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tome 2, Chapitre 22 « Un nouveau mystère – Deuxième partie » tome 2, Chapitre 22

Quand Aurean rouvrit les yeux, il était allongé sur le banc, un sac sous sa tête et une couverture drapée sur lui. Estrella, agenouillée à côté de lui, tenait sa main entre les siennes. Derrière elle, Francis le fixait d’un regard préoccupé. Rufus et Azura affichaient une expression profondément perplexe. Le garçon comprenait leur réaction : depuis quand un Gardien de Lucid se laissait-il affecter par une crise de panique ?

« Comment te sens-tu ? » lui demanda le père d’Estrella.

Il se souleva sur un coude, les sourcils froncés. Les frissons et les nausées avaient disparu, mais ses idées demeuraient confuses. Il éprouvait une telle faiblesse dans ses membres qu’il doutait de pouvoir se lever, encore moins de rentrer au chalet.

« Mieux, répondit-il prudemment, honteux de sa sensibilité exacerbée.

— Reste couché pour l'instant. Tu as été secoué. »

C’était peu de le dire. Il décida de suivre l’avis de Francis et referma les paupières. Cette fois, il n’eut pas besoin de l’aide d’Estrella pour plonger dans un sommeil réparateur, mais sa simple présence auprès de lui le rassurait et rendait au monde un peu de normalité.

Quand Aurean rouvrit les yeux, l’incident dans le temple ne lui semblait plus qu’un mauvais souvenir. Il se sentait bien plus frais et reposé. Le banc de pierre n’était pas des plus confortables, mais il lui suffit de s’étirer pour dissiper la raideur de ses membres. Le soleil entamait sa courbe descendante ; il devait être midi passé. Les rayons le baignaient de leur chaude lueur, stimulant son énergie.

Comme il pouvait s’y attendre, Estrella fut la première à s’apercevoir de son réveil ; elle se précipita vers lui avec une expression préoccupée.

« Enfin ! Je commençais à m’inquiéter ! Tu te sens mieux ? »

Le Gardien esquissa une petite grimace :

« Beaucoup mieux, pas la peine de t’en faire ! Je suis navré, ajouta-t-il d’un ton gêné. Je me suis vraiment donné en spectacle et… aïe ! »

Son attache venait de lui asséner une petite tape sur la tête :

« Arrête de dire des bêtises ! Tu n’es quand même pas responsable de tes problèmes !

— Je ne sais pas ce qui m’a pris !

— Ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre. Tu espérais trouver ici des réponses, mais tu repars avec encore plus de questions ! Il y a de quoi être chamboulé ! »

Aurean aurait voulu voir la situation avec la même clarté, mais il n’y parvenait pas.

Francis s’avança à son tour, pour l'aider à s’asseoir.

« Je suis navré, Aurean. Si j’avais su que les choses allaient tourner de cette façon, jamais je ne t’aurais proposé cette excursion !

— C’est moi qui suis désolé. J’ai gâché la journée de tout le monde, répondit Aurean avec tristesse.

— Ne crois pas cela. Les autres se sont inquiétés pour toi, mais une fois qu’ils ont compris que tu ne courais aucun danger et que tu devais surtout te reposer, ils ont décidé de profiter de cette pause prolongée ! »

Aurean aperçut ses camarades assis en rond, en train d’engloutir un robuste repas de pain, de fromage et de viande fumée, accompagné de quelques fruits. Ils semblaient plongés dans une discussion animée. Plus loin, installés sur les bancs de pierre de l’autre côté de la porte du temple, dame Ledelian et maître Bertlan parlaient plus gravement avec Rufus et Azura.

« Tu n'es pas trop déçu, au moins ? glissa Estrella avec un petit sourire.

— Oh, ça va ! rétorqua le Gardien. J’espère que tu as pu en profiter un peu aussi, ajouta-t-il plus doucement. J’ai déjà gâché le bal en ton honneur, il ne faudrait pas que j’en fasse autant avec tes vacances ! »

La jeune fille haussa les épaules :

« Il en faut bien plus que ça ! Par contre… »

Elle se pencha vers lui et déclara plus sévèrement :

« Il faudrait que tu cesses une bonne fois pour toutes de prétendre que tout va bien quand ce n’est pas le cas ! Tu n’as que des amis ici. Les d’Arral ne sont plus là pour exploiter tes faiblesses. »

Francis fronça les sourcils, soudain suspicieux :

« De quoi parles-tu, Estrella ? Il y a un problème avec Aurean - à part ce qui vient de se passer, bien entendu ! », ajouta-t-il en scrutant le visage du garçon, comme s’il s’attendait à y lire des réponses.

