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tome 1, Chapitre 4 « The men behind the Warlords - III » tome 1, Chapitre 4

C H A P T E R 1 - The men behind the Warlords

◢ PART - III ◣

Mégapole d’Aram – villa de Solomon Rozès

Le désespoir avait élu domicile chez les Rozès. Red le savait de passage. Il ne venait pas les mains vides, pour ne pas repartir avec le sentiment d’avoir abusé de son pouvoir. Il ne s’embarrassait d’aucun scrupule pour obtenir ce qu’il convoitait, mais le maitre du ludus ne serait pas mécontent à la fin de la transaction. Bien que Solomon soit, pour l’heure, loin de partager sa vision.

— Je vous implore, votre Grâce… Il s’agit de tous mes champions !

— Tu ne peux opposer de refus à sa Majesté, gronda Céline.

Elle s’était résignée, après un instant de faiblesse où elle y était allée de toutes les larmes de son corps, quand Le Grand Red avait décidé de faire main basse sur les cinq gladiateurs debout dans la pièce. On avait fait patienter Red, le temps du bain de ces fauves humains, et ces derniers s’étaient présentés propres et parfumés. Le roi tournait à présent autour de celui qui en imposait par son calme.

Vêtu d’un caleçon de combat immaculé et de guêtres en lin resserrées de lanières de cuir, le jeune homme avait la peau basanée et des tresses plaquées sur le crâne, dont les pointes tombaient sur ses épaules. Son expression s’était troublée à la vue du roi, mais il avait vite repris contenance, contrairement aux autres. Ses acolytes avaient dû puiser dans sa sérénité de chef pour contenir avec peine leur inquiétude.

— Je sais que ce sont vos champions, Rozès. Je sais, dit Red d’une voix qu’il voulut apaisante.

Tel n’est pas la raison de ma présence.

— Ils sont bien plus que des champions, murmura-t-il en caressant le torse musclé du jeune gladiateur aux tresses. Ce sont des Guerriers Mô’Lar. Celui-ci est un parfait représentant de cette caste épique et fière. Rien d’étonnant à ce qu’ils aient massacré le plus gros du ludus Gilano en un temps record.

Le chef ne frémit pas à cette remarque.

— Ce qui justifie que je les aie eus au prix fort, dit Solomon.

Red cilla.

— Sont-ce donc des esclaves ?

L’esclavage n’avait plus cours en Maar depuis trois siècles. La pratique avait été abolie dans une mare de sang. Red se serait outragé que l’on compare son règne à celui de ce monarque White, qui avait marqué l’histoire de Maar de cette tâche écarlate, s’il n’avait pas adhéré à sa façon de mater les esclavagistes. Donnovan Le Terrible portait un surnom qui cessait d’être caricatural lorsqu’on étudiait ses méthodes de répression.

Aujourd’hui, il subsistait une forme « douce » d’esclavage dans certaines maisons de nobles. Mais on ne faisait plus le commerce de vies humaines. Voyant l’expression pincée du roi, Solomon craignit de l’avoir contrarié.

— B-bien sûr que non ! bredouilla-t-il.

— Ce sont des criminels, intervint Jeff. Le plus souvent condamnés à la potence. La loi permet aux ludus de leur donner une seconde chance, sinon la mort par pendaison les attend. Autant les rendre « utiles » en divertissant le peuple. Les royaumes s’adonnant aux tournois de gladiateurs font commerce de ces prisonniers écopant de la peine capitale.

— Je vois, fit Red.

Il ne s’était jamais intéressé aux modalités d’acquisition de gladiateurs. Il n’était pas là pour ça ; son but étant plus noble.

Il avait beau vivre reclus, le mécontentement de la population traversait les remparts de son palais. Si le peuple devait se soulever un jour, il ferait en sorte que ce soit un jour lointain. D’ici là, il espérait inhumer les causes des émeutes. Seulement, les meneurs de ces révoltes n’étaient point dénués de charisme. Ce n’était qu’une question de mois avant qu’ils poussent le bétail à la mutinerie générale.

En six ans, Red n’avait pas encore réussi à donner à son règne les couleurs qui lui seyaient. Ce résultat lamentable après tous ses sacrifices lui laissait un sentiment d’échec. Mais il n’était point homme à stagner sur une défaite. Jusqu’ici, il avait œuvré d’arrache-pied. D’abord pour survivre aux tentatives d’assassinat qui ne cessaient de se complexifier. Ensuite pour dénicher les sources d’insurrection afin de l’étouffer dans l’œuf. C’était son seul moyen de gagner le temps nécessaire pour prouver sa véritable valeur.

