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tome 2, Chapitre 1 « Les colonnes de fumée » tome 2, Chapitre 1

Nous y sommes presque. J’aperçois déjà Septuna de là où je me tiens, tandis que Dents D’Acier avance tranquillement, transperçant les nuages. Elya se tient à mes côtés. Nos mains sont côte à côte et j’ai l’irrésistible envie de la serrer dans la mienne. À chaque fois que cette pensée m’effleure l’esprit, je sens mon cœur battre la chamade contre ma poitrine et je suis immédiatement prise d’une bouffée de chaleur.

C’est un nouveau départ pour nous deux et nous allons enfin pouvoir officialiser notre relation, mais je crois que j’ai peur. J’ai peur qu’il ne veuille plus de moi, peur qu’il ne ressente plus rien, peur qu’il ait changé d’avis, peur qu’il veuille obéir à son père… Je ne peux pas m’empêcher de ressasser inlassablement mes doutes et mes inquiétudes dans mon esprit tourmenté, en quête d’une solution, aussi tangible soit-elle. Les choses se sont arrangées, j’ai l’impression d’avoir plongé dans un rêve tant la situation est « inespérée ». Tout semble avoir repris sa place, le monde est en paix, la guerre ne nous menace plus, elle n’est plus aux portes de Septuna. Mais tout ça, c’est trop beau. Trop beau pour être vrai. Il va forcément y avoir quelque chose qui va se produire et nous tomber dessus pour nous mettre des bâtons dans les roues. Je ne peux pas être aussi chanceuse, c’est impossible. J’ai toujours connu des désastres dans ma vie, la chance a toujours été accompagnée par la malchance, le bonheur par le chagrin, la joie par la colère, le rire par les larmes.

Je n’ai jamais pu espérer connaître le bonheur sans craindre d’être frappée par le malheur, c’est une malédiction que je traîne avec moi depuis ma naissance. Même mes parents sont plutôt troublés, eux qui ont une vie si calme et si paisible à côté de la mienne, désordonnée et chaotique. Et maintenant que j’ai disparu, leurs pensées ne pourront être que confirmées.

— Tu sembles inquiète…

La voix d’Elya me ramène tout à coup à la réalité et je me tourne vers lui. Je lui souris en espérant que ce geste puisse le réconforter.

— Tu as peur, n’est-ce pas ? me demande-t-il.

Il est perspicace, sage et intelligent. Il a de nombreuses qualités et de nombreux atouts. À côté de lui, je me sens parfaitement inutile et incapable.

— Oui, mais je m’inquiète peut-être pour rien.

— Sans aucun doute.

Je ne lui réponds pas, mais en vérité je sais pertinemment que j’ai d’excellentes raisons de m’inquiéter. Il m’arrive parfois de me demander comment il peut être aussi naïf. Il m’a fréquentée quelques mois, il a souvent eu l’occasion de constater que je n’apporte que le malheur et la destruction, alors pourquoi s’acharne-t-il à croire que tout est bien qui finit bien ? Dans mes contes à moi, il n’y a jamais de fin heureuse. J’espère qu’un jour il finira par le comprendre, mais ce jour-là je crains que sa perspicacité ne le pousse à vouloir se séparer de moi. Pour l’instant, ses sentiments le rendent aveugle.

Je soupire et m’appuie sur mes deux avant-bras en continuant de contempler le paysage qui s’étend juste sous nos pieds. Cependant, un détail m’interpelle et je fronce les sourcils pour tenter de discerner ce que je crois deviner.

Je savais bien que notre bonheur ne pouvait pas durer, ça aurait été bien trop beau et irréaliste.

— Elya… Pourquoi toute cette foule est-elle amassée aux portes du château ? je demande.

Étonné, Elya se penche légèrement en avant pour étudier attentivement la ville. Je sais bien que ma vue est plus mauvaise que la sienne, mais je suis quasiment certaine que mes yeux, cette fois, ne me trompent pas.

— De la fumée noire, murmure-t-il, des chants… Le roi est mort.

— Quoi ?

