Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 8 « The men behind the Warlords - VII » tome 1, Chapitre 8

C H A P T E R 1 - The men behind the Warlords

◢ PART - VII ◣

Province d’Orsei

Tout royaume verdoyant avait son petit paradis terrestre, une contrée luxuriante où la nature débordait de générosité envers ses habitants. En Maar, c’était Orsei. La province, que l’on comparait à un gigantesque oasis, devait sa richesse à un sol fertile irrigué en abondance ainsi qu’un climat chaud et humide.

Protégée à l’ouest par la chaine montagneuse des Vyrez, au nord par la mer végétale de Zelen, elle s’épanouissait autour du grand lac Hapnes. Sa situation géographique était un atout pour ses dirigeants et un sujet de découragement pour ses ennemis.

Première province maariane par sa population, Orsei était aussi culturellement éloignée de Raam que la lune l’était du soleil. Par la Route Royale, on ralliait Aram et Nacir, capitales des deux grandes régions qui assuraient plus de la moitié de la richesse de Maar. La première était le berceau de la monarchie quand la seconde brillait par son économie. Les Orseians se gargarisaient d’un « Raam règne, mais Orsei la nourrit ».

L’agriculture florissante et l’élevage fécond s’ajoutaient au tableau idyllique des rendements foisonnants de pêche et de chasse. Il ne se passait pas un jour sans qu’un convoi de marchandises ne quitte Nacir afin de ravitailler le nord du royaume. Seulement, l’aventure était semée d’embuches et devenait périlleuse aux abords de certaines cités. Le danger jalonnait le trajet entre la province économique et la capitale régente ; en conséquence, Orsei avait appris à vivre en quasi-autarcie.

Au fil des ans, ses gouverneurs avaient cessé d’attendre l’aval de la capitale pour les grandes décisions administratives. Les Orseians, eux, ne s’étaient jamais souciés de la bonne grâce de la dynastie royale. Ils avaient toujours connu les Whites depuis des siècles. Vince White, père de cette tribu, était un indigène. Le petit peuple en référait directement aux chefs des clans, qui rendaient compte au clan en chef : le clan Leblanc.

La présence du sceau royal sur un document officiel n’y était plus qu’à titre informatif. Celui du Grand Red était devenu anecdotique à côté de l’estampille de l’ancienne dynastie royale White. De même, la magistrature d’Orsei ne relevait plus de la Cour Royale de Justice. Les affaires qui prendraient des mois à être résolues, pour cause de distance, étaient directement soumises à l’hégémonie Leblanc.

Les ressources d’Orsei en faisaient une contrée de rêve, et les Orseians n’avaient aucun motif de plainte quant à leur exploitation. Les choses évoluaient ainsi depuis de nombreuses décennies. Aujourd’hui, la gouvernance échoyait à Dean Lightfoot, nommé d’après le Légendaire Lightfoot, Guerrier de la toute première Guilde au monde.

Il se disait que le chef du clan Leblanc aurait été un homme d’exception si on ne lui connaissait pas nombres de travers. Cela n’empêchait pas sa réputation de voguer un peu plus au nord, au fil des affluents irriguant ses terres… pour le déplaisir du Grand Red.

*

Mégapole de Nacir – palace du Gouverneur

— J’aimerais m’entretenir avec le gouverneur.

— Tout le monde veut s’entretenir avec le gouverneur, rétorqua le jeune homme, narquois. Ma belle-mère veut s’entretenir avec le gouverneur. Ma gueuse veut s’entretenir avec le gouverneur. Mon chien veut s’entretenir avec le gouverneur, débita-t-il d’un air désobligeant.

Les gens étaient bizarres de penser que l’on pouvait se présenter comme une fleur pour « s’entretenir avec le gouverneur », sous prétexte que sa porte était ouverte à tous. Jonathan rabroua son interlocuteur :

— Le gouverneur n’est pas disponible !

