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C H A P T E R 2 – Set the roof on fire

◢ PART - II ◣

Palace du Gouverneur – quartiers de la délégation royale

Sa fidèle amie posa sur lui un regard inquiet. Red servit un piteux sourire à Sacha qui se précipita à sa rencontre. Sa ride d’inquiétude se fit plus nette. Elle avait toujours su lire son désarroi. Elle le conduisit vers un grand sofa moelleux, et il se laissa choir avec le poids du désespoir.

— Comment cela s’est passé ?

— Mal.

— Il a osé rejeter vos conditions ? s’écria-t-elle, à la fois peinée et incrédule.

Elle ne fut pas la seule scandalisée par l’idée que le gouverneur eût pu faire montre d’insoumission. Le conciliabule se tenait dans un boudoir, en présence de l’ambassadeur Julian et des sénateurs Nigell et Marius.

Nigell partageait une grande amitié avec les Triumvirs. Marius nourrissait des sentiments « secrets » à l’égard du roi. Ayant eu vent de cette inclinaison, ce dernier en jouait pour tirer le meilleur de l’épris, qui ferait tout pour plaire à sa Majesté. La loyauté revêtait plusieurs tuniques. Red refusa de s’attarder sur les couleurs de celle de Dean Leblanc. Celle qui s’obtenait au prix d’une passe sexuelle était une injure !

Pour les individus présents dans la pièce, la fête était finie. Retrouver la prima Nior à consoler avait été une excuse mortifiante mais restait un bon prétexte. Les seuls à savoir l’identité de Red étaient les deux sénateurs, l’ambassadeur en visite officielle, Sacha ainsi que l’unité d’élite du Cordon Rouge et la poignée de Prêtresses Vestis sous couverture. Le reste de la délégation ignorait voyager en présence du souverain.

Au palais de Rubis, la moitié de la garde rapprochée de sa Majesté et ses doublures donnaient l’illusion de sa présence. Le Triumvir Jeff avait reçu l’impérium du Grand Red, autorité lui permettant d’assurer la régence en son absence. Sacha avait tenu à l’accompagner, car elle s’inquiétait de le savoir séparé de son Triumvirat. Puisqu’il avait déjà refusé au Général Timothy le droit d’être du voyage, il avait cédé à la jeune femme.

Non sans un déchirement, l’ancien Guerrier Mô’Lar avait mis son roi sous la garde du capitaine Lou-Ahn, à la tête de recrues plus que prometteuses. Si elle faillait à sa mission, son supérieur l’écorcherait vive. Avec un souverain excentrique, n’ayant aucune gêne à s’attifer en danseuse, les cheveux blancs de Loup prendraient certainement de l’avance.

Red ne saurait jamais comment leur exprimer sa reconnaissance. Leur présence physique et morale lui était d’un grand réconfort. Ils étaient ses tuteurs quand sa tige ployait sous la charge des fruits, avariés pour l’instant. Il désespérait du jour où il se délecterait enfin de la bonne saveur de son labeur. Avec des imbéciles de l’engeance de Dean Leblanc, ce projet semblait compromis. Il soupira à fendre l’âme.

— Il n’a même pas entendues ces conditions, grogna-t-il.

Il était venu soumettre ses doléances royales à ce gouverneur dont la popularité nourrissait ses inquiétudes. La situation avait évolué de telle sorte qu’il n’avait pu les émettre. En y repensant, Red n’était pas fier de lui. Il s’était emporté au lieu de réagir avec la dignité de son statut. Son entrevue avec Dean avait dégénéré en bagarre d’écoliers parce que l’autre avait manqué de respect à sa mère… Minable !

Lui qui se targuait d’être un tacticien s’était laissé dominer par ses émotions comme un béjaune. Aux sourcils froncés de Sacha, la perspective de subir son interrogatoire ne l’enchanta guère. Il ne put malheureusement se dérober. Elle s’attelait à lui retirer ses bijoux aux chevilles, après l’avoir déchaussé de force.

— Comment cela ? Il ne vous a pas laissé parler ?

