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La partie en italique représente les 250 premiers mots de la nouvelle de PIxie, Le Vieux Couple, que vous pouvez lire sur LeConteur.fr.

Dans la quiétude de cette journée d'hiver, la grande maison était plongée dans le silence. Un observateur attentif aurait sans peine remarqué l'état d'abandon du jardin, les rosiers qui grimpaient à l'assaut des murs et jusque sur la marquise au-dessus de la porte, les mauvaises herbes qui envahissaient les plates-bandes et les arbres qui ployaient sous le poids de leurs branches. Mais dans cette végétation encore luxuriante malgré l'hiver qui l'avait dénudée, se distinguait encore un petit chemin pavé.

C'était une belle demeure. Vaste, simple mais sans austérité, élégante, toute en murs de brique et cheminées hérissées. Une petite merveille géorgienne comme on n'en trouve plus guère. On y ressentait la sérénité et la chaleur d'une vie menée à son rythme et sans précipitation malvenue, les joies et les peines d'une famille unie, les rires et les pleurs d'enfants que l'on pouvait presque voir se poursuivre à travers la pelouse, et... - n'était-ce pas une balançoire, là, nouée à une branche de ce vieux chêne moussu ?

Quoi qu'il en soit, les fantômes d'un tel endroit n'étaient pas de ceux qui se vengent de leur mort sur les vivants.

Au rez-de-chaussée de l'aile droite, une grande baie vitrée à petits carreaux colorés comme ceux d'un vitrail, installait presque le salon dans le jardin. A l'intérieur, des fauteuils confortables sommeillaient autour d'une élégante petite table aux pieds chantournés. Une grande horloge de parquet décomptait les secondes au rythme régulier de son balancier d'argent. Un vieux monsieur en costume désuet s'y trouvait assis et lisait un journal aux feuilles jaunies.

La sonnerie de l'horloge lui fit lever le nez vers le cadran ; il prit acte de l'emplacement des aiguilles et se mit debout un peu maladroitement, pestant dans un chapelet de jurons surannés contre la goutte et les rhumatismes.

« Alfred ?

- Je suis là...»

Il faillit sursauter ; même si le murmure était à peine audible, il emplissait tout l'espace. Le vieux gentleman se retourna pour se trouver face à un homme qui semblait droit sorti d'une gravure ancienne, avec la sombre redingote qui soulignait sa taille élancée. De magnifiques favoris encadraient son visage étroit.

«Les nouvelles sont-elles bonnes, William ?

- Hélas, je crains que le monde ne perde la tête. Mais enfin... Nous pouvons profiter de ce havre de paix tant qu'il existe. Je voulais justement vous avertir que la prochaine visite aura lieu d'ici deux heures. Ce qui vous donnera le temps de vous préparer.

- Je vous remercie, William. J'espère que cette fois sera la bonne. »

À l'heure dite, la sonnerie de la porte retentit. Ils étaient cinq : le chef, un garçon expansif qui aimait surtout brasser du vent. Son adjoint, un homme encore jeune au regard pensif. Un technicien courtaud qui transportait tout un matériel compliqué. Une femme habillée comme une bohémienne, chargée d'amulettes et de cristaux. Une fille brune aux yeux brillants d’excitation, qui portait sous le bras un carton à dessin.

Y aurait-il parmi ces intrus des personnes capables de comprendre la réalité du lieu, ce qui le rendait si unique et saturé d'émotion ? De deviner pourquoi Alfred avait choisi d'y rester, pour protéger cet écrin empli de souvenirs précieux ?

« Venez, je vais vous montrer où vous pouvez vous installer, offrit William avec une ombre de sourire. Si vous avez besoin d'informations, je reste à votre disposition ».

Le vieil homme les conduisit jusqu’à un salon seulement meublé d’une table de bois et de quelques sièges ; ils commencèrent à y installer leurs ordinateurs. Il leur indiqua où fixer des caméras et où faire passer des fils sans abîmer le mobilier ni les bibelots. Les fondations d'étude du paranormal étaient prêtes à bien payer pour explorer une authentique maison hantée. L'argent recueilli ne suffisait pas à entretenir la propriété, juste de survivre, mais il gardait bon espoir. Il comptait bien trouver quelqu'un qui serait touché par le charme de la demeure, sans crainte envers les esprits qui l'habitaient.

Les rémanences du passé l’avaient toujours accompagné : parfois, il entendait des rires d'enfants dans le jardin. Une douce voix féminine chantonnait. Ses propres enfants – et ses petits-enfants après eux – avaient un temps été sensibles à cette magie nostalgique, mais les responsabilités et la réussite les avaient éloignés, en espace et en esprit, inexorablement.

Comme à chaque fois, il prit poliment congé sur le coup de minuit. Après six heures de sommeil, il se réveilla avec les idées claires et décida d'aller vois ses visiteurs, qui arboraient les cernes d'une nuit blanche. Le bilan fut rapide : le chef, un peu déçu, parla d'enregistrements suspects, qu'il faudrait analyser, et d’expériences personnelles « qui pouvaient faire supposer une hantise, mais ne constituaient en aucun cas une preuve ». Des contacts, des chuchotements, des images fugaces, des sons… Mais aucun qui n'avait pu être fixés par la technologie moderne. Une fois le chèque signé, ils remballèrent leur équipement.

Alors que tout le monde était prêt à partir, la jeune artiste tira une feuille de son carton :

« C'est une image qui s'est imposée à moi, souffla-t-elle avec un sourire, je pensais vous l'offrir... »

Il reconnut la digne silhouette d'Alfred, à côté d'une jeune femme en tenue d'époque, au visage un peu flou.

« Si vous souhaitez revenir, je serai ravi de vous inviter, lui assura-t-il d'une voix émue.

Elle lui adressa un large sourire. L'adjoint vient lui prendre la main, saluant aimablement le vieil homme.

« Même si je suis... accompagnée ? »

William examina le jeune gentleman. Satisfait de ce qu'il voyait, il acquiesça :

« Ce sera avec plaisir. »

Quand le couple eut passé la porte, Alfred se matérialisa à côté de lui, le visage songeur.

« Qu'en pensez-vous ?

- Qu'il est grand temps de changer de rôle, répondit William avec un sourire. Si ces tourtereaux font l'affaire, vous pourrez enfin retrouver Sophia, et je prendrai votre rôle d'esprit protecteur de cet endroit. Quelque chose me dit que ces deux jeunes gens s'adapteront très bien à notre petit arrangement. »

Alfred hocha la tête, un doux sourire sur son visage austère.

Il était grand temps que cette demeure revive.


Texte publié par Beatrix, 11 mars 2017 à 12h46
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