Bien qu’il ne compte pas se dérober, l’image que le peuple avait de lui l’ulcérait. Il n’avait pas d’autre choix que de l’assumer, mais elle pesait son poids au bout d’un six années à étouffer révoltes et indignations sanglantes. Les cellules révolutionnaires naissaient tels des champignons, clandestinement nourries par les dignitaires de sa propre cour. Ils mangeaient à sa table, lui prodiguaient conseils le jour et fomentaient sa destitution la nuit.

Lorsqu’elles étaient saisies, les armes des rebelles provenaient des dépôts de l’armée. Cette récente découverte lui avait porté un coup au moral. Red ne se sentait plus en sécurité dans son propre palais. Les gardes aux différentes entrées lui apparaissaient désormais comme les geôliers d’une prison de luxe. Il n’était pas plus roi que prisonnier.

L’une de ses hantises se réaliserait si l’armée était à la solde de ces hommes qui ne l’aimaient guère. Ce n’était pas faute d’avoir assaini les rangs gangrenés par l’œuvre de son père. Force était de constater qu’après toutes ces années, sa main essuyait encore la merde d’Henri.

Il étouffait au palais de Rubis. Paradoxalement, c’était le seul endroit où se terrer. Il n’était pas le bienvenu au sein du peuple. La raison en était toute simple, au fond. Le peuple ne le connaissait pas. L’image la plus vivace qu’avaient les Maarians de la royauté était celle débauchée, félonne et honteuse de son prédécesseur. Pourquoi le fils serait-il différent du père… ?

Red avait besoin d’hommes à l’allégeance infaillible. Et quoi de plus infaillible qu’une dette de vie ? Pour l’instant, ce n’était pas un rapport de confiance qu’il cherchait à instaurer. La confiance de son Triumvirat était d’une précieuse aide, mais elle pesait chaque jour un peu moins sur la balance.

Les espions des royaumes de Lima et Baylor avaient toujours infiltré Maar, mais ils se montraient zélés dernièrement. Leurs souverains convoitaient les terres maarianes depuis des lustres, léguant cette convoitise à leurs successeurs. Aujourd’hui, ils cherchaient la moindre faille pour s’y engouffrer. Red craignait que ses ennemis proches s’allient à aux ennemis lointains ; que ses ennemis actuels pactisent avec les ennemis historiques.

Lorsque les rebellions seraient nourries par Lima ou Baylor, il rédigerait alors les derniers chapitres de son règne. Or il lui restait tant à faire… Il mourrait jeune, c’était fort probable.

— Celui-ci est intéressant, reprit-il, s’arrachant à ses sombres pensées.

Il s’approcha du plus fluet de la bande et le vit légèrement se raidir. Sa carnation lui évoquait du café chaud, dilué au lait. Il était le seul à arborer une tunique sans manche lui arrivant à mi-cuisse, ceinte d’une cordelette tressée.

— Quel est ton nom, femme ? (Elle lui fit de gros yeux.) Voyons, tu ne pensais pas me berner sur ton sexe, moi qui suis transformiste. Comment faites-vous pour qu’elle évolue dans ce monde de mâles aux pulsions animales ? se tourna-t-il vers leur maître, plutôt curieux. Elle a une cellule à part ?

— Non, Majesté, souffla Solomon.

— Je suis encore plus impatient de savoir, fit Red, intrigué.

— Eh bien, ceux qui se sont risqués dans sa couchette sans son consentement, en sont rarement ressortis… vivants, termina Solomon, dépité.

Jeff s’esclaffa. Solomon lui servit une moue déconfite.

— Ne riez pas, Grand Conseiller. Elle est une source de perte plus qu’autre chose. Mais elle a des avantages qui forcent le compromis.

— S’ils meurent de ma main, c’est qu’ils ne sont pas des hommes, cracha la jeune femme, se payant les regards acerbes des nobles.

Son chef la toisa, réprobateur. Cette quiche avait encore parlé sans qu’on ne lui en donne l’autorisation ! Elle baissa la tête et attendit sa sentence.

— Qui est-ce qui t’a ordonné d’ouvrir ton clapet ? rugit Solomon.

La jeune femme fronça les sourcils. La crispation de ses épaules fit tiquer Red. Il y lut de l’agacement plutôt que de la crainte. Cette femelle-là avait tout de l’indomptable. Il coupa le maître du ludus dans sa vaine démonstration de force.