Il grommela :

— C’est comme je le craignais. Il estime que sa popularité auprès du peuple lui donne certainement le droit de se considérer l’égal de sa Majesté. Cela nous met dans une situation délicate. Le Grand Red n’est pas contre l’idée qu’il s’arroge des prérogatives royales en Orsei. Il est descendant de rois, après tout.

— Ne dites pas cela, Majesté ! s’indigna Julian.

Red se rembrunit. Au temps pour sa tentative de brouiller les pistes !

— Dois-je te faire couper la langue pour qu’on ne t’y reprenne plus ?

L’ambassadeur frissonna d’effroi et courba l’échine, repentant.

— Je vous prie d’accepter mes excuses, prima Nior. Mais si je puis me permettre, tolérer une telle chose pourrait inciter l’homme à avoir les yeux plus gros que le ventre.

— Son ambition ne va pas au-delà des frontières de sa province, dit Red, pensif. Son allégeance suffirait. L’économie de Raam dépend de ses échanges avec Orsei.

Au point où ils en étaient, ce compromis méritait d’être sérieusement considéré.

— Il y a un « mais », comprit Sacha.

— C’est cela, reconnut-il. Il s’est mis en tête de vouloir détacher Orsei de Maar.

La petite assemblée hoqueta, abasourdie. Elle n’était pas au bout de ses surprises. Red renifla de mépris.

— Il « laisse » le Nord au roi, qu’il dit !

— Quoi ? s’étouffa le sénateur Nigell. Et… que lui avez-vous répondu ?

— Qu’il fallait qu’on y réfléchisse.

Red préféra éluder. Il refusait de révéler dans quelle impasse humiliante il se trouvait. Indigné, le sénateur Marius s’étouffa presque de colère.

— Il n’est pas envisageable de donner suite à cette… cette outrageuse mascarade ! Félonie, qu’est cela. Il devrait être châtié !

Red s’agaça. Nul besoin qu’on le lui dise. Mais les châtiments n’étaient administrés que lorsqu’on en avait le pouvoir. Il apparaissait que Dean n’était point homme à se laisser réprimander, même par la personne du roi.

— Il y a un problème.

— Comment a-t-il réagi en découvrant qui vous êtes ? s’enquit Sacha.

Red ne put lui accorder son attention, celle-ci brusquement attirée par un recoin de la pièce. Il se leva d’un bond, sous le regard perplexe des autres. Avec concentration, il arpenta le boudoir et tendit l’oreille. Il se méprenait sans doute, mais la sensation d’être épié le taraudait.

— Que se passe-t-il ? murmura Sacha, tendue.

Elle quitta le sofa, prête à agir si la situation le requérait.

— J’ai le pressentiment d’être écouté par des oreilles indiscrètes.

— La garde a vérifié toutes les issues, avança Julian. Il n’y a point de sortie dérobée.

— Nul besoin d’une sortie dérobée pour épier quelqu’un, marmonna Red. La plus petite ouverture suffit. Loup ?

La jeune-femme pénétra dans la pièce et se mit au garde-à-vous, poing droit contre son cœur.

— Augmente la garde et fais-la à nouveau flairer les environs. Inspectez toutes les pièces attenantes, y compris celles du dessus et d’en dessous s’il y en a.

— Vos désirs, mes ordres.

Celle qui jouait les rats de couloirs jugea opportun de prendre la clé des champs. Sonia se frictionna les bras pour se débarrasser de sa chair de poule. Comment sa Majesté avait-elle su ? La technique de dissimulation et les moyens de s’en prémunir étaient l’apanage d’initiés. Le Grand Red en était-il un ?

Du quatuor princier, seul son Altesse David maitrisait les arts militaires. On pouvait sans peine lui attribuer cette aptitude. Ayant échoué à remettre le commandement de l’armée maariane aux mains de son second fils, le roi Henri s’était consolé avec son quatrième, aujourd’hui Général de la Légion Nord.

