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Le premier conseiller Alaric marchait d’un pas pressé. Il coupa par la quinzième, dite rue du Gest pour éviter le marché couvert. À cette heure matinale, les rues autour du marché seraient envahies de véhicules de livraison et de charrettes à bras. Il sentait les effluves de fleurs, de fruits, de poissons et de crottin.

Alaric ne voyait ni le ciel radieux de juillet, ni les façades de pierre qui s’illuminaient peu à peu. Habituellement, il appréciait la fraîcheur matinale, les rues encore vides, le cataclop des chevaux sur les pavés, le sifflement du tramway. Toutefois, ce jour-là, il ne songeait qu’aux émissaires d’Alar et à leurs terribles nouvelles. Quelque chose s’était produit à l’ouest du monde, quelque chose de tellement grave qu’une réunion d’urgence à la mairie s’imposait, la neuvième, en presque trois jours.

Il s’engagea place Charles. Des oiseaux s’envolèrent pour se poser sur la statue du grand chroniqueur au centre de la place, tous courroucés d’avoir été ainsi dérangés. Une dame s’écarta du chemin du conseiller. Elle marmonna quelque chose bien trop bas pour qu’Alaric l’entende, mais elle s’inclina. Elle jeta de nouveau du pain aux oiseaux et bien vite ils se rassemblèrent autour d’elle.

Alaric marchait tout près de l’ensemble de statues. Charles, fondateur de l’université d’Argan et grand historien toisait la ville. À son pied, un dragon alangui, ou plutôt une dragonne allaitait deux petites créatures, les ailes ridiculement petites pour leur taille.

Ni le conseiller, ni la dame aux pigeons ne remarquèrent le petit éclat jaune dans le cou du dragon.

C’était une petite fille de huit ou neuf ans, une robe plissée et déchirée, jaune comme un soleil. Elle avait les joues sales, les geno écorchés. Elle s’était redressée au passage du conseiller.

— Monsieur ? Vous m’entendez ? Vous pouvez me voir ?

Une main tendue, à quelques centimètres de lui, l’autre sur le dragon qu’elle n’avait pas quitté en trois jours, elle pleurait. Sa voix faiblit, elle n’avait plus de force. Elle se recoquilla contre l’épaule de sa protectrice de pierres.

Le conseiller s’éloignait, la dame aux pigeons chantonnait : « petit, petit ».

Personne n’entendit la fillette gémir pour la centième fois :

— Aidez-moi s’il vous plaît, je ne sais où je suis, j’ai oublié…


Texte publié par Fabienne19, 11 mars 2017 à 19h00
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