— Quand on prend le temps de regarder, on voit mieux ton aspect féminin.

La féminité de la gladiatrice transparaissait mieux sur son jeune visage lorsqu’elle était détendue. Ses cheveux coupés en brosse n’aidaient pas, cependant.

— As-tu déjà porté tes cheveux longs ?

— Oui… Messire, ajouta-t-elle au dernier moment.

— Majesté ! la reprit son chef dans un soupir.

— Pardon, Majesté, marmonna-t-elle, penaude.

Red retint un sourire.

— C’est en tuant un homme avec sa force brute que l’on fournit le plus d’effort. Pour ma part, j’affectionne des moyens qui m’épargnent de la sueur. J’ai horreur de transpirer. Enfin, sauf dans certaines circonstances, émit-il d’un air mutin.

Jeff leva les yeux au ciel. Ce roi et ses allusions déplacées ! Si encore il savait de quoi il retournait… Mais tout n’était qu’apparence avec Le Grand Red. Il bernait si aisément son monde, qu’il endormait toute velléité de lire entre les lignes. On prenait sa parole pour argent comptant et lui octroyait une crédibilité qu’il n’avait pas toujours.

Le rire coquin de Dame Rozès et les rougeurs de la jeune guerrière étaient la preuve qu’elles avaient pris le roi au mot. Or Red ne faisait pas allusion à l’acte charnel, mais à la danse, discipline dans laquelle il excellait. Ceci dit, la « danse » avait bien des connotations…

— J’attends toujours la réponse à ma première question.

— Numéro neuf, Majesté, répondit-elle.

— Ce n’est pas un nom.

— Nous n’avons plus de nom une fois condamné, Majesté, avança le chef.

— Cette coutume a cours en Mô’Lar, pas dans mes contrées, asséna Red. Vous portez tous un numéro ?

— Oui, Majesté, dit le basané.

— Vous officiiez donc à la cour royale avant d’être condamnés à mort.

Le chef le dévisagea de façon oblique. Red eut un sourire narquois. Enfin des signes de déstabilisation chez ce jeune homme stoïque. Il n’était pas le seul troublé. Solomon et son épouse venaient de sursauter. La cour royale mô’Lariane ?!

La réputation de cette dernière la précédait. On l’assimilait à un univers impitoyable, où la magie et la sorcellerie – taboues en Maar –, régnaient en maître. La loi du plus fort y prévalait. Pour autant, Taz’in, capitale de Mô’Lar, était l’une des plus grandes cités au monde, et certainement l’une des plus belles du continent.

— Ceux qui ont commis un crime de lèse-majesté se voient retirer leur nom, expliqua Red avec sérieux. C’est la pire condamnation, la plus humiliante, que peut subir un Guerrier Mô’Lar de haut rang. Tu savais, Jeff, que la mort leur est un salut ?

— Vous me l’apprenez, Majesté.

Red se remit à tourner autour du gladiateur. De son index, il caressa le tatouage tribal qui faisait le tour de son bras musclé. Il sentit son membre se raidir.

— Ces gens ne craignent pas la mort, mais la perte de leur identité. Car elle implique qu’ils ne se réincarneront jamais dans l’au-delà. C’est par leur nom que leur dieu Suprême arrache les âmes des défunts des abîmes de leur dieu de la Mort. Leur patronyme leur ouvre les portes du paradis. Sans nom, ils restent perdus à jamais dans les nuées du purgatoire.

— C’est absurde, renifla Jeff.

Son ton moqueur lui valut un regard noir du chef, qui eut la présence d’esprit de baisser rapidement la tête. Mais l’œil de Red était entraîné pour lire ce langage corporel. La tension dans la pièce grimpa d’un cran. L’homme était en colère et dégageait une aura agressive qu’il contenait admirablement. Les autres semblaient tout aussi offusqués et coléreux. Red claqua de la langue face au manque de considération de son Conseiller.

— Voyons, Jeffrey, les convictions religieuses d’un homme figurent parmi ces choses qu’il ne faut jamais railler. Tu t’entendras avec le pire des godelureaux tant que tu n’auras pas sali le nom de son dieu.

— Fort heureusement, il ne figure point de godelureau dans mes connaissances. Et encore moins, le pire, marmonna Jeff.

— Jusqu’à preuve du contraire, continua Red comme s’il n’avait pas été interrompu, rien n’est venu prouver l’absurdité de cette croyance. Peut-être est-ce vrai ? Hélas, aucun mort n’est revenu à la vie pour nous éclairer là-dessus.