Contrairement à son jumeau porté sur la politique, David était un homme d’armes. La prise de pouvoir d’Andy avait rebattu les cartes. L’héritier Damien, évincé, n’avait rien d’un meneur capable de rassembler des troupes sous sa bannière pour récupérer le trône lui revenant de naissance. David campé à la frontière nord-est, Dilan n’avait pu compter sur Dorien pour contrecarrer leur cadet.

L’on rapportait que le complot avait été si bien muri qu’il n’avait présenté aucune faille. Toute tentative d’assassinat du Grand Red, depuis lors, avait été mise en échec. Raison de la fuite de son Altesse puînée, ayant raté plus d’une occasion d’occire le dernier né.

Toujours était-il que malgré sa prise de pouvoir par la force, le prince Andy n’avait jamais été vu sur un terrain d’entrainement militaire. On ne lui connaissait aucune formation martiale, aucune aptitude guerrière. De quoi rendre encore plus mystiques les rumeurs le mettant dans la peau du Tueur Écarlate. Voilà qu’il devinait la présence d’un Dissimulateur.

Sonia les épiait depuis une bouche d’aération de la pièce du dessus. Seule une résidente permanente saurait la situer avec exactitude. Le boudoir faisait partie du domaine des femmes, à l’époque où le palace avait encore une maîtresse. Depuis le décès de l’épouse de Dean, certains salons n’étaient plus que rarement usités mais maintenus en l’état. Faut croire que j’ai épuisé ma jauge de chance, se dit-elle.

Sonia regagna le banquet par une sortie que dissimulait une grande toile coulissante, en vue de s’offrir un peu de vin pour calmer ses nerfs. Dans le boudoir, Red s’obligea à se détendre. Il mit sa tension sur le compte de son entrevue musclée avec Dean, quand on lui rapporta qu’il n’y avait pas trace de fouine. Pour autant, ça ne signifiait pas qu’il ne s’en était point trouvée dans les parages.

— Maintenant qu’il sait pour votre identité, pensez-vous que le gouverneur aurait placé des espions dans vos quartiers ? demanda Nigell.

Red eut une moue songeuse.

— Il m’a fourni une excuse avec cette histoire de « lunes ». Je me dois de lui accorder le bénéfice du doute.

Les hommes se violentèrent pour ne pas ricaner. Sacha se demanda comment Red avait pu s’accommoder d’un tel prétexte, lui si fier.

— C’est cela votre problème, prima Nior, dit-elle. Vous aimez voir le meilleur chez les gens. Or le cœur de l’homme est tortueux. Et s’il vous avait donné ce prétexte dans l’espoir que vous l’utilisiez pour tenir ce petit conseil, afin de vous espionner ?

C’était retors mais pas inenvisageable. Red grinça des dents.

— J’ai eu à voir la sournoiserie de notre individu. Je sais à quoi m’en tenir.

Quelque chose lui disait que Dean ne songeait pas à le faire espionner en lui donnant cette excuse de « menstrues ». C’était surtout pour se payer sa tête ou piétiner sa fierté !

— Foutu White arrogant ! maugréa-t-il.

Sa réaction inquiéta tous les autres. Sacha se fit insistante :

— Son idée indécente de scinder Maar mise de côté, quelle a été sa réaction en découvrant que sa belle danseuse n’a pas tous les attributs pour le satisfaire ?

— En quoi cela importe-t-il ? s’impatienta Marius. La priorité est à ce que nous allons faire de lui.

— Ce que fera Le Grand Red, appuya celui-ci, ne sera pas décidé cette nuit.

Tous se gardèrent de protester ou d’émettre le moindre commentaire à ce sujet. La versatilité royale était un secret public. Sacha balaya sa colère et revint à la charge. Elle sentait qu’il lui taisait quelque chose. Elle flairait un os.

— Mais encore, sa réaction ?

— Pourquoi t’intéresse-t-elle autant ? s’irrita Red.

Nigell, Marius et Julian crucifièrent la jeune femme du regard. Ce serait très apprécié qu’elle évite de verser de l’huile sur le feu royal. Elle fut lasse de leur réaction. Ignoraient-ils encore son lien d’amitié avec le roi ?

