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C H A P T E R 2 – Set the roof on fire

◢ PART - IV ◣

Mégapole de Nacir – domaine du clan Leblanc

Sentant la raideur du roi, Rudy lui demanda de se relaxer.

— Votre tension ne facilitera pas l’ascension de Caramel, s’il la ressent. On y est presque.

En bas, ça hurlait et vociférait. Un audacieux de la garde royale avait entrepris d’escalader la falaise. Rudy accéléra le pas de sa monture qui disparut au sommet, sous les cris de rage et d’inquiétude. Il soupira.

— Dites-leur que vous allez bien. Ce qui est le cas.

— Que veux-tu ? exigea Red avec sècheresse.

— Discuter à l’abri des oreilles du palace et de la garde de Père.

Son attitude calme et composée désarçonna presque le roi. Pour lui épargner bien des questions, Rudy explicita :

— Ce n’est pas mon intention de ruiner votre couverture. Mon prétexte sera que j’ai voulu impressionner la prima Nior avec mon sarrick. Les hommes rapporteront cette version à Père, qui ne s’en étonnera point. D’abord, parce qu’il me prête une personnalité fanfaronne. Ensuite, parce qu’il se doutera de mes véritables raisons.

— Qui sont ?

Rudy s’amusa de sa roideur.

— Je vous l’ai dit, Majesté. Discuter seul à seul avec vous.

— Pourquoi ?

— On y viendra lorsque vous aurez rassuré votre garde personnelle. Elle est en train d’escalader la falaise, et je ne tiens pas à affronter le courroux d’un soldat du Cordon Rouge. Sa réputation n’est point usurpée.

La placidité du jeune homme émoussa la tension de Red, qui garda néanmoins sa méfiance au beau fixe. Il cria à Lou-Ahn qu’il ne risquait rien.

— Fais diligence. L’impatience de mes hommes n’est pas usurpée non plus.

Rudy sourit avec indulgence.

— Je ne suis pas votre ennemi, Majesté. Au contraire, je suis extrêmement ravi d’avoir la grâce de vous rencontrer ! Vous êtes la plus belle personne que j’aie vue jusqu’ici, confia-t-il avec une franchise désarmante. Même si Père soutient que mère était la plus belle du royaume.

— Vraiment ? C’était la mienne, la plus belle.

Rudy s’esclaffa, reconnaissant envers l’effort du roi pour détendre l’atmosphère.

— Je ne vous le contesterai pas. Une statue à l’effigie de la mienne a été érigée dans l’une des courettes du palace.

Red se surprit à dire :

— Celle de la fontaine ?

Rudy opina du chef. Le roi dut admettre qu’elle avait été une créature sublime. Presque irréelle. Dans son souvenir, sa féérie était renforcée par le dallage d’un blanc crémeux qui brillait sous les rayons de lune. Il s’agissait sûrement de feldspath blanc. En plein soleil, l’endroit devait se revêtir d’une auguste splendeur. L’eau de la fontaine s’animait de différents reflets grâce aux jeux de lumière des étages supérieurs. L’ingéniosité de l’ouvrage était à louer. Red requerrait volontiers les services du concepteur au palais.

Le bambin aux pieds de la statue était donc le fils du gouverneur, aujourd’hui devenu un jeune homme ayant l’audace d’enlever un roi… Bon sang, qu’est-ce qui coulait dans les veines de ces Whites ?!

— Malgré la statue et les portraits de Mère, il m’est de plus en plus difficile de me rappeler les traits de son visage, déplora Rudy.

Voyant son affliction, Red n’osa pas demander à quand remontait cette perte. C’était triste qu’ils aient en commun d’être devenus orphelins de mère à un âge où l’on avait encore besoin de la force de son amour. Le temps lui étant compté, Rudy se reprit.

— Père a toujours été contre l’idée de mon voyage à Aram. Même alors que j’ai atteint ma majorité, il s’échine à m’enfermer dans un cocon. Je me disais… si vous intercédiez… Non, nul besoin pour sa Majesté « d’intercéder », se ravisa-t-il. Pourriez-vous demander à Père de me permettre de vous accompagner au retour ? Il n’aura pas son mot à dire si cela émane de vous.