L’un des trois gardes du visiteur posa sa main sur le pommeau de son glaive dans une tentative d’intimidation.

— Laisse, Krys, le retint David.

Il y avait de meilleures manières d’obtenir ce que l’on désirait de ce genre de rat de service.

— Le sceau de la famille royale se montrera-t-il plus convaincant ? demanda-t-il en présentant le lourd médaillon.

L’intendant se saisit de la pièce en or et examina la facette frappée du sceau royal à l’envers. Son regard surpris puis apeuré finit de rassurer David sur l’étendue de son intelligence.

— Où puis-je trouver le gouverneur ? réitéra-t-il, condescendant.

— Euh… eh bien, c’est-à-dire que…

Le jeune homme avait perdu ses moyens face à la valeur indécente de ce qu’il tenait. David paria qu’il n’avait jamais vu autant d’or en une seule pièce. Il récupéra son médaillon et le repassa autour du cou. Il irait voir ailleurs si on pouvait lui être d’une meilleure aide qu’en ces lieux. Il aurait dû s’enquérir de la présence du gouverneur auprès des gardes à l’entrée, au lieu de simplement leur brandir son sceau royal.

— Le gouverneur est absent, reprit l’intendant.

— Où s’est-il rendu ? exigea l’un des soldats.

Ces hommes d’armes étaient de haut rang, nota Jonathan. Certainement commandants, peut-être généraux. Il ne put pousser son inspection, interrompu par une voix détestée.

— Et pourquoi désirez-vous voir le gouverneur ?

— Pour des affaires qui ne concernent point d’autres oreilles, commença David d’un ton abrupt avant de se radoucir. Du moins, pas tant que j’ignorerai à qui j’ai affaire.

La femme, grande, de la blondeur des blés, respirait l’élégance dans sa robe exquise, d’un léger tissu satiné or et blanc, lacée à l’avant. Une large ceinture de velours écarlate, avec une boucle en forme de soleil, faisait deux fois le tour de sa fine taille et pendait au ras du sol. Sa longueur laissait suggérer celle de ses jambes. Ses bras nus avaient la couleur de l’été éternel. Sa grâce et son port gommaient le poids des ans sur son visage harmonieux. Béni quiconque était le compagnon de cette délicieuse créature, songea David.

— Je suis Sonia, épouse de James Leblanc, oncle du gouverneur que vous cherchez avec tant d’empressement.

Elle battit des cils clairs d’un air supérieur puis marqua une pause, le temps de les étudier.

— Voilà une délégation royale bien discrète. Que puis-je pour vous ?

— Ma Dame, saluèrent les hommes dans le dos du prince.

David sourit et dissimula son médaillon sous son vêtement.

— La discrétion m’a semblé nécessaire aujourd’hui. Le reste de mon escorte n’est pas loin.

— Alors, Jonathan, le pressa-t-elle d’un ton mauvais, qu’attends-tu pour quérir Dean ?

Jonathan se renfrogna. Il avait toujours exécré sa belle-mère. En plus d’intoxiquer son père, cette femme prenait plaisir à lui pourrir la vie. Elle venait de le mettre en porte-à-faux devant le prince. Il se rebiffa.

— J’ignore où il se trouve.

— As-tu jamais su quelque chose de ta vie ? grogna Sonia.

Le fils de son époux l’excédait. Le jeune homme ne lui était d’aucune utilité et contrariait son bien-être en glissant parfois des mots malvenus à l’oreille de son père. Sonia avait pensé qu’en épousant James Leblanc, frère cadet du précédent gouverneur, elle gagnerait un statut meilleur que celui de faire-valoir. Hélas, la loi maariane voulait que les postes influents reviennent aux hommes. Comme si une « femelle » ne pouvait accéder au pouvoir que par son « mâle » !