— Quelque chose me dit que le problème vient de là, insista-t-elle.

Elle prit d’autorité le bras de Red et entreprit de retirer ses anneaux et grelots. Celui-ci perdit le décompte de ses soupirs. Une fois de plus, elle avait su voir au-delà de sa colère et compris sa frustration.

— Eh bien, il a… Oh, ça me hérisse ! J’aurais dû l’éliminer quand j’en ai eu l’occasion, exhala-t-il en se laissant aller dans les coussins.

Les autres tressaillirent. Les menaces de mort du Grand Red n’étaient pas des promesses en l’air. Qu’avait bien pu faire ce gouverneur pour en être la cible ?

— Déçu d’avoir été berné, commença Sacha, de colère et de frustration de voir s’envoler sa nuit torride, il vous a pondu l’inadmissible : scinder Maar en deux.

Sa conclusion horrifia l’ambassadeur et les deux sénateurs. Red la dévisagea avec méfiance.

— Votre air suspicieux est vexant, prima Nior, lâcha-t-elle, pincée.

Red lui sourit.

— C’est toi qui me vexes en supputant qu’après avoir découvert mon identité, son désir se soit émoussé.

Pour qui le prenait-elle ? Son pouvoir de séduction était avéré ! Preuve en était les rougeurs de Marius à la vue de ses cuisses dénudées, lorsque Sacha avait débarrassé ses jambes de leurs bijoux. Les pans de sa jupe doublement fendue avaient glissé et révélé sa peau hâlée par le voyage.

Son indolence naturelle racontait une histoire de charme. Même si certains, à l’instar de Nigell, faisaient preuve d’un stoïcisme admirable, les hommes étaient aisément pris dans ses filets. Julian se racla la gorge, et Red, mortifié, réalisa la portée de ses propres dires.

Sacha retint avec peine un sourire gouailleur. Il lui en voulut. Cette renarde lui avait arraché ce qu’il voulait taire ! À présent, Julian béait de manière peu raffinée, dans sa tentative d’exprimer une chose pour laquelle les mots lui manquaient. Marius s’empourprait de plus belle, et Nigell fronçait tant les sourcils qu’ils n’étaient plus qu’une unique barre de poils signant sa préoccupation. Le roi se résigna à leur révéler la vérité.

— Il scinde le royaume si je ne lui accorde pas une nuit. Tel a été son propos.

Si ces messieurs en furent cois, la dame éclata de rire, tancée par Red au comble de l’humiliation.

— Il n’y a rien d’hilarant !

— Définitivement ! appuya Julian, courroucé. Cela n’est point une drôlerie, ma Dame, c’est un total manque de respect envers sa… prima ! parvint-il à rattraper.

— Cet homme cherche un prétexte pour vous ravir le trône ! gronda Marius.

— La prima Nior n’est pas censée avoir de trône, rappela Sacha avec sécheresse.

Était-ce trop leur demander de ne point faire des allusions directes à sa Majesté ? Si on les épiait, il y a longtemps qu’on avait découvert le subterfuge… Red finit par hausser les épaules, dépité de constater que son irritation était nourrie par ses proches dignitaires. Foutu pour foutu, autant y aller franchement. Et l’on s’étonnait que le royaume vire mal avec des sénateurs d’une telle balourdise !

— Ceci dit, si un homme me désirait à ce point, j’en aurais été flattée, gloussa Sacha.

Nigell renifla de dédain. Julian marqua sa déception face à ce point de vue frivole. Red partagea son opinion.

— Cette façon de penser est typiquement féminine, avança Marius.

— Je n’en jurerais pas, opposa-t-elle.

Red grogna :

— Il mériterait la pendaison pour avoir ne serait-ce qu’osé penser cela.