— S’ils ne reviennent pas, c’est bien qu’ils vont quelque part, argua le chef avec conviction.

Sa colère s’étiola.

— Ça se défend, ma foi, fit Red sans se mouiller. Vos noms, qui peut vous les rendre ?

— Le Grand Rakam.

— Parfait, j’en suis un.

Les cinq gladiateurs s’agitèrent. Red s’impatienta.

— Ma proposition n’est-elle point à votre convenance ?

Sa voix charriait un courroux mal dissimulé.

— Pardonnez-moi, votre Majesté, ce n’est pas cela, commença le chef. Je voulais dire, seul le roi de Mô’Lar…

— Je sais ce que veut dire Rakam ! le coupa Red, impérieux. Si cet homme que vous appelez « Grand Rakam » peut influer sur votre réincarnation céleste en vous détachant de votre nom, alors il se place au-dessus de la condition humaine. Et en Maar, je suis Rakam, dit-il avec suffisance.

À la lueur dans leur regard, il sut qu’il avait captivé les oreilles et le cœur, ou du moins les attentes des condamnés.

— Je vous libèrerai de votre joug de gladiateurs et vous ferai citoyens de Maar. Or les citoyens de Maar ont tous un patronyme. Libre à vous d’en choisir un nouveau, si cela vous importe. Contrairement au vôtre, mon royaume n’interdit pas la pratique d’autres cultes que les siens. Vous pourrez continuer à pratiquer votre religion, avec à nouveau l’espoir de vous réincarner une fois rendus à la Terre Mère. Que ce soit avec votre ancien nom ou celui que vous choisirez, je n’en aurai cure.

— Mais…

— Dites-moi ce que vous ne comprenez pas dans ce que j’avance, soupira Red.

Il fit l’effort de dompter son agacement. Il n’avait pas pour habitude d’être désobéi, interrompu ou contesté par un subalterne.

— Nous serons à nouveau libres ? souffla le jeune chef.

Il peinait à encaisser la nouvelle. Red comprit finalement leur trouble. Ils avaient été condamnés à mort, puis vendus. Leur seule fin était de périr sous les coups d’un adversaire plus puissant. Si en théorie, ils avaient des années de survie devant eux en comptant sur leurs forces et techniques, viendrait toujours le moment où une main plus douée, plus chanceuse ou plus vigoureuse, mettrait un terme prématuré à leur servile existence.

— Mais Majesté… ! pleurnicha Solomon, interrompu par un geste irrité de la main royale.

— Libres et heureux de faire comme bon vous semblera, rétorqua Red. À quelques exceptions près.

— Lesquelles ?

Le roi retint un sourire. Combien pariait-il que ces hommes feraient n’importe quoi pour acheter leur liberté ? Sa tête, tiens, vu comment elle était « convoitée ».

— Vous accomplirez une tâche pour moi. Toi en particulier. Logiquement, je ne me serais pas encombré des autres, mais ç’aurait été manquer d’esprit. Cela explique d’ailleurs pourquoi cette femme n’a pas été séparée de votre groupe, malgré le danger qu’est une femelle dans les baraquements de gladiateurs… Ce tatouage n’a pas été réalisé par un maître tatoueur, je me trompe ?

— Non, votre Majesté, confirma le guerrier d’une voix nouée.

Jeff retint une moue face au mystère que laissait planer son roi. Qu’avait encore découvert Red qu’il ignorait ? Il ne fallait jamais baisser sa garde avec cet individu, de peur de perdre le rythme.

— Comment savez-vous cela, Majesté ?

— C’est un tatouage-rituel, répartit Red. Celui-ci est très beau. Les cinq circonvolutions autour du bras indiquent que cinq des hommes placés sous son commandement et sa protection les lui ont faites. Cela les lie jusque dans la mort. La beauté de la réalisation est en soi une marque de grand respect… et même d’amour. Il faut déduire de mes paroles que cet homme, aussi jeune soit-il, était au minimum d’un grade Capitaine. Il possède donc un savoir-faire et une intelligence militaire qu’il masque derrière son aspect « force calme de la nature ».

Les Maarians de la pièce en furent secoués. Songeur, Jeff dévisagea Red. Où avait-il appris cela ? Certainement dans des annales répertoriant les guerres historiques du continent. Il ne comptait plus le nombre de fois où Korgan et lui avaient parcouru les allées de la Bibliothèque Royale à la faveur de la nuit, torche en main, pour trouver Red assoupi sous une table. Oui, sous, et non sur. Cette façon de se faufiler « sous les choses » était une sale manie datant de l’enfance ! Elle reflétait bien le tempérament fourbe et sournois de son souverain.

