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tome 1, Chapitre 22 « Grand-Celehune » tome 1, Chapitre 22

Je me suis réveillée avant tout le monde, en vérité. Je ne parvenais plus à dormir. J’ai trop de choses qui me tracassent et m’inquiètent. Lorsque j’ai ouvert les yeux, Mélisandre montait la garde, mais il avait l’air fatigué alors je lui ai conseillé de dormir pendant que moi je surveillerais de près notre petit campement.

Le silence qui m’entoure est pesant, intimidant, j’ai l’impression de suffoquer et je me sens plutôt mal-à-l’aise. J’ai hâte que le jour se lève pour que nous puissions reprendre rapidement la route.

Elya dort paisiblement. Shou s’est enroulé au creux de son bras. C’est un tableau attendrissant, mais je me sens encore en colère contre lui et parfois je me demande vraiment où toutes nos mésententes vont nous amener et si nous parviendrons réellement à former un couple. J’ai quelques doutes… mais peut-être que je tergiverse trop là-dessus.

Là-haut, le ciel commence à s’éclaircir, le jour approche et j’attends patiemment que les autres se réveillent. Il me faut encore attendre plus d’une heure, heure pendant laquelle je prépare un semblant de petit-déjeuner avec ce que j’ai trouvé dans les sacs. Et comme ma connaissance de la nourriture dans ce monde est franchement limitée, il me faut ruser pour savoir comment cuisiner les aliments afin d’en tirer quelque chose de potable.

Une fois que nous nous sommes tous restaurés, nous repartons et c’est un soulagement de pouvoir enfin quitter ce qu’ils appellent la Grande Fissure. Mélisandre nous prévient alors que nous ne sommes plus très loin de Grand-Celehune et que nous devrions avoir atteint la capitale d’ici la fin de journée. En attendant, les paysages s’enchaînent entre la forêt de sapins et les vastes plaines, jusqu’à ce que nous abordions un lieu plus désertique, moins chaleureux. La verdure se fait moins dense, les points d’eau plus rares, et les animaux un peu plus présents. Il nous faut parfois faire un détour pour éviter les lions, tigres, jaguars, et autres bestioles dangereuses. En revanche, les girafes, éléphants et koalas sont un plaisir à regarder et à caresser. Je ne le répéterai jamais assez, mais j’adore les animaux.

Enfin, nous arrivons dans ce qui semble être un désert, avec des quantités astronomiques de sable, de hautes dunes et une légère tempête de sable qui s’arrête bien rapidement. Le soleil est à son zénith et il fait chaud. Elya nous conseille de nous habiller en conséquence et me noue un foulard autour de la tête pour éviter toute insolation.

— Alors c’est dans ce type de paysage que se trouve la capitale ? Ils n’auraient pas pu choisir un meilleur endroit ?

— C’est purement stratégique, me répond Mélisandre. Le désert peut dissuader de nombreuses personnes et même en hiver la visibilité est incroyable. Les nuits, en revanche, sont à craindre ainsi que les tempêtes de sable. Et la capitale s’est construite autour du plus grand oasis, autrement elles se font rares. Un autre atout pour eux. Ils ont tout à y gagner en s’installant ici.

— J’espère que tu as raison…

— J’ai l’impression que tu connais pas mal notre monde, Mélisandre, grommelle Elya.

— Oui. Je sais que tu ne me portes pas spécialement dans ton cœur après ta découverte de la veille, Elya, mais crois-moi, je peux être un atout très précieux !

Elya ne répond rien, mais ce silence veut tout dire. Dommage que je ne puisse pas voir son regard sous ce masque de coton qui lui couvre la moitié du visage.

Le temps passe tranquillement, les minutes s’égrainent une à une mais tout le monde est perdu dans ses pensées, à part Toriel qui s’est endormie. Alors il est normal que je sois la seule à remarquer un détail plutôt inquiétant.

— Oh non… Regardez !

Je pointe du doigt l’horizon et quand enfin ils aperçoivent ce que je vois, j’ai presque l’impression de sentir leur humeur s’assombrir.

— Des colonnes de fumée noire… C’est très mauvais signe, soupire Elya.

— Mais quel genre d’armée a pu dévaster une ville pourtant si puissante et sécurisée ? marmonne Mélisandre. Nous devrions nous rendre sur les lieux, Elya, voir si nous ne trouvons pas d’indices ou même quelques survivants.