Cette réalité révoltante avait motivé son apprentissage de quelques techniques dont se gargarisaient les Guerrières Whites, comme la dissimulation, alors qu’elle n’était que fille d’itinérant. En espérant la reconnaissance de son géniteur, dont elle était l’unique enfant, elle avait mis un point d’honneur à ne jamais valoir moins qu’un homme. Vain effort.

Pour Darcy, elle n’avait été bonne qu’à faire un bon mariage, pour leur octroyer une bonne situation. Sans une certaine renommée, vivre du métier de saltimbanque n’était pas facile. Aussi avait-elle soulagé James de son veuvage, faute d’avoir pu jeter son dévolu sur le neveu de ce dernier.

La raison ? Le rejeton du gouverneur était un glouton en affection paternelle. Il rendait impossible l’ouverture d’une brèche dans le cœur de son géniteur, tant il y prenait toute la place. Le fils de James, Jonathan, n’avait point représenté un obstacle, principalement parce qu’il n’avait plus besoin d’attention parentale voilà belle lurette. Cela ne l’empêchait pas d’être une nuisance dans la vie de Sonia.

— Eh bien, va chercher quelqu’un qui sait, le congédia-t-elle d’un geste irrité.

— Ceux qui savent sont dans l’arrière-cour, rétorqua Jonathan avec un relent de sarcasme. Je n’aime pas m’y rendre.

— Tu comptes faire attendre une délégation royale à cause de ta pusillanimité ? asséna-t-elle, acerbe. Veuillez l’excuser, Altesse, il est un peu lent d’esprit.

Les hommes firent silencieusement un « oh » de surprise et se demandèrent pourquoi un attardé mental avait été mis à ce poste de majordome. Ils revirent leur jugement en comprenant le camouflet. La femme ne devait guère apprécier le jeune homme, et cela semblait réciproque.

David douta soudain de la fiabilité de Dean Leblanc. Cet homme était-il le bon interlocuteur pour sa requête ? Difficile d’en être certain, vu comment se comportait sa maisonnée. Ceci dit, on ne jugeait pas un livre à sa couverture. Pour l’instant, il n’avait que cette option par défaut.

Requérir l’aide du royaume de Lima revenait à lui vendre Maar. Envisager Baylor était sans doute pire. David ne dilapiderait pas stupidement son héritage légitime. Maintenant qu’Andy décimait les rangs de sa famille, il fallait agir avec intelligence et diligence. Le roi devait être à court de têtes à décapiter parmi les dignitaires, pour s’en prendre à sa propre fratrie !

Leur petit-frère virait de plus en plus sanguinaire. Il était encore tôt pour parler de sénilité, mais qui savait ? Andy devait avoir perdu la tête. Dire que son jumeau était détenu par ce fou... David n’avait pas d’autre choix que de faire commerce avec ce potentiel rival : Dean Leblanc.

Le temps de prévenir le gouverneur, Sonia les invita à se détendre dans une courette dallée de marbre, s’ouvrant sur un jardin d’intérieur. David préféra exiger au factotum peu dégourdi de le conduire directement auprès des fameuses gens qui « savaient ». Ce fut ainsi qu’il se retrouva spectateur d’une joute d’armes assez violente, au détour d’une allée d’arches.

Le plus jeune, en fin d’adolescence, était acculé par son aîné, sûrement son maître d’armes. Les coups de ce dernier, de plus en plus intenses, avaient toutefois la régularité d’un métronome. Le garçon ne faiblissait pas et donnait presque l’air de réfléchir, comme si son bras s’était désensibilisé sans pour autant perdre en fermeté.

Le sabre du professeur – un vrai sabre, nota David, effaré –, exerçait une pression continue sur la lame de l’élève. Chaque vibration de l’acier se répercutait jusqu’à l’épaule. Brusquement, le cadet s’élança alors qu’une nouvelle salve allait s’abattre sur lui. D’une dextérité admirable, il retourna son arme, visa la main de son adversaire et lui écrasa les doigts avec son manche. Le plus vieux perdit son sabre au moment où celui du jeune homme s’arrêtait net contre son cou. Les témoins serrèrent les dents.

