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tome 2, Chapitre 24 « Le Piège » tome 2, Chapitre 24

« Quand bien même je voudrais vous le dire, je ne le pourrais pas. »

Ce n'était pas techniquement faux... songea Hadria en entendant la voix d'Ashley s'effacer progressivement, tandis qu'elle entraînait la jeune fille vers la sortie de la forêt souterraine. Plus elle s'éloignerait de la clairière, moins elles risqueraient d'être repérées. Une fois émergée des fourrés, elle remarqua que le sous-bois était très bien tenu et que la couche d'humus sous ses pieds était dénuée d'herbes folles, de broussailles, de ronces ou de cailloux, ou de tout élément traître susceptible de craquer sous ses pas ou d'entraver ses chevilles. Fort heureusement, car Mair progressait comme une somnambule, mettant tout juste un pied devant l'autre.

Hadria n'osait pas la brusquer ; la jeune fille avait l'air si fragile, qu'il semblait miraculeux qu'elle montre assez de vigueur pour marcher jusque-là. Peut-être était-ce lié au fait qu'elle se trouvait encore dans cet espace qui la protégeait et la nourrissait en même temps qu'il l'altérait... Mais que se passerait-il une fois qu'elles seraient sorties de cette enceinte ? Elle n'osait pas y penser, espérant qu'entre temps, Ashley aurait réussi à venir à bout de Ralestone et de son sbire, même si elle ne voyait pas de quelle façon il parviendrait à s'en dépêtrer. Le normaliste n'était pas libre de ses mouvements, et sa survie jusqu'à présent restait conditionnée à l'intérêt malsain que Ralestone semblait lui porter.

Une fois qu'elle aurait mené Mair en relative sécurité, elle pourrait songer à la nouvelle couche de mystère qui enveloppait son partenaire. John-Liang Ashley, une énigme même pour ses pairs... Ce qui ne la surprenait guère, mais elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une curiosité d'autant plus dévorante, qui possédait la vertu souveraine d'écarter de son esprit les pensées désagréables susceptibles d'affaiblir sa résolution.

Enfin, elle atteignit le mur, avec ses remplages gothiques et ses colonnes ouvragées, à peine esquissés dans la semi-pénombre verdâtre. Elle se demanda qui, à l'origine, avait bien pu aménager cet endroit : était-ce une fantaisie de l'actuel propriétaire des lieux, ou bien une œuvre bien plus ancienne ? Elle résista à la tentation d'y poser le bout des doigts. L'influence écrasante des courants telluriques cherchait à reprendre son empire sur son esprit ; elle devait lutter de son mieux pour l'écarter.

Mair semblait déjà s'épuiser. Hadria soutenait l'essentiel de son poids – heureusement léger. La jeune fille haletait comme un poisson hors de l'eau ; son visage délicat se creusait à vue d'œil.

« Allez, courage, lui souffla-t-elle aussi doucement que possible, nous sommes bientôt sortis de cet endroit, et plus personne ne t'y ramènera, je te le promets ! »

Mair ne répondit pas, mais s'accrocha davantage à la jeune femme, comme si elle craignait de se noyer.

« Plus que quelques mètres... Tout va bien se passer... »

Hadria s'efforçait de s'en persuader elle-même... Elle ne parvenait pas à retrouver le chemin parcouru avec Ashley ; comment pouvait-il se trouver si loin ? Avait-elle tourné au bon endroit ? Enfin, elle aperçut le départ de l'allée centrale. Avec un soupir de soulagement, elle accéléra le pas, traînant littéralement la jeune fille ; déjà, de nouveaux problèmes surgissaient dans son esprit : où se rendre, une fois qu'elle aurait tiré la malheureuse de cet emprisonnement ? Elle ne serait nulle part à l'abri, et elle ignorait où pouvaient se dénicher les deux seuls alliés qu'ils avaient dans le château.

« C'est bon, nous y sommes...

— Pas si sûr, hélas pour vous ! » déclara une voix rocailleuse qui la figea sur place.

Devant elle se trouvait la silhouette solide d'un homme. Malgré le peu de lumière, elle reconnut la barbe rousse du « docteur féerique ».

MacFarlane se dressait devant elle avec une expression fermée, même si elle pouvait presque lire un regret sincère dans son regard. Dans sa main large aux doigts épais, il tenait un pistolet certes un peu archaïque, mais tout à fait susceptible de la faire passer à l'état de spectre s'il venait à appuyer sur la détente.

« Miss Forbes, poursuivit-il d'un ton navré, j'étais persuadé que lord Ralestone avait tort de vous soupçonner et que vous ne pouviez en aucune manière être complice des agissements supposés de mister Ashley ! J'avoue ne pas comprendre votre réaction. Pourquoi ruiner un projet aussi fabuleux, des années de travail et de réflexion de la part de lord Ralestone, de Jordans et de moi-même ? »

L'homme parlait trop... sans doute n'était-il pas décidé à faire usage de son arme et cherchait-il à gagner du temps. Elle l'espérait, du moins, mais rien ne pouvait le confirmer. Hadria n'avait qu'une certitude : il ne toucherait pas à Mair... mais c'était un piètre réconfort si elle devait retrouver cette prison fantasmatique où elle était restée tant d'années enfermée !

« Mister MacFarlane, déclara-t-elle de sa voix la plus raisonnable, malgré le tremblement qui l'affectait, vous n'êtes pas un fanatique... ni un illuminé. Vous savez ce que votre mentor a infligé à de pauvres jeunes filles... Certaines même en sont mortes ! Cela ne vous touche pas ?"

