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tome 1, Chapitre 2 tome 1, Chapitre 2

Marissa revint brutalement à elle avec pour premier réflexe de pousser un hurlement de douleur. La nouvelle plaie sur son torse réveilla chacun de ses sens tandis qu’une nouvelle blessure vint s’ajouter à la précédente. Elle secoua sa tête pour s’éclaircir les idées et comprendre sa situation.

- Alors, tu aimes mes petites caresses matinales ?

Lorsque la douleur s’apaisa, elle put enfin examiner le lieu où elle avait atterri. Humide, puant, avec pour seules lumières celles de torches vacillantes. Ce sentiment, elle ne le connaît que trop bien. Elle est de retour en prison. La Tour d’Esther ? Non, ses ténèbres étaient bien plus étouffantes.

Le visage de Marissa pivota brutalement de côté alors que le fouet de son geôlier glissa le long de sa joue, ouvrant une nouvelle plaie.

- Réponds-moi quand je te parle, espèce de putain !

La prisonnière daigna enfin porter un regard sur celui qui la maintenait captive. Un homme gras, peu soigné, le rire sadique et un unique œil empli de malveillance. En réponse à ses exigences, Marissa tenta de le saisir à la gorge, mais cela lui fut impossible. Relevant la tête, elle constata que ses avant-bras étaient liés par d’épaisses chaînes, fixées par un verrou. Il en était de même pour ses jambes.

- C’est ça que tu cherches, ma mignonne ? nargua le tortionnaire en agitant un trousseau de clés sous le nez de Marissa.

Toujours aussi téméraire, pour toute réponse elle projeta de sa salive sur le visage rieur qui lui faisait face. Celui-ci essuya lentement le crachat du revers de sa main, avant de rire d’amusement.

- Tu sais, tu as de la chance que je sois celui chargé de m’occuper de toi ! lui fit-il remarquer en s’éloignant déposer ses clés et son fouet sur une miteuse table en bois. Je traite mes pensionnaires avec beaucoup d’attention ! A ce propos, tu ne m’as pas laissé le temps de me présenter. Je me nomme Bullher, mais tu peux m’appeler juste Bull, ou papa, c’est comme tu veux. Car à compter d’aujourd’hui, nous formons une famille, toi et moi !

- Détache-moi, ordonna calmement la prisonnière.

Bullher marqua un petit temps d’arrêt, surpris par sa requête. Puis il éclata de rire en s’emparant d’une pince sur son bureau.

- Bien sûr ! Je le ferai lorsque l’heure de te conduire sur le bûcher aura sonné, parce que j’ai le malheur de t’annoncer que ton séjour dans ma demeure sera très court. Le nouveau seigneur Sapher Griffedor a juré de venger son défunt frère dans les plus brefs délais.

A ce moment, la mort d’Harald Griffedor revint à la mémoire de Marissa. Elle l’avait tué, et s’était évanouie peu après. C’est pour cette raison qu’elle a pu être capturée sans en avoir le moindre souvenir. Le geôlier s’approcha de Marissa et examina attentivement son bras gauche.

- J’ai connu quelques enfants d’Esther par le passé. Je n’aime pas trop les gens de votre espèce, vous nuisez à ma créativité. Vos blessures guérissent vite et sans laisser la moindre cicatrice. En revanche, c’est bien la première fois que je vois quelque chose comme cela.

Il approcha sa pince d’une des griffes de la main gauche de la jeune femme et tenta de l’arracher avec sa force brute, mais ce fut non seulement sans succès, mais aussi indolore pour la jeune femme.

