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tome 2, Chapitre 8 « Mythes et merveilles » tome 2, Chapitre 8

Hadria écouta attentivement ces révélations : voilà qui faisait de d’Harmont un personnage bien plus captivant que s’il avait été un énième médium ou autre érudit mystique.

« Vous voulez dire qu’il est en quelque sorte… un encyclopédiste du paranormal ? »

By pencha la tête sur le côté et prit une expression rêveuse, avant de déclarer :

« Eh bien… On peut le concevoir comme cela, en effet. Vous comprenez mieux pourquoi les charlatans et les personnalités du monde ésotérique en perte de popularité le craignent plus encore que Standish ? Sans doute redoutent-ils que notre ami français ne les présente à la postérité sous leur jour véritable… »

La jeune femme sentit une certaine nervosité s’emparer d’elle : elle espéra que d’Harmont n’aurait pas l’idée de les inclure, Ashley et elle, dans son œuvre de recensement. Elle doutait que la fondation Spiritus Mundi apprécie une telle exposition. D'un autre côté, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la curiosité : comment les présenterait-il, si c'était le cas ? Il semblait avoir plutôt une bonne opinion d’eux deux… mais il n'en allait sans doute pas de même pour tout le monde.

« Voilà qui explique pourquoi lord Ralestone cherche à se mettre dans ses bonnes grâces… n’est-ce pas ? Il veille sur son image future ?

— N’est-ce pas le cas de tous les hommes ? rétorqua By avec un sourire sardonique. Personne ne semble apprécier à sa juste valeur mon désir personnel d’être considéré, de toute éternité, comme un insupportable butor. »

Malgré elle, Hadria ne put s’empêcher de sourire. La demeure paraissait soudain bien vide en ce milieu d’après-midi : chacun devait vaquer à ses occupations – et la jeune femme n’était pas sûre de vouloir savoir lesquelles. Elle devait trouver un moyen de retrouver discrètement Ashley et de discuter avec lui de leurs premières impressions. En attendant, elle pouvait mettre à profit cette entrevue avec By… Au moins pour élargir sa culture, si besoin était.

« Eh bien, je vois que je ne fais pas fuir tout le monde, remarqua-t-il avec une légère satisfaction.

— Absolument pas, mister By. Cela dit, ajouta-t-elle avec un sourire, il me plairait de vous entendre un peu parler de votre sujet de prédilection… Vous êtes spécialisé dans les mythes et leurs origines, n’est-ce pas ? »

Les yeux sombres et étroits s’élargirent sous l'effet d'un légitime étonnement :

« Eh bien… Mis à part votre collègue, vous êtes la seule personne qui semble intéressée par autre chose que mes brillantes qualités sociales. Je ne sais si je dois être troublé… ou charmé. »

Il se laissa tomber dans le fauteuil en face du sien, une jambe négligemment jetée par-dessus l’autre, un bras appuyé sur l’accoudoir :

« Que savez-vous des mythes ? »

Hadra secoua légèrement la tête :

« Ce que tout le monde croit savoir, je pense. J’associe généralement ce terme à l'étude des humanités (1). Mais en tant qu’Américaine, je dois avouer que j’ai parfois l’impression que cette notion m’échappe… Qu’elle est plus l’apanage des mondes anciens, comme l’Europe… ou l’Asie. »

By rit doucement :

« Je vois ce que vous voulez dire. Et cependant, vous être dans l’erreur – même si elle est bien compréhensible. Les mythes n’ont pas forcément d’âge. Ils ne se définissent pas seulement par leur ancienneté… »

Son regard se fit rêveur, bien plus doux :

« Un mythe n’est pas qu’un vieux récit lointain et improbable ni une fantaisie destinée à expliquer un début insondable. Il n’est pas non plus qu'une allégorie symbolique qui retraduit une réalité austère et sans relief avec les yeux de la naïveté primitive… Un mythe est un fait, un être, une occurrence qui voyage dans notre esprit et sur le bout de nos langues, qui grandit dans notre mémoire et dans notre imaginaire, change de forme au gré de nos perceptions et parfois de nos besoins… »

Il éclata de rire :

« Qui sait si vous, ou moi, nous ne deviendrons pas des mythes à notre façon ? Ou encore, mister Ashley, avec son cerveau brillant et son silence infini ? »

Le réflexe d’Hadria fut de rire à cette éventualité, mais une image s’imposa à elle… Pas celle d’Ashley, élevé au rang de vague légende du monde ésotérique. Mais une figure plus trouble, plus inquiétante… Celle de la sorcière chinoise Hon Li Ming (2), qu’elle n’avait entrevue qu’à travers les yeux d’une autre, par l’intermédiaire de ses dons. Admirable et maléfique tout à la fois, auréolée de mystère… un mystère d’autant plus impénétrable qu'il semblait en connexion avec le passé d’Ashley. De fait, toute tentative d’en apprendre plus pourrait être perçue comme en une atteinte à la vie privée de son partenaire.