Le Gardien d’or serra les dents, inquiet de voir ses secrets exposés. Il prit une profonde inspiration avant de détourner la conversation vers un sujet plus sûr :

« Estrella, nous avons d’autres soucis que mes états d’âme ! Ces attaques de mages, tu les as oubliées ? Et la situation reste délicate à Lucid, même si je ne peux en dire plus ! »

Francis demeura silencieux, mais le regard perçant de ses prunelles grises allait de sa fille au Gardien.

« Bien, déclara-t-il enfin. Je vais partir du principe que vous savez ce que vous faites, mais si je vois de nouveau Aurean dans cet état, je prends les choses en main ! »

Il s’éloigna, sans leur donner la chance de répondre. Avec un long soupir, le garçon passa la main dans ses mèches en désordre. En relevant les yeux, il aperçut Eymeri qui regardait avec un mélange d’amusement et de soulagement :

« Eh bien… Je ne savais pas que tu avais un tel amour pour la sieste ! »

Heureux de la diversion que son ami lui offrait, Aurean lui répondit par une petite grimace :

« J’espère que tu n’iras pas raconter cela à tout le monde…

— Moi, non. Mais Kaeli et Yllias, très certainement ! »

Le Gardien lança un regard vers le garçon aux yeux verts, qui discutait avec la petite blonde. Maintenant qu’il y songeait, il les voyait souvent ensemble ces derniers temps… Il savait que Kaeli s’était intéressé à lui avant de découvrir sa véritable nature, mais depuis la première apparition du Prétorien et la révélation de ses origines, elle montrait envers lui une attitude purement amicale. Yllias avait tenté de se rapprocher d’Estrella, mais les événements l’avaient conduite à prendre des distances avec lui. Est-ce que leur déception commune les avait portés à se comprendre et s’apprécier ?

« Yllias, s’écria Kaeli, Eymeri vient de dire que tu es une pipelette ! »

Le mage de l’École verte se redressa, piqué au vif ; son regard chercha et trouva son rival de toujours, qui leva les deux mains dans un geste d’apaisement.

« Voyons, tu interprètes !

— Pas du tout, je te connais trop bien !

— J’ai juste dit que vous risquiez d’ébruiter le goût pour la sieste d’Aurean !

— La confiance règne ! » s’indigna Kaeli en croisant les bras.

Francis s’approcha, le visage grave ; cette seule vision suffit aux trois jeunes gens pour se calmer.

« Nous n’allons pas tarder à repartir. Aurean, est-ce que tu te sens assez fort pour faire le chemin ? »

Le garçon opina, en espérant qu’il ne présumait pas trop de ses forces. Avec un sourire, Eymeri lui tendit la main pour l’aider à se mettre sur ses pieds. Une fois debout, il esquissa quelques pas ; ses jambes tremblaient un peu, mais cette faiblesse se dissiperait sans doute pendant leur trajet vers le chalet.

« Cela devrait aller… merci ! »

Il regarda autour de lui, cherchant Estrella ; il finit par la repérer, en train de discuter avec dame Ledelian. Il se demanda de quoi elle pouvait bien parler avec la préceptrice de l’École bleue. Il espéra que sa crise n’avait pas trop effrayé ses amis. Il avait lui-même du mal à se l’expliquer. En tout cas, une petite partie du mystère était levé : la femme dont le portrait figurait dans sa demeure de Lucid semblait être Valeria, la sœur de Morregan. Avait-elle été son attache, dans un passé lointain ?

Il se rappela alors la règle selon laquelle les mages ne se liaient jamais à un gardien d’un sexe différent du sien. Sa situation avec Estrella avait causé trop de remous pour qu’il puisse l'oublier !

Dans les faits, la possibilité avait toujours existé. Peut-être qu’à cette époque révolue, ce principe n'était pas encore observé. Dans ce cas, pourquoi avait-il été imposé ?

Tous ces secrets commençaient à devenir frustrants. Malgré tout le respect qu’il éprouvait envers elle, Lucida devrait répondre à ses questions !

***

Au retour du temple, le chemin descendait tout du long, au grand soulagement d’Aurean qui pouvait se contenter de mettre un pied devant l’autre. En temps normal, Francis aurait imposé un rythme plus intense, mais de toute évidence, il s’efforçait de le ménager. Estrella et Eymeri l’encadraient, attentifs au moindre signe de défaillance.

