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Ah, mais que vois-je là ? Ne serait-ce pas un mortel un peu trop curieux ?

As-tu la moindre idée de qui se tient devant toi, appétissant petit cœur ? Oh oh, en effet, je suis bien celle que l'on nomme Cornélie'Maille. Et sachant cela, tu t'es tout de même aventuré dans ma demeure ? Comment cela, tu t'attendais à quelque chose de plus effrayant ? C'est moi qui suis une Effrayante, pas ma maison... La terreur est mon métier, mais ça ne m'interdit pas d'aimer les intérieurs cosy !

Tu veux savoir comment on devient une Sorcière aussi renommée que moi ? Ma foi, tu es plutôt amusant pour un mortel, et je n'ai pas envie de tacher mon tapis avec ton urine, alors soit, pour une fois, je vais faire une exception et je ne vais pas te terrifier tout de suite...

~*~

- C'est bon, Maman, je vais y aller toute seule.

-Tu es sûre, ma puce ?

- Mamaaaan !

La honte ! C'est mon premier jour à l'école des Sorcières et Maman veut m'accompagner comme un bébé. Il y a bien quelques mamans qui rentrent dans la grande cour mais elles ont toutes une Blanche accrochée à leur robe. Moi, je suis une Effrayante, hors de question de jouer les bébés. Et puis quoi encore ! Et Maman qui ne trouve rien de mieux à faire qu'un gros bisou sur ma joue au moment où Eugénie passe la porte...

- Mamaaaaan, je vais être en retard !

Heureusement, elle se décide enfin à me dire au revoir et je file vers la grande porte. Je rattrape Eugénie mais je ne m'approche pas trop. On n'est pas copines, elle et moi, mais ce serait trop cool qu'on le devienne. Eugénie, c'est la fille de la grande Astrée'Pas, la plus grande Sorcière Effrayante de notre époque, celle qui fait mourir de peur ses victimes ! Eugénie doit être au moins aussi cool que sa mère ! Aïe, c'est mal parti... Après le bisou de Maman, Eugénie me regarde avec un petit sourire en coin comme si j'étais une gentille petite Blanche... Pourtant, moi aussi j'ai le joli ruban bleu sur mon chapeau de Sorcière ! Vivement les premiers cours que je puisse lui montrer que dans ma famille aussi, on est de grandes Sorcières Effrayantes ! Dès notre arrivée dans le grand hall, on est séparées selon notre classe de Sorcière. Ouf, on n'aura pas à suivre les leçons avec les Gentilles, c'est déjà ça !

Notre toute première classe, c'est Potions. J'ai tellement hâte ! J'adore regarder Maman fabriquer les siennes mais je n'ai jamais eu le droit d'y toucher. C'est que les potions s'imprègnent de la magie de la Sorcière qui les fait, c'est pour ça qu'il vaut mieux commencer avec un professeur qui saura quoi faire si ça tourne mal ! On doit fabriquer un parfum œuf pourri. Je ne savais pas qu'on s'amuserait autant à l'école !

Concentrée devant mon petit chaudron, je fais bien attention à suivre la recette. Le tout est d'être appliquée et de savoir ce qu'on veut obtenir comme résultat. Alors je garde bien à l'esprit qu'il faut que ce soit un parfum horrible qui s'accroche à sa victime pendant des siècles. Ça, c'est une idée digne d'une Effrayante ! Hop, le dernier ingrédient, je remue... Maintenant il faut s'écarter et compter jusqu'à trois pour voir le nuage de vapeur jaune. Un... Deux... Trois...

Quaaaaatre... Ciiiiinq... Oh non, ce n'est pas possible, je n'ai pas pu rater ! Je me penche par dessus le chaudron pour voir ce qui ne va pas et... pouuuuuf ! Je me prends le nuage vert dans la figure. La honte ! Et puis pourquoi il est vert d'abord ? La réponse arrive vite, aussi vite en fait que l'odeur de ciboulette qui se répand autour de moi et les rires hilares de mes camarades de classe. Parfait, l'année commence bien...

~*~

Eh oui, petit mortel, cette petite Sorcière maladroite avide de bien faire, c'est bien moi. Cet épisode embarrassant m'a valu mon tout premier surnom mais il était loin d'être ma dernière honte, tu peux me croire. En vérité, je faisais plutôt office de vilain petit canard dans ma classe...

