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tome 1, Chapitre 18 « Set the roof on fire - VI » tome 1, Chapitre 18

C H A P T E R 2 – Set the roof on fire

◢ PART - VI ◣

Palace du gouverneur – office de Dean Leblanc

Pour gérer les affaires étatiques, quand il ne présidait pas en salle d’audience, Dean tenait bureau dans une aile du palace ayant vue sur le parc des agrumes. Lorsqu’une jeune femme se présenta sur le seuil, il crut ses prières exaucées. Les doléances du sénateur zélé, du sénateur coincé et de l’ambassadeur pusillanime l’avaient incité à adresser une requête silencieuse à Hayden. Le dieu Élémentaire lui envoyait cette pétillante créature, qu’il accueillit comme une nature aride avide d’eau.

L’aubaine lui permit de congédier Marius, Nigell et Julian. Les seules informations qu’il retirait de leur laïus étaient leur foi absolue en leur roi et leur étroitesse d’esprit à vous constiper un homme. À présent, il se disait qu’il aurait mieux fait de poursuivre son entrevue avec ce trio spirituellement congestionné. Sacha Nuttingham ne venait pas en amie.

Elle avait exigé de se retrouver seule avec lui, balayant les protestations du sénateur Marius qui estimait n’avoir pas fini de l’entretenir sur les affaires commerciales. Sur son « conseil », Dean dévisageait désormais ses ongles, troublé de les voir lentement bleuir, comme si ses extrémités eussent manqué d’apport sanguin.

— Je peux en expliquer la cause, dit Sacha, affichant une nonchalance de façade.

Elle fit mine de s’intéresser à la reliure dorée des ouvrages soigneusement rangés sur une étagère de la bibliothèque qui habillait tout le mur ouest. Son regard s’attarda sur la décoration de la pièce, mariant étonnamment luxe et sobriété.

On rencontrait rarement à Aram ces tapisseries au raffinement sandrian. Les tentures aux portes-fenêtres, les tapis de sol et la couverture qui protégeait de la poussière ce qu’elle identifia comme un gigantesque globe terrestre, étaient autant de preuves du savoir-faire de l’artisanat du royaume des Sables. Le maître des lieux semblait affectionner cette culture.

Du moment qu’elle n’affrontait pas le regard de ce dernier, elle ne trahirait pas à quel point il l’impressionnait. La crédibilité de son plan reposait sur sa désinvolture. Or le gouverneur affolait ses sens. Sacha comprenait que Red ait été déstabilisé. Pourtant vêtu modestement, l’homme avait une prestance régalienne. La noblesse de sa stature rendrait presque pâlotte la légitimité de la dynastie Rell. L’autorité lui seyait comme un gant. C’était d’autant plus oppressant qu’il contenait une humeur orageuse. Méchante humeur dont elle était la cause.

L’expression sombre, Dean interrogea son corps mais ne décela aucun mal-être. Nul signe de vertiges, pas la plus petite manifestation douloureuse, acuité visuelle toujours intacte et articulations en pleine forme ; globalement, il allait bien. En apparence. Son instinct l’aiguilla sur la piste d’une mise à l’épreuve, car il faudrait être le dernier des inconscients pour véritablement attenter à ses jours dans ces circonstances. Que lui voulait-elle… ou plutôt, que désirait le roi par son biais ?

— Je vous épargne de la salive, vous m’avez empoisonné, dit-il calmement.

Sacha se tourna vers lui, surprise. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il se montre impassible en pareille situation. D’un sourire, elle admit sa défaite sur cette manche. À la voir ainsi, nul ne lui attribuerait de mauvaises intentions sous cet air aimable.

La droiture de son maintien, la délicatesse de sa peau laiteuse, la brillance de sa chevelure châtaine fleurie de roses naines, le nacre de ses ongles polis vernis de parme, et la finesse de la broderie de ses atours de velours couleur crème, parlaient d’une noble ascendance. Elle renvoyait l’image parfaite d’une jeune femme née sous un riche patronyme.

Les Nuttingham étaient un clan vassal des Rell depuis des générations. Cependant, son attitude n’avait rien de ce dédain presque naturel qu’affectaient les membres de la cour.

— N’êtes-vous pas curieux de savoir comment je m’y suis prise ?

Son intonation était plus mutine que narquoise. Pour elle c’était un jeu, très dangereux au demeurant, duquel elle ne tirait qu’amusement. Dean sourit, mais elle serait sotte d’y voir le reflet de son réel sentiment.

