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tome 2, Chapitre 3 « Lucid - Troisième partie » tome 2, Chapitre 3

Aurean s'engagea sur le chemin qui menait vers les pavillons des gardiens, disposés tout autour du palais de Lucida. Si la résidence royale évoquait un lotus, avec ses larges « pétales » de lumière blanche, chacune des sept maisons, avec sa couleur et sa forme spécifique, rappelait une autre fleur - plus par hasard qu'autre chose, car les plantes d'Erastria étaient quasiment inconnues à Lucid.

Avec ses hautes parois jaunes qui se recourbaient à leur sommet et son cœur fuselé, son logis ressemblait curieusement à une énorme jonquille. Il se dressait au milieu d'une prairie ondoyante piquée d'étoiles. Des flammettes bondissaient entre les bosquets de l'allée, dont les branches-flammes s'étaient exagérément étirées vers le ciel irisé après tout ce temps sans entretien. Des luxioles de toutes les couleurs avaient trouvé un abri dans leurs frondaisons. Leur sifflement ténu habitait le bruissement des rameaux brûlants.

Auran s’avança presque timidement dans le jardin à l'abandon. Il essayait d'invoquer d'éventuels souvenirs, ou même une vague impression de familiarité, mais il ne ressentait rien de plus que s'il avait contemplé une belle image. Il s'approcha des murs extérieurs de la demeure et posa la main sur la surface de lumière jaune. Aussitôt, elle céda son contact, lui livrant l'entrée dans la première enceinte.

Il la découvrit presque vide, juste décorée par quelques bouquets embrasés et objets de rayons sculptés. Le tout lui parut élégant, mais impersonnel. Peut-être que l'espace central lui laisserait un meilleur sentiment.

L'absence de porte le déstabilisait. Il avait beau savoir qu’elles ne servaient à rien à Lucid, il trouvait toujours saugrenu de passer à travers les murs. Celui qui cernait la pièce intérieure brillait d'une couleur bien plus intense. Il s'arma de résolution.

Traverser la paroi de lumière lui donn l'impression de franchir une cascade. Quand sa désorientation se fut atténué, le Gardien découvrit enfin le cœur de sa demeure.

Les Lucidiens n'employaient pas de meubles à proprement parler, comme pouvaient le faire les Erastriens. Ils dormaient en lévitation et n'éprouvaient pas souvent le besoin de s'asseoir. La fatigue n'affectait pas leur organisme de la même manière que celui des humains. L'appel du sommeil se faisait parfois sentir, mais il n'alourdissait pas leurs membres. Aurean était surpris de la différence entre son corps de Lucidien, dans lequel il devait apprendre à vivre de nouveau, et l'enveloppe de lumière solide dont il était revêtu sur Esrastria, qui réagissait quasiment en tout point comme celui des autochtones.

Mais contrairement à ses attentes, la pièce n'était pas vide : des voiles diaphanes drapaient le plafond, mouvant comme une eau vive. D'autres décoraient les murs comme d’étranges œuvres d'art qui semblèrent un peu hermétiques à Aurean. Il découvrit dans une alcôve des globes-mémoires, ce qui tenait lieu de livres à Lucid. LeGardien d'Or se demanda s'il pourrait trouver des informations pertinentes à l'intérieur. Il les effleura du bout des doigts, pour connaître les sujets qu'ils traitaient.

Il ne s'agissait que d'ouvrages génériques sur l'histoire de Lucid, de pensées lyriques qui pouvaient s'apparenter à de la poésie et des études sur la nature d'Erastria et de Penumbra. Il se promit de les lire avec attention dès qu'il aurait le temps. Sans doute y recueillerait-il des informations susceptibles d'aider à contrer les Ombres…

Alors qu'il désespérait de trouver la moindre touche personnelle, il aperçut une œuvre différente des autres… Même si elle était composée de lumière, comme toute chose à Lucid, elle ressemblait à une peinture erastrienne. Elle représentait une femme… une humaine, qui portait des vêtements d'un style en vogue plusieurs siècles plus tôt. De longs cheveux d'or tombaient sur ses épaules, retenus par un diadème. Des yeux d'un vert ardent éclairaient un visage aux traits doux, néanmoins emprunts d'une profonde fierté et d'une volonté farouche.

Qui pouvait-elle bien être ? En regardant de plus près, Aurean distingua autour de son cou un médaillon qui figurait une pointe de lance. Où avait-il déjà vu ce symbole ?