Marius cilla. Au-delà de ce terrible quiproquo, les intérêts de Maar primaient sur tout ce à quoi ils seraient confrontés en ces lieux. Même s’il réservait mille morts mentales à Dean Leblanc pour avoir eu des pensées si impures à l’encontre de sa Majesté, le trépas du gouverneur ne servirait pas le royaume.

Que cet homme ose se croire l’égal de son souverain et faire montre de tant d’impolitesse était intolérable ! Malgré tout, la colère ne devait point les aveugler. Le Grand Conseiller Korgan avait entretenu Marius sur la personnalité de sa Majesté. Le premier Triumvir lui avait vivement conseillé de toujours faire preuve de franchise, même s’il craignait de courroucer le roi.

Le Grand Red avait trop de fierté pour punir un homme lui exposant ouvertement la vérité. Aussi curieux que cela puisse paraitre, ce souverain au tempérament sanguin, à qui l’on attribuait une réputation de sanguinaire, n’aimait pas avoir de remords. Contrairement à ce qu’il se colportait, Red n’était point dépourvu de la capacité à en éprouver.

Marius avait conscience du désavantage de son monarque. Peu savaient quel homme formidable se dissimulait sous cette apparence. Il tenta la carte de la raison, tout en ménageant sa colère.

— Votre courroux est légitime, prima Nior. Mais si je puis me permettre, le gouverneur est un homme comme les autres. Vous l’avez ouvertement séduit en usant de votre « magie ». Qu’attendiez-vous de lui en agissant ainsi ? Espériez-vous vraiment que cette idée indigne de votre personne ne lui traverse pas l’esprit après un tel numéro de charme ?

Les traits de Red se figèrent dans une ire glaciale. Marius se violenta pour ne pas se liquéfier sur place et poursuivit son argumentaire.

— Mon point, ici, est que la prima Nior est d’une beauté sans conteste. Vous êtes une danseuse indéniablement attrayante, dans ces atours. Telle est l’ampleur de votre talent. Votre magie séductrice est avérée. N’importe quel homme aurait succombé.

Il parlait en connaissance de cause ! se retint de cracher Red, acariâtre. Devait-il apprécier ce compliment que son cerveau considérait depuis cette nuit comme une insulte ? Jusqu’ici, il n’avait jamais été dérangé par le fait d’être pris pour une femme. Mais c’était avant Dean Leblanc. C’est pour cela que tu as pris plaisir à le voir te convoiter durant ta danse ? Il grommela, et Marius ne sut s’il approuvait ou non son raisonnement.

— Tous les hommes ne sont pas sensibles aux élancements de la chair, lâcha Nigell d’un ton docte.

Ses confrères lui lancèrent un regard méprisant. C’était lui qui avait un problème, sûrement pas eux !

— Même les ascètes et les eunuques ne sont pas épargnés par la tentation charnelle, dit Sacha, moqueuse. Mais ceci n’est pas le cœur du problème. Vous avez parlé d’une façon de penser « typiquement féminine ». Eh bien, je vous renvoie à celle « typiquement masculine ».

Elle dévisagea Red avec grand sérieux.

— C’est le propre des hommes, de bazarder toute raison par passion pour une femme. Des hommes ont guerroyé une vie entière, mené des batailles – certaines épiques –, pour une femme. Des hommes ont bâti des empires pour les faveurs d’une femme. D’autres ont vendu les leurs pour les beaux yeux d’une donzelle. J’ai la nette impression que le gouverneur est de cette espèce.

Elle haussa les épaules et se fit rêveuse.

— C’est un descendant de Guerriers Whites. Il m’a tout l’air d’un barbare raffiné ; une antinomie à lui seul. Et bel homme avec ça. (Elle sourit, coquine.) Faut-il croire que votre numéro de charme l’a envouté, au point d’éveiller chez lui ces élans particuliers ?

Red n’apprécia pas la tournure de la conversation. Il n’aimait pas le discours de Sacha. La perspective qu’il recèle une part de vérité l’effrayait.

— Le défendrais-tu ? gronda-t-il.

— J’émets une hypothèse.