Red tomba des nues. Il ne s’attendait pas à celle-là ! De fait, il n’arrivait pas à cerner la personnalité du jeune héritier. Dans tous les cas, ce revirement de situation avait les couleurs d’une sacrée aubaine. Une fois Rudy Leblanc à Aram, il serait aisé d’obtenir l’obédience de son père en le faisant passer pour otage.

Cependant, l’idée n’était pas sans risque. Bien entendu, en tant qu’invité du roi, le garçon serait traité avec tous les égards. Or cela n’excluait pas que Dean le vît d’un très mauvais œil et réagisse violemment. Ou plus sournoisement. Mais sa situation obligeait Red à encourir ce péril. Il en discuterait avec Sacha, avant toute chose. Elle savait mettre son avis en relief.

— Tu aimerais visiter le palais de Rubis ?

Le garçon lui dit ce qu’il soupçonnait déjà :

— J’adorerais ! Vous le convaincriez ? S’il vous plaît !

Père ne lui avait jamais rien refusé, si ce n’est une chose : qu’il mette les pieds à la capitale. Dean avait sans doute ses raisons. Peut-être n’étaient-elle pas louables, justifiées ou des plus matures, mais elles restaient légitimes selon son point de vue. Or Rudy se sentait désormais à l’étroit, à Nacir. Le désir de voler de ses propres ailes grandissait de lunes en lunes. Cependant, il ne pourrait l’embrasser que le jour où il oserait braver les interdits paternels, à commencer par les plus implicites.

Réalisant que le roi le dévisageait d’un air ahuri, il fit disparaitre sa moue lippue. Cette manie datant de l’enfance était coriace. Se basant dessus, Père construisait des prétextes pour le cantonner à l’adolescence. Il était pourtant en âge de prendre épouse ou gérer son propre domaine !

— C’est une chose qui pourra se faire…, commença Red avec mesure.

Étrangement, sa méfiance s’étiolait. Elle fondit d’autant plus vite que le visage de Rudy s’illuminait tel l’astre diurne.

— Vrai de vrai ?

Red se surprit à sourire.

— Vrai de vrai.

Il se sentit soudain mal de fomenter des plans au détriment du jeune homme. Hélas, le destin d’un dirigeant impliquait la prise de décisions difficiles. Il essayait toujours de choisir celles qui représentaient le moindre mal. Pour le reste, il s’accommodait avec sa conscience. Seulement, si elle ne parvenait pas à ébranler ses résolutions, la bouille d’ange de ce gamin rendait ses remords plus amers. Endurcissant son cœur, Red leva un doigt sentencieux.

— J’émets une condition.

Rudy se tendit.

— Laquelle ?

— Tu devras répondre avec franchise à mes questions en toutes circonstances. Cela prend effet à cet instant.

— C’est d’accord.

Red ravala un soupir de dépit. La réponse n’était pas « c’est d’accord » mais « comme il siéra à sa Majesté ». Le Grand Red ne demandait pas son approbation. Pourquoi ces Leblanc s’échinaient-ils à s’adresser à lui comme à un vulgaire individu du commun ? C’était déstabilisant !

La seule personne avec qui il s’était senti dépouillé de tout titre, de toute apparence, avait été sa mère. Voilà longtemps qu’il avait ressenti qu’au-delà de sa royale naissance, il n’était qu’un homme parmi tant d’autres. Mais il n’en démordrait pas : il était Le Grand Red, au nom des Quatre ! Ruminant en silence son indignation, il posa sa première question. La plus importante.

— De qui tiens-tu mon identité ?

Il devait savoir si le fils Leblanc était mis dans les confidences paternelles. Sa valeur d’otage n’en serait que plus élevée.

— Votre véritable identité me vient de plusieurs observations. Et cela me plaît de savoir que Père n’a pas vu la supercherie avant moi.

Red refusa de se laisser amuser par sa vantardise. L’heure était grave, si de simples observations parvenaient à exposer son déguisement. Il l’avait suffisamment perfectionné pour se reposer sur sa fiabilité. Personne ne l’avait encore percé à jour avant ce garçon.

— Ah oui ? Et comment ?