Je me redresse, livide. Le visage d’Elya s’est décomposé. Si ça n’avait été qu’un roi parmi tant d’autres, la situation m’aurait peu importé, mais là il s’agit tout de même du père d’Elya.

— Elya !

Toriel arrive en trombe sur le pont du bombardier, le regard affolé, mais quand elle aperçoit Elya et qu’elle voit son regard, elle comprend et s’approche doucement de lui.

En toute honnêteté, je ne sais pas trop comment réagir, je n’ai jamais vraiment été douée pour réconforter les gens bien qu’à une époque je possédais ce don. J’étais même devenue le bureau des plaintes, mais je l’ai fermé car à force de me consacrer au malheur des autres, plus personne ne s’est occupé du mien, plus personne n’épongeait mes larmes. Je n’ai jamais non plus été très tactile ou expressive, mais j’ai envie de réconforter et consoler Elya.

Pourtant, avant même que je ne puisse amorcer le moindre geste pour lui saisir la main, son regard se ferme et il s’en va d’un pas lourd en bousculant sa sœur au passage.

Toriel le regarde s’éloigner en l’appelant sans pour autant le rattraper. Elle connaît son frère mieux que quiconque. Si elle ne cherche pas à le rattraper, c’est qu’il ne veut sûrement pas parler et qu’il n’y aura probablement rien à tirer de lui qu’un silence implacable.

— Les choses étaient en train de s’arranger, je bafouille. Tout ça, c’est à cause de moi…

— Mais non ! Qu’est-ce que tu racontes, Amaranthe ? Ce n’est pas toi qui as tué le père d’Elya, il était malade. Très malade…

— Toriel, c’est très gentil à toi de vouloir me réconforter, mais je sais ce que je dis. J’ai toujours porté la poisse, pourquoi les choses changeraient-elles aujourd’hui ?

Je lui souris tristement et elle me caresse la joue.

Je savais bien qu’il devait forcément y avoir une tuile qui empêche mon bonheur et celui d’Elya. Ça a toujours été ainsi, pourquoi en aurait-il été autrement ?

Je me détourne de Toriel et descends jusque dans la chambre. Je n’y trouve pas Elya, sûrement a-t-il dû se réfugier ailleurs pour laisser sa colère et sa tristesse s’évacuer sans me laisser intervenir. Je comprends très bien le fait qu’il ne soit pas particulièrement démonstratif de ses sentiments, mais j’aimerais qu’il se confie à moi afin que je puisse le réconforter et le consoler. Il me tient toujours hors de ces choses-là, mais les avouent à Toriel une fois qu’il a su retrouver ses esprits. Je le sais parce que Toriel est très bavarde, mais je ne lui en ai jamais dit mot.

En vérité, je commence sérieusement à me demander si nous sommes faits l’un pour l’autre ou si nos chemins ne devraient pas plutôt se séparer, mais cette seule pensée m’est très douloureuse.

Je soupire et m’affale sur le lit. Shou grimpe dessus et commence à me lécher le visage, mais je le repousse gentiment. Il baisse alors les oreilles et va se blottir dans un coin de la chambre, mais toujours dans mon champ de vision. D’ailleurs, il ne me quitte pas du regard, car il sait très bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il serait presque plus attentif qu’Elya, c’est pour dire.

— Tu es mignon, Shou, mais j’ai besoin d’être seule.

Toute ma journée et même tous mes espoirs ont été détruits en une fraction de seconde à peine. Finalement, je n’ai plus tellement hâte d’arriver à destination. Au contraire, je pense que rester à bord de ce bombardier serait une très sage idée. Elya aura tellement de problèmes en débarquant sur la terre ferme qu’il n’aura plus le temps de se soucier de moi et je n’ai pas vraiment envie de participer à tout ça. Il va y avoir l’enterrement, la cérémonie de couronnement, sûrement des centaines de réunions avec d’importantes personnes… Il va se retrouver littéralement submergé et il est trop tôt pour annoncer à un peuple atteint par le chagrin que son roi a l’intention d’épouser une étrangère venue d’un autre monde. Non, décidément tout ça ne tient pas la route et ne m’inspire pas, je devrais lui en parler et m’éloigner jusqu’à ce que les choses se calment, si tant est qu’il ne m’oublie pas entre temps. Je vais le laisser gérer cette situation. De toute manière, à la base je n’aurais jamais dû me retrouver ici, dans ce monde. Les choses ne doivent pas être différentes simplement parce que je suis là.