~*~

- Le distillat de cauchemar est supposé être noir, pas rose à paillettes... Comment vous êtes-vous encore débrouillée, Miss Cornélie...

Pffff, j'ai pourtant tout fait comme il fallait... Je tente mon plus beau sourire et mes grands yeux innocents.

- Il est encore plus terrible comme ça ! Personne ne se douterait qu'un filtre rose renferme tant d'horreurs.

Gros soupir du professeur, ça sent mauvais pour moi...

- Rêver de fées et de licornes n'a rien d'inquiétant... Vous êtes une Sorcière Effrayante, Miss Cornélie, mettez-y un peu du vôtre. Vous viendrez en retenue pour refaire un distillat digne de ce nom.

Ah ben voilà, c'est raté... Il n'y a bien qu'avec Papa et Maman que ça marche, le coup des grands yeux. C'est le deuxième cours et c'est déjà ma deuxième retenue. Ce matin, j'ai transformé un homme en prince charmant au lieu d'un crapaud... Ce n'est pas ma faute si tout part toujours de travers avec moi. Dans la famille, on est Effrayante de mère en fille mais moi, tout ce que je touche devient mignon. L'horreur...

Je sors de la salle de potions en traînant les pieds. Le prochain cours, c'est Familiers... La dernière fois, j'ai appelé un bébé panda au lieu d'un ours mal léché. Bonjour l'angoisse !

- Eh ! Mais c'est Ciboulette !

Ah ah, très drôle. Ciboulette, c'est mon surnom depuis le fameux cours de la rentrée... Il a tellement bien marché, mon parfum, que l'odeur me suit toujours...

-Tremblez, tremblez, voilà Ciboulette ! Pour t'effrayer, elle fait des paillettes !

Ouais, ça aussi c'est très drôle. Ce n'est pas parce qu'on n'est pas des Blanches qu'on n'a pas de poètes parmi nous... Je leur lancerais bien un sort mais à part me ridiculiser encore plus... Alors je leur tire la langue et je file rejoindre ma classe.

Aujourd'hui, il faut invoquer un oiseau de mauvais augure. Allez Cornélie, on se concentre ! Un corbeau, ce sera parfait. Tout noir, tout simple, avec un cri bien grinçant. On inspire, on expire, voilà. Bien garder à l'esprit l'image du corbeau... Un gros oiseau noir, ce n'est pas compliqué. Deux pattes, deux ailes, une tête, le tout couvert de plumes... Noires, noires les plumes surtout ! La formule, un coup de baguette et... Plus qu'à ouvrir les yeux...

Mouais... Ça ressemble plus ou moins à un corbeau c'est déjà ça... Mais pourquoi il est rose, bon sang ?! Heureusement pour moi, je me suis glissée au fond de la salle : j'ai le temps de le faire disparaître et de recommencer avant que quelqu'un ne le voie. Ça, c'est en théorie... Parce qu'en pratique, cet idiot d'oiseau ne trouve rien de mieux à faire qu'ouvrir le bec... Et pas pour pousser un cri sinistre, bien sûr... Je n'avais jamais vu un corbeau rose faire un bruit de boîte à musique. Maintenant, oui...

- Miss Cornélie, auriez-vous l'obligeance de faire taire cette aberration que vous nous avez encore créée.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Au moins je m'en sors sans retenue pour une fois !

- Et vous me ferez un exposé sur les oiseaux de mauvais augure, ça ne vous fera manifestement pas de mal...

Encore raté... Maudit piaf...

Je préfère bouder le reste du cours plutôt que tenter ma malchance une fois de plus. Vivement que la cloche sonne, ça va bientôt être l'heure de déjeuner !

Dans la grande cantine, je mange toute seule. Je n'ai pas de copines chez les Effrayantes mais ça, ce n'est pas une surprise. Il y a bien quelques filles cool chez les Blanches mais ce serait trop la honte si on me voyait avec elles... De toute façon, avec mon parfum ciboulette, il n'y a bien qu'aux cuisines que je pourrais passer inaperçue... Pas grave, je mange ma purée de citrouille vite fait et je file commencer mon devoir sur ces satanés oiseaux avant le cours de l'après-midi.