— Un adversaire qui veut ta mort ne se serait pas donné la peine de retourner son sabre, Oncle Danny.

L’oncle soupira. David remarqua alors que le neveu n’y était pas allé avec le tranchant de son arme. Il n’empêche qu’une rougeur naissait sur la peau de son aîné. La maîtrise était époustouflante, pour avoir retourné le sabre au moment fatidique, sans ralentir sa course vers sa cible.

— Et tu as perdu ton bras, chantonna le jeune homme en désignant l’arme au sol.

— Tu devrais dire à ton père de t’entraîner, j’abdique.

— Mais non ! Père est sournois.

— En voilà des façons de parler de son père !

— Je suis fourbu durant des jours après chacun de nos combats, se plaignit le garçon. Sans compter qu’il n’utilisera pas de vrais sabres, lui.

— Encore heureux ! Ta précision n’est pas tout à fait au point, mon grand.

— Dit celui qui vient de perdre, nargua ce dernier.

— Ton impertinence te vaudra ta tête sur un champ de bataille, mon garçon. Cette arrière-cour est un paradis en comparaison. Tu n’étais pas censé me toucher, rappela le maître en se massant le cou. Tu as gagné le duel mais échoué à ta leçon du jour.

Le jeune homme se liquéfia face au verdict. Telle était donc la leçon : remporter le combat en évitant de toucher son adversaire avec sa lame. N’était-ce pas incongru ? David fut forcé de reconnaître que seul un guerrier maîtrisant son art saurait arrêter son arme à un cheveu de sa cible. Ce genre de précision n’était point donné à tout le monde.

— Et tu as « gagné » parce que je t’ai donné l’illusion que tu pouvais lire en moi. J’ai délibérément été prévisible pour t’amener à me toucher ou non. Tu m’as touché, tu as échoué.

— C’est pas du jeu !

L’oncle se rembrunit.

— Justement, Rudy, ça n’a rien d’un jeu, dit-il avec dureté. Demain, tu retournes au sabre de bambou.

— Père a eu droit au vrai sabre à son Eiratès ! protesta Rudy. Dans trois lunes, cela fera cinq ans que j’ai passé le mien. C’est injuste !

Qu’il tape du pied finit de laisser les visiteurs perplexes. Tant d’immaturité à son âge était désarmant. L’Eiratès était une coutume exclusivement White en Maar, comme nombre d’autres. Il s’agissait d’une cérémonie de passage à l’adolescence, à treize printemps. On cessait d’être enfant sans pour autant être considéré comme citoyen.

Pour les garçons, cela signifiait avoir voix au chapitre des affaires du père, de la famille et du clan, en plus du droit de prendre les armes et de se noyer dans un spiritueux. Pour les filles, cela impliquait qu’une imprudence ferait d’elles des mères avant l’âge nubile, chose vue d’un mauvais œil quel que soit la tribu et la strate de la société.

Les familles aisées se payaient le luxe d’organiser une cérémonie à grands frais, parfois publique, où l’on célébrait cette première « reconnaissance sociale » du jeune White. Le bas peuple considérait l’Eiratès comme une lubie de riches. Preuve en était que le passage à l’âge adulte, à seize années – auquel la population maariane entière accordait plus d’importance –, n’avait pas été affublé d’un nom cérémoniel élitiste et pompeux.

En effectuant le calcul, le jeune homme boudeur allait sur ses dix-huit ans. Mais sa moue puérile tendait à le démentir. Il était si candide qu’on l’aurait rajeuni de trois étés sans difficulté. Ce n’était encore qu’un gamin dans sa tête, probablement couvé par sa famille. Le maitre d’armes ne démentit point en l’assaillant de méchants chatouillis, pour le débarrasser de sa mauvaise humeur.