— Les danseuses, ou devrais-je dire Prêtresses Vestis, ont toutes sensiblement la même taille que vous. Critère important pour vous servir de doublures. J’ai appris en anatomie qu’en général, le buste d’un homme est plus grand que celui d’une femme lorsqu’ils font de même taille. Le pubis masculin est quasiment situé au milieu, alors que le féminin se trouve non loin du premier tiers de sa hauteur. Vous avez beau cultiver votre androgynie, vous restez définitivement un homme, Majesté.

Ne sachant que penser de cette analyse sidérante, Red marmonna :

— Je vois. Mais encore ? Ce critère est faible, vu la disparité des morphologies humaines. Je connais des femmes qui ont un morphotype masculin.

— C’est vrai. Raison pour laquelle ce n’est pas mon unique argument. Vos suivantes ont la grâce de danseuses mais se tiennent comme des guerrières. J’appartiens à un peuple guerrier. Les femmes rompues au maniement des armes ont cette « robustesse » qu’on ne trouve pas toujours chez la gent féminine. De plus, lorsqu’elles officient comme « gardiennes », elles ont cette façon de regarder le monde, comme si elles étudient constamment le milieu dans lequel elles évoluent.

Red dut admettre ce point. Il fallait parfois un guerrier pour en reconnaitre un autre. Seulement, si l’on se basait sur ce raisonnement, Dean était plus aguerri que son fils. Qu’est-ce qui justifiait que ce dernier ait eu plus de discernement ? La réponse vint, comme Rudy poursuivait :

— Ces femmes font froid dans le dos quand on y regarde de près, mais nombreux se laissent aveugler par le minimalisme de leurs atours. Certaines femmes verront des consœurs aux mœurs aussi légères que leurs soieries et auront tendance à les dénigrer. Les autres envieront leurs belles parures ou jalouseront leur beauté. Les hommes rêveront d’elles, quand ils ne seront pas occupés à se rincer l’œil.

Red retint un soupir. Rudy avait mis le doigt sur la meilleure diversion des Prêtresses Vestis : leur peau dénudée. Dans le nord de Maar, la mode féminine était légèrement plus couvrante que dans le sud. Question de climat et de coquetterie. Les vêtements vaporeux des courtisanes en faisaient donc des objets de désir pour les uns et de ragots pour les autres.

À Nacir, où le temps était plus chaud, les femmes avaient l’habitude de tenues légères. Voir un pan de peau n’affolait pas forcément les hommes. Mais les Prêtresses jouaient avec la suggestivité de la transparence. Elles excellaient dans l’art de montrer sans dévoiler. Conséquence : en voulant percer le simulacre de mystère qu’elles entretenaient, on oubliait de se concentrer sur l’essentiel.

Le regard focalisait sur une poitrine pointue et tentait d’accommoder sur une auréole mammaire devinée sous la soie. On se surprenait à se demander si la ficelle dorée qui dépassait des jupes suivait bien la raie des fesses, et si la peau de celles-ci était aussi douce que cette pêche dont elles avaient l’apparence. Est-ce que la tâche lie-de-vin sur cette cuisse nue remontait jusqu’à l’aine ?

Les hommes tombaient aisément dans ce piège. Les femmes étaient mal à l’aise et se méfiaient ou les évitaient. Les unes, parce qu’elles côtoyaient le roi ; les autres, parce qu’elles leurs collaient une étiquette de filles de peu de moralité. Rudy avait reçu une discipline rigoureuse pour que son cœur ne perde pas son intelligence dans les courbes attirantes des prêtresses. À moins que comme Rey, il ne soit point attiré par le beau sexe, songea Red, ironique.

— Je pense, au contraire, que ce qui t’a mis sur la voie est ma chevelure de feu. De tous les fils de la reine, je suis le seul qui ai hérité sa flamboyance capillaire.

Nombreux se basaient dessus pour appuyer qu’il n’était point issu de la graine du roi Henri, suffisamment forte pour masquer la rousseur de la reine Tina chez ses quatre premiers fils. Mais qui étaient-ils pour remettre en cause les caprices de l’hérédité ?

— Disons que c’était mon dernier argument, concéda Rudy. Le Grand Red a la réputation de s’entourer de belles prêtresses aux charmes exotiques. On vous dit aussi envoûtant et efficace qu’elles. Je constate que c’est un mensonge. Vous êtes plus magnifique.

