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tome 3, Chapitre 1 tome 3, Chapitre 1

Les yeux rivés sur son téléphone portable, la jeune fille suit ses parents dans les allées noires de monde. Elle regrette presque d'être revenue les voir durant ses courtes vacances. Depuis près de deux semaines, ils la traînent de musée en promenade sous un soleil de plomb dans l'espoir de lui faire plaisir tout en l'interrogeant sur sa nouvelle vie. Lorsqu'ils lui ont fait part de leur projet du jour, elle a levé les yeux au ciel mais elle les a suivis de mauvaise grâce. A la pensée qu'ils voulaient avant tout partager leurs loisirs habituels avec elle, elle range son téléphone dans son sac à main et les cherche du regard. Après tout, elle rentre bientôt, elle doit profiter de leur présence tant qu'il est encore temps. Un peu plus loin, elle les voit en conversation avec un homme d'âge mûr qui semble sympathique. L'adolescente les rejoint puis commence à inspecter l'étal et elle s'arrête, le cœur battant.

- Je rêve, c'est impossible ! murmure-t'elle pour elle-même.

Elle s'accroupit précipitamment pour prendre la toile posée sur une couverture au sol et l'examiner. Ces traits de pinceau lui sont familiers, l'allure générale du dessin jusqu'à ce vert bouteille si caractéristique. Ambrelune n'a pas besoin de déchiffrer la signature pour acquérir la certitude qu'elle se trouve en présence d'une toile de Falba Slikar. Il lui reste à savoir si elle est enchantée ou non et où elle mène.

- Bonjour, je souhaiterais connaître le prix de cette toile ?

L'homme en chemise à carreaux et en pantalon poussiéreux la regarde, intrigué par son choix. Il tend la main pour prendre le tableau et l'inspecte minutieusement.

- Cette toile ne vaut rien. dit-il après un rapide examen. Peintre inconnu. Lieu sorti de l'imagination d'un peintre qui a abusé de l'absinthe ou d'une quelconque autre drogue. A moins qu'il ne soit seulement dérangé. Comme si de tels paysages existaient ! Elle traînait dans un vieux grenier poussiéreux, je l'ai achetée en Norvège si mes souvenirs sont bons, je tente de la vendre depuis quelques mois sans succès. Mais franchement, qui voudrait de cette vieille croûte ? Pardon, mademoiselle, sans vouloir vous offenser.

La jeune fille se contient à grand peine ; elle se mord la lèvre pour ne pas répliquer, cet inconnu ose insulter ainsi le grand maître Falba Slikar ! Le peintre de la cour le plus renommé de tous les temps ! Le peintre qui maîtrise des techniques connues de lui seul pour enchanter ses toiles et créer des portes entre les mondes. Anxieuse, elle attend le verdict. Comme l'homme se contente de la regarder sans rien dire, elle l'interroge, impatiente d'en savoir plus.

- Et d'où venait-elle ?

- D'un héritage, je crois. J'ai acheté un lot de toiles sans valeur durant mes vacances là-bas, mais j'ai réussi à les écouler, il ne me reste que celle-là dont personne ne veut. Elle ne vaut guère que le cadre et encore.

- Vous voulez dire qu'il y avait d'autres toiles de ce peintre ?

- Non, c'est la seule et heureusement, sans vouloir vous vexer. Ce style est vieillot, les gens veulent quelque chose de plus moderne, vous comprenez. Dix euros, ça vous convient ?

- C'est parfait ! répond-elle, soulagée en tendant un billet.

Sa toile emballée avec soin sous le bras, Ambrelune rejoint ses parents qui s'inquiètent de voir ce tableau supplémentaire envahir sa chambre.