C'est mon cours favori, le seul où je suis douée : Vol sur balai ! Eh oui, que serait une Sorcière sans son fidèle balai ? Je suis de loin la meilleure en ce qui concerne les acrobaties aériennes mais j'ai tout de même trouvé le moyen de me tourner en ridicule ici aussi... A la rentrée, nous avons dû enchanter notre propre balai car ce n'est pas qu'un outil bien pratique : le balai d'une Sorcière est un fidèle compagnon qui se façonne à l'image de sa propriétaire. Voilà bien le problème... Je lève les yeux au ciel en voyant approcher mon petit Gouache, mon superbe... pinceau volant. Sans grande surprise, je laisse avec lui une traînée de paillettes roses partout où je passe. De quoi faire trembler les pauvres mortels, c'est certain...

~*~

Ceci n'est qu'un aperçu de ce que furent mes quatre années d'études pour devenir une Sorcière exemplaire mais il est un parfait résumé de l'horreur que ça a été. Oui, je sais, à me voir ainsi, moi, Effrayante de Première Classe, on pourrait croire que tout ce qui a fait ma sombre renommée chez vous, les mortels, était un calcul des plus judicieux, mais non. Tu connais à présent mon secret : j'ai subi ma magie fantasque tout du long de ma scolarité avant de trouver comment en faire cette arme terrible. La révélation s'est faite très tard, le jour des examens finaux en réalité...

~*~

Gros soupir et regard méditatif pour le croque-monsieur au sourire maléfique qui me fixe depuis mon assiette. Je n'ai pas faim... pas après le zéro pointé de ce matin. L'épreuve finale de Calamités était pourtant simple : invoquer une nuée d'insectes nuisibles, avec des points bonus pour ceux porteurs de maladies. Ça laissait pas mal de place à la créativité ! Mais pas assez pour ne pas considérer mon nuage de coccinelles hors sujet... Avec la transformation désastreuse d'hier - j'ai réussi à transmuter le pantin qui devait devenir un croquemitaine en véritable petit garçon - j'en suis déjà à deux épreuves totalement ratées.

Je dois me rendre à l'évidence : jamais je n'aurais mon certificat de Sorcière Effrayante. Tout le monde saura que je suis la seule de ma famille à ne pas honorer notre grande lignée de terreur ! Un désastre, à l'image de ces quatre longues années. Je n'aurais plus qu'à tenter de devenir une Blanche... Quelle honte... Cet après-midi, c'est Familiers et Vol sur balai. Au moins, j'ai bon espoir d'avoir une note positive en fin de journée, même si elle ne sera pas excellente...

Dans la grande prairie, il y a un enclos qui a été installé et autour il y a des gradins occupés par des mortels. Ils sont là pour servir d'indicateur : s'ils ont peur c'est que le familier est réussi. C'est parce que l'épreuve finale de Familiers est une épreuve libre. Le tout est de terrifier l'assemblée... Inutile de le nier, j'y vais à reculons. Être la risée de mes camarades, c'est une chose. Faire rire toute une assemblée de mortels en est une autre. Mais puisque je ne peux pas y couper...

Voilà mon tour. Je m'avance dans l'enclos, me concentre de toutes mes forces. J'y ai pensé toute la nuit, je sais parfaitement ce que je voudrais invoquer : une monture du chaos ! C'est facile : un tas de fumée noire ayant plus ou moins la forme d'un cheval... Pas besoin de détails, pas de risque qu'il soit couvert de petits nœuds et de dentelles... Le rose et les paillettes sont toujours possibles, mais on peut espérer, non ?

Quand j'ouvre les yeux, je suis partagée entre émerveillement et sidération. C'est sans le moindre doute la meilleure invocation que j'aie jamais faite. Tous ces détails, cette puissance que respire ma créature... Mais pourquoi faut-il que ce soit une licorne ?! Fumée, ténèbres, noir, ce n'était pourtant pas compliqué ! Là, j'ai le combo ultime : crin rose parsemé de cœurs et paillettes qui volent au vent... Un suicide scolaire, voilà ce que c'est ! Pire encore est la réaction dans les gradins : ils sont sous le charme ! Je ne suis pas là pour vous enchanter, je suis là pour vous terrifier ! Vous allez avoir peur, oui ? Craignez-moi ! Je suis fille de Sorcière Effrayante, petite-fille de Sorcière Effrayante, arrière-petite-fille de Sorcière Effrayante... Tremblez ! Hurlez ! Suppliez !