— D’accords, allons-y. Nous passerons également la nuit là-bas.

Il semblerait qu’ils se soient enfin mis d’accord sur un sujet. Aussitôt ces paroles prononcées, ils talonnent leur cheval après avoir donné une claque sur le croupier de celui à Toriel pour qu’il se lance à notre suite.

Nous atteignons la capitale une heure plus tard et c’est un véritable désastre. Elle a subi le même sort que les autres villages que nous avons croisés. Il n’y a pas le moindre survivant. Tout a été détruit, pillé, volé, saccagé… J’en ai des haut-le-cœur. Même Elya et Mélisandre semblent complètement abattus, c’est affligeant.

Finalement, comme la nuit approche rapidement, nous essayons de trouver un bâtiment qui n’a pas été trop ravagé par les flammes et nous en dénichons un près du château de sa Majesté dont nous doutons encore de sa survie face à un tel drame. Une partie du toit de la maison est effondrée, quelques murs ont été démolis, mais nous sommes malgré tout à l’abri du vent et un peu de la pluie. Mélisandre s’occupe du feu et Toriel, elle, s’allonge dans le seul lit de la seule pièce viable. Honnêtement, j’aurais voulu l’avoir pour moi, car le confort d’un lit me manque atrocement, mais je ne pense pas avoir mon mot à dire même si Toriel est mon amie. Et de toute manière, c’est une princesse.

Shou la rejoint pour se mettre sous les draps chauds et n’en ressort plus de toute la soirée. Le repas est assez léger, car nous commençons à manquer de ressources, mais nous comptions sur le fait d’acheter de la nourriture dans les villages que nous croiserions à Cereus si tant est qu’il n’y avait pas eu ces attaques. Je demande à avoir le premier tour de garde, car je doute sérieusement de pouvoir rapidement trouver le sommeil, pas après avoir vu autant d’horreurs en une seule journée. Les autres s’endorment rapidement et moi je campe devant la porte de la maison, l’arc de Mélisandre dans les mains.

Tout est noir et silencieux. Je sens encore l’odeur du feu, de la fumée noire âcre. Elle me pique les yeux et le nez, c’est très désagréable. Autour de moi, il n’y a que des cadavres. Parfois, j’aimerais m’approcher de l’un d’eux pour l’étudier de plus près, mais c’est un peu glauque et je doute de pouvoir supporter cette image.

Et puis, tout à coup, dans le silence de la nuit, j’entends un faible gémissement, comme une plainte. Étonnée, je me relève et tends l’oreille, le cœur battant à tout rompre. S’il y a ne serait-ce qu’un seul survivant, il faut absolument que je le sauve ! Il y a peut-être encore un peu d’espoir, finalement…

Le silence retombe, il n’y a plus rien. Je tente alors de déterminer de quelle direction venait la voix et avance prudemment, après avoir encoché une flèche, ne sait-on jamais. La voix se fait à nouveau entendre, faible et tremblante, mais bien déterminée. J’accélère le pas. Le son provient du château. L’espoir qu’il pourrait s’agir de Sa Majesté m’anime d’une nouvelle énergie et je gravis les marches quatre à quatre, entre dans le hall d’entrée. Tout est sombre, alors je laisse mes yeux s’accoutumer à l’obscurité et je continue d’avancer en évitant les piliers effondrés et en enjambant les corps. J’en aperçois un qui remue très légèrement près d’un immense fauteuil, probablement le trône. L’homme est habillé avec goût et élégance et une couronne d’or gît non loin de lui. Cela ne fait aucun doute qu’il s’agit du roi.

— Sire !

Je me précipite vers lui en abandonnant mon arc et l’étudie brièvement pour m’assurer qu’il n’est pas blessé. Il a juste un coup au niveau de la tête qui l’a sonné. À part cela, il a échappé au pire.

— Partez… murmure-t-il. C’est un piège !

— Quoi ?

Je ne comprends rien à ce qu’il dit, mais son ton est pressant et je lis la peur dans son regard. Je n’ai pas le temps de me retourner et m’emparer de mon arc que le monde entier plonge dans l’obscurité.

Quand je reprends connaissance, je sens une douleur violente me vriller le crâne, mais je commence à m’y habituer. Depuis que je suis entrée dans ce monde, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été assommée. À force, cela devient une habitude. Je suis allongée sur un sol dur et froid, ce n’est pas très agréable. Je me redresse malgré les vertiges pour m’appuyer contre les barreaux, et des mains me retiennent pour éviter de glisser et tomber.

