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tome 1, Chapitre 10 « Les Yeux Miroirs » tome 1, Chapitre 10

Quiconque s’y serait aventuré, qu’il serait reparti sans autre forme de procès et aurait raconté que le château n’était plus peuplé que par des spectres et des âmes en peine.

Pendant ce temps, enfermé dans une pièce sans foyer ni fenêtre, le vieux roi ruminait. Tous ces malheurs s’étaient abattus depuis que son fils s’en était revenu avec cette femme aux yeux dissemblables. Était-ce là la marque de l’Infâme ? Il n’osait y croire et plus le temps passait, plus celui-ci venait à lui donner raison. Posée sur son bureau en chêne, une dague de cristal, dont on disait qu’elle avait le pouvoir de renvoyer les démons dans leurs royaumes infernaux. Son manche était en quartz et sa lame d’acier était recouverte d’une fine pellicule de diamant qui lui assurait un tranchant parfait. Jamais il ne s’en était servie, mais ce soir ferait exception à tous les autres. Il attendait seulement que tous fussent plongés dans un sommeil profond. Ensuite, il porterait son coup. Autour de lui, il entendait les craquements des marches et des portes qui se referment ; tous prenaient leur quartier pour la nuit.

— Qu’espérez-vous ainsi, majesté ?

Le bruit d’une respiration troublait l’atmosphère de la pièce.

— Ah ! Enfin, vous vous décidez, bruissa de nouveau la voix dans la chambre du prince. Il est plus que temps. Je connais la patience, mais comme tout en ce monde, elle a ses limites. Venez ! Il y a sûrement quelque chose que je puisse faire.

De nouveau silencieuse, seul le grincement d’un verrou que l’on tournait avec précaution se faisait désormais entendre. Une forme noire s’introduisit puis s’approcha de la couche. Dans les draps, deux silhouettes étaient enlacées : un homme dont l’épaisse barbe lui mangeait les joues et une femme aux traits juvéniles, sur laquelle le temps ne semblait posséder aucune prise.

— Péris ! souffla quelqu’un tandis qu’une main s’abattait, teintant les draps d’écarlate. L’assassin s’attarda quelques instants pour contempler sa victime tandis qu’un épais brouillard se répandait derrière lui.

— Il fut dit en d’autres temps que le fléau s’emparerait de votre royaume, si vous accueilliez sous votre toit l’homme aux yeux miroirs, psalmodia une voix sépulcrale. Votre fils est parti, tentant par la même d’échapper à mon oracle… pour votre malheur, c’est lui qui le ramena avec lui.

Blême, le roi lâcha son arme au moment où surgit de la brume un être de la taille d’un jeune garçon, dont les yeux trahissaient l’âge immense. Il tenait à la main une vieille chandelle débordant de cire. Médusé, il le regarda ôter les draps, puis s’emparer de l’anneau doré passé au doigt de sa bru et le mettre à l’annulaire de l’homme étendu. Dans la pâle lueur que répandait le cierge, l’homme devint une femme et la femme devint un homme. D’un signe, l’enfant lui intima de s’approcher et le roi découvrit alors l’horrible vérité. Il n’avait pas tranché la gorge à cette femelle sortie tout droit des enfers, mais à son fils unique. Il avait cru échapper à la sombre prédiction et maintenant il lui faudrait vivre ses dernières années avec ses mains souillées du sang de son propre enfant.

-- N’y a-t-il rien que je ne puisse accomplir afin d’expier ma faute, l’implora le roi.

— Une vie pour une vie, lui répondit l’Enfant. Ensuite, il n’appartiendra qu’à votre fils de faire son choix.

Le vieillard n’arrivait pas à détacher son regard de la scène. Pourtant, la vérité était là, crue. Son fils, figure tragique, la gorge béante, baignant dans son sang ; à côté de lui, toujours endormie, celle qui n’était qu’en apparence sa belle-fille.

— Pourquoi ne s’éveille-t-elle pas ? Lui avez-vous lancé un charme ?

— Aucun, je n’ai fait que figer l’instant. J’attends votre réponse.

Le roi tient entre ses mains la tête de son fil, encore maintenue par un simple morceau de chair.

— Prenez ma vie et rendez la lui ! gronda-t-il.

— Qu’il en soit ainsi, murmura l’Enfant en plongeant sa main vers la gorge de sa victime.

Un bref instant les yeux du roi s’ouvrirent en grand, sa bouche émit un gargouillis, puis se fut tout. Le bourreau relâcha son étreinte ; au creux de sa paume dansait une minuscule flamme blanche, tandis que le corps s’effondrait sur le sol semblable à une triste poupée de chiffon. Ensuite, il s’assit sur le bord du lit, à côté du prince gisant. Du bout de l’index, il caressait le large sillon sanglant tracé par la lame de diamant. Une larme d’écarlate perla à l’extrémité de son doigt. Il porta à hauteur de son regard ; elle était de la couleur de certaines des pierres enfantées par la terre.

— Retourne d’où tu viens, chuchota-t-il en posant la phalange sur sa langue.

Il se saisit ensuite de la dague et d’un mouvement, avec son aide, il referma la plaie. Désormais possesseur de la lame assassine, il s’en ceignit.

— Une vie pour une vie, Prince Hippolyte. Tel est mon devoir, bruissa l’Enfant en même temps qu’il plongea sa main dans sa gorge, puis il s’en fut comme il était venu ; il fit quelques pas dans la brume. Saurait-il voir au-delà du miroir, comme autrefois ? L’Enfant ne le savait pas et ce n’était pas non plus sa tâche. Une dernière fois, il contempla la scène ; des larmes de cristal coulaient le long de son visage et s’écrasaient par terre avec un bruit clair, ainsi tout le monde saurait. Il hésitait et s’en fut vers la fenêtre. Dehors dans la lande gelée l’attend un animal, un cheval, la jument noire du cauchemar.

« Une vie pour une vie. » Ultime murmure d’un être qui venait de disparaître.


Texte publié par Diogene, 15 janvier 2017 à 20h29
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