— Ridicule, grogna Jonathan dans le dos des invités.

Rudy les remarqua enfin.

— On a de la visite… Tu aurais dû t’annoncer, Nat. Craignais-tu que je te défie en duel ?

— Occupe-toi d’abord de tes convives avant de chercher querelle, l’admonesta son oncle.

— Bonjour, lança-t-il en venant à leur rencontre. À qui avons-nous l’honneur ?

Les visiteurs eurent un moment de flottement muet. De près, la beauté du jeune homme était peu commune. Sa blondeur pâle et la parfaite symétrie de ses traits subjuguaient l’espace d’un instant. Le léger air de famille avec le maître d’armes, autre spécimen blond envers qui la nature s’était montrée généreuse, laissait soupçonner que le clan Leblanc était sans doute tombé dans la source de jouvence.

— Je suis David… Esson, s’introduisit-il. (Il désigna Krys, Tyler et Prince comme ses amis et son escorte.) Je souhaiterais rencontrer le gouverneur.

Rudy sourcilla.

— Hum… Père doit encore s’essayer à dompter les sarricks offerts par les émissaires de Sandres.

David et ses hommes, intrigués, notèrent le blêmissement de Jonathan qui reculait d’un pas.

— Je suis Rudy Leblanc, fils de Dean, se présenta-t-il sans autre formalité. Vous devez être épuisés, dit-il en s’attardant sur la poussière de leurs bottes. Je ne sais pas pourquoi vous m’avez donné un faux patronyme, mais je suppose que c’est à Père de gérer ça ?

Son sourire n’aida pas Krys, Tyler et Prince à se départir de leur défiance. La main d’épée du premier, ballotant près de la garde de son glaive, le démangea. Jonathan fut à peine surpris de la soudaine tension qui s’installa, typique d’une première rencontre avec le jeune maître.

L’héritier du gouverneur était « bizarre ». On ne pouvait le définir autrement. De façon singulière, il était ardu de mentir ouvertement à Rudy. Derrière sa naïveté sidérante se cachait un individu complexe, dont on ne pouvait se jouer de duplicité. Il se murmurait entre les murs du palace qu’il tenait son étrangeté de sa défunte mère, dont les origines étaient pis que douteuses, pour ne pas dire mystérieuses.

Dean ne s’en éloignait presque jamais, bien qu’il le tienne paradoxalement à l’écart de nombreuses affaires politiques. Où se trouvait Rudy, son père n’était pas loin. Le gouverneur le couvait, le préservait du moindre mal, au point de susciter le questionnement. Pourquoi dépeignait-il à son héritier un monde idyllique, où il était le père aimant, compréhensif, laxiste, alors que la réalité n’était que sournoiserie, ambition démesurée et desseins occultes ?

— Rudy, c’est mettre son interlocuteur dans l’embarras que de souligner ce genre de chose, dit doucement Dan, afin d’apaiser la tension.

Rudy se demanda où il avait fauté. C’était évident que l’homme richement vêtu mentait. Il haussa les épaules. Père se rangerait à son avis de toute façon.

— Dan Leblanc, Maître d’armes du clan, fit celui-ci. Mon frère s’adonne à ses petits vices mignons en ce moment, s’excusa-t-il.

— Avez-vous déjà vu un sarrick du désert ? demanda Rudy à brûle pourpoint. Après un rafraichissement, je vous conduirai à l’enclos. Enfin, si cela vous agrée, rajouta-t-il, un peu penaud.

Il craignit de s’être montré trop familier avec une très haute personnalité. Il déduisait son statut élevé à la qualité de la tenue militaire de son escorte. Mais depuis belle lurette, tout protocole guindé avait été aboli de la maison de Dean Leblanc. Les invités étaient traités avec respect, sans qu’on n’ait à moduler sa déférence en fonction de la caste du convive. Tous étaient logés à la même enseigne, bien qu’il s’en trouve toujours qui ne sachent point faire fi de l’ascendance ou de la classe sociale de leur interlocuteur.

