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Mary avait toujours été la bonne humeur incarnée. Lorsqu’elle souriait, son visage tout entier s’éclairait et ses yeux pétillaient de mille feux. Son rire clair se répercutait sur les murs comme sur du cristal et ravissait les oreilles qui l’entendait. Oui, Mary était vraiment l’une des personnes les plus joyeuses que j’avais jamais rencontrées. C’était même l’une des meilleures personnes que je connaissais, si ce n’était la meilleure. Elle était gentille, chaleureuse et avait le cœur sur la main. Sa présence éclairait mes journées.

Ça ne dura pas.

Sa joie naturelle semblait s’être accentuée de plus belle lorsqu’elle l’avait rencontré, lui, celui qu’elle avait choisi d’aimer. J’aurais pu être jalouse. Mais je savais bien qu’il la rendrait heureuse et ça me suffisait. Ils se sont mariés, ils eurent deux petites filles aux même boucles chocolats qu’elle mais elles avaient hérités du regard bleu nuit de leur père. Et elles avaient le même sourire que Mary, contagieux, joyeux, resplendissant. C’étaient deux bébés aussi magnifiques que leur mère dont j’étais fièrement la marraine. Il arrivait que mon cœur se serre lorsque je pensais que Mary ne serait jamais à moi, mais je chassais ce sentiment bien vite. Quelle importance ? Elle était heureuse et m’avait offert deux belles princesses en guise de filleules. Moi aussi j’étais heureuse.

Que notre mère la Terre me pardonne, j’ai négligé les signes qui annonçaient un malheur.

Je nous pensais invincibles, notre amitié était indestructible. Que de naïveté ! Les plantes m’ont montré notre futur, notre malheur. Insouciante – inconsciente ! – que j’étais, j’avais ignoré l’avertissement.

Un soir de pleine lune, le sabbat annuel eu lieu avec toutes mes sœurs les sorcières de la contrée. Chaque mois des hommes ensorcelés par nos charmes venaient nous rejoindre pour disparaître au petit matin, vaincus par les Faes qui étaient nos seigneurs.

Pauvre de moi ! De nous ! Que n’ai-je pas surveillé cet homme trop imprudent, trop curieux ? Mais il n’y avait eu aucun soucis jusqu’à maintenant, il n’avait aucune raison pour qu’il y en ait après quinze ans d’amitié. Mais les Faes – tout comme mes sœurs et notre mère la Terre – peuvent se montrer cruels pour leur divertissement. Et quoi de plus amusant que de regarder une femme si rayonnante que ma tendre Mary sombrer dans le chagrin à la mort de son bien-aimé ?

Leurs enfants étaient nombreux et l’une des jumelles était mariée et enceinte, leur bonheur était complet. Pourquoi est-ce arrivé à eux ? Parce que j’étais sorcière ? Parce qu’ils s’étaient attirés la jalousie de quelques autres qui leur avaient jeté une malédiction ? Personne ne le sut jamais.

Pendant un an, je vis ma meilleure amie, ma tendre amie au cœur débordant de joie et de compassion se renfermer sur elle-même et mourir à petit feu. Son humeur devint mélancolique, son rire ne résonna plus, ses prunelles noisettes aux paillettes d’or devinrent vides et froides. Elle n’était plus qu’un fantôme de chair et d'os. Et moi je ne pouvais que la voir sombrer dans la déchéance, de loin, sans pouvoir à l’aider.

Alors je pris ma décision.

Je ne sais ce qui m’a décidé mais je sais que jamais je ne regretterais ce que je m’apprête à faire.

Un sort interdit.

Un sort qui va à l’encontre de la nature même de mère Terre et qui plonge dans les arcanes les plus sombres et visqueuses de la mort.

Un sort de magie noire.

Un sort banni de la mémoire des sorcières depuis sa création, des siècles, des millénaires avant ma naissance mais que je connus par une sœur au cœur noir qui possédait l’unique ouvrage y faisant référence.

Un sort qui permettra de changer le passé pour sauver une personne et en sacrifier une autre.

C’est un prix lourd mais je suis prête à le payer s’il peut rendre son si joli sourire à Mary.

Parce que la personne qui lance le sort et celle qui perd la vie ne font qu’une. Mais je suis sorcière amoureuse et rien ne peut nous résister lorsque notre amour est la source de notre magie. Et de l’amour j’en ai à revendre, quand bien même Mary ne le voit pas. Quelle importance ? Son sourire est le plus important.

Au centre d’un pentacle, entourée d’instruments magiques qui m’appartiennent et d’une chemise de cet homme qui est mort, je prononce l’incantation d’une voix tremblante et laisse la magie m’habiter jusqu’aux moindres recoins de mon corps puis le quitter pour couler dans le sol et l’air. Je sens mon esprit vaciller et mon cœur rater un battement. Je serre les dents, il faut que je donne toute ma puissance magique, tout ce qui pourrait habiter mon corps. La magie est une source de vie pour nous autres sorcières, il est temps que je tarisse la mienne pour donner tout ce que je peux à cet homme que Mary aime. Quelle importance si c’est synonyme de ma mort ? Mary est la plus importance.

Je crois que je crie mais je ne sais pas. Je sais plus. Ai-je un jour existé ? Qui suis-je ? Si je sais qui je suis. Je veux vivre. Je veux voir le bébé de ma filleule. Je veux voir les rides sur le visage aimant de Mary. Pourquoi est-ce que je fais ça ? Je pourrais tout arrêter, je pourrais rejoindre un coven, je pourrais devenir membre d’un conseil de la nature. Je suis une sorcière promise à de belles choses après tout. Pourquoi Mary pleure-t-elle dans mon esprit ? Pourquoi se tient-elle devant une tombe ? Elle devrait rire en compagnie de son mari et ses enfants après tout. Que fait-elle là ?

— LIZZIE !

Un hurlement déchirant. Je n’ouvre pas les yeux. Je ne comprends pas. Ou plutôt, je comprends trop bien. Mary a trouvé l’endroit où je faisais mon enchantement. L’enchantement ? Ah oui, soupire mon esprit vacillant, pour le sauver lui, celui qui a volé le cœur de Mary. Pourquoi voulais-je le sauver ? Une image floue d’une femme devant une tombe s’inscrivit dans mon âme sans que je ne la reconnaisse. Mais j’ai compris. Mary est triste sans lui. Elle est éteinte. Elle a besoin de sa force à lui pour vivre et pour cela c’est de ma magie à moi dont elle a besoin.

— Lizzie arrête ! crie une voix lointaine. LIZZIE ! hurle la voix, des sanglots étranglés dans la gorge.

Du fond de mon âme encore intacte, je souris et je sais que mon visage sourit aussi. C’est Mary après tout. Il faut bien la rassurer.

— Ne t’inquiète pas, il reviendra Mary. Il ne te laissera pas seule cette fois-ci.

— Non, gémit la voix. Ne me laisse pas toi aussi.

J’ouvre les yeux doucement et plonge mon regard noir comme le charbon dans les yeux d’or de mon amie. Je ne la vois pas vraiment, je la devine plus qu’autre chose et cela me peine un peu. Mais tant pis, je ne change pas d’avis, il reviendra pour elle et elle sera de nouveau heureuse. C’est l’essentiel. Je fais de mon mieux pour lui sourire, malgré mes muscles qui me lancent, malgré mes os qui se brisent, malgré ma gorge qui laisse échapper des cris de douleur, malgré mes yeux qui pleurent des larmes sanglantes. Laisser échapper sa magie pour qu’elle ne fasse plus qu’un avec notre mère la Terre est toujours douloureux, à plus forte raison lorsque nous cherchons à nous sacrifier.

— Tu ne seras jamais seule Mary, je dis doucement.

Je ne mens pas, même revenue à notre mère la Terre jamais je ne l’abandonnerai. Jamais. Parce que je l’aime bien trop pour ça. Je crois qu’elle a toujours su d’une certaine manière, que je l’aimais. Mais ce n’est rien si elle ne partage pas mes sentiments. C’est ma précieuse Mary après tout, je ne la laisserai jamais mourir avant l’heure. Elle doit vieillir, voir ses petits-enfants et offrir toujours son sourire au monde. Mon regard charbon s’adoucit et je vois des larmes qui coulent du regard noisette de mon amie.

— Souris.

Je l’entends qui hoquette et prononce quelque chose mais mon esprit s’est enfin brisé. Je ne sens plus la douleur. Je ne sens plus mon corps. Je me sens libre, prête à revenir à notre mère la Terre. Mon âme s’envole et plonge en même temps. Quelle sensation étrange. Je me sens détachée, en paix aussi.

Je vis durant les sabbats de mes sœurs les sorcières, je vole avec les oiseaux, les papillons et les insectes bourdonnants le reste du temps.

Je ne sais pas combien de temps je parcours notre mère la Terre aussi légère qu’un nuage et aussi immatérielle qu’un fantôme au côté de dame Nature. Le temps n’est qu’illusion sous cette forme et je n’en ai plus la conscience mais je comprends finalement que la magie qui me donnait vie dans le passé n’est pas tout à fait éteinte. Alors je suis ce tiraillement que je sens dans mon âme et qui m’empêche de mes sœurs en paix.

Il me guide jusqu’à un petit village qui me paraît familier mais ma pensée éparpillée ne parvient pas à comprendre pourquoi. Puis j’aperçois un visage marqué par le temps, des yeux d’un tendre noisette pailleté d’or inondés par la tristesse et mon âme revient vers moi. Complète. Mes souvenirs humains l’accompagnent et je me souviens de tout. L’inquiétude me serre le cœur, ais-je échoué ? Non, se tranquillisent mes pensées en voyant un regard bleu nuit plonger dans celui de la vieille femme et une main noueuse lui caresser tendrement la joue. J’ai réussi, se réjouit mon âme. Alors je regarde autour de moi et voit enfin l’endroit où nous nous trouvions. Des adultes et enfants de tous âges se pressent autour d’une tombe modeste inondée de fleurs. La tombe de mon corps, je réalise, surprise. La famille entière de Mary, ma tendre amie, et de cet homme que j’ai sauvé s’est réunie en ce qui semblait être l’anniversaire de la mort de mon corps. Mes deux filleules sont là aussi, elles sont devenues deux femmes d’âge mûr à la même beauté que leur père et à la même douceur que leur mère. L’amour et la tendresse envahissent mon âme et mes lèvres immatérielles sourient alors que je les regarde. Puis je décide que c’est assez. Je me suis sacrifiée pour que Mary puisse sourire de nouveau et je n’accepte pas qu’ils puissent être tristes, même si mon âme s’émeut de cette marque d’affection.

Alors j’appelle ce reste de magie qui réside en moi et m’empêche de trouver la paix au sein de notre mère la Terre.

J’en relâche une partie en un dernier sort qui les recouvre et souffle un mot que Mary reconnaîtra, je le sais. Parce que quand bien même le passé a été changé, jamais je ne lui dirais un autre mot alors que la dame Mort vient me cueillir.

— Souriez.

Un rire joyeux m’échappe et je sais qu’ils l’entendent aussi parce que je vois Mary essuyer une larme en faisant un sourire tremblant alors que les autres sursautent. Moi aussi j’entends un dernier mot plein de la douceur de ma tendre Mary.

— Promis.

Alors je laisse la magie restante couler hors de moi et vais enfin rejoindre mère Terre, dame Nature, dame Mort et dame Lune pour la danse éternelle de la paix.


Texte publié par Mary, 3 février 2017 à 16h38
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