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tome 1, Chapitre 9 « Les Fleurs du Doute » tome 1, Chapitre 9

Entre ses doigts, la dague vibrait, avide. Néanmoins, il se retenait. Il ne pouvait le faire, quand bien même, elle serait la prison de sa chère.

– Pourquoi en est-il ainsi ? chuchota le jeune homme.

– Telles sont les lois qui gouvernent ce monde, fut la réponse.

Le prince hésitait, tout, autour de lui, n’était qu’un jeu de reflets et de faux-semblants, de mensonges et de trahisons. En était-il de même pour celui ou celle qui lui parlait, car selon ses paroles mêmes, il n’était pas en son pouvoir de l’accompagner dans la grotte.

– Renverse ton regard, avait dit l’oracle.

– Qu’il en soit ainsi, jura-t-il en tranchant de sa lame le poitrail noir de l’animal qui répandit une traînée écarlate sur le sol mate.

Dans le miroir, son interlocuteur venait de s’effondrer, tandis qu’à ses côtés la jument arborait une tache blanche qui n’était pas là auparavant. Sa lame, toujours entre ses mains et dégouttant de sang, il la maintint quelques instants à hauteur de son visage puis frappa le miroir, la plongeant dans la marque albâtre. Tout d’abord, rien ne se passa puis, dans un fracas épouvantable, le miroir vola en éclat, révélant une forme recroquevillée au milieu des débris tranchant. Abandonnant sa dague, il se précipita auprès de celle qu’il savait être sa belle. Il tira des plis de son habit l’anneau doré, qu’il s’empressa de lui passer à l’annulaire. Il savait qu’il briserait alors le lien qui l’unissait à son frère haï.

Derrière, la jument, désormais délivrée de ses chaînes, s’approcha des deux jeunes gens.

– Ainsi, tu as changé ton regard et te défier des apparences. Maintenant que tu l’as délivrée, je vais vous ramener sur tes terres, où ton père t’attend, prince Hippolyte.

Entre ses bras, la damoiselle remuait faiblement, comme si elle émergeait d’un cauchemar sans fin.

– Oh, vous être venu…

– Ne parlez donc pas autant. Mélamine va nous aider à nous enfuir.

La jeune fille se tut et hocha la tête. Elle tenta alors de se redresser pour mieux s’échouer sur l’épaule de son héros. Ce fut avec son aide, qu’elle s’installa sur la croupe de la jument, avant qu’il n’en fasse autant.

– Accrochez-vous fermement à ma crinière ou vous risqueriez d’être séparés à jamais ? les avertit cette dernière tandis qu’elle prenait son élan.

Elle était face à la surface miroitante qui tapissait le fond de la grotte.

– Prince, pensez fermement à votre royaume. Ce portail nous transportera là-bas.

Le jeune ferma alors les yeux et se concentra sur ses souvenirs tandis qu’une image se dévoilait en reflet. Le vent siffla soudain à leurs oreilles et lorsqu’il les ouvrit, ce fut pour découvrir une plaine qui s’étendait à perte de vue sous un ciel nocturne.

– Est-ce là le royaume de votre père ? interrogea l’animal.

Pendant quelques minutes, il scruta l’horizon avant de reconnaître le donjon du château où il avait passé toute son enfance.

– Oh oui, souffla-t-il. Je reconnaîtrais nos terres entre mille, de même que la forteresse de pierre qui veille sur elles. Peux-tu nous y conduire ?

– Bien sûr. Je vous ai amené jusqu’ici, je puis vous conduire plus loin.

Le prince remercia la jument et lui flatta l’encolure. Puis elle s’élança jusqu’à arriver aux portes d’un village à la lisière d’une forêt.

– Je ne puis aller au-delà. Les gens des lieux sont superstitieux et ils voient en moi un démon.

– Cela ne fait rien, chuchota le jeune homme en même temps qu’il mettait pied à terre.

Puis il aida sa fiancée à mettre pied à terre. À pas de loup, à l’abri dans les ombres, ils marchèrent ainsi jusqu’aux portes du village. Là, ils se séparèrent, la jument reprenait la direction de la forteresse de l’homme sans visage, tandis qu’eux cherchaient une auberge où passer la nuit.

