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tome 1, Chapitre 8 « L'Elixir » tome 1, Chapitre 8

Hadria regarda avec méfiance le contenu du flacon… Après avoir proclamé sa confiance dans Ashley, il était sans doute mal venu de le soupçonner d’une manœuvre malveillante. Elle pouvait toujours employer son don pour déterminer les intentions de son compagnon, mais cette attitude lui semblait par trop sournoise.

Finalement, devant sa confusion manifeste, l’intéressé lui adressa un sourire d’excuse :

« Je suis navré. Je comprends votre réticence. J’aurais dû vous expliquer d’emblée de quoi il s’agissait. Vous auriez sans doute aimé la surprise, mais je préfère recueillir votre consentement. Vous souvenez-vous de notre mission en Cornouailles ? »

Hadria grimaça légèrement en se remémorant ce qu'ils avaient traversé ; elle avait découvert à cette occasion un monde ignoré… et les excès que pouvait engendrer la folie sordide de certains hommes.

« Vous n'avez pas oublié la liqueur que cette vieille femme, au village, vous a donné à boire ? »

La jeune femme acquiesça. Elle en sentait encore le goût sur sa langue : puissant, aromatique, légèrement alcoolisé. « Le nectar des fées »… C'était ainsi que l'avait nommé cette sorcière qui avait pris soin d’eux. Il avait restauré les forces épuisées d’Ashley et offert à Hadria la possibilité de distinguer les membres du peuple magique qui s’étaient montrés ce soir-là dans le village. Ce qu'elle avait vécu l'avait bouleversée, autant pour parce qu'elle avait pu découvrir ce pan voilé de la réalité, que parce qu'elle avait pu mieux comprendre comment son partenaire percevait le monde.

Avec précautions, elle déboucha le petit flacon et le porta à ses narines ; l’odeur était restée ancrée dans sa mémoire ; il n'y avait aucun doute possible. La jeune femme gardait un souvenir étrange et onirique de cette expérience, mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un peu de nervosité à l’idée de s’y soumettre de nouveau.

« Il s’agit d’une version un peu plus diluée, précisa Ashley. Comme je l’ai mentionné il y a quelque temps, lors de la nuit du solstice, les mondes sont plus proches les uns des autres et la couche d’illusion est donc bien plus fine. Je pense que même sans cette substance, vous pourriez sans doute discerner une partie de ces présences… Mais je ne peux en être totalement sûr… »

Hadria releva les yeux vers son partenaire, notant sa gêne ; elle lui offrit un large sourire :

« N’ayez pas d’inquiétude, j’ai parfaitement compris vos intentions. »

Elle hésita un moment en constatant que ce qu’elle considérait comme un discours rassurant ne faisait qu’accentuer la nervosité du normaliste.

« Ce que je veux dire, rectifia-t-elle tant bien que mal, c’est que vous souhaitez ardemment que je puisse partager pleinement cette expérience. Vous vouliez m'en faire la surprise, avant de vous apercevoir que mon consentement était nécessaire. »

Il poussa un léger soupir :

« Je crains de m’être montré terriblement maladroit. Veuillez m’en excuser. »

Sa mine confuse avait quelque chose de touchant ; machinalement, Hadria lui prit la main, sentant la crispation nerveuse des doigts minces et déliés entre les siens, même à travers ses gants épais.

« Il n'y a aucun mal, l’assura-t-elle d’une voix douce, et je regrette d’être incapable de me fier à vous, alors que j’ai accepté le même breuvage, sans poser de questions, de la part d’une vieille folle au fin fond des Cornouailles. »

La jeune femme porta le flacon à ses lèvres, sentant le verre glacé brûler sa peau ; le liquide coula tel un trait de feu. Elle dut se retenir de tousser ; les yeux pleins de larmes, elle lança un regard de reproche à son compagnon :

« Vous m’aviez dit qu’il était dilué ! hoqueta-t-elle péniblement.

— Mais c’est le cas. Le principe actif a été allongé d’eau de vie… afin de le préserver au mieux.

— Vous auriez tout aussi bien pu me saouler directement, l'effet aurait été le même ! protesta-t-elle vertement.

— Cela peut aussi fonctionner, remarqua Ashley. Cependant, les observations tendant à être moins précises en raison des hallucinations parasites… »

Hadria le regarda fixement, sans savoir si elle devait rire ou pleurer. Elle choisit la première option. Ashley l’observait avec un mélange d’inquiétude et de soulagement qu’elle trouva adorable.

« N’ayez crainte, déclara-t-elle d'un ton rassurant, tout va bien. Il va juste me falloir un peu de temps… »

La jeune femme se rencogna sur la dure banquette de bois, regrettant de ne pas avoir apporté quelques coussins. Elle devait admettre que le paysage devant elle était tout bonnement féérique. La neige tombait toujours en fines paillettes, que la lueur de la lanterne rendait incandescentes. Il régnait une paix profonde, à peine troublée par le craquement des branches et le doux crissement des flocons.

« Nos ancêtres vénéraient les arbres, murmura Ashley. Le sapin, la bûche de Noël, les couronnes de rameaux… Tout le rappelle dans nos célébrations. »

Hadria contempla les silhouettes majestueuses qui les entouraient et songea que ce n’était pas si surprenant. Ces lointains ancêtres devaient se sentir petits, faibles et éphémères à côté de ces forces de la nature qui semblaient soutenir la voûte du ciel et protégeaient la vie abondante des sous-bois. Il existait des forêts tout aussi splendides dans le Minnesota, mais les forêts britanniques avaient quelque chose de… différent. De mystérieux et de vénérable…

De véritablement… féerique.

Petit à petit, elle sentait son corps se détendre ; même le froid semblait s’éloigner. Elle s’en inquiéta brièvement : et si elle s’endormait et gelait sur place ? Elle lança un regard vers Ashley, très droit et alerte. Il ne la laisserait pas plonger dans un coma hypothermique !

Un mouvement attira son attention, parmi les racines de l’arbre, du côté des offrandes. De petites formes sombres filaient çà et là, à la frontière de sa vision. Parfois, quelques-unes s’enhardissaient à approcher, pour rebrousser chemin presque aussitôt. L’une d’elles avança courageusement dans la lumière de la lanterne.

Un écureuil ?

Ashley se pencha vers elle, pour lui souffler à l’oreille :

« Laissez-vous aller. Le breuvage va bientôt prendre effet, vous devez l’aider à ouvrir vos perceptions. Regardez bien, les choses ne sont sans doute pas ce qu’elles semblent être ! »

La jeune Américaine se pencha légèrement en avant, oubliant presque de respirer dans ses efforts pour discerner ce qui fourragerait dans les noisettes…

Progressivement, sa vue s'adapta, lui offrant de contours plus nets ; une étrange luminescence lui permettait de distinguer les moindres détails de la scène.

Une autre créature se joignit à la première, puis une troisième…

Hadria réalisa qu’il s’agissait de tout petits hommes à la crinière ébouriffée, vêtus de feuilles et de lambeaux de fourrures. Dans leur visage rabougri, leurs yeux noirs et luisaient ressemblaient à ceux d’une souris. Ils se tournaient parfois vers les deux humains, les étudiants du regard pour déterminer s’ils présentaient un danger, comme un moineau en train de picorer.

La jeune femme osait à peine respirer. Elle observait le spectacle, figée d’étonnement. Des dizaines de questions traversaient son esprit, mais elle ne pouvait les formuler, de crainte de faire fuir leurs visiteurs et de briser cet instant magique.

Quelque chose lui disait que ce n’était que le début…


Texte publié par Beatrix, 16 août 2017 à 23h04
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