- Il n’y a rien à en faire. J’ai essayé la lame, l’aiguille, le marteau et même le métal brûlant ! Pas la moindre éraflure, un vrai désastre, soupira le tortionnaire en reculant sa pince. Mais heureusement que tout ton corps n’est pas comme ça ! Et, Dieu merci, vous autres ressentez toujours la douleur. Faisons connaissance, veux-tu ?

ooo

L’esprit de Marissa était une nouvelle fois dans le vague. Elle ignore combien de temps ce supplice avait duré, mais elle avait enfin droit à un peu de répit. Ce monstre est parti se restaurer, et d’après ce qu’il a annoncé en partant, son exécution est programmée dans l’heure qui suit. Il ne lui reste pas beaucoup de temps avant que tout ceci ne prenne fin. S’enfuir ? Impossible de défaire les chaînes. Nue et affaiblie, il lui serait de toute manière impossible de fuir le château de Rochebrune.

Tous ses efforts réduits à néant ? Impossible. Au fond d’elle, elle se refusait à abandonner. Elle ne leur donnerait pas cette satisfaction ! Elle força d’abord sur les chaînes, mettant une nouvelle fois à l’épreuve leur solidité. La farouche guerrière se débattit un moment, mais cela ne suffit toujours pas à venir à bout de leur résistance. Reprenant son souffle, elle guetta autour d’elle la présence d’une éventuelle solution. Son seul espoir résidait en ces clés présents sur la table. Si elle ne parvenait pas à rompre ses liens par la force, alors il ne lui restait plus qu’à les crocheter. Mais elles sont bien trop loin ! Si seulement elles étaient à portée…

La prisonnière serra les dents de rage, fixant intensément son seul espoir hors de portée. Si seulement… Plus proche encore, plus proche… Elle écarquilla les yeux, surprise, alors que les clés chutèrent à ses pieds. Qu’est-ce qu’il vient de se produire au juste ? Les clés, auraient-elles… volé ? Comment ? Serait-ce elle qui aurait accompli cet exploit ? Autant essayer une nouvelle fois. Soumis à sa volonté, le trousseau lévita une nouvelle fois auprès de Marissa. Cela fonctionne définitivement ! Malheureusement, il lui est impossible de déverrouiller la serrure à l’aide de ses seules mains. Il lui faudra compter sur ce nouveau pouvoir. Elle testa différentes clés avant de trouver la bonne. Ce travail de précision demande plus de concentration que de simplement faire léviter la paire de clés vers elle. Au bout d’une minute d’effort mental, elle parvint à se libérer les bras. Ce fut alors un jeu d’enfant d’achever sa libération des chaînes.

Bien ! Il reste une chance de s’enfuir d’ici ! Mais d’où lui vient ce pouvoir ? Aurait-elle des facultés cachées ? A moins que… Harald ! Cette ordure se servait d’un pouvoir de télékinésie ! Se pourrait-il qu’en le tuant avec cette main, elle ait absorbé sa capacité ? Elle savait que son bras gauche dévorait la vie de quiconque se faisait transpercer avec, mais c’est bien la première fois qu’elle vient à bout d’un enfant d’Esther. D’ailleurs, comment pouvait-elle être aussi sûr que cela marcherait ? L’heure n’est pas aux interrogations, il faut se tirer d’ici en vitesse !

Marissa fouilla brièvement parmi les outils de son tortionnaire à la recherche de quelque chose lui étant utile et s’empara d’un poignard. Cela fera l’affaire, en attendant de trouver une vraie arme. Percevant des bruits de pas annonçant le retour de Bullher, Marissa se dissimula dans le renfoncement de sa cellule pour le cueillir lorsqu’il sera à portée. Quelle joie de pouvoir lui dire au revoir en toute sérénité ! Du coin de l’œil, elle remarqua qu’il transportait un panier de provision. Certainement son déjeuner. L’instant venu, Marissa bondit sur cet homme, porta sa main gauche contre sa bouche pour l’empêcher de crier et posa le poignard contre sa gorge. Celui-ci paniqua et tenta de se débattre, mais la guerrière resserra sa poigne, neutralisant tout effort de sa part, avant de lui murmurer à l’oreille :

- Malheureusement pour toi, papa, je n’ai pas beaucoup de temps pour m’occuper de toi. Mais réjouis-toi, je sais parfaitement m’occuper des gens de ton espèce.