Il recula, perplexe : qui pouvait-elle bien être ? Une ancienne attache ? Non, c'était peu probable… À part pour lui et Estrella, tous les liens se créaient entre des personnes du même sexe. Alors pourquoi l'image de cette inconnue se trouvait-elle chez lui, quand bien même ce genre d'oeuvre n'avait pas cours à Lucid, car les globes-mémoires évoquaient bien mieux les individus que n'importe quelles représentations ?

Peut-être qu'en explorant la Mémoire de la Lumière, il obtiendrait quelques réponses… Après tout, d'autres Lucidiens avaient pu rencontrer cette femme. Et le symbole sur le médaillon semblait un bon indice pour retrouver son identité.

Il décida de dormir un peu en attendant que Lucida le convoque pour l'assemblée des Gardiens. Fermant les yeux, il laissa son corps s'alléger et s'élever lentement, puis basculer en position horizontale, les ailes étendues. Il s'obligea à se détendre, cherchant un peu de réconfort dans des souvenirs agréables, ceux des moments passés avec ses amis de l'Académie des Sept Couleurs. Il réalisa qu'il avait hâte de retourner à l’endroit qu'il avait fini par considérer comme son véritable foyer. Ce furent ses dernières pensées cohérences avant de plonger dans un profond sommeil.

« Gardien Aurean ? Gardien Aurean ! »

Il ouvrit les paupières, pour apercevoir à côté de lui ce qui ressemblait à un feu d'artifice figé en pleine explosion. Une voix ténue et flûtée s’échappait de cet amas d'étincelles :

« Les Gardiens Azura et Rufus vous attendent au-dehors pour vous accompagner chez la reine. »

L'étrange créature se volatilisa dans un nuage de paillettes. Aurean savait qu'elle se reformerait autre part, prête à porter les prochains messages. Il se redressa et se laissa doucement descendre au sol, où il se posa en s'étirant.

Il baissa les yeux sur ses vêtements, une simple tunique vaporeuse issue de sa seule volonté : il était bien plus rapide de se préparer à Lucid qu'à Erastria, c'était déjà ça. Un léger mouvement de doigts lui permit de créer une brume réfléchissante pour vérifier son apparence. Il rassembla sa longue chevelure derrière sa nuque et hocha la tête, satisfait. Le Gardien d'Or laissa le miroir improvisé se dissiper, puis traversa les deux épaisseurs de mur pour retrouver ses amis.

Contrairement à lui, le Gardien Rouge et la Gardienne Bleu n’arboraient pas une physionomie bien différente de celle qu'ils adoptaient à Erastria. Ils ne s'en démarquaient que par leurs ailes et leurs vêtements – ainsi, bien sûr, que la texture de leur corps.

« Tout va bien, Aurean ? demanda Azura qui se montrait toujours un peu protectrice envers lui, depuis qu'il avait été libéré de ses deux ans de réclusion.

Il la rassura d'un sourire :

« Oui, je vais parfaitement bien… Je me suis un peu reposé . J'ai juste un peu de mal à reprendre mes marques. »

C'était un euphémisme, mais il ne voulait pas les inquiéter avec ses doutes et ses troubles de mémoire. Rufus posa une main sur son épaule :

« Je comprends. Tu dois être soulagé de retrouver un endroit familier, même si tout cela doit faire un peu trop pour toi actuellement. La Reine aurait peut-être dû attendre encore un peu avant de te demander de revenir siéger au Conseil.

- Les décisions de la reine ne se discutent pas, déclara Azura sévèrement.

- Bien sûr que non, mais elle est suffisamment bienveillante pour accepter de ménager l'un de ses sujets s'il en a besoin ! »

Aurean les écouta discuter en silence, en se demandant quand ils se souviendraient de sa présence.

« Tout va bien, finit-il par déclarer d'un ton las. Ne vous inquiétez pas, je survivrai ! »

Ils se tournèrent vers lui, un peu surpris de ses paroles, mais ils opinèrent avant de se diriger pour la seconde fois vers la corolle blanche du palais royal.

Quand ils arrivèrent dans l'espace extérieur, les autres Gardiens étaient déjà présents. Lilias et Indis discutaient avec sérieux, sans doute des revendications des Irisés. Brand les salua d'un large sourire, de même que Virdis, de façon un peu plus timide. Une petite étinmèche leur annonça que Lucida les attendait dans le salon supérieur. Aurean paniqua quelques secondes en songeant qu'il n'avait pas la moindre idée de l'endroit où se trouvait cette pièce, avant de se rappeler qu'il n'aurait qu'à suivre ses compagnons. Un à un, ils passèrent le mur vers l’espace intérieur puis s'élevèrent gracieusement vers le plafond, aussi aisé à traverser que la paroi extérieure.