De retour chez ses parents, la jeune fille déballe la toile avec empressement. Elle passe le doigt sur la signature si familière puis elle examine la peinture. Sur un carnet de brouillon, elle griffonne un rapide dessin supposé représenter grossièrement les éléments de la toile. En mordillant son crayon, elle tente de déterminer le lieu ainsi représenté mais elle ne parvient pas à retrouver cette forteresse ou ce château aux hautes murailles dans ses souvenirs. Peut-être ce lieu n'existe-t'il plus ? Ou peut-être vient-il d'un autre monde ? Avec un soupir, elle range soigneusement la toile en se promettant de la ramener chez elle pour tenter d'en savoir plus. Nostalgique, elle se replonge dans ses souvenirs, elle repense à l'année qui vient de s'écouler et à sa vie d'avant qui lui semble si lointaine. Elle est heureuse de revoir ses parents mais sa vraie maison lui manque. Impatiente, elle se précipite sur son téléphone portable.

- Rune, tu ne devineras jamais ce que je viens de dénicher dans une brocante. Une toile de Falba Slikar ! Au fait, tes bagages sont prêts ? Nous devons rentrer demain ou après-demain au plus tard, n'oublie pas. Les vacances sont terminées. On se voit ce soir ? Une pizza et un cinéma, ça te dit ? Parfait, on se retrouve à dix-huit heures trente devant le cinéma, il y a une séance pour Le dernier extraterrestre, tu sais, le film américain en trois dimensions bourré d'effets spéciaux dont tout le monde parle ! Moi aussi, le cinéma, ça me manque, nous n'en avons pas chez nous. Profitons-en ! A tout à l'heure ! Bisous. Oui, je ferai des photos de la toile, elle est emballée prête à partir avec nous. On verra chez nous ce qu'il en est, je suis impatiente mais il n'est pas prudent de tenter d'en savoir plus maintenant ; qui sait si ce tableau ne pourrait pas nous aspirer jusqu'à un lieu inconnu.

Une heure plus tard, les deux jeunes gens examinent les photographies de la peinture. Rune ne voit pas non plus d'où peut provenir le paysage bien qu'il lui soit familier. Après un dernier zoom sur une partie de la peinture, il rend l'appareil photo numérique à son amie en haussant les épaules.

- Nous verrons bien en rentrant. Dépêche-toi, on va manquer le début de la séance.

A la fin du film accompagné d'une copieuse dose de pop-corn, ils décident d'aller manger une pizza. Assis à l'écart, ils parlent bas comme un couple d'amoureux qui se cache du reste du monde.

- Je suis tellement pressé de rentrer chez nous ! murmure Rune en se resservant du vin.

- Oui, notre chez-nous me manque. Et puis, mes parents ont tendance à me considérer comme une adolescente, c'est épuisant à la fin.

- Je sais bien, c'est pareil pour moi. Ils ne comprennent pas que je suis un adulte responsable.

- Nous sommes des héros avec un métier et des responsabilités, pas des lycéens qui passent leur baccalauréat à la fin de l'année. pouffe l'adolescente. On part demain ? continue-t'elle en reprenant son sérieux.

- Oui, il ne faudrait pas manquer l'anniversaire de la délivrance.

- Ah oui, c'est vrai et ensuite, nous allons avoir beaucoup de travail. conclut Ambrelune en mettant les mains dans les poches de son jean.

Le lendemain, après des au revoir à leurs parents, les deux jeunes gens retournent en Berethiel-Nienor.

- Nous voici de retour chez nous ! s'exclame Rune tandis qu'un sourire éclaire son visage.

- Le dernier arrivé est un têtard asthmatique ! dit la jeune fille en piquant un sprint.

Dans leur petite maison très proche de celle de Raya, les deux adolescents posent leurs bagages avant d'aller rendre visite à leurs amis et voisins.

- Vous êtes de retour ? dit Raya en levant les yeux à leur entrée.

- Oui, il était temps, la maison nous manquait. lui répond Rune avec un sourire. Quelles nouvelles ?

- Oh pas grand chose, c'est une petite île. Au fait, vous n'avez pas oublié la fête de la délivrance ?

- Nous sommes revenus exprès pour ça. Tu fais quoi ?