Bullher la suppliait du regard, ses paroles étant étouffées par la main de son bourreau. Sans la moindre once d’hésitation, Marissa lui entailla profondément la gorge. Le sang coula le long du bras de l’impitoyable prisonnière dont le regard ne vacillait pas, se délectant des derniers instants au fond du regard de son tortionnaire.

- Du calme. Voilà. Je suis peut-être un monstre, mais toi tu n’es qu’un déchet.

Marissa relâcha le corps sans vie qui retomba lourdement sur le sol. Après lui avoir jeté un dernier regard froid, elle se pencha vers la panière de provision pour s’emparer d’une miche de pain et d’une pomme qu’elle croqua avidement. A présent, il faut trouver une issue à ce traquenard. Tout d’abord, trouver des vêtements. Non pas que ça la gêne d’être vue nue, mais elle ne veut ni attirer l’attention, ni que l’on voit son bras. Et hors de question de mettre les vêtements puants de ce porc, d’autant plus qu’ils n’ont pas de manche ni de gants. Il ne reste certainement pas beaucoup de temps avant que l’on vienne la chercher pour la mettre au bûcher, alors elle devra improviser en chemin.

Elle courut vers l’entrée de la prison, mais en chemin elle fut interpellée par les supplications des prisonniers toujours enfermés. Elle s’arrêta un instant, considérant leur requête. Cela vaut-il la peine de les délivrer ? Ils mettront la pagaille et alerteront tout le monde. De l’autre côté, elle n’est pas sûre de pouvoir rester discrète bien longtemps, le temps lui est déjà compté.

- Très bien, tente ta chance, encouragea la fugitive en déverrouillant la cellule du misérable prisonnier qui la suppliait.

- Ce n’est pas très prudent, fille d’Esther, avertit un autre prisonnier adossé au fond de sa cellule. Tu ne sais même pas pourquoi nous sommes ici.

- Parce que tu crois que je m’en soucie ? sourit Marissa en ouvrant sa cellule.

Devant son hésitation, elle ajouta :

- Libre à toi de rester moisir ici, si tu trouves cette prison à ton goût. Mais le nouveau seigneur n’a pas une tête à gracier les prisonniers de son frère.

- Tu comptes te servir de nous comme appât pour ta fuite.

- Pour quelle autre raison vous libérerais-je ? railla-t-elle en déverrouillant la dernière cellule.

- Je peux t’être plus utile qu’un appât. Luke, se présenta-t-il en lui tendant la main.

- Marissa, répondit-elle en acceptant la poigne de main. Nous verrons bien, ne traînons pas.

Organisant une nouvelle fuite, Marissa décida d’ouvrir la voie. C’est véritablement en se dispersant que les prisonniers lui seront utiles. Elle eut une étrange impression de déjà-vu, mais elle chassa vite ce sentiment de son esprit pour se concentrer sur sa tâche. Avec six prisonniers, dont Luke, derrière elle, la jeune femme colla l’oreille contre la porte menant aux prisons pour identifier s’il y avait des personnes derrière. Difficile de déterminer leur nombre, mais lorsqu’elle fut persuadée qu’il n’y avait plus de passages, elle ouvrit brutalement la porte.

Elle identifia deux gardiens de part et d’autre de la porte, pris par surprise. Sans hésitation, elle plongea sa lame dans la gorge du soldat à sa droite, et se rua aussitôt sur l’autre pour percer sa gorge à l’aide de ses griffes. L’une des domestiques poussa un cri d’effroi en assistant à la scène. Marissa usa de son nouveau pouvoir de télékinésie pour ramener le poignard dans sa main avec laquelle elle menaça la servante.

- Silence ! tonna-t-elle alors que les autres prisonniers s’éparpillaient dans les couloirs. Déshabille-toi.

- Pardon… ? balbutia l’otage, mais elle sursauta et s’exécuta aussitôt en percevant l’empressement de la prisonnière.

- Attrape.

La criminelle saisit l’épée que Luke lui lança, satisfaite de s’équiper enfin convenablement, tandis que celui-ci en profitait pour enfiler une partie de l’équipement du soldat.