Ils émergèrent dans une belle salle polylobée où flottaient quelques étinmèches. Au lieu de prendre pied sur le sol, ils demeurèrent en lévitation, attendant que la Reine fasse une nouvelle apparition. Celle-ci ne les fit pas patienter trop longtemps ; elle descendit au milieu d'eux, s’installant au centre de leur cercle multicolore.

« Mes fidèles, déclara-t-elle de sa voix envoûtante, je vous ai réunis pour écouter le Gardien Aurean, qui souhaite nous faire part d'une nouvelle extrêmement grave… Si vous voulez bien lui prêter votre complète attention... »

Le Gardien d'Or conserva le silence un long moment : il ne s'était pas attendu à être exposé aussi rapidement à l'attention de tous. Il prit une vaste inspiration – ou ce qui en tenait lieu pour les Lucidiens - et commença :

« Comme vous le savez peut-être, je suis de retour parmi vous après avoir été retenu deux années complètes… J'ai survécu grâce à mon attache, Bastian, qui s'est sacrifié pour moi. »

La gorge serrée, il dut faire un effort pour poursuivre. C'était encore bien trop intense, trop personnel pour qu'il parvienne à en parler aisément, même face à ceux qui étaient censés être ses frères et sœurs.

« Après bien des péripéties que je vous épargnerai – Azura et Rufus les connaissent aussi bien que moi –, nos alliés ont fini par rallier une Ombre que nous avons délivrée de la servitude de ceux qui l'employaient comme un outil, une famille de mages renégats de Reyliss. Je sais quelle va être votre réaction, ajouta-t-il précipitamment. Vous allez me dire que les habitants de Penumbra sont nos ennemis naturels, que nous ne pouvons en aucun cas composer avec eux. Mais les choses ne sont ni aussi simples, ni aussi évidentes…. Elle éprouve une profonde reconnaissance envers les mages qui lui sont venus en aide. »

Il préféra ne pas parler du lien qui l'unissait désormais à Segara ; il craignait que la nouvelle soit mal reçue par la souveraine et les gardiens qui l'ignoraient encore.

« En parlant avec elle, mon attache, Estrella, a découvert qu'elle était issue d'un monde où les Gardiens n'existaient plus...Un monde… où Lucid avait été anéanti ! »

À ces mots, des interjections perplexes ou surprises s'élevèrent tout autour de lui.

« Comment est-ce possible ? s'indigna Brand. Nous sommes encore tous bien vivants et bien présents !

- C'est bien la question… répondit Aurean. Le monde qu'elle nous a décrit semblait terriblement… horriblement réel. Il était dominé par des mages de l'Ombre cohabitant avec des Penumbréens qui avaient trahi leur propre royaume. Les mages de Lumière y étaient traqués... »

Il baissa la tête, pensif :

« Avec nos alliés de Reyliss, nous avons longuement réfléchi à la question, vous pouvez me croire. Et nous en sommes venus à une terrible conclusion. Nous pensons… qu'il s'agit de notre avenir. »

Il se tourna vers le Gardien Indigo :

« Indis, crois-tu possible que nos ennemis aient pu remonter le temps pour s'attaquer à nous ? »

L'intéressé le fixa pensivement avant de déclarer :

« Faire venir une personne de l'avenir demanderait des moyens absolument redoutables… Je pense que l'assemblée de tous les mages Indigos du Temps de Reyliss n'y suffirait pas ! Ou alors... »

Il réfléchit un instant, avant d'ajouter :

« Ou alors, avec une source d'énergie particulièrement intense, mais je ne vois pas où ils auraient pu la trouver !

- Tu crois, alors, que ce n'est pas l'avenir ?

- Cela me paraît assez peu probable, mais je ne peux te l'affirmer pleinement. »

Aurean eut l'impression qu'un peu du fardeau qu'il portait depuis les révélations de Kina s'était évaporé, mais il gardait malgré tout quelques doutes.

« Mais alors, de quoi peut-il s'agir ? D'une autre réalité ? »

Il repensa à son emprisonnement, à ce sortilège qui les avait maintenus, Batsian et lui, cachés du monde entier, jusqu'à ce qu'Estrella trouve une porte vers eux et le sauve d'une disparition certaine.

« Comment pourrait-on créer un autre univers ? Qui serait le nôtre… mais en même temps différent ?

- Tout dépend de la capacité à altérer le tissu de la création, remarqua Lilias pensivement. Les maîtres des rêves et des illusions le font à leur manière… La réalité est une chose ténue.