David et sa garde se plièrent de bonne grâce aux habitudes locales somme toute farfelues. Pour satisfaire leur curiosité, ils furent conduits aux enclos sous le babillage du jeune maître, accompagnés par deux serviteurs chargés de les désaltérer. Et le sarrick du désert finit de les déstabiliser.

« Petits vices mignons » avait été un euphémisme ou un mensonge. Les visiteurs ne surent s’il s’agissait d’un mammifère ou d’un reptile. Quoi qu’était cet animal, il remettait en question l’idée qu’ils s’étaient toujours fait de cette bestiole. La bête gigantesque avait la fluidité d’un gros lézard mais possédait huit pattes articulées à la manière d’un scorpion géant. Elle était dépourvue de pinces et de chélicères, mais dotée d’une gueule de varan capable d’avaler un mouton entier.

Sur le dos de ce monstre, un homme luttait pour rester en équilibre. Le gouverneur. Ce type était fou ! Un fou qui riait aux éclats et dirigeait la créature où bon lui semblait par des coups de jambes secs.

— Fiston, ça y est ! braya-t-il sa joie lorsqu’il aperçut du monde. Elle répond à mes caresses comme une demoiselle en chaleur !

— Parce que tu as commencé par la femelle aujourd’hui ? comprit le fils, désapprobateur.

Rudy contint son exaspération. Pour dérider ses hôtes, figés dans leur stupeur, il expliqua :

— Père agit tout le temps ainsi. Il commence toujours par dompter le spécimen le plus féroce ou le moins docile. Comme ça le plus dur est fait, et on se garde le meilleur pour la fin, qu’il dit. D’après la délégation Sandriane, en période de chaleur les femelles sont très agressives et plus dangereuses que les mâles. Elles ne se laissent approcher que par le plus vigoureux. Le mâle qui aura eu le dessus sur elle. Une sorte de sélection naturelle du bon pédigrée, dit-il, amusé. Nous possédons deux mâles et une femelle. Quand elle mettra bas, j’aurai mes petits sarricks à dresser. Je vous en offrirai un, si la bête vous plaît, proposa-t-il, candide.

Son exposé échoua lamentablement à détendre l’atmosphère. La frayeur de ses invités était allée grandissant. Leur peur lui sautait presque au nez, sauf qu’elle était disproportionnée. Il en détermina la cause lorsqu’il vit son père se rapprocher d’eux sur son étrange monture. Il tenta de les rassurer :

— Les barrières sont solides. Ces bestioles ne savent pas sauter. Même s’ils vous grimpent une paroi abrupte comme un lézard.

Le dernier commentaire tua tout effet d’apaisement.

— Bestioles, qu’il dit ! marmonna Tyler, sidéré.

— Bien le bonjour, lança Dean, avenant. Vous portez un sceau royal Rell. Ai-je affaire à une Altesse en personne ou à un émissaire du roi ?

L’émissaire du Grand Red, dont il pressentait la venue, était-il finalement arrivé ? Depuis la visite du Triumvir Jeffrey Scott, il y a une lune et demie, il comptait les jours. La présence du Grand Conseiller en second à son palace avait été une façon de lui dire que sa Majesté gardait un œil sur lui. N’ayant rien à se reprocher, il ne s’en inquiétait pas.

Déduisant que les pans de son vêtement ne dissimulaient plus son médaillon, David prit note de l’excellente acuité visuelle du gouverneur mais refusa de quitter le monstre des yeux. Attitude prudente qu’aurait dû adopter Dean, qui descendait de sa monture quand la bête le faucha de sa longue queue.