La personne qui m’a aidée me parle alors, mais les mots qu’elle prononce me sont étrangers. En revanche, je reconnais cette voix même si je ne l’ai entendue qu’une seule fois. Il s’agit du roi. Nous sommes tous les deux emprisonnés dans une cage placée sur un chariot en mouvement et plusieurs hommes nous encerclent. Ils sont tous armés, mais ce ne sont pas des épées, des sabres ou des dagues qu’ils possèdent. Non. Ce sont des armes à feu qui fonctionnent grâce aux même runes que j’ai déjà aperçues, voilà ce qui a assuré leur victoire. Ils ne sont pourtant pas nombreux, il doit probablement manquer une partie des effectifs, sûrement la plus importante.

— Oh, bon Dieu. Non, pas ça !

Les armes à feu, c’est probablement la pire chose qu’ils aient pu créer. J’ignore où ils se sont procurés ces runes, mais ils en ont beaucoup. Beaucoup trop. J’espère qu’ils n’ont pas trouvé une source de magie liquide ou solide, sinon nous sommes fichus. Je m’adosse à nouveau contre les barreaux, désemparée. Le pire, dans tout ça, c’est que je ne vais rien comprendre de ce que le roi ou ces hommes vont me dire, car aucun d’eux ne parle ma langue et je n’ai pas non plus saisi l’occasion d’apprendre la leur. Je me retrouve toute seule, loin d’Elya, Mélisandre et Toriel, et probablement même suis-je en train de m’éloigner des grottes d’Antremerre. C’est une catastrophe. J’aurais dû rester à ma place. Et je crois deviner ce que le roi a tenté de me dire hier. Il a voulu me prévenir, c’était un piège. Pourquoi ne sont-ils tout simplement pas venus nous chercher là où nous dormions ? Ils sont plus nombreux, ils auraient eu l’avantage.

Je sens le regard insistant de Sa Majesté sur moi et je le dévisage. Il pose ses mains sur mon visage pour caresser ma peau. Elle ne doit pas être tant différente de celle des Sylphiens pourtant, mais il semble fasciné, impressionné, et me scrute avec grande attention. Les cereusians ont une particularité, ils se dénotent des autres races par le physique. Malgré tout, je les trouve beaux et élégants. Ils ont une peau dorée pour certains, argentée pour d’autres, mais scintillante pour les deux. Leurs yeux ont une couleur très vive, elle peut aller du bleu lagon scintillant au violet avec des reflets bleutés. Leurs pupilles sont allongées comme celles des chats et une majorité ont les cheveux bouclés ou frisés, souvent élégamment coiffés pour leur donner de la prestance. Malheureusement, je n’ai pas souvent entendu grand bien d’eux et j’ignore pourquoi, mais ils ont pourtant l’air honnêtes et respectables. Enfin… du moins de ce que je peux voir grâce au roi.

Il me parle, mais je suis incapable de le comprendre et je secoue la tête, complètement désemparée.

— Je suis désolée, je ne vous comprends pas…

L’un des hommes qui nous escortent monte tout à coup sur le chariot, ouvre la cage et pénètre à l’intérieur. Il a une arme avec lui. J’ignore d’où ces hommes viennent, mais leur physique se rapproche de celui des cereusians à la différence qu’ils ont la peau verte, des cheveux lisses et des pupilles normales. Malgré le fait qu’ils m’aient capturée et qu’ils ne paraissent pas spécialement amicaux, je les trouve élégants.

L’homme qui s’est introduit dans la cage referme la porte derrière lui pour s’assurer qu’aucun de ses prisonniers ne prenne la fuite.

— Vous êtes humaine, n’est-ce pas ?

Abasourdie, je le regarde avec des yeux ronds comme des soucoupes, sans savoir quoi dire. Il parle ma langue. Ma stupeur et mon silence le font sourire.

— J’ai déjà eu l’occasion de fréquenter un certain Mélisandre. Une raclure… Il m’a appris votre langue et je sais de quoi vous êtes capable.

— Ah oui ?

Il acquiesce.

— Vous devriez également apprendre à maîtriser quelques langues de ce monde…

— Et à quoi cela va-t-il me servir si je suis destinée à mourir ? C’est le roi Goldorus qui vous envoie, n’est-ce pas ?