- Tu peux garder les sous-vêtements, concéda-t-elle généreusement en ajustant sa tunique. Heureusement que tu ne portais pas une de ces fichues robes.

- Ça y est, on s’est faite belle ? se moqua Luke, provoquant un regard noir de la part de son interlocutrice.

- Allons-y, coupa-t-elle court après avoir coincé le poignard avec sa ceinture.

- Tu ne mets pas d’armure ?

- Non, seulement les gantelets de cuir. Je n’ai jamais aimé me battre avec un poids sur le corps. Ou un poids, tout court, acheva la jeune femme en accompagnant ses paroles d’un regard lourd de reproche.

- J’ai une épée maintenant, je peux me battre, et puis c’est toi qui a insisté pour…

Elle ne l’écoutait déjà plus et progressait d’un pas rapide, surveillant constamment les alentours pour ne pas se faire surprendre par la garde. Elle entendait les sons d’alertes lancés par ses ennemis apercevant l’un des fugitifs, ceux-ci remplissant à merveille le rôle que leur libératrice leur avait attribué.

Trottant pour rejoindre les portes menant aux cuisines, les deux fugitifs se figèrent sur place en voyant une flèche se planter sur la porte. Deux soldats les interrompirent, l’un tirant son épée tout en les sommant de se rendre, et l’autre encochant une nouvelle flèche à son arc avec tout sauf une intention amicale. Sûre d’elle, Marissa leur répondit par un geste provocateur. L’archer lâcha la corde et sa flèche fusa vers sa cible, comme la guerrière l’avait prédit. Usant de son pouvoir de télékinésie, elle dévia la flèche qui vint plutôt percer le crâne de l’autre soldat. Tétanisé d’avoir ainsi manqué sa cible, son compagnon d’armes réagit bien trop tard pour voir l’épée de sa victime s’élever du sol pour le transpercer.

- C’est… utile comme pouvoir, fit remarquer inutilement Luke.

La fille d’Esther se contenta de lui répondre par une grimace méprisante avant de reprendre son chemin. Mais il avait raison, ce pouvoir est sacrément utile. Après tout, sans celui-ci elle serait toujours enfermée, peut-être déjà conduite au bûcher. Leur passage en cuisine fut bref mais suffisant pour provoquer surprise et indignation chez les domestiques. Marissa comptait s’enfuir par la porte de service, heureusement toujours fonctionnelle. Tout allait parfaitement jusqu’ici, mais à peine eut-elle fait quelques pas dans la cour qu’elle interrompit sa progression, serrant les dents de rage. Devant eux un comité d’accueil des plus dissuasifs comprenant un important peloton de soldats ainsi que le nouveau seigneur Sapher Griffedor à leur tête. Ce dernier applaudit contre toute attente.

- Bravo ! Félicitations ! Voilà une extraordinaire performance, enfant d’Esther !

Marissa ne lui adressa pour toute réponse qu’un regard haineux, témoignant de son impuissance dans cette situation. Il lui est impossible de résister à autant de soldats.

- En plus tu tombes bien, nous venons tout juste de terminer de dresser le bûcher, nous n’attendions plus que toi !

- Et il a le sens de l’humour… ironisa amèrement Luke, ne voyant aucune échappatoire de son côté.

- Mais, vois-tu, tout bien considéré, ce serait un beau gâchis de talent, tu ne penses pas ? sourit le nouveau seigneur en avançant de quelques pas vers les deux criminels. Après tout, tu as réussi à filer entre les doigts de nombre de garde, à sortir de ta cellule, et à arriver jusqu’ici !

- Où veux-tu en venir ? chercha à abréger la fille d’Esther.

- Tu m’as débarrassé de mon vaurien de frère, et sache que les Griffedor savent se montrer reconnaissants envers leur bienfaiteur.

- Sympa les cellules, mais Bullher est un peu trop bavard à mon goût… remémora-t-elle haineusement.