J’entends tout à coup un bruit et Shou piaille puis s’éloigne de la porte lorsque Elya entre, le regard fermé. Quand on parle du loup… Je me redresse alors.

— Elya… Justement, je me posais une question. Tu ne crois pas qu’il serait plus judicieux que je reste à bord de Dents d’Acier ? Je risque de te faire de l’ombre et d’être une gêne pour toi, tu vas être débordé par… par cet événement.

Il garde le silence un long moment. Un moment qui dure tellement longtemps que j’ai l’impression qu’une éternité s’écoule. Un moment pendant lequel il me dévisage si froidement que son regard me transperce de part en part et je me sens gênée.

— Fais ce que tu veux, lâche-t-il d’un ton cinglant.

Je me raidis alors qu’il me tourne le dos pour quitter la chambre. J’ignore ce qu’il était venu faire ici, mais il est clair que ma question lui a fait perdre la mémoire. Il a pris la chose tellement bien que j’en ai le sang glacé et les larmes au bord des yeux. J’aurais voulu qu’il soit plus doux, plus attentionné. Pourquoi a-t-il fallu que je m’entiche de quelqu’un d’aussi froid, distant et secret ? Puisqu’il le prend ainsi, ma décision est donc prise. Il ne va plus jamais entendre parler de moi. En revanche, mieux vaut-il que je n’en parle pas à Toriel. En toute logique, la descente sur la terre ferme devrait s’effectuer d’ici quelques heures et si Toriel vient me chercher, je prétexterai alors que je suis malade. Une fois qu’elle sera descendue, je demanderai à Dame Affriola de nous éloigner.

J’ignore où mes pas vont me mener, mais je n’ai pas l’intention de rester à Dolomen. Il va bien falloir que je trouve un but à ma vie dans ce monde et que je puisse seulement compter sur moi-même sans avoir besoin d’appeler au secours.

Je quitte ma chambre d’un pas déterminé pour arpenter les couloirs de Dents d’Acier et j’ai la chance incroyable de tomber nez-à-nez avec Arthérien en quelques minutes seulement.

— Arthérien, vous tombez bien ! S’il vous plaît, où est Dame Affriola ?

— Elle se restaure, vous avez besoin de la voir ? me demande-t-il.

— J’ai effectivement une requête à lui soumettre.

— Et vous souhaitez que je vous accompagne pour permettre une communication plus facile, n’est-ce pas ?

Il me sourit et me fait signe de le suivre. Contrairement à Elya, Arthérien est d’un tempérament plus calme et plus réfléchi. Parfois, je regrette qu’Elya ne lui ressemble pas plus, mais s’il avait été comme lui, je doute sérieusement que j’aurais éprouvé des sentiments. Je suis plutôt du genre à tomber sous le charme du mystère, mais le mystère peut souvent se montrer vicieux et retourner sa veste à plusieurs reprises.

Le chemin est court jusqu’à la suite de Dame Affriola et lorsque nous entrons dans sa chambre, j’ai aussitôt l’impression de pénétrer dans un majestueux palais. Tout est riche, spacieux et peut-être un peu trop luxueux entre le sol de marbre, les colonnes plaquées or, les draps de satin, les statues, les tableaux immensément larges et la quantité de robes que j’aperçois dans sa penderie. C’est affolant.

Un peu désarçonnée, je ne remarque pas Dame Affriola, sagement assise à sa table et qui boit sûrement un verre de thé. À côté d’elle se dresse l’un de ses nombreux domestiques qui tient la théière en regardant droit devant lui avec un regard vide de vie. C’est attristant. La voix de Dame Affriola m’extirpe de ma fascination et Arthérien se charge aussitôt de me traduire ses paroles.

— Bonjour Arthérien, bonjour Amaranthe. Que me vaut l’honneur de votre visite ?