C'est là que tout dérape... Enfin si l'on peut dire. D'un balancement de tête, ma licorne couvre la prairie, et moi avec, de ses paillettes senteur bonbon - parfait... jusque dans les moindres détails... - pour le plus grand bonheur de ses admirateurs. Alors, elle saute l'enclos d'un bond des plus légers et gracieux et... se met à éventrer les premiers rangs ! Ah, pour le coup, on ne peut nier que ça hurle et court dans tous les sens. Une vraie boucherie ! J'ai encore du mal à y croire à l'annonce des résultats mais Ciboulette, la catastrophe ambulante, sort major de cette épreuve !

Certains diront que c'est un coup de chance, mais en tout cas il me donne à réfléchir. Si j'ai tant terrifié mon public c'est avant tout parce qu'il ne s'est pas méfié de mon familier. En vérité, ils auraient certainement tous voulu le caresser si on ne les avait pas installés dans les gradins... Un cauchemar emballé dans un papier de soie rose avec un nœud de dentelle. Une lueur d'espoir se met à briller dans mon esprit : c'est peut-être cela ma véritable magie. Une terreur plus mesquine, une peur cachée dans tout ce qui rassure normalement les mortels...

Ce n'est pas tout ça mais il est temps d'enchaîner avec l'examen de Vol sur balai. Je commence mon épreuve avec une assurance teintée d'inquiétude. Je suis la meilleure, ça ne fait aucun doute, mais je reste l'Effrayante qui voyage en pinceau volant... La forme influencera-t-elle ma réussite ? Certainement... Je ne peux m'empêcher de ruminer cela aux premiers gloussements qui accompagnent ma nuée de paillettes et je trouve soudain cela terriblement injuste : qu'y puis-je si ce maudit balai veut jouer les artistes ? Si seulement il pouvait s'inspirer de ma licorne assoiffée de sang...

C'est là que les premières exclamations surprises s'élèvent, suivies de près par des cris de protestation puis de douleur. Que se passe-t-il en bas ? Mon épreuve n'est pas finie mais notre professeur me rappelle. C'est fichu, c'est certain maintenant. J'ai bien envie de balancer ce maudit balai quand la note tombe. A. J'ai un A à mon examen de Vol ! Et une ribambelle de regards noirs de mes camarades qui ont les yeux rougis et la peau de la même couleur... En fait, Gouache a attendu mon tout dernier jour d'école - ou ma récente révélation - pour se décider à transformer ses paillettes ridicules en limaille toute fine mais terriblement douloureuse. Et j'en ai copieusement arrosé mes condisciples et notre professeur...

~*~

Une corne ensanglantée et un nuage de limaille ont suffi à faire ma renommée avant même la remise des diplômes. C'est amusant, tu ne trouves pas ? J'ai été la risée de l'école pendant quatre ans et soudain, de Ciboulette, je suis devenue Cornélie'Maille. Toujours aussi peu subtil mais, ce surnom-ci, je l'ai gardé. Il faut bien un nom de méfaits après tout, sinon que pourraient murmurer les mortels de ton genre que je laisse, terrifiés, dans mon sillage ?

Détourner tout ce que ce monde fait de mignon est devenu ma marque de fabrique. Avant, vous vous méfiiez, vous autres, des ténèbres, des créatures de la nuit... Depuis que je suis dans le métier, vous tremblez au son d'une boîte à musique détraquée, vous êtes paralysés de peur par des échos de rires d'enfant... D'où crois-tu que vienne la peur des poupées ? Il n'y avait pas plus rassurant qu'une poupée avant moi, maintenant c'est fini ! Il y en a même qui ont peur des escargots ! Les escargots ! Non, il n'y a pas à dire, je suis fière du travail accompli et il reste tant de choses à pervertir encore...

D'ailleurs, à ta place, je me méfierais de mes rêves à l'avenir... Tu ne croyais tout de même pas t'en sortir sans une petite frayeur ! Va savoir, je pourrais bien venir faire un tour dans tes songes et y donner un petit coup de baguette... Les terreurs nocturnes, c'est mon péché mignon...


Texte publié par Serenya, 2 mai 2017 à 13h26
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