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tome 1, Chapitre 13 « Bertold le voir-loup Version 2 » tome 1, Chapitre 13

Dans le village perdu au milieu de la forêt, on se racontait que Bertold avait donné son âme au Diable en contrepartie de pouvoirs nuisibles. Lorsqu'ils le croisaient, les gens de l'endroit murmuraient et le suivaient du regard avec curiosité et méfiance. Depuis qu'il a manifesté ses pouvoirs sans certitude que ce soit lui pour sauver un camarade de la noyade, la rumeur le suivait. A peine âgé de douze ans, il avait couru à la rivière juste à temps pour tendre une branche à un camarade d'école qui se noyait. Personne ne l'avait entendu, il ne savait pas nager et la branche salutaire lui avait permis de rejoindre le bord. Personne, pas même le jeune Bertold n'a su expliquer pourquoi il avait dû impérativement se rendre près du lieu de la noyade sur le champ. Le petit garçon avait raconté qu'il s'était souvenu avoir oublié un sac empli de noisettes lors d'une cueillette avec les enfants du coin effectuée plus tôt dans la journée ; puis il avait raconté avoir entendu des cris, mais pas grand monde n'a cru à une coïncidence. Cet enfant trop perspicace et rêveur inquiète dans le village, on lui attribue des pouvoirs qu'il ne possède nullement mais en ces temps reculés où la superstition et la chasse aux sorcières ont libre cours, ces qualités sont vite suspectes. Le camarade l'a remercié de sa bravoure et ne lui a plus adressé la parole depuis ce jour, certainement influencé par sa famille.

Bertold est seul, ses amis ne lui parlent plus mais par fierté, il n'en dit rien à ses parents. Ces derniers le quittent deux ans plus tard, terrassés par une épidémie. Livré à lui-même, l'adolescent tente de se faire embaucher à la journée dans les fermes environnantes mais sa réputation le précède même si par pitié, on l'emploie de temps en temps. Il n'ose pas partir, il a peur d'affronter le monde extérieur d'autant plus que sur son lit de mort, sa mère lui a avoué avoir donné l'âme de son futur enfant à naître au diable en échange de ce miracle. Un an plus tard, Bertold naissait. Il a hérité de la maison familiale, de la chèvre et du jardin attenant. Il comprend mieux la honte de ses parents suite à la révélation du secret entourant sa naissance et il devine l'origine des choses étranges qui lui arrivent régulièrement depuis toujours. Mais il n'est pas pour autant maléfique, bien au contraire même si l'intuition paysanne a deviné le secret de sa naissance bien avant lui. Ses cheveux roux et ses yeux d'un vert pâle qui illuminent sa peau blanche parsemée de taches de rousseur, sa silhouette mince contraste avec la carrure musculeuse de ses parents, tous deux bruns à la peau tannée par le soleil ; au fond de lui, il a toujours douté de sa filiation, il a longtemps pensé être un enfant abandonné recueilli par ses parents mais il doit se rendre à l'évidence, il est bien leur fils, sa mère ne peut plus enfanter depuis sa difficile naissance, un soir d'automne, elle le lui répète souvent. Rêveur, idéaliste et avec le goût de l'étude, le jeune garçon avait eu la satisfaction de briller en classe mais la vie à la campagne l'obligeant à aider ses parents aux champs dès son plus jeune âge, comme tous ses camarades, il n'a jamais eu la chance de pouvoir poursuivre son éducation. Néanmoins, il dévore tous les livres qu'il peut trouver même si dans cette campagne reculée, il s'agit surtout d'almanachs ou de livres de recettes de cuisine qui changent de la Bible.

Un jour, las de ces racontars et de ces murmures incessants, le jeune homme de dix-sept ans remplit un sac d'un peu de nourriture et de quelques vêtements de rechange afin d'aller voir un sorcier qui vit à deux jours de marche. Glacé dans le froid nocturne, il passe la nuit le dos collé contre le mur d'enceinte d'un village où il n'avait pas osé demander hospitalité, trop habitué au rejet. Un chien vient le renifler et sous ses caresses insistantes, il accepte de se coucher contre lui. Réconforté par cette présence, Bertold dort mieux cette nuit-là.

Au matin, le vieux sorcier l'accueille dans sa petite maison de bois et il écoute attentivement son récit. Bertold lui raconte qu'il envisage de donner raison aux habitants pour ne plus avoir à subir quolibets et rejet pour rien. Le sorcier le regarde longuement avant de se décider à parler.