— Je suis peu sensible à la flatterie, dit Red, bien que son sourire tende à le démentir. Tu as donc déduit que l’homme parmi elles était le roi. Ç’aurait pu être un eunuque.

Rudy ricana.

— Alors il n’aurait pas charmé Père comme vous l’avez fait ! Pardonnez-moi l’expression, mais il faut être « couillu » pour s’oser publiquement à tant d’audace.

Red en resta comme deux ronds de flan. Rudy éclata de rire.

— Quand Père a demandé à ce que la prima Nior soit conduite dans sa suite, mes hypothèses se sont affermies. L’objectif de votre séduction était cette entrevue privée. Vous vouliez le voir seul, sans éveiller de soupçons. Mes spéculations se sont confirmées avec le prompt retour de Père. Et si vous aviez été une femme, il n’aurait pas exposé vos lunes. Cela vous aurait vraiment mortifiée. Père manque cruellement de tact, mais il n’est pas homme à manquer de respect aux femmes. Il est mielleux avec elles.

— Ça me fait une belle jambe, maugréa Red.

Rudy se fit pensif.

— Quoi qu’ait pu vous dire Père de désobligeant, je m’en excuse.

La susceptibilité du roi était à ménager. Les gens de pouvoir brillaient par un amour-propre chatouilleux. Son géniteur en était un bel exemple. De plus, Dean n’était pas homme à mâcher ses mots, même avec une entité royale. Blâmez l’inconscience du sang des Guerriers Whites.

— Au-delà d’une certaine rusticité, Père a ses bons côtés. Il faut juste éviter de le « contrarier ».

Red ne cacha pas son outrage.

— Et tu attends du roi qu’il y aille avec des pincettes en s’adressant à un simple gouverneur ?!

Rudy rétorqua, flegmatique :

— Je vous dépeins un pan de la personnalité de mon procréateur, Majesté. Cela, dans l’espoir que vous compreniez l’homme à qui vous avez affaire. Père réagit très… « bizarrement » à la contrariété, dit-il, faute de mieux. J’évite le plus souvent de le mécontenter, mais…

Il soupira, un tantinet irrité. S’il voulait s’affirmer, il devait s’apprêter à contrarier Père plus qu’à son habitude et à son envie. Red décela de la frustration chez lui. Il se pouvait que l’influence et le charisme paternels se changent en joug pour le fils. C’était le lot d’une progéniture souffrant la comparaison avec une ascendance plébiscitée.

— Qu’entends-tu par « bizarrement » ?

Rudy parut embêté.

— Je ne saurais vous le définir. Je peux juste vous dire que le résultat n’est pas appréciable. S’il est cependant une chose dont on peut avoir la garantie, c’est qu’il obtient toujours gain de cause. On a donc appris à lui donner raison pour nous épargner ce côté « bizarre ».

La déconcertation de Red fut palpable.

— Je ne sais que penser de tels propos venant du fils du gouverneur.

Rudy haussa les épaules. Red songea qu’il n’y avait pas que le père, le fils aussi était insaisissable. Il n’arrivait pas à déterminer les mécanismes de l’esprit de ce garçon.

— C’est en raison de cela que je passe par vous pour lui forcer la main. Histoire d’éviter de le contrarier directement, avoua ce dernier, à sa plus grande sidération.

Oser se servir du roi pour parvenir à ses fins… Ce garnement était le digne rejeton du barbare ! Ces Leblanc piétinaient son respect sans le moindre état d’âme. Le comble était cette franchise plate, comme si cela n’avait rien eu de déplacé ! À croire qu’ils ne craignaient aucune représaille, ou ne se doutaient même pas que leur attitude méritait rétribution. Ces gens ne savent-ils donc pas la notion de déférence ?! Je suis leur souverain, enfin !

— Sa Majesté a-t-elle d’autres questions à soumettre à ma franchise ?

Face à l’expression mi innocente mi sarcastique du jeune héritier White, Red se résigna. La sournoiserie était de famille. Il devait néanmoins reconnaitre leur franchise, denrée rarissime au palais de Rubis.

— C’est tout de même étrange, dit-il, songeur, d’avoir pensé que le roi se donnerait la peine de « séduire » ton père, juste pour une entrevue privée.