- Oh, non, ne te méprends pas ! Ce n’était pas mon idée, ça. Je te promets que j’ai cherché à t’envoyer au bûcher le plus rapidement possible, afin de t’éviter toute souffrance inutile.

- Charmante attention. Et maintenant ?

- Et maintenant te voilà, par tes propres moyens. Et ça, ça m’a fait ouvrir les yeux. C’est avec Harald que tu avais un différend, pas moi. Pourquoi ne pas travailler main dans la main ? Plutôt que de fuir éternellement, courir la campagne comme une gueuse et finir au bûcher au terme d’une misérable vie. Ici, je t’offre le confort et la sécurité au prix de tes talents.

- Très tentant, il faut l’accorder, souligna Luke en haussant les épaules.

Marissa eut un petit rire en entendant l’offre de Sapher. Quoi que l’on puisse penser, il avait raison au fond. Combien de temps va-t-elle fuir avant de se faire attraper ? Et même si elle accomplissait sa vengeance, que lui resterait-il après cela ? Le même destin funeste. Pourtant…

- Je ne peux pas accepter. J’ai d’autres projets qui ne me permettent pas de rester cloîtrée ici. Un long voyage, un long combat… Alors que vas-tu faire de moi à présent ? Me tuer ?

- Non, non ! Je te l’ai dit, tu n’es pas mon ennemie, bien au contraire. Apportez-le-lui.

Des domestiques se détachèrent du rang avec un paquetage en main. Ils s’approchèrent non sans crainte de la fille d’Esther pour le lui remettre, puis s’éloignèrent aussitôt pour prévenir le moindre danger. Celle-ci risqua un œil sur le présent du seigneur Griffedor.

- Du matériel de voyage… conclut la jeune femme.

- Vêtements, argent, nourriture, il y a même un cheval à l’écurie qui t’attend ! confirma le douteux personnage.

- Pourquoi me relâcher avec tous ces biens ? J’ai pris la vie de plusieurs de tes hommes, je refuse ton offre, et j’ai droit à tout cela ? C’est cher payé, ricana l’aventurière.

- Cher payé ? Tu fais erreur. Ces quelques babioles ne valent rien en comparaison de ce que tu peux m’apporter, car crois-moi Marissa, tu me reviendras, tôt ou tard, lui assura Sapher Griffedor en joignant ses mains dans son dos.

- Nous verrons cela.

Marissa lui rendit son sourire énigmatique tout en balançant le sac par-dessus son épaule.

ooo

Après s’être assurée qu’elle n’était pas suivie, Marissa fit une halte au bord de la rivière Sepual, au nord du château Rochebrune. Luke descendit du cheval en même temps qu’elle et en profita pour se dégourdir les jambes.

- Enfin un peu de liberté ! C’est bon de respirer l’air frais, rien à voir comparé à celui de la prison. Alors Marissa, qu’est-ce que tu comptes faire à présent ? Wow, tu fais quoi-là ?

Celle-ci venait de faire quelques pas dans la rivière après avoir déposé ses vêtements à côté du reste de ses affaires. Elle lança en retour un regard interrogateur avant de porter un peu d’eau à sa nuque.

- Tu devrais peut-être aller plus loin pour faire ta toilette, tu ne penses pas ?

- Toi, tu n’as qu’à aller plus loin si tu n’es pas content.

- C’est bon, j’ai compris, je disais ça pour toi. Quelle est notre prochaine destination ? redemanda-t-il en dépliant la carte que Sapher Griffedor leur avait remise.

- Moi, je vais à Eaunoire, toi tu vas où tu veux, trancha la jeune femme tout en se savonnant.

- Comment ça ? Je ne t’accompagne plus ?

- Non, expédia la fille d’Esther en essorant ses cheveux.

- Pourquoi cela ? s’offusqua Luke.

- Et pourquoi devrais-tu m’accompagner ? Tu m’es inutile, je consommerais mes ressources deux fois plus vite, et je préfère voyager seule.

- Je ne te suis pas inutile, pour commencer !