- Oh Rune, laisse-moi tranquille, tu veux ? C'est une potion, et non, je ne sais pas à quoi elle sert. Maintenant, soyez gentils et laissez-moi travailler.

Après s'être échangé un regard perplexe, ils rejoignent leurs chambres respectives où ils défont leur bagage en se parlant d'une pièce à l'autre avant d'aller se promener sur la plage proche.

- J'adore cet endroit, dit Ambrelune, pas d'immeuble, pas de bruit de moteur ou d'avion, rien que la mer, le vent et le sable.

Ses longs cheveux blond vénitien ont bruni, mouillés par les embruns et elle les repousse d'un geste en souriant, heureuse de revoir cette plage familière.

Le lendemain, jour de l'anniversaire de la délivrance, les deux adolescents sont à l'honneur. Vêtus pour l'occasion de vêtements de soie marron brodé d'argent faits par le même tailleur, ils tentent de masquer combien ils sont intimidés. Une fois passées les portes du château, ils se remémorent leur première visite en ce lieu, un peu nostalgiques. La reine Péroline venue les accueillir se rend rapidement compte de leur trouble et elle lance les festivités qui n'attendaient plus que les héros du jour pour commencer. Toute la journée, dans le château, les bals, les jeux et les collations se succèdent. Des musiciens jouent dans de nombreuses pièces et les deux sorciers marchent de pièce en pièce ravis de découvrir le château sous un autre jour que lors de leur fuite de l'année précédente. Parfois des invités leur proposent un verre ou une assiette pleine de mets délicieux mais la plupart du temps, on les invite cordialement à se joindre aux groupes disséminés dans le château. Les deux adolescents font l'effort de se mêler à la foule et aux conversations ; ils se perdent bientôt de vue. Ambrelune finit par rejoindre les jardins, une fois qu'elle a estimé avoir fait son devoir. Seule parmi la verdure, elle savoure ce moment de paix profonde.

Alors qu'ils quittent le château, une foule les acclame au-dehors. Gênés, Rune et Ambrelune font un signe de la main à la foule avant de s'avancer aussi vite que possible sur le chemin. Depuis un an qu'ils ont délivré le pays des souverains maudits, les habitants ont retrouvé la liberté et la richesse. Le royaume est florissant comme au temps d'avant l'arrivée des usurpateurs. Parvenus à la porte-tableau, ils saluent, remercient et ils se téléportent dans leur demeure.

- Ouf, j'ai bien cru que tout ça ne finirait jamais ! s'exclame Rune en jetant sa veste sur une chaise.

- Oui, nous sommes délivrés pour au moins une année. Si nous allions nous promener ?

Après s'être changés, ils sortent. Durant quelques heures, ils suivent les chemins au hasard avant de rejoindre la plage où ils s'allongent côte à côte sur le sable. D'un commun accord, ils se rendent à la Haute Université de Magie offrir le tableau que la jeune fille a déniché dans une brocante. Leur devoir accompli, les deux jeunes gens rentrent sur l'île de Lathi. Lorsqu'ils atteignent leur maison, ils remarquent que Raya et Andrea sont rentrés. Devant une collation, ils échangent sur leurs vacances et la soirée se prolonge dans la nuit tombante.

Les jours suivants, Rune se montre sombre et peu bavard. Ambrelune s'en inquiète et elle le questionne sans succès. Ce n'est qu'au bout d'une semaine qu'il lui avoue son projet. Il veut voyager en Berethiel-Nienor et mieux connaître le royaume. Quelque peu attristée, Ambrelune l'encourage dans ce projet et elle lui dit qu'elle envisage de continuer ses études de la magie. Par conséquent, elle ne pourra pas l'accompagner mais elle lui fait promettre de leur écrire souvent. Les deux amis sentent que leurs chemins prennent des directions différentes et qu'ils doivent consulter Raya et Andrea qui connaissent ce pays mieux qu'eux.