— Pas juste privée. Sous le sceau du secret, nuança Rudy. Depuis l’accueil de son Altesse David, les rumeurs jadis sourdes gagnent en volume. Les gens mettent désormais Aram et Nacir sur chaque plateau de la balance du pouvoir. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’on oppose ouvertement Le Grand Red au Gouverneur. Puisque vous requérez ma franchise, le plateau de Père pèse plus lourd que le vôtre, Majesté. Du moins, dans les limites d’Orsei.

Red se crispa. Il savait cette vérité-là. Mais se l’entendre dire restait toujours aussi désagréable. Désespérant.

— N’importe qui dans votre situation souveraine embarrassée voudrait vérifier cela de près, poursuivit Rudy. Il vous est primordial de vous assurer que Père n’a pas fait d’alliance avec l’un des princes contestant votre légitimité à régner. Et stratégiquement, vous le ferez dans le plus grand secret. Arrêtez-moi si je me trompe.

— Continue.

Ce garçon masquait bien son jeu. Tenait-il son intelligence politique des opinions de son père ou de ses propres déductions ? Si Red ne pouvait compter sur l’allégeance de Dean, saurait-il gagner celle de son rejeton ? Pour répondre à cette question, il devait évaluer la fidélité filiale.

— Une fois assuré qu’il ne fomente rien avec vos frères, vous voudriez la totale allégeance de Père. À priori, il n’a pas de raison de vous la refuser.

Red tiqua.

— À priori ?

Rudy soupira.

— Allez savoir ce qui se passe dans la tête de Dean Leblanc. Personne n’arrive à lire en cet homme. Mais je le pratique assez pour savoir qu’il tirera avantage de la situation. C’est dans les mœurs du clan Leblanc de s’entourer de débiteurs. On s’assure toujours qu’ils paient leurs dettes, un jour ou l’autre.

Red aurait aimé dire que c’était bon à savoir, mais dans son cas, cela ne l’était pas du tout ! Rudy enfonça le clou.

— Et sauf votre respect, Majesté, vous êtes dans la position de celui qui tend la main.

Lésé dans sa fierté, Red se hérissa.

— M’accuses-tu de mendicité ?

Rudy se récria :

— Non !

— C’est tout comme !

Rudy se retint de souffler. Ces rois et leur ego !

— Soyons objectifs. Dans la présente situation, si Père refuse de se soumettre à votre volonté, vous peinerez à changer ce fait. Fait qui le confortera dans l’idée que vous êtes dans le besoin, et qu’il peut éventuellement se « passer » de vous. Mais dans votre impasse, vous avez la chance de faire commerce avec un homme qui trouve la politique ennuyante, si ce n’est soporifique.

— Donc mon trône est sauf parce qu’il ne le désire pas ? grinça Red. Dois-je lui témoigner ma reconnaissance ? renifla-t-il, ulcéré.

Ce n’était point l’impression que lui avait donnée Dean la veille. Cependant, le gouverneur ne lui avait non plus dit qu’il convoitait son trône. Il lui « laissait » le Nord de Maar. Rudy refusa de se mouiller.

— C’est vous qui le dites, Majesté. Cela n’empêche que ceux qui convoitent votre siège ont des velléités « d’acquérir » l’alliance de Père.

D’acheter, traduisit Red.

— David ?

— Je n’ai rien dit de tel.

La réserve de Rudy lui apprit qu’il n’était pas censé divulguer cette information. Essayait-il de l’avertir d’une machination ?

— Pourquoi me dis-tu cela ? demanda Red, circonspect. Tu trahirais ton père, s’il s’avère qu’il adhère aux idéaux de ceux qui ne me veulent pas du bien.

— Mon père n’adhère pas, ce sont les autres qui le suivent !

L’assertion claqua tel un fouet. Plus étrange encore, ce ne fut pas dit sous le coup d’un fanatisme, ni sous le jour d’une admiration filiale. Rudy semblait proférer une vérité absolue. Red sentit à nouveau la morsure d’une prémonition lugubre.

— Dean Lightfoot Leblanc suit sa propre voie, fait sa propre loi, psalmodia Rudy. Père a sa propre idéologie, sa propre méthodologie. On ne l’achète jamais. Un Guerrier White ne se soumet pas aux conditions d’autrui.