— Il ne révèle pas tout son potentiel dans l’arène, marmonna Red pour lui-même. Il s’échine à le bâillonner, dit-il cette fois à l’intention du gladiateur.

Celui-ci fronça les sourcils. Les paroles du roi faisaient mouche. Red reprit de manière plus audible :

— De ces cinq hommes, je n’en vois que quatre. Qu’est-il arrivé au cinquième ?

— Mort, Majesté.

La réponse fut plate, et logique ; banale, dans la bouche d’un jeune homme qui avait trop côtoyé la mort avant la fleur de l’âge. Le gladiateur était de plus en plus décontenancé d’être mis à nu par ce roi étranger. La pratique à laquelle ce dernier faisait allusion n’était connue que des Appelés. Le citoyen Mô’larian moyen, le noble classique et le soldat de bas échelon, l’ignoraient. Cependant, il avait affaire à un roi ; cela ne devrait pas l’étonner outre mesure, se dit-il après réflexion.

En Mô’Lar, le roi était la réincarnation d’une divinité sur terre, assermenté du pouvoir de vous retirer votre passe-droit pour l’au-delà paradisiaque : votre nom. Peut-être que celui-ci en était aussi un.

— Alors, acceptez-vous ?

— La question se pose-t-elle vraiment ? marmonna Jeff.

— Il est né avec un libre arbitre. Je ne compte pas l’en priver, argua Red. Après le retrait de son nom, ce serait le pire des affronts. Le choix de refuser est encore sien.

À ces mots, Solomon dévisagea le guerrier avec espoir, l’air de lui demander de refuser. Il serait bien mieux traité qu’auparavant ; il serait le pacha de ces gladiateurs ! L’être humain est une entité bien surprenante…, songea Red.

— J’accepte, votre Majesté.

Le jeune homme lui sourit. Ses confrères, trop émus pour ouvrir la bouche, se contentèrent d’opiner fortement du chef. Ils avaient l’habitude que leur chef s’exprime pour eux. Red lui rendit son sourire.

— Bien. Quel est ton nom, ex-gladiateur ?

— Le nom que vous me donnerez, Majesté. Si un Rakam m’a détaché de mon identité, seul un autre Grand Rakam rétablira ce qui a été défait.

Red apprécia la solennité de la formule. Il était Le Grand Red pour son peuple – même si ce dernier ne l’avait pas encore compris –, il serait le Grand Rakam pour cet homme, qui, le moment venu, donnerait sans hésiter sa vie pour protéger la sienne. Pour ce guerrier, telle était la valeur du rachat de son âme du purgatoire.

— Tu seras Timothy, dit Red en détachant les syllabes. Comme tu me plais bien, je te donne le nom d’un ancien grand guerrier de la tribu Red. Tu seras Timothy Medley.

— Timothy Medley, répéta le jeune homme d’une voix profonde.

On aurait dit qu’il s’imprégnait de ce nouveau patronyme. Le roi comprit qu’il se passait quelque chose d’étrange. Ce n’était pas qu’un simple rituel, un simple échange où il nommait l’un de ses futurs sujets. C’était bien plus que cela. Pour ce jeune homme, ç’allait au-delà de tout ce que pouvait concevoir Red à cet instant. À en juger par les expressions des autres anciens gladiateurs, ce cérémoniel était lourd de sens. Il se tourna vers eux.

— Et vous ?

— Comme il plaira à sa Majesté, baragouina l’un d’eux, surmontant assez son émotion pour aligner des mots.

Ses compagnons acquiescèrent en silence. Les yeux de Red pétillèrent de malice, comme face à une trouvaille fort divertissante.

— Laissez-moi réfléchir. Je vous trouverai un prénom. Quant à vos noms, j’en délègue la responsabilité et le pouvoir à votre chef. Il y mettra plus de solennité que ma personne. Je crains de désacraliser ce moment par mon enthousiasme, avoua-t-il avec sincérité. Une fois fait, j’officialiserai ses choix. Il sera plus amené que moi à se servir de vos nouveaux patronymes, ne serait-ce que pour vous donner des ordres. Alors trouves-en qui impriment rapidement, dit-il, ironique. Qu’en penses-tu, Timothy ?