Elle n’avait été docile que le temps d’endormir la vigilance du dompteur. Ce dernier ne fut pas projeté au loin car il eut le réflexe de se cramponner à l’appendice caudal. Il s’en servit pour mettre l’animal au supplice. La queue tordue sans pitié, le sarrick rua, se cabra. Ses pattes courtes ne lui permettaient pas d’atteindre Dean, qui échappa à bien des griffures. La moitié des spectateurs recula de plusieurs mètres.

— Altesse, glapit le garde le plus en retrait. Ne restez pas là !

Rudy arqua un sourcil. Belle preuve de courage ! « Altesse » impliquait qu’ils avaient affaire à David Rell, l’un des princes jumeaux, aussi connu comme le Général de la Légion Nord de l’Armée de Maar. Ce convive-là pesait lourd.

— COUCHÉE ! beugla Dean.

Il en avait par-dessus la jambe de voir la bête se débattre. Contre toute attente, elle se calma. Sans doute pressentait-elle que l’humain en colère accroché à sa queue pouvait se révéler un dangereux prédateur.

— L’instinct de survie vous rend une bête « intelligente », déclara Dean, satisfait.

— Tu emploies l’expression de façon inappropriée, maugréa Dan en reprenant des couleurs.

Son frère allait avoir raison de son cœur un de ces quatre ! L’inconscient se risquait à présent à flatter le flanc du monstre. Dean inséra sa main sous l’une des plaques osseuses de sa carapace, et David s’horrifia de voir son avant-bras y disparaitre.

— Qu’est-ce qu’il fait ?!

— J’ai découvert que ça l’apaisait. Leur peau est douce en-dessous, presque soyeuse. La viande des jeunes sarricks est succulente. Celle-ci est trop vieille pour être boulottée. Assez joué, ma grande, on reprend la partie demain, décréta Dean.

Il s’éloigna de l’animal avec prudence, ne voulant plus essuyer de coup en traitre, puis referma l’enclos avec précaution. Le gouverneur se tourna vers ses convives qui remarquèrent les estafilades et les griffures au niveau de ses membres, malgré leurs protections.

— Je manque à tous mes devoirs, Altesse, s’excusa-t-il avec une brève révérence parfaitement exécutée. Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre.

Il les conduisit dans une somptueuse pièce à vivre de la principale résidence, leur laissant à peine le temps de s’attarder sur la magnificence des lieux. Ils y trouvèrent Sonia qui se prélassait sur un divan circulaire en compagnie d’un chat au poil long.

— Vous ne voyez aucun inconvénient à ce que je vous laisse entre les mains charmantes de ma belle-tante ? Mon fils et moi devons nous rendre plus présentables. Ce serait un manquement de vous recevoir aussi…

Dean s’examina jusqu’à ses pieds. Cela se passait de commentaire. Un bain rapide serait une marque de respect envers ses hôtes. Il prit congé sur un « faites donc » vaporeux du prince.

David ne s’était toujours pas remis de ses émotions. Cet homme commandait aux animaux ! Aux monstres, pour être précis. Son hébétude fut telle qu’il ne réagit pas à la ressemblance frappante du père et du fils. Le second passait aisément pour le jeune frère du premier. Dan s’était lui aussi éclipsé.

— Alors fils, qui a gagné aujourd’hui ? demanda Dean tandis qu’ils arpentaient le couloir menant aux bains

— Moi ! crâna Rudy.

Dean sourit, amusé, et conclut :

— Mais tu as raté l’exercice du jour.

Le fils en fut dégoûté.

— Comment tu fais pour tout savoir ?

— Dan m’a dit qu’une victoire dont tu te vanterais signifierait ta défaite.

— Je vous déteste tous les deux.

Rudy ne gagna qu’un rire moqueur. Son père lui ébouriffa affectueusement les cheveux, pour le plaisir de l’entendre bougonner.

TBC - part 8


Texte publié par EPICE, 6 janvier 2017 à 10h36
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 8 « The men behind the Warlords - VII » tome 1, Chapitre 8
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1172 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Yedelvorah
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés