’est emballé. Nous avons été accueillis par des applaudissements et une petite fête alors qu’Elya, leur roi, n’est même pas là. Je veux dire, il ne nous accompagne pas, je ne vois aucune raison de nous accueillir comme des héros alors qu’ils ne savent probablement pas si Tarbenar a été une victoire ou un échec. Pourtant, j’accepte tous les cadeaux que l’on me tend et se frayer un chemin jusqu’au château devient fastidieux mais pas impossible. Quand nous atteignons les portes, deux gardes nous ouvrent en nous saluant respectueusement et j’entre dans le hall d’entrée, ravie et soulagée de retrouver un lieu que je connais.

Il y a une jeune femme qui nous attend, semble-t-il. Elle est d’une beauté que je lui envie et qui me laisse légèrement perplexe. Les tissus qu’elle porte semblent plutôt très coûteux. De la soie, du satin, des broderies et de la dentelle. Tout y est dans un complexe mélange surprenant mais absolument charmant. Les couleurs qui prônent sont le rouge bordeaux, l’or et le blanc. Sa coiffure également est plutôt sophistiquée bien que ravissante. Deux mèches brunes et bouclées encadrent un visage aux traits lisses et parfaits dont les yeux d’un bleu électrique me transpercent littéralement et rehaussent son teint diaphane. Je reste littéralement bouche bée devant une créature aussi sublime.

Elle nous sourit et s’approche de moi en me tendant une main. Au premier abord, elle semble plutôt avenante.

— Bonjour et bienvenue à Septuna !

— Euh, je… Bonjour…

Je lui rends sa poignée de main et elle se dirige vers Toriel pour l’embrasser sur les deux joues. J’avoue être un peu perdue, je ne comprends pas très bien ce qu’il se passe.

— Mais euh… Vous êtes qui ?

— Je m’appelle Ysiel, je suis la fiancée d’Elya.

Je tombe des nues.


Texte publié par Nephelem, 3 mai 2019 à 12h08
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