- Les voirloups sont des créatures fascinantes mais leur ressembler coûte cher, très cher. Et les ingrédients nécessaires sont difficiles à trouver et hors de prix.

- Pouvez-vous me les fournir?

- Bien sûr. répond le sorcier avec un sourire mauvais. Mais es-tu certain d'être prêt à en payer le prix ?

- Oui.

Le vieil homme hausse les épaules avant de se mettre à fureter parmi ses pots en murmurant des choses incompréhensibles.

Rentré chez lui, Bertold traite les ingrédients pour être en mesure de les conserver et pouvoir refaire la potion plusieurs fois. Il réfléchit tout le jour aux conséquences de ses actes mais le soir, il cède, furieux d'avoir été une nouvelle fois invectivé sans raison ; alors qu'il allait acheter une miche de pain, le boulanger lui avait dit de déguerpir car il allait faire fuir les clients si on le voyait là, il n'avait su que répondre et il avait jeté le pain dans son sac avant de rentrer chez lui, la mort dans l'âme. Triste, il fabrique avec frénésie la mixture et à minuit, elle est prête.

- Sang de vierge, graisse rance de porc tué le vendredi saint à trois heures de l'après-midi, semence, bave du diable, tout y est. L'amalgame est prêt!

Il avait eu bien du mal à obtenir les ingrédients nécessaires. Une toute jeune fille rencontrée lors d'une fête de village à qui il avait fait boire plus d'un vin fort de la région qu'il n'était raisonnable lui avait fourni le sang qu'il avait recueilli dans une fiole avant de la laisser endormie dans l'herbe d'un champ proche du village où elle vivait. Au vu de son très jeune âge, il pouvait supposer avec raison qu'aucun homme n'avait jamais posé la main sur elle. La graisse de porc lui venait d'un pot de rillettes offert par son voisin l'an passé dont le porc était mort la vieille du jour saint et dont ils avaient rapidement récupéré ce qui pouvait l'être ; il avait reçu en remerciement des rillettes issues de ce porc qu'il gardait précieusement pour l'hiver et un jambon qui pendait au plafond, bien entamé. Une sorcière qu'il était allée voir bien loin au-delà de la forêt l'avait éclairé sur la bave du diable qui n'était que de la bave de crapaud. Un peu de sa propre semence avait achevé de compléter les ingrédients nécessaires à la confection de la potion qu'il avait laissé mijoter dans un peu d'huile afin d'en avoir une quantité suffisante pour l'étaler sur son corps, il espérait que ce subterfuge ne dénaturerait pas le sortilège si d'aventure, il devait fonctionner.

Lentement, le jeune paysan regarde le soleil décliner sur l'horizon puis la nuit venue, il ne garde qu'une chandelle allumée posée sur la table à côté de lui qu'il remplace au fur et à mesure de sa fonte. Enfin le clocher du village sonne onze fois, il peut commencer ses préparatifs et réfléchir encore à sa décision. Une heure plus tard, il est prêt à accomplir son dessein.

Au premier coup de minuit, il s'enduit les membres inférieurs avec la mixture qu'il étale en couche aussi fine qu'il le peut pour en avoir suffisamment. Il imagine avec horreur les ingrédients pénétrer sa peau et son corps mais il est trop tard, il ne peut plus reculer. L'onctueuse graisse de porc s'étale comme un baume sur son corps et sur son cœur meurtri. Puis il s'adresse au Seigneur des ténèbres, il implore dans une longue litanie le Diable en personne de lui accorder ce qu'il demande afin de lui permettre d'accomplir sa vengeance. Puis il attend, le cœur battant dans la nuit, transi de froid, nu sous la lumière de la lune lorsqu'un souffle venu de la cheminée éteint la bougie et le glace jusqu'aux os. De longues minutes s'écoulent et peu à peu, il se réchauffe. Intrigué, il remarque qu'une noire fourrure a commencé à le recouvrir et il ferme les yeux, soulagé de voir sa requête accordée mais un peu inquiet de se retrouver à jamais prisonnier de ce corps qui n'est pas le sien. La douleur irradie dans tout son être, ses muscles le brûlent, il serre les dents pour ne pas hurler et alerter les voisins, sa peau s'embrase et il reste de longues minutes à se tordre de douleur sur le sol, impuissant face à la vague brûlante qui l'assaille. Il a peur et il songe à sa stupidité. S''il errait sous la forme d'une bête condamné à ne pouvoir redevenir humain ? Si on le tuait ? Ne va-t'on pas le démasquer et l'accuser puis le bannir ou le brûler comme sorcier ? Etait-ce la seule solution ? Empli de douleur, il pleure et il tente d'étouffer les sanglots inhumains qui le secouent. Enfin, la vague qui lui broyait le corps s'apaise et il ouvre les yeux en grognant.

Puis, tout bascule. Transformé en loup, il pousse un hurlement qui réveille certainement tout le village avant de fuir de toute la force de ses quatre pattes vers le refuge de la forêt. Deux heures durant, il court parmi les arbres, empruntant des chemins qu'il redécouvre avec des yeux habitués à l'obscurité. Lorsqu'il massacre une biche qu'il prend à la gorge pour le plaisir de tuer, une part de lui est écoeurée de sa cruauté mais une autre jouit de sa puissance. L'appel du sang et du mal se fait plus pressant et il prend le pas sur sa raison. Il se rapproche du village endormi à pas de loup, évaluant les méfaits qu'il pourrait causer.

Alerté par sa présence, un chien hurle dans la nuit et le jeune homme-loup étire ses babines en un sinistre sourire. A pas de loup, il approche sa victime et d'un coup de dents, il l'égorge avant de la dévorer. Méthodiquement, il tue tous les chiens du village, ceux qui grognent et montrent les dents sur son passage puis il s'attaque aux petits troupeaux de ces paysans pauvres, dévorant moutons et chèvres en silence. Ses pas étouffés par l'herbe, il approche ses victimes et d'un coup de dent, il met fin à leur vie avant de s'attaquer à la bête suivante, proie innocente et sans défense. Il craint de croiser quelque voisin et de commettre un meurtre imprévu. Au matin, les habitants découvriront la peau et les os des bêtes gisant dans une mare de sang séché sans que nulle trace ne les mène à l'exécuteur.

Bien décidé à se venger de ses voisins qui l'humilient depuis des années sans jamais se demander ce qu'il peut bien ressentir ou s'il souffre, Bertold profite de ses nouveaux pouvoirs pour mettre le village sens dessus dessous. Du regard, il se concentre longuement sur des tas de paille car il sent confusément qu'il peut y mettre le feu à distance. Et quelques minutes plus tard, une mince fumée commence à s'échapper des bottes de paille ; satisfait, le jeune homme fuit à toutes pattes vers une colline proche où il pourra se délecter du spectacle. De loin, il admire son œuvre, tout le village envahi de feux silencieux s'illumine dans la nuit ; peu après, les hommes se réveillent et hurlent à leur ruine probable. Bertold se délecte de ce spectacle, il ne voit pas passer les heures, allongé dans l'herbe tendre et protégé du froid par son épaisse fourrure. Il se souvient à temps qu'il doit rentrer chez lui avant l'aube.

Ombre furtive, il se glisse jusque chez lui alors que la nuit achève de s'écouler inexorablement. Une femme le voit et tire une flèche dans sa direction ; touché à la cuisse, il retient un cri de surprise et se fond dans la nuit après avoir tenté d'imiter le gémissement d'un chien qu'on aurait blessé et se retenant de hurler comme le loup qu'il est devenu. Une heure plus tard, il parvient à se glisser dans sa maison, l'aube pointe. Bien qu'il ne ressente pas la douleur, l'arme l'avait gêné pour courir dans le noir. Sa nyctalopie l'aidant à se faufiler dans les fourrés, il a décidé de prendre le risque de perdre du temps à contourner le village pour se donner plus de chance d'éviter les groupes chargés de trouver le coupable avant d'avoir atteint sa maison.

Rentré chez lui, le jeune garçon reprend peu à peu forme humaine, il ôte la flèche plantée dans sa cuisse et se soigne après avoir brûlé le bois de l'arme et jeté la pointe aussi loin que sa force le lui a permis dans la nuit. Alors que l'aube se lève, sa peau de loup éclate, le sortilège a enfin cessé mais il le protège de la douleur, il ne ressent rien à son grand soulagement ; l'horreur de voir la fourrure se fendre pour laisser apparaître sa peau tannée est suffisante. Bertold est redevenu lui-même. Il brûle la peau du loup puis il se couche, épuisé. Il ne s'éveille qu'à midi, encore fatigué de sa longue nuit puis il se promène dans le village. C'est un jour de marché et on ne parle que des dégâts de la nuit. Personne n'a rien vu et on s'interroge sur l'origine des dommages. Le voirloup écoute attentivement les conversations et note les villageois qui nourrissent des soupçons à son encontre ; il se découvre le pouvoir de lire les missives où l'on parle de la créature mais personne ne le soupçonne réellement pour le moment. Il le regrette presque, il aurait eu grand plaisir à punir ceux qui devinent sa vraie nature. Satisfait, il rentre chez lui, les mains dans les poches. Il avait repéré quelques mauvaises actions qu'il pourrait commettre la nuit venue pour profiter de sa nature. Même si les souvenirs de la nuit passée sont flous, il se souvient du plaisir ressenti à ses méfaits, de sa puissance physique et du sentiment de liberté qu'il a connu durant ces quelques heures.

Ce soir-là, alors qu'il se lave, il remarque la tache rouge en bas de son dos ainsi que la fourche bifide sur son épaule gauche. Satan avait marqué son âme et son corps en souvenir de l'aide qu'il a accordé au jeune paysan. Le garçon sourit doucement à l'idée qu'il lui reste suffisamment de mixture pour se transformer plusieurs fois en bête et se venger de ses ennemis lorsque l'envie de faire le mal prendrait le dessus sur la prudence et ses restes d'humanité. Puis il lui faudrait quitter le village, l'âme apaisée et tout désir de vengeance envolé.

Les deux pleines lunes suivantes, Bertold se transforme de nouveau pour accomplir d'autres forfaits dictés par son imagination débordante : piétiner les champs et détruire les cultures, pénétrer dans les caves pour dévorer les jambons pendus au plafond et percer les tonneaux de bière et de vin. Peu à peu, il sent les regards peser sur lui, plus insistants, il frissonne et il comprend qu'il doit partir bientôt pour ne pas se trouver accusé de sorcellerie. Sa mauvaise réputation, la mixture étrange dont il ne lui reste qu'un fond et son isolement social le condamneraient à coup sûr. On murmure dans le village et si on ne trouve pas la cause des dommages qui surviennent la nuit, on cherchera un bouc émissaire. Et il a de plus en plus de mal à éviter les patrouilles qui se multiplient. La mort dans l'âme, il se promène longuement dans le village, humant le vent. Un vol de corbeau fuit vers la forêt et il rentre chez lui en trottinant, l'âme apaisée.



A la nuit tombée, son sac sur l'épaule, il prend le chemin qui s'éloigne du village. Seul dans le noir, il marche vite, épiant les bruits alentour. Il a soigneusement nettoyé le pot de mixture et brûlé les restes des ingrédients nécessaires à la préparation, nul ne pourra le soupçonner. Il a bien songé brûler sa petite maison mais il n'en a pas eu le cœur. Ses maigres possessions à la main, il trottine rapidement dans le village craignant de réveiller les chiens qui veillent mais ils le reconnaissent et ils jappent doucement à son passage. Il sourit ; au moins, les chiens survivants qui accompagnaient leurs maîtres lors d'une grande chasse nocturne, lui auront dit au revoir et souhaité un bon voyage. Loin du village, il pourra se faire une réputation et fonder une famille, son destin n'est qu'à quelques jours de marche ; le sourire aux lèvres, il avance d'un bon pas en sifflotant dans l'air froid tandis que s'allument les premières étoiles dans le ciel. Il ira confesser une partie de ses méfaits auprès d'un prêtre lorsqu'il se sera suffisamment éloigné et il donnera quelques-uns de ses maigres effets pour qu'ils soient redistribués aux plus pauvres dans l'espoir d'obtenir le salut de son âme et le pardon pour ses péchés. Comme il sait lire, écrire et compter, il peut espérer trouver un emploi correctement rémunéré et s'il se prive du superflu, il pourra se montrer généreux pour les plus démunis sa vie durant. Confiant, il presse le pas, il est persuadé qu'au fil du temps, les marques du démon s'effaceront de son corps et de son âme lorsqu'il se sera montré suffisamment bon pour mériter la rédemption.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 10 mars 2018 à 19h59
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