Elle poussa un léger soupir et s’efforça de chasser ces pensées de son esprit. Après tout, nul ne savait où se trouvait Hong Li Ming, ni si elle était encore vivante, quelque part… Personne d’ailleurs ne semblait s'en inquiéter.

« Tout va bien ? Vous me semblez troublée tout à coup. J’en déduis que devenir un mythe ne vous enchante guère… »

Elle se força à sourire au mythologue :

« Je laisse volontiers cette ambition à d’autres.

— Vous êtes fort sage malgré votre âge, déclara By, le regard pétillant. Tout comme me paraît l’être votre collègue. N’est-il pas étrange et au-delà de tous les lieux communs habituellement colportés que les deux personnes les plus sensées sur ces lieux – hormis notre ami d'Harmont – soient aussi les deux plus jeunes ? »

Il haussa les épaules :

« Mais sans doute notre culture a-t-elle trop tendance à lier l’intelligence et l’âge. Un jeune imbécile deviendra un vieil imbécile, même quand ses cheveux seront blancs et que sa barbe atteindra ses genoux.

— Vous ne vous jugez pas sage vous-même ? s’étonna-t-elle.

— Certes non. Cynique, très certainement. Mais sage… J’en doute. J’ai malgré tout au moins une qualité, qui n’est certes pas évidente au premier regard : la prudence. »

Hadria se pencha en avant, interloquée par cette remarque :

« Trouvez-vous donc les autres invités de cette réunion… imprudents ? »

Il se leva, dépliant sa maigre carcasse comme les baleines d’un parapluie :

« Miss Forbes, croyez-en mon expérience, les mythes sont peut-être passionnants, mais leur relation avec la réalité est bien trop ténue pour que l’on puisse impunément vivre en leur cœur… et les substituer à la réalité. »

Avec un rapide sourire, il la salua et s’éclipsa.

Hadria se leva à son tour et jeta un regard par la fenêtre : au-delà du parc se trouvait la lande… sillonnée des courants invisibles. Elle se demanda s’il serait opportun de laisser tomber ses défenses. Sans savoir exactement ce que ces réseaux d’énergie magique pouvaient charrier, depuis des millénaires. La jeune psychosensitive frémit à cette pensée…

Sans doute fallait-il commencer par le plus simple. Tenter d’y voir plus clair dans l’enchevêtrement des émotions, dans la superposition de non-dits et de secrets qui régnaient chez les invités de Ralestone. Bien qu’impliqués dans le milieu du surnaturel, la plupart d’entre eux ne devaient pas considérer son don à sa juste valeur – à part Standish. Qui, paradoxalement, était le démystificateur parmi eux.

Elle choisit de laisser son livre posé sur le guéridon, afin de n’avoir entre les mains aucun objet parasite, et alla s’asseoir dans le fauteuil de By. La chaleur de son corps y était toujours perceptible, constata-t-elle avec un peu de gêne. Elle ferma les yeux… se concentrant sur les pensées les plus récentes et les plus immédiates.

Quel repas détestable… J’en ai encore des aigreurs… Et cette petite est charmante très différente de ce tableau trop fardé de Konstantine cela donne envie de découvrir l’Amérique… Que fait-elle dans ce guêpier je me demande si elle a suivi Ashley… Ils se connaissent mieux qu’elle ne le dit et ce gaillard est si froid, sait-il comment elle le regarde et peut-être ne réalise-t-elle pas elle-même pas c’est plutôt amusant…

Elle poussa un léger cri et se releva d’un bond du fauteuil, les joues brûlantes. Mais où By avait-il été chercher tout cela ? Elle se sentait furieuse après lui… mais aussi après elle-même. Pour faire bonne mesure, elle ajouta Ashley dans le lot des coupables.

La jeune femme fila en trombe vers l'entrée du manoir, l’esprit hanté de pensées chaotiques. Elle saisit la poignée de la porte avant de réaliser qu’elle n’avait pas fait le nécessaire pour rétablir ses défenses… Une déferlante d'émotions étrangères l’emporta avec une terrible violence.


(1) Terme qui par le passé, désignait l’étude des langues et de la littérature anciennes, c’est-à-dire essentiellement le latin et le grec.

(2) Voir Spiritus Mundi - La Larve dorée.


Texte publié par Beatrix, 18 février 2017 à 11h06
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