Le garçon blond ne pouvait réprimer un sentiment de honte.

« Je suis vraiment un Gardien au rabais, laissa-t-il échapper.

— Pourquoi dis-tu cela ? lui demanda Estrella, perplexe.

— Je n'arrête pas de m’effondrer pour un oui ou pour une non…

— D'où sors-tu que c’est pour un oui ou un non ? rétorqua son attache. Même si tu ne te le rappelles pas, tu as dû vivre quelque chose de particulièrement traumatisant et cette visite en a réveillé le souvenir ! »

Aurean reconnut le bien-fondé de sa réflexion. Malgré tout, il ne se dédouanait pas pour autant de cette faiblesse qui persistait à l’affecter.

« J’en ai assez de n’être qu’une victime, murmura-t-il afin que seuls ses amis puissent l’entendre. Je dépends toujours de la protection des autres… Ça devient embarrassant ! »

Estrella leva les yeux au ciel :

« Rappelle-moi un peu qui m’a défendue dans la ruelle où Mikaïl d’Arral m’avait piégée ? Et qui m’a sauvée du Prétorien sur la terrasse ? Qui nous a finalement délivré de ce monstre, au péril de son existence ?

— Il n’y avait que des ombres mineures dans la ruelle… et pour le Prétorien, je ne l’ai pas vaincu seul ! Quant à l’affaire de la terrasse, tout ceci ne serait pas arrivé sans mes maudits états d’âme…

— Et sans les miens non plus, murmura Estrella avec un soupçon d’amertume.

— Il est hors de question que tu te sentes coupable ! répliqua vivement le Lucidien. La situation n’était pas facile pour toi !

— Ni pour toi, mais j’ai mis trop de temps à m’en rendre compte et…

— Eh, ça suffit, vous deux ! les coupa Eymeri, mi-amusé, mi-excédé. Vous devriez vous entendre, on croirait un vieux couple ! »

Les deux jeunes gens lui lancèrent un coup d'oeil surpris, avant de se détourner avec confusion. Pendant les minutes qui suivirent, ils regardèrent avec une attention remarquable où ils mettaient les pieds. D’abord empreint de gêne, le silence se fit confortable. Ils avaient atteint la zone forestière ; les arbres bruissaient tout autour d’eux. Le doux frémissement des feuillages dans le vent se mêlait au chant d’une dizaine d’oiseaux différents, aux craquements des branches et des écorces, aux crissements des pierres qui roulaient sous leurs pas… La nature n’était jamais muette, mais elle leur offrait des sons apaisants, presque hypnotiques. Pendant un long moment, les randonneurs avancèrent sans prononcer une parole, s’effaçant sous la tranquille insistance de la vie immuable qui les entourait. Cinq cents ans plus tôt, sous le roi-tyran, les mêmes arbres ombrageaient le chemin, les mêmes rumeurs accompagnaient les pèlerins. Le soleil automnal effleurait de ses doigts dorés les rochers et les feuilles embrasées, encore plus clair et cristallin que la lumière de Lucid. Aurean se demanda s’il avait emprunté cette route par le passé, où s’il l’avait survolée sous sa forme ailée.

Aurean apercevait parfois, au bord du sentier ou dans des anfractuosités de la pierre, des plantes qui auraient pu compléter son herbier, mais il les trouvait bien plus belles dans leur milieu naturel. Il regretta un instant de ne pas disposer d’un moyen de préserver leur seule image sans les abîmer. En mêlant la magie de l’Esprit à celle de la Création, il devait être possible de fixer sur une toile ce que l’on pouvait voir… Il se promit d’en parler aux précepteurs des écoles respectives. L’autre alternative, bien sûr, impliquait de se promener avec un bloc et un crayon. Du peu qu’il se rappelait, il n’avait jamais tenté de dessiner… Cela valait la peine d’essayer ! Après tout, il s’était révélé assez habile de ses mains, mais rien ne prouvait qu’il possédait une fibre artistique...

De la pointe du couteau, il effectua un premier tracé. Les motifs, sinueux comme de délicates tiges de fleurs grimpantes, s’inscrivirent sur l'écorce. Il faudrait ensuite les tailler avec soin. Dans la vie nomade qui était la sienne à présent, les moments passés à sculpter constituaient un répit bienvenu, un instant de calme ou il pouvait oublier les fardeaux qui pesaient sur ses épaules.