— Si elles sont mortes, c'est qu'elles ne méritaient pas cette transition... »

Ses prunelles grises débordaient de nuées orageuses... La jeune femme avait entendu dire que ceux qui fréquentaient trop les Unseelies finissaient par être touchés par la folie. Était-ce le cas de MacFarlane ?

Elle s'aperçut qu'elle tenait levée sa main libre en un vain geste de défense – de l'autre bras, elle soutenait toujours Mair qui ouvrait des yeux effarés. Lentement, elle la laissa redescendre le long de son corps. Peut-être aurait-il l'occasion de se saisir de son Derringer si elle endormait la méfiance de l'Écossais. Mais aurait-elle le cran de faire feu sur lui ? Après tout, leur vie en dépendait, et elle avait déjà assommé quelqu'un. Lui mettre une balle dans la peau n'était pas si différent...

Non, tirer sur quelqu'un était en un sens... plus délibéré. C'était franchir un pas qu'elle n'était pas prête à accomplir.

À Gladius Irae, on l'avait entraînée à viser des cibles statiques. Il suffisait qu'il bouge un peu pour que la balle lui inflige une blessure fatale. Et si elle le ratait ou ne le touchait que légèrement, il serait toujours en état de s'attaquer à elle. La jeune femme décida de ne pas prendre le risque... Elle devait tenter de le raisonner.

« Vous avez dû approcher de véritables êtres féeriques, argumenta-t-elle. Ils n'ont rien à voir avec cette pauvre enfant..."

L'enfant en question n'avait que quelques années de moins qu'elle, mais elle n'était pas à ça près...

« Approcher des êtres féeriques... répéta l'Écossais d'une voix ironique. Vous ne comprenez pas... »

Il baissa la tête, confus, avant d'avouer :

« Je les étudie depuis l'enfance... Je connais tout d'eux... Je sais ce qu'ils aiment et ce qu'ils haïssent, ce qui les repousse, ce qui les attire... Je connais leurs multiples formes, qu'il s'agisse des Seelies ou des Unseelies, des êtres de l'ombre ou de ceux de la lumière... »

Il secoua la tête :

« Croyez-le ou non... Mais jamais, jamais ils n'ont daigné se montrer à moi... »

Sa voix se brisa sur ces derniers mots... et Hadria comprit qu'elle ne pourrait rien faire contre un homme frustré jusqu'à la folie, qui avait bâti toute sa carrière sur un mensonge. Faisait mine de redresser un peu la jeune Mair qui s'affaissait contre elle, elle attrapa le Derringer glissé dans la ceinture de sa jupe, sous le pan de sa veste. Peut-être pouvait-elle jouer le tout pour le tout, viser dans le vide pour détourner son attention et en profiter pour se jeter sur lui... s'il ne tirait pas le premier ! Non, c'était bien trop dangereux... Même s'il ne pouvait prendre le risque de blesser Mair, leur précieuse reine des fées, il se trouvait trop prêt pour hésiter sur sa cible...

Elle éloigna sa main du petit pistolet, choisissant d'attendre un moment le plus approprié pour agir, quand MacFarlane baisserait sa garde.

« Pourtant, vous avez bien écrit des sommes sur la question !

— Je me suis servi des connaissances des autres, avoua-t-il d'une voix tremblante. À force de les écouter, j'avais le sentiment de les connaître moi-même... Mais cette illusion ne pouvait durer à l'infini. Et je me suis trouvé soudain dénué de toute passion, de toute intention... Je ne trouvais plus de sens à ma vie. Mais lord Ralestone m'a aidé ! Il m'a redonné une raison d'exister !

— Et vous pensez qu'un... simulacre de créature magique pourrait vous rendre cette flamme ? demanda-t-elle d'un ton incrédule. Regardez-la, mister MacFarlane... C'est une enfant que l'on a torturée... Il n'y a rien de magique en elle. Comment pouvez-vous cautionner sa souffrance ?"

Elle pouvait voir dans son regard hanté qu'elle touchait juste, mais sans doute avait-elle eu tort d'éveiller ses doutes. C'était comme remuer un fer rouge dans une plaie ouverte...

Il affermit sa prise sur son arme :

« Taisez-vous ! Vous ne pouvez pas comprendre la portée de ce projet ! Ce sont les origines mêmes du peuple féerique que nous allons explorer ! Dès que la reine sera complète, sa nature la rattrapera ! »

Hadria entendit la jeune fille gémir à côté d'elle. La situation lui semblait tellement absurde, qu'elle ne pouvait imaginer que MacFarlane puisse croire en ses propres divagations. Elle comprenait mieux la mégalomanie de Ralestone et le désir de Jordans de prouver ses théories. Mais les raisons de ces monstres importaient peu : elle ne voyait toujours pas de moyen de leur soustraire Mair – ni de se sauver elle-même par la même occasion.

La jeune femme sentit sa bouche s'assécher. Tous ses espoirs de fuir s'étaient envolés, sauf si Ashley parvenait à se débarrasser de Ralestone et de son sbire. Mais pour l'instant, il devait être surtout occupé à leur faire gagner du temps. Le seigneur des lieux semblait adorer s'écouter parler, et son partenaire l'avait bien compris. Mais cela ne servait plus à grand-chose...

Il devait bien exister un moyen de se sortir de ce guêpier !


Texte publié par Beatrix, 6 mai 2018 à 09h09
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