Le jeune chef frémit à son appellation. Red contint sa jubilation. Il avait été sacrément inspiré. Le Guerrier Mô’Lar était réputé pour sa fidélité indéfectible jusqu’à la mort. Il était curieux de savoir ce qui avait valu la condamnation de celui-ci. Mais rien ne pressait.

Son projet de mettre cet ancien détenu à la tête de sa garde personnelle n’était pas un acte irréfléchi. Il avait pu l’évaluer dans l’arène. Timothy pensait d’abord à protéger les siens, avant de se soucier de sa personne. Or pour protéger efficacement ses hommes, il se devait de rester en vie. Aussi s’était-il débarrassé des adversaires les plus insignifiants, pour se concentrer sur les plus dangereux.

— Jeune femme, tu seras Lou-Ahn, décréta Red. Ton petit nom sera Loup. Tu as ce côté lupin, évoluant en meute mais non domesticable.

— Ça me plaît… votre Majesté, ajouta-t-elle avec un large sourire.

Red lui fit un bref signe de tête, signifiant que le plaisir était partagé.

— Pour toi, ce sera Hayden, dit-il au guerrier dont le regard bridé ne l’avait plus quitté. C’est le nom de l’un des Quatre Élémentaires. Notre dieu de l’Air qui règne en maître sur les cieux. Tes attaques sont aussi fulgurantes que la foudre.

Il se tourna vers le troisième ancien détenu, à la peau noire, après qu’eut éclos le ravissement sur le visage d’Hayden.

— Enfant, j’avais un faible pour le prénom Enzo. Celui-ci te reviendra. Et pour toi…

Red se tourna vers celui qui possédait la carnation la plus blanche du quintet. Sans regarder Jeff, il lui demanda de choisir entre deux prénoms et adopta celui qui n’eut pas la préférence du Grand Conseiller. Alex.

— Quel était l’intérêt de demander mon conseil ? grommela Jeff.

— Celui de ne pas en tenir compte, opposa platement Red.

Alex dut lutter contre son hilarité. Jeff eut un soupir dépité. Tel que c’était parti, ces anciens gladiateurs risquaient de lui manquer de respect. Mais que rétorquer à cela ? Il était ardu de battre Red au jeu de la répartie.

Sans plus de palabres, il fut décrété que les cinq guerriers affranchis rentraient au service du Grand Red. Ils deviendraient son unité d’élite, sa garde rapprochée appelée Cordon Rouge.

*

Le Cordon Rouge renforça la puissante illusion des Prêtresses Vestis, et la barrière de sécurité du roi devint quasiment infranchissable. Bien vite, le tableau de sa Majesté en sortie officielle se changea en spectacle à ne pas rater, autant pour sa beauté mystérieuse et son charisme, que pour son implacabilité et la frayeur qu’il inspirait à son entourage.

Solomon Rozès vit ses efforts récompensés par une place au Sénat. Libre à lui de continuer à tenir son école de gladiateurs, et de lui redonner sa gloire en rachetant les champions de ses concurrents, fort de son nouveau statut. N’y gagnait-il pas, à la fin ? Red avait décelé son envie de notoriété ; d’être « quelqu’un » à la Cour Rell. N’était pas « n’importe qui », qui avait gracieusement offert à sa Majesté son impitoyable Cordon Rouge ! Dame Rozès fut ravie d’en narguer ses copines.

En quelques mois, le Cordon Rouge se tailla une sacrée réputation. Chacun de ses hommes en valait dix aguerris de l’armée. Le respect s’imposa de lui-même. Avec une subtilité relative, Le Grand Red plaça Timothy Medley à la tête d’une demi-légion de deux mille hommes, dont il lui confia la formation à la manière mô’lariane et des ludus. Ainsi naquit la Légion Rouge.

Un an plus tard, Timothy faisait l’unanimité en tant que Général ; de cette unanimité faisant marcher dix mille soldats comme un seul. La Légion Rouge avait quintuplé son effectif, qui n’irait qu’en grandissant.

Quid des soulèvements du peuple ? Ils étaient matés sans que le roi eût à lever le petit doigt désormais… Ce fut ainsi que Le Grand Red gagna le reste de l’armée maariane à sa cause.

TBC - part 4


POINT HISTOIRE

Royaume : Mô'Lar

Capitale : Taz'in

Monarque : Le Grand Rakam

Gigantesque royaume esclavagiste du nord, à la réputation barbare, connu pour ses nombreuses conquêtes, ses colonisations, ses magiciens et surtout ses guerriers redoutables.


Texte publié par EPICE, 5 janvier 2017 à 12h47
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