Marissa tourna la tête vers lui et ses lèvres s’étirèrent en un sourire moqueur. Elle sortit de l’eau et entreprit de laisser son corps sécher au soleil quelques instants avant d’enfiler les vêtements frais que Sapher Griffedor lui avait donnés.

- Ah oui ?

- Tout à fait ! Je… Je suis un enfant d’Esther !

- Un enfant d’Esther, vraiment ? Et quel est ton pouvoir, fils d’Esther ? s’intéressa Marissa, croisant ses bras sous sa poitrine, convaincue du mensonge de son interlocuteur.

- Je peux lire les pensées des gens, affirma-t-il en bombant le torse.

- Dans ce cas tu devrais déjà savoir ce que je pense de tout ça, se moqua une fois de plus la jeune femme.

- Non, je t’assure que…

- En plus d’être inutile, tu es un piètre menteur, constata-t-elle en ajustant la selle du cheval après s’être habillée. Si tu étais véritablement un fils d’Esther, tu n’aurais pas cette cicatrice à la main droite.

- Ça, c’est… observa mélancoliquement le garçon en relevant sa main.

La combattante grimpa sur le cheval, puis baissa le regard vers Luke. Celui-ci ne sut quoi répondre pour défendre sa position.

- Je ne sais pas pourquoi tu tiens tellement à m’accompagner. Crois-moi, en te séparant de moi, tu augmenteras tes chances de survie.

- Je suis un criminel, je n’ai nulle part où aller ! Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne me fasse attraper et exécuter !

- Pour un vol à l’étalage ? rit une fois encore la dédaigneuse guerrière, mais cette fois ce fut Luke qui arborait un ton grave.

- Non, ce n’est pas un vol à l’étalage…

- C’est bon, allez grimpe !

Le jeune fugitif marqua un temps d’arrêt, surpris par les paroles de Marissa.

- Si tu me casses les pieds ou que tu deviens un poids mort, je te jette sur la route, rappela-t-elle sérieusement.

Le visage de Luke s’illumina de reconnaissance et ce dernier grimpa sur la selle, derrière la cavalière.

- Merci, Marissa.

- Ne te réjouis pas trop vite, je ne garantis pas ta survie dans cette histoire.

- Je sais… Je peux peut-être au moins tenir les rênes ? tenta-t-il mais le regard meurtrier de Marissa l’en dissuada aussitôt. Si tu veux toujours tout faire toi-même, ne t’étonne pas que je ne puisse pas me rendre utile…

Bien sûr, Marissa ne s’attendait pas vraiment à ce qu’il lui soit utile. Elle avait un peu pitié de lui, mais ce n’est pas pour ça qu’elle a accepté de le prendre avec elle. Cela fait longtemps, oui, très longtemps. Impossible de se remémorer la dernière fois qu’elle a ri de cette façon. Est-ce qu’elle a toujours apprécié la solitude ? Ce n’est pas vraiment ça, plutôt, elle n’a jamais expérimenté autre chose que la solitude aussi loin qu’elle se souvienne. Au moins pour un temps, peut-être qu’un peu de compagnie lui permettra de mieux supporter le poids de la lourde tâche qu’elle s’inflige.

ooo

Il leur aura fallu un peu moins d’une journée pour arriver jusqu’à Eaunoire. Le cheval fourni par Sapher Griffedor est un excellent cheval de voyage. Comme il l’avait prédit, c’est le genre de confort dont elle se souviendra probablement encore un moment. D’autant plus que la carte de Sylstea, assez précise et complète, lui avait permis d’emprunter le chemin le plus rapide.

Eaunoire est un village lugubre, surtout en pleine nuit. Il ne doit pas compter plus de trois cent habitants, et dans le noir il donne seulement l’impression d’être hanté. Ce village tire son nom des marais qui l’entourent, l’eau mélangée à la terre prend ici cette teinte obscure. Quoi qu’il en soit, il en faudra bien plus pour mettre la farouche guerrière qu’est Marissa mal à l’aise. Pour Luke, c’est une autre histoire.