— Hypothèse à laquelle j’adhère, avança Nigell, incendié par le regard royal. Malheureusement, vous êtes tombé sur le spécimen prêt à scinder un royaume en deux s’il n’obtient pas vos douces faveurs.

— Douces fa… ? (Red s’étrangla.) Je ne suis pas Femme ! s’insurgea-t-il.

Il lui apparut que ses sénateurs envisageaient peu à peu ce compromis-là ; la solution qui leur faciliterait la tâche et inspirerait le sentiment de n’avoir pas perdu du temps en cette contrée. Red se sentit acculé. Comptaient-ils vendre leur roi à ce barbare ?! Le jugeait-il capable de céder aux avances déplacées de ce sale convoiteur ?! À son grand dam, il en eut la preuve.

— Peut-être ne l’avez-vous pas convaincu du contraire, essaya Julian avec prudence. Il existe des hommes bornés. Même face à la réalité.

— Qu’insinues-tu ? Que je me donne à lui pour qu’il vérifie ?! vociféra Red, hors de lui.

— Loin de moi une telle pensée ! se récria l’ambassadeur, horrifié.

En proie à une panique qu’il jugulait avec sa colère, Red quitta sa couchette et se mit à faire les cents pas. N’y tenant plus, il leur beugla dessus. Ils ne lui servaient à rien !

— Dehors ! DEHORS !

Les trois hommes frémirent d’avoir énervé le monarque et furent heureux de ne pas s’attarder dans la pièce. Sacha ne bougea pas d’un cil, tandis que Red déversait sa frustration contre une chaise sur son passage, l’envoyant au tapis d’un coup de pied. Préoccupée, la jeune femme dévisagea son souverain en silence. D’ordinaire, il prenait les choses de manière détachée. Cela ne lui ressemblait pas d’être si perturbé.

— Viens t’asseoir près de moi. Que se passe-t-il, Andy ? demanda-t-elle avec douceur. Que t’a dit cet homme ?

— Cet homme est vicieux, bougonna Red au bord des larmes.

Il tombait le masque du monarque, maintenant qu’il parlait à sa confidente. Il revint s’allonger sur le sofa et posa sa tête sur ses cuisses. Elle lui sourit avec tendresse et se pencha sur le coffret à bijoux posé sur un guéridon, en quête d’un peigne. Elle trouva son préféré – un accessoire en ivoire incrusté de pierres de saphir noir de Minerya –, et entreprit de lui démêler les cheveux.

Elle aimait le bichonner, et lui se faire bichonner. Ce rituel qu’ils avaient depuis l’adolescence avait aidé à les rapprocher. Désormais, cela contribuait à le détendre.

— J’ai l’impression que sa réaction t’a blessé.

— Si tu l’avais entendu ! glapit-il. Et son regard… Je me suis senti proche de ces friandises que Mère m’interdisait de toucher avant la quatrième heure de l’après-midi.

— On a tous vu ce regard gourmand, dit Sacha, amusée. C’est flatteur, tu sais.

— Pas dans mon cas ! Je ne suis pas une danseuse que l’on rabaisse au rang de chauffeuse de couche, parce que monsieur ne sait pas refréner ses pulsions charnelles ! N’importe quel homme à sa place aurait été refroidi en découvrant ce que et qui je suis. Mais pas cette bête en rut !

Sacha retint un sifflement, impressionnée par sa véhémence.

— Tu en fais une affaire personnelle, dis donc.

— C’est un affront à ma dignité, asséna-t-il avec hauteur.

— Cela n’a rien d’indignant d’être désiré. Enfin, ça l’est lorsqu’on importune le sujet de son désir. Il n’est point nécessaire que ce dernier sache qu’il fait l’objet de convoitise. Hélas, la majorité des hommes ne l’ont pas encore compris, et je doute qu’ils le saisissent un jour. Ceci étant, il est parfois agréable de susciter le désir. Ma prima n’aurait-elle jamais été courtisée ? dit-elle, taquine. Ferait-elle son effarouchée ?

— Ne te moque pas de moi. Ce Dean Leblanc n’a rien d’un « courtisan », c’est un barbare.