— Exactement.

Il s’approche et s’agenouille en face de moi. J’essaie de reculer au maximum, mais les barreaux de la cage me font barrage et je me retrouve coincée.

— Cela pourrait vous servir à nous comprendre, comprendre les autres…

— Et alors ? Vous allez m’utiliser et une fois que vous aurez eu ce que vous voudrez, vous me tuerez sans la moindre hésitation. Le roi Goldorus est sans pitié, et il l’a prouvé en rasant Cereus de la carte.

Il secoue la tête.

— Sachez que je suis contre ses agissements, du moins la manière de laquelle il procède.

— Vous pourriez être entendu.

— Mes soldats ne comprennent rien, ils ne maîtrisent pas votre langue.

— Et s’il y en avait un dans le lot…

— Un sur cent mille ? C’est ce que vous insinuez ? Écoutez, nous ne sommes pas dans ce genre de romans où il y a comme par hasard une personne qui saisit chaque mot d’une autre langue que quiconque ne comprend pas, juste au moment le plus opportun. Vous n’êtes que deux humains à vivre dans ce monde, votre existence commence à se faire connaître mais beaucoup encore ignorent votre présence, ce que vous êtes et ce que vous êtes capables de faire.

— Le roi Goldorus le sait, lui.

— À cause de Mélisandre.

— Et où s’est-il procuré autant de runes ?

— Il les possédait déjà avant la disparition progressive de la magie, mais il les gardait dans sa réserve personnelle au cas où. Un peu comme s’il se doutait de quelque chose.

Je suis soulagée par sa réponse, car elle signifie une chose importante : le roi Goldorus n’a pas encore découvert de source de magie. C’est une bonne chose.

— À quelle race appartenez-vous ? je demande finalement.

— Nous sommes des abernians. Dans la situation actuelle, j’ignore comment vous délivrer et je doute que le roi Goldorus soit tendre avec vous. Je vais faire ce qui est en mon pouvoir, mais je ne vous promets rien.

Je hoche d’un signe de la tête. C’est dommage. J’ai un allié avec moi, mais il est incapable de me sortir de ce pétrin. J’ignore comment je vais m’y prendre et je refuse de partir seule. J’ai un personnage royal juste à côté de moi, il a de l’importance et il est peut-être le seul survivant de sa race. Je ne peux pas le laisser moisir là si jamais je trouve un moyen de m’échapper de cet enfer.

— Au fait, je m’appelle Arthérien. Et l’homme qui est enfermé avec vous, c’est Sire Brandélénium.

— Vos noms sont très étranges.

— J’imagine que ceux de votre monde le seraient pour nous. Comment vous appelez-vous ?

— Amanda, mais les autres m’appellent Amaranthe.

— En effet, c’est bien plus agréable à l’oreille. Enchanté de vous rencontrer, Amaranthe.

— Moi aussi.

Je lui souris, puis il quitte la cage. Je le regarde s’éloigner, avant de m’apercevoir que quelques-uns de ses soldats me dévisagent d’une manière qui ne me plaît pas, entre la perversion et l’animosité. Mal-à-l’aise, je me cale dans un coin de la cage et ferme les yeux pour tenter de dormir. J’espère sincèrement qu’Elya, Mélisandre et Toriel vont partir à ma recherche, mais ce serait du suicide. Ils ne sont que trois. Trois contre toute une armée. Enfin, là il s’agit plutôt d’un groupe d’une vingtaine de soldats, le reste doit être plus en avant, mais ils sont en nombre numérique supérieurs et ils possèdent des armes redoutablement efficaces. Comment gagner une guerre quand les forces et les puissances sont tellement déséquilibrées ? Il faut que je me fasse une raison. Les autres vont probablement poursuivre leur mission pour avoir un avantage sur le roi Goldorus et moi… je vais devoir me contenter d’obtempérer si je veux rester en vie le plus longtemps possible, mais ce serait permettre à une personne malveillante d’en massacrer des milliers d’autres. Et ça, je ne peux l’accepter.

Malgré mon inquiétude grandissante sur la situation actuelle, je parviens à trouver le sommeil et finis par m’endormir.

C’est l’absence du grincement des roues et le manque de secousses qui me réveillent. La charrette est arrêtée et les abernians établissent un campement pour la nuit. Je doute que nous puissions bénéficier, Sa Majesté et moi-même, d’un bon lit ou même de couvertures pour nous tenir chaud la nuit. Tant pis, il va me falloir faire avec.