- Rappelle-moi ce que l’on vient faire ici ? questionna-t-il d’une voix chevrotante.

- Je veux rencontrer Lyviana. Il n’y a personne ici ? remarqua-t-elle en attachant son cheval aux écuries.

- Et qui est cette charmante demoiselle ? Elle aurait pu choisir un meilleur lieu de résidence.

- Je l’ignore. Harald Griffedor l’a mentionnée avant que je n’abrège son existence. Elle sait des choses sur moi, à ce qu’il paraît, et serait une traîtresse de son point de vue, ce qui en fait potentiellement une alliée.

- Ah, voilà une bonne nouvelle au moins, acquiesça Luke en se frictionnant les mains pour se réchauffer.

- Il y en a une mauvaise pour l’accompagner : elle se cache ici des sous-fifres d’Harald. Peut-être qu’il n’est plus de ce monde, ce n’est pas sûr qu’il était seul sur ce coup. Alors faisons au plus vite, acheva-t-elle en sortant des écuries.

- Vite, vite, tu n’as que ce mot à la bouche…

Les voyageurs avancèrent un peu à tâtons dans la pénombre de ce village sans éclairage nocturne. Luke portait la lanterne fournie par le seigneur de Rochebrune pour pouvoir s’orienter dans la nuit. Celui-ci comprenait parfaitement l’empressement de Marissa à retrouver Lyviana, mais il estimait surtout qu’en cette heure avancée de la nuit, c’était peine perdue : il y avait peu de gens encore debout à qui poser des questions, et les déranger dans leur sommeil ne les rendrait pas plus disposés à répondre favorablement. Et ça, la fille d’Esther n’en tenait absolument pas compte.

Il allait lui en faire part au moment où ils perçurent la présence d’autres habitants à proximité. Non seulement l’éclairage qu’ils portaient trahirent leur position, mais aussi le bruit qu’ils faisaient en marchant et parlant. Marissa, sans une once de prudence, s’approcha du groupe situé au détour d’un bâtiment. Celui-ci, s’illuminant à l’aide de torches, était composé de trois individus, vêtus de brigandines et équipés d’armes allant de la masse d’arme à l’épée longue. Des soldats ? Probablement pas. Leur équipement est usé et mal entretenu, et après examen, la personne à la tête du groupe était une femme. Les cheveux courts et la cicatrice auraient suggérés le contraire, mais celle-ci avait certainement abandonnée sa féminité pour le combat.

- Vous arrivez bien tard à Eaunoire, voyageurs, souligna le garçon manqué d’une voix autoritaire.

- Le froid et ce sol suintant la merde m’ont dissuadée de camper dehors cette nuit, rétorqua Marissa du tac au tac.

- Hé hé, Eaunoire est loin d’être le lieu paradisiaque pour une retraite ! ricana l’un des hommes à l’arrière.

- Eaunoire peut se révéler dangereuse, laissez-nous vous escorter jusqu’à l’auberge, recommanda le second avec un sourire douteux.

Marissa ne répondit rien et se contenta de les suivre. Contrairement à Luke qui montrait des signes d’inquiétudes, la fille d’Esther était imperturbable face à ces personnes plus que suspectes.

- Je cherche Lyviana, vous pourriez m’indiquer où puis-je la trouver ? questionna étonnamment poliment Marissa durant le trajet.

- Qui ça ? Jamais entendu parler, répondit nonchalamment l’un des protecteurs qui n’en avait visiblement rien à faire.

- Nous y voilà, déclara la dirigeante du groupe en plantant la troupe devant un grand bâtiment à l’air miteux.

- Et bien, merci pour votre aide, balbutia Luke qui voulait éviter les ennuis.

- Quoi, t’as cru qu’on faisait dans la charité ? File la monnaie ! se moqua l’un des brigands.

Luke déglutit, alors que Marissa soutenait leurs regards sans ciller.