- Tu veux dire… Que cet univers existe dans un rêve ? demanda Brand, perplexe.

- Oui… et non. »

Lilias abaissa les paupières, comme toujours quand elle partait dans un de ses discours cryptiques :

« La réalité est un mélange subtil. On pourrait dire qu'elle est composée par tous les éléments contrôlés par les Sept Couleurs. Une part de Rêve, de Temps, d'Esprit, de Vie, de Transmutation, de Création et même de Combat – ou plutôt d'énergie, pour ne pas qu'elle ne reste qu'un beau paysage statique...

- Ce qui signifie que des mages assez puissants, qui contrôleraient les Sept Couleurs, pourraient parvenir à faire apparaître une autre réalité, et à la maintenir ? demanda Aurean avec stupéfaction. Mais comment est-ce même possible ? J'ai été retenu prisonnier dans un espace très réduit… Je peux croire qu'une réalité très limitée a pu être créée par quelques mages… mais une étendue qui reflète les trois royaumes ? Cela paraît totalement insensé ! »

Il secoua la tête, confus. Cette explication lui paraissait plus folle encore que l’hypothèse de mages et d'Ombres voyageant dans le temps.

« Je n'ai pas dit cela, répondit Lilias avec un petit sourire. Il ne s'agirait pas de recréer toute la réalité, mais de la faire diverger à un moment donné… J’ignore de quelle manière, mais si nous voulons te croire, nous devons trouver une explication valide ! »

Aurean soupira, passant la main dans les mèches lumineuses de ses longs cheveux d'or. Il avait espéré trouver des réponses, mais celles-ci semblaient prendre un malin plaisir à le fuir. Lucida, qui était restée muette et attentive durant l'échange, reprit la parole :

« Eh bien, Lilias, Indis, puisque vous ne prenez plus directement part à la destinée des hommes, pourrais-je vous demander d'explorer ce mystère ? »

Les deux gardiens acquiescèrent, visiblement peu charmés de cette tâche, mais trop avisés pour oser la refuser.

« Rufus, Azura, Aurean… poursuivit la souveraine, compte tenu de vos positions respectives, je n'ai aucun doute que vous persévérerez à surveiller Esrastria et à la protéger contre les machinations des Ombres et de leurs alliés.

- Cela va de soi », répondit Rufus en s'inclinant.

Azura et Aurean en firent autant, avec la même résolution.

« Enfin, Brand, Virdis… Je sais que vous vous tenez plus éloignés des affaires de Reylissane, mais je connais votre nature calme et attentive… Tâchez de rester à l'écoute de tout ce que vous pourrez voir ou entendre sur la question ! »

Les deux Gardiens Vert et Orange s'inclinèrent à leur tour.

« Croyez bien, ajouta-t-elle d'un ton plus grave, que je prends parfaitement au sérieux ce que vous venez de me conter. Après des décennies, des siècles mêmes de paix, nous nous retrouvons dans une période de troubles, et nous devrons montrer de la constance et de la vaillance si nous voulons contrer la menace qui pèse sur Lucid tout comme sur Erastria. J'attends de vous que vous vous demeuriez forts et que vous offriez votre contribution pleine et entière à cette lutte ! Car si nos soupçons devaient se révéler vrais, nous n'aurons aucun endroit où nous réfugier. Nous tirons notre essence de Lucid et nous ne survivrions pas si ce royaume devait être détruit ! »

Aurean crut voir la lumière de la reine vaciller légèrement à cette perspective. Depuis les révélations de Kina, il avait parfois l'impression de vivre un mauvais rêve.

« Aurean... »

La main de la Reine, celle qui demeurait à nu, se posa doucement sur son épaule :

« Nous savons tous à quelle épreuve tu as échappé, déclara-t-elle d'une voix chargée de compassion, et combien tu es toujours affecté. Si les choses devaient tourner mal… Il te faudra être plus fort encore que les autres Gardiens ! »

Le regard de ses yeux d'argent liquide sembla plonger au plus profond de lui, comme pour le sonder, tout en le rassurant d'une façon qu'il ne parvenait pas totalement à cerner. La souveraine en savait-elle plus long qu’elle voulait bien l'avouer sur ce qui menaçait Ersatria ? Se doutait-elle de l'amnésie qui le frappait ? Le gardien d'Or brûlait de lui poser la question, mais il ne lui appartenait pas de prendre une telle initiative. Il se contenta de s'incliner respectueusement, en murmura quelques paroles de remerciements.


Texte publié par Beatrix, 6 mai 2018 à 19h57
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