Une fois le camp monté, certains s’occupent du repas et bientôt, je sens une odeur de viande fort délicieuse qui vient me chatouiller les narines. Mon estomac grogne aussitôt et je me jette contre les barreaux de la cage en cherchant des yeux d’où vient l’odeur. J’espère qu’ils vont daigner nous donner à manger, car je commence à avoir sérieusement faim. Et soif. Il me faut attendre une heure encore avant qu’un garde n’ouvre la cage pour nous donner une gourde d’eau et deux bols remplis de… d’un truc immonde vert et gélatineux. Froid. Ça a l’air peu appétissant. Leur repas à eux, en revanche, semble bien meilleur.

— Qu’est-ce que c’est encore que ce truc immonde ? je murmure en retournant la cuillère pour laisser la nourriture retomber dans le bol avec un bruit écœurant.

Je grimace et me saisis de la gourde pour constater qu’elle n’est qu’à moitié pleine. Je me disais, aussi… Ça aurait été étonnant qu’ils fassent preuve d’autant de générosité. J’en bois la moitié pour laisser l’autre au roi Brandélénium. Il me remercie, du moins je suppose, et je goûte une petite bouchée du plat, pour le recracher aussitôt dans le bol et le repousser. C’est dégoûtant. Le goût est infect, jamais je ne réussirai à manger un bol tout entier de ce machin sans vomir.

Je me rassois, avant de me tortiller, gênée. Il faut que j’aille aux toilettes. Ou plutôt, il faut que j’assouvisse quelques-uns de mes besoins primaires.

— Excusez-moi ? Excusez-moi, il faut que je… Pardon, est-ce que je pourrais voir Arthérien ? S’il vous plaît ?

Ils ne me comprennent pas ou m’ignorent en me jetant malgré tout un regard plein de mépris. Je pensais pourtant qu’ils comprendraient au moins le nom de leur supérieur. Malgré tout, je ne m’épuise pas et continue de parler, appeler, jusqu’à ce que l’un d’eux fasse intervenir son chef.

— Que se passe-t-il ?

— Est-ce que vous avez des latrines ou quelque chose ? J’ai besoin de…

Il soupire mais ouvre la cage et m’escorte jusqu’à un coin reculé du campement, dans un petit bosquet à l’abri des regards.

— Vous n’avez pas de latrines ?

— Nous ne sommes composés que d’hommes, il n’y a pas besoin de latrines…

— Et vous ne pensez jamais à ce genre de détails quand vous partez en mission ? Vous ne vous dites pas : « Tiens, nous allons capturer une femme, il lui faudrait peut-être des latrines ! » ?

— Vous êtes sérieuse ?

— On peu plus sérieuse, oui, monsieur ! Retournez-vous…

— Vous les femmes…

Je m’assure qu’il soit bien retourné, mais je prends quand même la peine de me cacher derrière un petit buisson, ne sait-on jamais des fois qu’il se retournerait par réflexe.

Nous revenons au campement cinq minutes plus tard et je retourne dans la cage, toujours aussi affamée. Comme je l’avais deviné, personne ne pense à nous donner de couvertures et la cage est ouverte sur le ciel, il n’y a rien pour nous protéger. C’est une nuit où l’orage décide comme par hasard d’éclater et trouver le sommeil dans de telles conditions, avec la pluie, le froid, le vent et le tonnerre, est impossible.

Le lendemain matin, aux premières lueurs de l’aube, je me sens complètement vidée et exténuée. Je ne réagis pas vraiment à l’activité autour de moi. Le petit-déjeuner nous est servi, mais ces la même pitance que la veille. Je n’en mange pas, en revanche je bois, et un garde nous escorte, le roi et moi, jusqu’au bosquet pour nos besoins avant que nous reprenions la route.

Le bruit de la charrette me berce et je m’assoupis.

Les choses se déroulent ainsi pendant trois à quatre jours, mais à force de me priver de repas je commence à sérieusement m’affaiblir. Malgré tout, respirer seulement l’odeur de ce truc me soulève l’estomac. Je suis incapable d’en manger. Et quand l’un des gardes s’aperçoit que je ne touche pas à mes bols, il se met en colère, me crie dessus, pousse le bol vers moi et me menace avec son arme mais, honnêtement, je crois bien que je préférerais mourir maintenant. Je ne sais pas ce qui m’attend avec le roi Goldorus, mais la situation risque d’être pire que mieux. Autant qu’ils m’achèvent tout de suite.