Bien des années s’étaient écoulées depuis que son fils s’était mis en quête de trouver cet homme aux yeux miroirs. Aussi, quelles ne furent sa joie et son bonheur en le voyant revenir, encore plus lorsqu’il le vit en compagnie de cette jeune jouvencelle au teint frais. Son fils lui narra alors comment il l’avait arraché aux griffes de son frère, qui n’était autre que l’homme de la prophétie. À ces mots, le roi poussa de hauts cris aussitôt apaisés par la jeune fille, quand elle lui assura que ce dernier n’aurait plus aucune emprise sur elle, non plus qu’il n’avait moyen de venir la ravir. Soulagé et rassuré, ce dernier convint qu’il était temps de célébrer les noces de son enfant et cette princesse de la nuit.

Ainsi fut dit, ainsi fut fait ; trois mois après la réapparition du Prince Hippolyte, accompagnée de la mystérieuse jeune femme, le roi fit une grande fête et tout le monde en fut heureux. Hélas, s’il se réjouissait en son âme de savoir son fils comblé de bonheur, il n’arrivait pas à chasser l’infime soupçon qui demeurait encore logé dans son cœur, après qu’il eut croisé le regard de sa bru. Néanmoins, les joies qui suivirent leur union l’ensevelirent et il n’y songea plus, d'autant plus que sans autre héritier que lui et se sachant au crépuscule de sa vie, il se désespérait de voir son royaume déchiré par des guerres fratricides. Hélas, même enfouie, la graine semée n’en germa pas moins, croissant dans les silences de son esprit. Les jours passèrent, les semaines se succédèrent sans que jamais les formes de sa belle-fille s’arrondissent, au détriment de son fils dont l’humeur s’assombrissait de jour en jour, et bientôt là où régnait l’harmonie naquirent le chaos et la folie.

Ni cris, ni vagissements, encore moins de ravissements, rien de tout cela n’habitait le château, mais l’aigreur et la rancœur, accompagnées d’une colère larvée qui s’exprimait par la tyrannie. Personne n’avait cœur à l’ouvrage et tous étaient maussades à l’exception de la princesse qui s’en délectait tandis que le roi dépérissait et le prince Hippolyte devenait l’ombre de lui-même. À la cour les conseillers s’affolaient, la vermine ravageait les champs et menaçait les récoltes ; la famine guettait. Même le ciel se mêlait à leur malheur avec les pluies diluviennes qui s’abattaient sans cesse, faisant sortir les rivières de leur lit et emportant les gens et leur maisonnée dans la foulée.

Au fond du cœur du roi, la fleur du doute était presque éclose et il n’avait nul besoin des mots et des bruits de son entourage. Il avait des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. De sa bouche, jailliraient les ordres et, de la main, il frapperait le félon. En attendant ce jour, il ferait preuve d’une extrême patience et d’effacement, afin d’assoupir le conflit qui couvait entre lui et son fils, à propos de sa jeune femme. Les mois, les saisons, passèrent, jusqu’à un hiver plus rigoureux encore que dans les souvenirs des plus anciens. L’eau des lacs et des rivières était gelée, cela eut pu faire le bonheur des plus jeunes, si le froid mordant ne les avait pas maintenues à l’intérieur des chaumières auprès des foyers brûlants. Prisonniers de cette gangue minérale, les paysages demeuraient figés, même lorsqu’ils émergeaient lors de la montée du soleil à son zénith, quand il chassait les derniers lambeaux de la brume matinale. Tout le royaume était plongé dans cette stupeur hivernale ; les arbres étaient enfermés dans des prisons de verres et les terres étaient désormais aussi dures que de la pierre. Les gens ne mouraient pas malgré la famine et le froid. Ils attendaient, rassemblés entre les murs du château, seul lieu où était encore dispensé un peu de chaleur. Derrière les enceintes, les mines étaient grises et les cœurs refroidis, tandis que se propageaient les rumeurs les plus folles et les plus lugubres à propos du couple héritier.


Texte publié par Diogene, 15 janvier 2017 à 12h24
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