— Je vous ai saluée d’un baisemain. Je suppose que je suis entré en contact avec le poison à ce moment-là.

Il se souvint alors de Red évoquant sa répugnance des contacts humains, des suites d’un empoisonnement par voie cutanée. La vie au palais de Rubis n’avait rien d’une sinécure. C’était encore plus désolant quand les assassins étaient commandités par les frères de la victime. Dean n’avait jamais eu à s’inquiéter de ce genre de chose dans son palace. Ce temps était-il révolu, maintenant que la délégation royale apportait son lot de vices ?

— Votre perspicacité vous honore, dit Sacha.

— Et en quel honneur dois-je d’avoir été empoisonné dans mon auguste demeure ?

— Vous avez contrarié mon ami, hier soir, avança-t-elle sans fard. C’est une personne sensible, vous savez. Et puisqu’il est question d’honneur, depuis l’enfance, je me suis mise en croisade pour m’assurer que les responsables de sa contrariété s’en repentent.

Dean en fut décontenancé. Il décelait de la malice dans son propos, mais elle n’en masquait pas la véracité. Elle était l’amie venue défendre son petit protégé. Il eut le cuisant sentiment d’avoir embarqué pour une bataille d’adolescents. À la différence que celle-ci augurait un combat mortel. Cette fois, son sourire atteignit ses yeux. Le jeu en valait bien la chandelle.

— Vous vous doutez que la dose est non mortelle, dit Sacha en retournant à la contemplation du mobilier.

Elle aurait tout aussi pu discourir du temps qu’il faisait, avec un tel flegme. Maintenant qu’il n’avait plus à se soucier des conséquences d’un empoisonnement qui s’avérait bénin, Dean choisit de l’étudier. Elle ne s’assoirait pas. Ce serait se mettre en position de faiblesse quand lui restait debout. Or il ne lui viendrait pas à l’idée de proposer les commodités de la conversation à une empoisonneuse. S’assurer du confort du serpent qui l’avait mordu n’entrait point dans ses habitudes.

— J’affectionne les poisons létaux lorsqu’ils foudroient ou agissent sans laisser de traces perceptibles, reprit-elle.

Elle fit courir un doigt délicat sur les plumes colorées d’un paon sculpté dans un paravent de bois noble. Qu’elle lui tourne si aisément le dos en disait long sur son état d’esprit. Elle se savait en sécurité. Du moins misait-elle sur son éthique guerrière. Il ne s’en prendrait jamais à une femme… dans ces conditions.

— Les effets de celui-ci sont trop voyants, déplora-t-elle. Il nuirait à la discrétion de tout assassin qui se respecte. Je l’utilise pour mes démonstrations publiques. Ça a son petit effet.

Dean n’allait pas la contredire. Ses ongles affichaient désormais une teinte violacée uniforme. En éloignant ses mains, il croirait qu’on les lui avait peinturlurés. Le rendu aurait presque été artistique si cela n’impliquait pas un empoisonnement.

— Dès qu’elle entre en contact avec la peau, la Dame Mauve affecte préférentiellement les ongles, expliqua Sacha. Elle leur confère cette belle couleur violette qui lui a valu son nom. Elle teint ensuite les lèvres lorsque le sang l’a assimilée à une certaine concentration. Par le passé, les dames de la cour Noresiane maquillaient ainsi leur bouche, pour rendre leurs dents lumineuses en contraste. Les étourdies qui n’en maitrisaient pas l’art voyaient leur langue devenir indigo.

Elle grimaça. Risquer ainsi sa vie pour paraître « belle » fleurait l’absurdité. Une langue bleu-violette était le signe qu’on avait un pied dans la tombe. Heureusement, l’ingestion d’un antidote suffisait à tirer les malheureuses d’affaire. Celles qui recourraient à cette astuce beauté avaient tout intérêt à emporter avec elle une fiole du contrepoison.

— Je vous rassure, vos belles lèvres seront épargnées. Dans notre cas, nul besoin d’antidote. Notre corps l’éliminera sans peine, et d’autant plus vite en stimulant notre vessie.

Elle agita ses doigts et Dean nota avec plus d’attention leur couleur mauve. Durant le baisemain, il avait mis cette teinte sur le compte de la coquetterie féminine. Elle l’avait bien eu. Sacha se dirigea vers la carafe d’eau posée sur un haut guéridon près de l’entrée, que les serviteurs changeaient régulièrement dans la journée pour la maintenir fraîche. Elle se servit un verre et le leva dans sa direction.

— Je vous en proposerais volontiers, mais étant donné les circonstances… je doute que vous l’acceptiez de bon cœur. Permettez que je boive à votre santé ?