- Vas-y... chuchote Ambrelune alors que Rune reste sur le pas de la porte, nerveux.

Raya et Andrea relèvent la tête de leur table de travail dans le laboratoire encombré. Circonspects, ils attendent après s'être lancé un regard complice.

- Je... Je voudrais voyager dans ce pays, je ne me vois pas rester sur cette île toute ma vie à vendre des potions. commence le jeune garçon qui s'arrête aussitôt ne sachant que dire. Enfin, je ne suis pas en train de dire que ce n'est pas une bonne chose mais ce n'est pas mon destin. Je veux voir le monde, ce monde qui n'est pas le mien.

- Le pays est sûr maintenant, c'est une bonne idée. dit Raya avec un sourire. Mais nous allons te manquer, non ?

- Oui, mais je vous enverrai des nouvelles et de toutes manières, ce voyage ne durera pas des années non plus, quelques mois tout au plus.

- Et tu vas laisser Ambrelune toute seule ?

- Elle sera avec vous.

- Pardon, je croyais que vous étiez plus que des amis. Vous êtes toujours fourrés ensemble. insiste Raya

- Nous venons du même monde, ça rapproche mais non, il n'y a rien de cela. répond Ambrelune, embarrassée.

Raya rougit, confuse de sa méprise. Andrea, voyant son trouble, donne son avis sur la question, il estime que c'est une bonne idée et que de toutes manières, il est adulte et qu'il n'a pas besoin de leur assentiment. Mais qu'ils sont tout disposés à l'aider dans ses préparatifs s'il le souhaite. Soulagé, Rune remercie ses amis avant de quitter la pièce pour réfléchir à la meilleure manière d'entreprendre son voyage.

Il passe les jours suivants à étudier de vieux atlas poussiéreux et à suivre les routes du doigt pour mieux mesurer les distances. Il lit des récits de voyage trouvés dans la bibliothèque du château qui l'informent du monde dans lequel il vit. Le jeune garçon apprend les royaumes de l'ancienne fédération et leur géographie, leurs coutumes. Il s'émerveille de cette diversité insoupçonnée depuis un an qu'il vit dans ce pays. Peu à peu, Rune envisage très sérieusement de voyager pour découvrir ce monde qu'il connaît si peu. Il établit de nombreuses listes de lieux où il se téléporte en secret, il y passe de longues heures à se promener en ces endroits nouveaux et à en faire des croquis avant de rentrer faire de plus amples recherches sur ces lieux inconnus. Pendant quelques temps, son cœur s'apaise et l'envie de sillonner le monde le quitte. Il remarque à de nombreuses reprises qu'Ambrelune l'observe d'un air songeur mais il feint de ne rien voir. Et comme elle n'ose pas aborder le sujet avec lui, il se sent soulagé mais également coupable de songer à partir au loin sur une longue période. Rune a l'impression de trahir ses amis mais au fond, il sait que sa décision de ne pas poursuivre ses études à la Haute Université de Magie n'était qu'un avertissement. Il passe beaucoup de temps dans les librairies à feuilleter des atlas du pays et à lire des récits de voyage depuis son installation sur la petite île de Lathi, il aurait dû avoir compris depuis bien longtemps que ses pas ne s'arrêteraient pas aux frontières de ce petit pays. En attendant, il sillonne le royaume pour contenter sa soif de vastes horizons et d'aventure. De retour dans son île, le jeune garçon lève maintes fois les yeux de ses potions pour regarder par la fenêtre et imaginer le vaste monde où il a choisi de vivre. Il voit l'île de Lathi, son lagon, la mer qui l'entoure et il imagine l'océan qui les encercle dans ses tenailles bleutées. Il tente de se représenter les terres au-delà de la mer qu'il connaît si bien pour la voir chaque jour mais seuls les récits de voyage lui permettent de s'en faire une idée et son envie de découvrir ces pays de ses propres yeux s'en trouve décuplée.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 10 juin 2018 à 16h35
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