Autrement dit, c’est lui qui soumettait les siennes. Le ton solennel finit de rembrunir le roi, qui eut le sentiment d’être face à un décret immuable. Donc il partait déjà perdant la veille… La suite le confirma.

— Pour l’acquérir à votre cause, il faut gagner sa confiance. Faire de lui un allié requiert de le traiter en égal à défaut d’ami, Majesté.

Red exhala. En faire un égal… Mais nul n’est l’égal du roi ! Si Le Grand Red élevait Dean Leblanc au rang d’égal, il lui reconnaissait une souveraineté régalienne. Autant scinder son royaume en deux tout de suite ! Maar n’avait qu’un seul monarque : lui. Hermétique à son indignation, Rudy déclara :

— Pour votre gouverne, je ne suis le traître de personne.

Red serra le poing. De quel droit lui parlait-il sur ce ton ?! Mais le garnement le prit de court avant qu’il ne puisse exprimer son courroux.

— Je ne trahis personne si je sers mon roi. J’ai pensé que ces révélations vous seraient utiles.

Ces mots désarmèrent Red. Il n’était pas au bout de ses peines, car Rudy raviva les cendres de son ire.

— Vous devez vraiment faire quelque chose pour améliorer la condition de Maar. Vous en êtes le roi, aux dernières nouvelles.

— Tu penses vraiment que je ne fais rien ?! éructa Red.

Cette fois, l’offense fut manifeste. Comment ce gamin osait-il lui faire la leçon ? Croyait-il que les choses se produisent simplement par la force de la volonté ? Même si « vouloir c’est pouvoir », la réalité avait vite fait de vous confronter à la difficulté de l’adage. Personne ne voyait ses efforts, mais tous étaient prompts à la calomnie et au reproche. On préférait se voiler les yeux d’idées arrêtées à son sujet. Le pire des procès était celui de l’ingratitude ! Rudy le dévisagea en silence, attendant qu’il se calme.

— Et si vous me laissiez vérifier le travail accompli par moi-même ? Vous suivre à Aram irait dans ce sens.

— Tu es aussi sournois que ton père ! cracha Red.

Rudy haussa les épaules comme pour dire d’un air fataliste que le fruit ne tombait qu’au pied de l’arbre. Red n’en revint pas.

— Et qui es-tu pour te croire à même d’évaluer le roi ? dit-il avec hauteur.

— Le fils d’un homme dont l’allégeance vous serait grandement utile.

C’eut le mérite d’être implacable. Red descendit brutalement de son piédestal. Il devait éviter de se laisser emporter par ses émotions. C’était lui l’aîné, or depuis le début de cette conversation, le plus jeune faisait montre d’un flegme horripilant. Avec ses sautes d’humeur, lui passait pour un adolescent. C’était cuisant.

Réfléchis. Tu n’auras même pas besoin d’user de subterfuge pour faire de lui un otage. Il est consentant. Mais le jeune homme se servait tout de même du fait qu’il soit pieds et poings liés pour contourner une restriction paternelle. Au final, Rudy manipulait aussi bien le roi que son père. L’héritier White était encore plus retors !

Red retint un frisson. Si Rudy Leblanc était amené à prendre la relève de Dean, mieux valait figurer parmi ses alliés. Avec une telle argutie, les ennemis de ce garnement seraient voués à un triste sort. Il fallait éviter d’en faire un monstre. Peut-être que son père l’avait compris, raison pour laquelle il enfermait ce dragon blanc dans son cocon duveteux.

Seulement, le dragonneau rongeait sa coquille pour répondre à l’appel des airs et des grands espaces. Or aussi vaste soit-il, le palais de Rubis vicierait la sournoiserie étrangement innocente de Rudy. Les intrigues de la cour noirciraient la pureté d’âme de ce garçon. Red ne sentait pas de mauvais fond chez lui. Malheureusement, son aura lumineuse se noierait dans le bassin sordide des complots d’Aram.

Comment l’en protéger s’il l’emmenait avec lui ? S’il échouait, Dean Leblanc lui en tiendrait rigueur. Et il venait d’être avisé de ne point « contrarier » le gouverneur… Rudy Leblanc était une lame à double tranchant. Red ne pourrait jamais se servir de lui sans y laisser des plumes. Mais il était presque aux abois.