Goûtant peu à son ironie, Dean lui ravit le verre des mains et le vida d’une traite.

— Servez-vous-en un autre, grogna-t-il d’un ton bourru en claquant le verre sur la console.

Elle eut un sourire en coin, à la pensée que Red l’aurait qualifié de rustre.

— La Dame Mauve est un poison faible, parce que ses effets sont réversibles jusqu’au dernier instant, dit-elle après s’être désaltérée.

Si elle en venait au fait ? s’impatienta Dean.

— Quelle est la moralité de cette histoire ?

— Ne contrariez plus mon ami ? rétorqua-t-elle, espiègle. Et ça l’importunerait énormément que ce que vous savez s’ébruite durant son séjour.

— Je vois.

Elle ne manquait pas d’impertinence. Il s’en amuserait si une part de lui n’avait pas allumé les feux d’alarme. La sournoiserie de ces créatures que l’on nommait « femmes » ne surprenait plus Dean, pourtant celle-ci était un sacré numéro pour avoir elle aussi expérimenté le poison. Sacha se rapprocha de lui, et il la laissa faire son manège.

— En toute sincérité, Gouverneur, vous avez plus à perdre à mécontenter la « prima Nior » dans votre propre demeure qu’à distance.

Elle tourna lentement autour de sa personne puis s’arrêta au niveau de son épaule et baissa le ton :

— Je présume que vous mithridatiser n’a point été inclus dans votre éducation depuis votre plus tendre enfance. Je n’ai vu aucun goûteur au banquet d’hier soir.

Et un accident était si vite arrivé…, laissèrent sous-entendre ses yeux vifs. La menace n’était plus voilée. Dean serra le poing. Elle marqua un mouvement de recul mais soutint son regard. Il lui reconnut du cran. Pour la peine, il n’en prendrait pas ombrage. Il ne s’agissait que de basses machinations d’un roi cherchant à couvrir ses arrières.

— Je n’aurais pas usé de si viles méthodes mais à chacun ses armes, concéda-t-il.

Sa Majesté n’en avait pas que la dégaine, elle se battait aussi comme une bonne femme ! Il se réinstalla dans le fauteuil derrière son bureau massif et entreprit d’y mettre un peu d’ordre.

— Quelle est votre fonction à la cour Rell ? Dame de compagnie ?

— On me connait comme l’épouse du Premier Grand Conseiller Korgan Mineli, dit-elle en s’attardant à nouveau sur le décor.

Une Nuttingham, compagne d’un Mineli issu de la famille noble qui régente la cité de Ryl… Dean tenta de voir à travers le voile des apparences. Il lui sembla vaguement appréhender la toile tissée par Red, autour des partisans du roi Henri et de son héritier. Il était envisageable que la loyauté des Nuttingham et des Mineli n’aille plus à la famille Rell mais échoie uniquement au Grand Red.

D’une certaine manière, cet homme avait su acquérir leur allégeance exclusive. Mais comment ? Par sa mère ? Vu ses contentieux avec sa lignée paternelle, l’hypothèse était défendable. Cela impliquait-il que la défunte reine avait trempé de quelque façon dans le complot visant à asseoir le prince Andy sur le trône ? À son décès, ce dernier ne comptait que treize étés. Difficile dans ces conditions de consolider une position inexistante par des alliances.

Or prendre le pouvoir par un coup d’État requérait indéniablement le soutien d’alliés. Et sans partisan, le prince n’aurait pu s’arroger la couronne du jour au lendemain. Dean en vint à la conclusion que sa vie recluse dans le gynécée avait très certainement été une mascarade menée de main de maître, afin d’endormir la vigilance d’une cour dans laquelle il n’avait aucun statut.

La reine Tina a forcément joué de manigances. Le peuple gardait d’elle le souvenir d’une belle et douce personne, sauf qu’elle ne dérogeait pas à l’idée que les femmes étaient une forme charnelle du danger. Mais là encore, aurait-elle intrigué pour asseoir des années plus tard son dernier-né sur le trône, si la finalité avait été la mort de son époux ? D’un autre côté, on pouvait extrapoler des rumeurs sur l’illégitimité du Grand Red que sa génitrice n’aimait point son mari…

Dean ravala un grognement. Les intrigues de la cour ne l’avaient jamais intéressé jusqu’ici. Il n’y voyait pas son gain, ni celui de ses gens. Mais voilà qu’elles s’invitaient dans son palace, de manière très libertine si l’on voulait son avis. Seulement, il serait avisé de connaître de qui il se faisait l’ennemi en nuisant aux desseins de Red. Il devait tirer enseignement du coup bas qu’il venait de subir.