— Ma visite est un honneur ? Non, ne traduisez pas ça s’il vous plaît. Dame Affriola, désolée de vous déranger pendant l’heure de votre repas, mais j’ai une requête personnelle et importante à vous demander.

— Encore une requête ?

— Oui, navrée, mais je… Déjà, vous n’avez pas l’intention de rester à Dolomen, n’est-ce pas ?

— Non. Une fois que vous serez retournés à Septuna, je m’en retournerai dans mon pays.

— Justement, à ce sujet… Puis-je me permettre de rester à bord de Dents d’Acier ? J’ai… Je ne souhaite pas rester à Septuna.

Arthérien ne peut s’empêcher de me regarder avec surprise, mais traduit malgré tout mes paroles. Dame Affriola hausse également les sourcils et repose doucement sa tasse de thé, puis s’essuie la bouche avec une serviette en soie où sont gravées ses initiales.

— Votre requête m’étonne, pour être honnête. J’ai pourtant ouïe-dire que vous aviez une certaine relation avec Elya.

— Une relation qui pourrait ne pas être vue d’un très bon œil par quelques milliers, si ce n’est pas millions, de personnes. Et je ne souhaite aucunement être une gêne pour Elya. Il va être très occupé en descendant et il va avoir tout un tas d’événements à organiser. Je ne veux pas en faire partie. De toute manière, je commence à douter de ses sentiments et de notre relation. Je préfère rester en retrait.

— Et, par curiosité, où iriez-vous ? Qu’y feriez-vous ? Je suppose que vous ne devez pas connaître notre monde…

Je reste silencieuse un long moment, sans savoir quoi répondre. Je n’ai pas grand-chose à répondre, de toute manière, si ce n’est : « Je ne sais pas ». Je pense que cette réponse va la faire doucement rire.

— Vous êtes un drôle de spécimen, Amaranthe, mais un spécimen audacieux et courageux.

Si ça ne tenait qu’à moi, je pense que je me serais esclaffée, mais je me tiens devant une reine et il y a un certain comportement à avoir face à un personnage aussi important.

— Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis seulement stupide et inconsciente, voilà tout. Je ne dois pas ma décision à une quelconque forme de courage, ma Dame. Croyez-moi.

Je baisse alors la tête en réfléchissant à toute allure quelle réponse décente je pourrais lui donner pour qu’elle accepte ma requête. Elle semble effectivement très intriguée par moi, mais je doute que cela suffise.

— Vous pourriez venir dans mon royaume.

— Quoi ?

Elle se répète, mais j’avais déjà compris. Je ne comprends seulement pas quel intérêt elle aurait à m’amener dans son royaume.

— C’est une proposition très alléchante et je vous en remercie mais…

— Je peux tout vous offrir là-bas, Amaranthe. Je peux vous apprendre à connaître ce monde et à maîtriser plusieurs langues, sans pour autant vous proposer de m’épouser.

Elle rit à sa blague, Arthérien aussi, mais moi je me sens plutôt mal-à-l’aise et anxieuse, mais également ravie et excitée.

— Et votre peuple…

— N’a pas son mot à dire. Mais ne vous inquiétez pas, nous sommes une race très accueillante, vous n’avez pas à vous inquiéter Amaranthe. Personne ne vous fera de mal ou de tort.

— Possédez-vous également un maître de tir à l’arc ?

— Vous souhaitez devenir indépendante, n’est-ce pas ?

— Oui. Je ne veux plus rendre de compte à quiconque.

— Je possède justement le meilleur maître de tir à l’arc de ce monde. Vous allez être séduite.

Séduite par un lézard, j’ai un doute, mais séduite par sa proposition, ça ne fait aucun doute. Je la remercie, m’incline respectueusement et Arthérien m’escorte hors de la chambre. Je lui demande alors de faire courir le bruit de mon malaise si jamais certains venaient à demander où je suis et il accepte sans rechigner.

Je suis heureuse, j’ai enfin retrouvé un but à ma vie.


Texte publié par Nephelem, 17 juillet 2017 à 10h42
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