Finalement, comme je ne réponds de rien, il s’avance vers moi, m’agrippe les cheveux et me plonge la tête dans le bol, soulevant la colère ou l’exaltation chez ses compères. Le bruit attire finalement Arthérien au moment où une gifle m’assomme à moitié, et le roi Brandélénium s’interpose pour me protéger. Une vive dispute éclate entre le chef et son sujet, et celui-ci est bien forcé de quitter la cage non sans broncher, mécontent. La foule se disperse rapidement et Arthérien s’agenouille en face de moi en affichant un air inquiet, sort un mouchoir de sa poche et commence à me nettoyer le visage.

— Vous allez bien ?

— J’ai connu des jours meilleurs, je soupire.

— Pourquoi ne mangez-vous pas ?

— Je ne peux pas. L’odeur m’horripile et le goût est atroce.

— D’accord. Et une purée de pommes de terre avec une miche de pain et un morceau de viande séchée, ça vous irait ?

— Si vous m’en servez, servez-en aussi à Sa Majesté.

— Vous êtes difficile en affaires.

— C’est un compromis équitable sachant ce qui va m’attendre une fois arrivée à destination. J’espère que votre roi est clément et qu’il m’accordera rapidement la mort.

Son regard s’assombrit et je devine aussitôt ses pensées.

— Je suis désolé, Amaranthe. Sincèrement.

— Vous ne faites qu’obéir, vous n’y pouvez pas grand-chose…

Il m’adresse un pauvre sourire et me promet de revenir rapidement avec deux assiettes. Une heure plus tard, il est effectivement de retour et je mange avec appétit. Je me sens un peu revigorée, mais un lourd sentiment pèse sur ma conscience. J’espérais sincèrement qu’Elya, Mélisandre et Toriel partiraient à ma recherche. Depuis le temps, ils auraient dû nous rattraper, j’aurais dû les apercevoir au moins une fois, je suppose. Mais rien. Ils m’ont abandonnée à mon propre sort. Finalement, je ne dois pas tant compter aux yeux d’Elya.

Une semaine plus tard, après avoir traversé tout Cereus et de nombreux paysages, nous atteignons enfin notre destination. En toute franchise, la ville est absolument radieuse. Elle se situe sur le flanc d’une montagne et tout autour a été construite une muraille. Une seule porte permet d’y accéder, elle aboutit directement sur une longue série d’escaliers. Elle comporte un système complexe pour en fermer la barrière et est flanquée de deux tours de gardes. Autrement dit, l’entrée est sécurisée et surveillée. Les chariots ne peuvent pas passer par là, alors l’intrusion d’une armée toute entière serait plutôt difficile. Nous sommes obligés de passer par l’entrée de service, un monte-charge pour les chariots, assez bien dissimulé. Une fois dans la ville, nous longeons une dizaine de rues, parfois sombres, étroites et humides. Nous arrivons jusqu’à une côte plutôt étroite qui monte jusqu’au château du roi Goldorus, creusée à même la roche et donc à l’abri de la pluie. Au niveau du palier, je croise même trois maisons, mais la pente continue de monter et nous ne sommes pas encore arrivés.

L’endroit est trop étroit pour permettre une invasion en masse. Cette cité forte a été construite et bâtie de telle sorte à ce qu’une prise d’assaut soit rendue totalement impossible. Si cette ville tombe un jour, alors toutes les autres pourraient bien tomber elles aussi.

Finalement, après dix longues minutes de marche nous atteignons enfin le château qui surplombe la ville. Les chevaux sont placés dans les écuries et je suis escortée jusqu’aux cachots, en passant par les cuisines où il fait une chaleur insoutenable. Je ne vois pas le reste du château.

Le roi Brandélénium, lui, est amené ailleurs. Maintenant que nous sommes arrivés à destination, j’ignore ce qu’il va advenir de moi, mais une chose est certaine : Elya n’a dorénavant plus aucune chance de me sauver. Ça y est, tout est fini. Mon destin est scellé.

Une fois jetée dans la prison, je m’assois sur le lit, complètement anéantie. Il n’y a pas de fenêtre, tout est sombre et froid, un peu comme mon humeur.


Texte publié par Nephelem, 12 juillet 2017 à 09h21
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