— Que se passe-t-il si ton père a vent du sujet de notre conversation ?

— S’il découvre que je vous ai soumis l’idée de vous accompagner, il opposera un refus catégorique ou prendra des mesures anticipatoires. Comme m’éloigner de Nacir avant votre départ, en me confiant une mission d’ambassade à Vair ou à Fort-Blaak.

— Dois-je en déduire qu’il ignore que tu sais mon identité ?

— Oh, il s’en doute, s’il ne le sait pas déjà. Je suis parfois un livre ouvert pour lui.

En comptant l’héritier et le bras droit du gouverneur, Red pouvait circonscrire les fuites. Ceci dit, il n’avait pas eu le rapport de Sacha. Elle pouvait encore apporter de mauvaises nouvelles.

— S’il lit en toi comme dans un ouvrage, c’est problématique.

— Je vous rassure, Père est persuadé que je suis trop innocent pour vous « soudoyer ». Sans cela, il aurait été vain de vous soumettre ma requête.

Finalement, Red se laissa aller à rire. Sacré garnement ! La voix essoufflée de la capitaine de sa garde leur parvint.

Prima Nior !

Red ne fut pas surpris de la voir.

— Loup. Qu’y a-t-il ?

— Je croyais…

Lou-Ahn coula un regard noir Rudy qui le soutint, serein. Elle pouvait constater que sa Majesté se portait comme un charme. Red sourit.

— Tout va bien. Le jeune maître s’essayait juste à une petite fanfaronnade.

Pour corroborer cela, Rudy afficha un sourire de fanfaron. Lou-Ahn gronda, acide :

— Une fanfaronnade qui aurait pu mettre votre vie en danger !

— J’ai dit que je vais bien, asséna Red.

Reconnaissant l’inflexion de l’autorité, Lou-Ahn plaqua son poing contre son cœur et baissa la tête. Elle n’en fulminait pas moins et s’en voulait d’avoir laissé le roi se faire enlever si aisément. Elle avait failli.

— Ne te blâme pas autant, tu as affaire à un rejeton de Guerrier White, dit Red avec indulgence. Je salue tes talents d’ascensionniste.

— Pour la descente, je préférerai saluer ceux de mon sarrick, renchérit Rudy, ironique. Cramponnez-vous à sa carapace, lança-t-il à la capitaine. On sera en bas en un rien de temps.

Lou-Ahn se méfia. Elle ne grimperait pas sur cette chose-là ! Red la nargua :

— Aurais-tu peur ?

— Bien sûr que non, prima Nior, se rebiffa-t-elle.

Elle carra les épaules et serra les dents en s’exécutant, la boule au ventre. Rudy pouffa puis lança Caramel au trot, lui arrachant un glapissement fort honteux sous les rires moqueurs du roi. Quoi qu’il advienne, la promenade avait été édifiante.

Red sentit Rudy se tendre lorsqu’il se laissa reposer contre son buste. Il cédait à l’envie de se détendre réellement, avant de remettre les pieds sur le champ de bataille. Durant quelques minutes, il profiterait de sa balade comme si le reste n’existait pas.

— Sois remercié pour ta franchise, Rudy Leblanc.

Rudy se relaxa et sourit à sa seule intention.

— De rien. J’aime votre fragrance, vous sentez bon.

Red s’empourpra, mortifié de l’entendre rire. Voilà qu’après le père, le fils lui faisait de l’effet. Damnation !

— Je parlais de votre aura, prima Nior. Elle est belle.

— Merci, murmura-t-il.

En proie à une indicible émotion, Red ne sut pourquoi ces mots eurent un tel impact en lui. Comme s’il avait toujours voulu les entendre, et elles lui parvenaient enfin. Il eut le sentiment d’être soulagé d’un poids énorme, même si ses problèmes l’attendaient toujours de pied ferme. Retenant les eaux qui lui piquaient les yeux, il dissimula son visage derrière son éventail.

Rudy Leblanc était vraiment… bizarre.

TBC - part 5


Texte publié par EPICE, 17 juin 2017 à 21h47
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