À la lueur du feu, il examina le bâton, admirant sa souple robustesse ; il n’en trouverait pas de plus adapté. Au prochain village, il chercherait un forgeron pour en ferrer les extrémités. Enthousiasmé par cette idée, il se leva et commença à le faire tourner autour de lui par des mouvements fuides, testant son équilibre… Non, il n’irait pas voir n’importe quel artisan local ! Il attendrait de dénicher la bonne personne pour le transformer en une arme parfaite, aussi belle qu’efficace !

« Fais attention ! »

Aurean sentit les bras d’Eymeri le retenir ; il comprit qu’il venait de buter sur une racine.

« Je suis désolée, bafouilla-t-il.

— Tu avais l’air absent… remarqua Estrella. C’est encore l’un de ces souvenirs qui te taraudent ? »

Aurean soupira avant d’acquiescer. La colonne ralentit, puis s’immobilisa. À sa tête, Francis se retourna vers eux :

« Est-ce que tout va bien ?

— Oui, Aurean est juste un peu fatigué, répondit le garçon roux.

— Est-ce que tu veux faire une pause, Aurean ?

— Non, je… Ça devrait aller, bafouilla-t-il, embarrassé.

— Bien. De toute façon, j’avais prévu une arrêt dans une demi-heure. Tu tiendras jusque là ?

— Sans problème ! » répondit le garçon blond avec un sourire forcé. »

Francis semblait peu convaincu, mais il ne fit aucun commentaire.

Aurean décida de focaliser son attention sur le chemin, pour empêcher son esprit de vagabonder vers ce passé qui ne lui revenait que par bribes. Pour une fois, le souvenir impromptu s’était révélé utile, en confirmant sa maîtrise dans le maniement du bâton. Il pouvait, quand il le désirait, conjurer un bâton de lumière, autant sous sa forme humaine que sous sa forme lucidienne. Malgré tout, il songeait à se doter d’une arme plus « matérielle », avec laquelle il pourrait s’exercer sans rien trahir de sa nature et de son identité. L’idée de la sculpter lui-même le tentait beaucoup. Il pourrait vérifier s’il possédait le même talent que dans son rêve pour tracer des motifs complexes et délicats.

Le Lucidien constata que ses forces lui revenaient peu à peu. Les regards que lui lançaient ses compagnons s’espacèrent, à son grand soulagement. Quand, enfin, les randonneurs parvinrent au cirque rocheux qui les avait accueillis à l’allée, Aurean s'assit sur le sol moelleux avec un petit soupir de contentement. Même si le chemin descendait tout du long, le retour semblait interminable et le soleil baissait à vue d’œil à l’horizon. Il se demanda s’ils atteindraient le chalet avant la nuit.

Il s’attendait à ce que’Estrella et Eymeri viennent s’installer à côté de lui, mais les « adultes » en avaient décidé autrement. Dame Ledelian, maître Bertlam et leurs Gardiens, ainsi que Francis d’Outremont, vinrent l’entourer après avoir éloigné ses amis d’un regard significatif. Il avait l’impression de se trouver sous les yeux d’un groupe de collectionneurs qui l’examinaient comme un papillon épinglé dans un cadre.

« Aurean, commença gravement la préceptrice de l’école bleue, nous avons parlé de toi durant le trajet. »

Le Gardien d’Or se tourna vers Rufus, espérant qu’il n’avait pas trahi son secret ; le Gardien Rouge secoua négativement la tête, pour lui indiquer qu’il y était pour rien.

« Je crois, déclara Azura d’un ton blessé, qu’il est plus que temps que tu te montres plus franc envers nous. »

Le garçon plongea son visage entre ses mains. Il était cerné, et même s’il savait que ses interlocuteurs éprouvaient de la bienveillance à son égard, il se sentait très mal à l’aise. Il aurait aimé pouvoir leur parler de ses problèmes, comme à Eymeri, Estrella et Rufus… mais quelque chose de profond et d’irrationnel semblait l’en empêcher. Il commençait à comprendre pourquoi : il avait peur. Peur que les Gardiens ne le reconnaissent plus comme l’un des leurs, que la reine ne le rappelle à Lucid… Et, surtout, peur de ce qu’il pourrait trouver derrière ce mur qui endiguait sa mémoire et ne lui permettait que de brefs coups d’œil vers son passé.


Texte publié par Beatrix, 10 décembre 2020 à 00h55
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