Un barbare à la beauté captivante. Il devait admettre qu’il avait malgré tout été subjugué. Sinon, comment justifier qu’il ait autant perdu le contrôle de la situation ? L’homme était si… viril. Dean avait cette arrogance qu’on lui envierait. Red s’obligea à discipliner ses pensées. Il refusait de reconnaitre qu’il avait une espèce d’inclinaison pour ce malotru. C’était indécent. Déplacé. Cela n’avait juste point lieu d’être.

— Loin de moi toute envie de me moquer, l’apaisa Sacha. Repose-toi et mange surtout. Demain est un autre jour. Tu sauras lui faire changer d’avis. Il faut simplement qu’il apprenne à te connaître.

Red rumina un moment. Elle respecta ce moment.

— Rends-moi un service, dit-il enfin.

Elle tendit l’oreille. Il avait repris le ton du monarque.

— Lequel ?

— Assure-toi qu’il ne lui prenne pas l’envie de révéler mon identité. Ce soir, il joue le jeu. Fais en sorte que ce jeu dure jusqu’à mon retour. Je n’ai pas envie de m’en inquiéter tant que je n’aurai pas découvert les desseins de mon frère avec cet homme.

— En parlant de lui, que vas-tu faire ? demanda-t-elle, interdite.

Il soupira.

— Je ne sais pas encore. J’aviserai. Je ne pense pas qu’il se doute de ma présence. Travesti, je me trouverais à un mètre de lui qu’il ne me reconnaîtrait pas.

— Tu exagères. Il saurait tout de même reconnaître sa mère !

Red lui servit un regard noir. Il grommela de manière intelligible alors qu’elle lui tirait la langue. Ses pensées revinrent à l’impasse dans laquelle il se trouvait et il réprima un long soupir.

— Essaye d’en apprendre plus sur les motifs de sa présence à Nacir. Je suis convaincu qu’il aurait mis les voiles bien avant notre arrivée, s’il avait su que j’étais du voyage.

— Demander asile à Dean Leblanc, « favori du peuple », rend ses intentions flagrantes, dit Sacha, sombre.

— Je ne veux pas donner dans la conclusion hâtive.

Il allait étudier la situation en retrait. Après ce premier échec, prendre du recul s’imposait. Initialement, il avait escompté que Dean s’entichât de la prima Nior pour les isoler en tête à tête. Cet objectif-là avait été atteint sans effort. Seulement, il partait du principe qu’une fois son identité révélée, le gouverneur se serait excusé de sa méprise, et il l’aurait amené à prêter serment d’allégeance. Alors aurait été abordé l’état déclinant de santé de Raam et les soins palliatifs à lui prodiguer.

Plus que jamais, la province nord avait grand besoin d’Orsei. Cette dernière ne pouvait plus se contenter de la nourrir. De ce fait, il était hypocrite de nier le bénéfice de l’ouvrage de Dean pour Maar. Or pour maintenir l’intégrité de celle-ci, Nacir ne saurait ignorer l’existence d’Aram. Aussi Red estimait frapper à la bonne porte. Mais qui lui avait ouvert ? Un bellâtre désireux de le mettre dans son lit en sachant pertinemment qui il était !

Il avait eu besoin d’entendre le gouverneur jurer fidélité à son souverain ; exprimer à voix haute son soutien à la monarchie actuelle. À son grand dam, ses charmes se révélaient trop efficaces – il n’aurait jamais pensé le déplorer un jour ! –, et l’autre ne désirait plus que consommer son plaisir.

Ce plan avait au moins eu l’avantage de révéler la nature des ambitions de Dean Leblanc. Il avait craint que l’homme soit un partisan de l’un de ses frères. Il semblait que Dean soit trop fier pour s’allier à quiconque dans le but d’atteindre ses desseins. D’un certain point de vue, qu’il dédaigne jusqu’aux princes se révélait relativement rassurant…

TBC - part 3


Texte publié par EPICE, 17 juin 2017 à 18h55
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