Jusqu’à quel point Nuttingham et Mineli s’étaient-ils salis les mains du sang du roi veuf ? Et pas qu’eux… Sa Majesté était épaulée d’un Triumvirat, instance inexistante du temps d’Henri Rell. Concrètement, Dean n’avait aucune idée des réelles attributions des Triumvirs, bien qu’ils apparaissent publiquement comme Grands Conseillers.

Ces hommes avaient souterrainement œuvré au succès du complot de Red. Il dévisagea la jeune femme qui l’avait intoxiqué en rétribution à son manque de respect envers le roi. Son allure douce dissimulait des intentions sans doute obscures. Elle était à l’image de son souverain…

Consciente d’être scrutée, Sacha ignora son inconfort en se concentrant sur le planisphère poinçonné à un grand cadre en noyer accroché au mur. Elle reconnut la dernière édition, mise à jour par les géographes d’une expédition mô’lariane, vieille de deux décennies.

Leur ambition de faire le tour du monde les avait amenés à découvrir le troisième et dernier continent peuplé d’hommes, à soixante-douze jours de bateau de la côte nordique de Mô’Lar. Désormais, il avait été établi que le tour du globe pouvait s’effectuer en quatre lunes et demie.

De son index, Sacha pointa le royaume de Minerya. Enclavé entre le gigantesque Mô’Lar et la non moins respectable Lima, il défendait farouchement sa légitimité et son indépendance depuis des siècles.

— J’ai souvent rêvé d’être Mineryane, dit-elle, songeuse. J’ai de l’admiration pour leur Régente. Là-bas, les femmes accèdent au pouvoir sans avoir à jouer de manigances ou écarter les cuisses. Bien que cela ne l’exclut pas…

Elle haussa les épaules, se détacha de la carte et se tourna vers Dean.

— Entre nous, cette coutume maariane qui refuse l’attribution de titres nobles aux femmes est d’une terrible goujaterie. Avez-vous idée de ce qu’être uniquement définie par un statut « d’épouse de » signifie ?

L’œil brillant, le menton haut, elle était l’indignation personnifiée.

— Cette question m’échappe, j’en ai bien peur, répliqua Dean, à peine ironique. Les Guerrières Whites ont autant de voix que leur pendant masculin, tint-il à préciser.

— Les Guerrières, souligna Sacha. Nul n’ignore leur statut si particulier en Orsei. Mais qu’en est-il des autres ?

Elle savait qu’il savait la réponse. Cependant, elle n’était point là pour défendre la cause de la femme Maariane.

— Au fond, ai-je réellement des raisons de m’en plaindre, si j’occupe une place convoitée à la cour ?

Elle se rapprocha de la table et s’y pencha pour lui révéler sur le ton de la confidence :

— Officieusement, j’ai un titre. J’ai été sacrée Maîtresse des Poisons du Grand Red. Mais motus ! Ce sera notre petit secret, fit-elle avec un clin d’œil.

Lorsqu’elle quitta l’office du gouverneur, avec la garantie qu’il tiendrait sa langue, Sacha fut prise en filature. La Dissimulatrice sur ses traces semblait intéressée par ses moindres faits et gestes.

À présent seul, Dean vida la carafe d’eau tandis qu’une question le taraudait. Le roi avait-il expressément demandé à Sacha de l’empoisonner, ou avait-elle eu la liberté de choisir la méthode d’intimidation ? Dans les deux cas, la réponse en faisait une entité sur laquelle garder un œil. L’épouse du premier Triumvir avait accès à des secrets qu’il faudrait exploiter un jour ou l’autre. Il n’allait pas s’en faire une ennemie, pour l’instant.

Elle pourrait bien m’aider à mettre son cher ami dans mon lit… Il parvint à rire de la situation. En s’accrochant à sa couverture, quitte à le menacer d’empoisonnement si sa langue fourchait, sa Majesté occultait un point essentiel. Devant témoins, elle serait tenue d’endosser son rôle de courtisane privilégiée. Dean aurait ainsi tout le loisir de la courtiser publiquement. Et au jeu de la séduction, Dame Nature l’avait pourvu de sacrés avantages.

D’humeur joyeuse, Dean fit quérir les sénateurs. Avec un peu de chance, il saurait leur accorder une oreille attentive.

TBC - part 7


Texte publié par EPICE, 17 juin 2017 à 22h32
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