- Vous avez eu de la chance d’être tombés sur nous, les autres ne sont pas aussi avenants. Remettez-nous dix pièces d’argent et l’histoire sera close.

- Dix pièces d’argent ? C’est certainement dix fois le prix de la chambre ! s’exclama Luke stupéfait devant cette extorsion.

- Tout dépend à combien tu estimes ta vie mon gars ! rit l’un des voleurs en posant sa main sur la poignée de sa masse.

Il sursauta en voyant Marissa faire glisser sa main le long de sa lame, mais ce fut finalement pour saisir sa bourse et en sortir la somme demandée. Après se les être fait remettre, les brigands se retirèrent non sans rire de la situation et de cet argent facile.

- Et gardez la tête basse, ça vous évitera des ennuis ! lança au loin d’un des malfrats.

Luke attendit qu’ils se soient bien éloignés avant de partager sa surprise à sa partenaire.

- J’étais persuadé que tout ceci aurait fini en bain de sang.

- Si nous n’étions pas sur le point de nous reposer, ils ne seraient plus de ce monde, affirma la jeune femme en poussant la porte de l’auberge.

- J’imagine… Nous voilà déjà appauvris par les premiers criminels que nous croisons. D’ailleurs, il me semblait que tu désirais la retrouver au plus vite, cette Lyviana.

- Je le souhaite toujours, mais la situation a changé. J’ignore combien de ces gens sont présents, alors avant de prendre le risque de les défier, je veux savoir à quoi j’ai affaire. Surtout que ces quelques pièces d’argent font pâle figure face à la somme que notre « bon » seigneur nous a remise.

- Vraiment ? voulut savoir le garçon alors que Marissa appuyait sur la sonnette.

- Il y a une cinquantaine de pièces d’or dans cette bourse, sans compter le reste. Une d’entre elle vaut cent de ces pièces d’argent, qui valent dix pièces de cuivre, mais tu n’es pas sans le savoir après avoir été enfermé pour vol à la tire, rappela la jeune femme avec un sourire moqueur.

- Cinquante ? Il avait vraiment de l’argent à jeter par les fenêtres celui-là. Heureusement qu’ils l’ignoraient, sinon leurs exigences s’en seraient retrouvées ajustées. Et encore une fois, je ne me suis pas fait enfermé pour ça…

Un corpulent quarantenaire toujours en pyjama se présenta aux deux voyageurs. Celui-ci, de mauvaise humeur car tiré de son lit, écouta les exigences de ses clients. Marissa paya huit pièces de cuivre pour obtenir une chambre dont le propriétaire leur remit la clé, avant de retourner d’où il venait, tanguant la chandelle en main.

Après avoir déposé leurs affaires dans la chambre, Luke se laissa tomber sur le lit, poussant un soupir d’épuisement.

- Hey, Marissa, pourquoi n’avoir pris qu’une seule chambre ? Ne me parle pas d’économie, je ne te croirais pas, et j’aimerais éviter que tu me fasses le coup du « dors par terre » parce qu’il n’y a qu’un seul lit.

- Par prudence. Nous pourrions être la victime d’une attaque nocturne, résuma-t-elle en tirant une chaise près de la fenêtre.

- Tu comptes veiller ?

- Juste un peu, pour être sûre.

- Tu t’en fais trop, soupira le voyageur épuisé.

- Peut-être, accorda-t-elle lassée.

Luke jeta un dernier regard vers cette guerrière qui ne rechignait pas à la tâche. L’unique chandelle allumée de la pièce disposée près d’elle faisait danser la lumière sur son visage qui pour la première fois ne ressemblait plus à celui d’une combattante, mais d’une femme se questionnant sur son avenir. La tête posée sur sa main, le regard perdu à travers la vitre, elle prétendait veiller pour la sécurité. Peut-être lui arrive-t-il à elle aussi de traverser des moments de faiblesse, de douter d’elle-même. Les enfants d’Esther ne seraient alors pas si différents des humains, finalement.


Texte publié par Zackiel, 21 janvier 2017 à 16h44
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