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tome 1, Chapitre 21 « L'Ombre d'un Doute - Première partie » tome 1, Chapitre 21

La ruelle n'avait sans doute jamais connu une telle agitation : Bertlam était arrivé à cheval, flanqué de Rufus, au moment où Estrella et Aurean tombaient dans les bras l'un de l'autre, épuisés.

« Ledelian et Azura ne vont pas tarder à arriver, fit-il gravement. Estrella, si je me souviens bien, la demeure de vos parents n'est qu'à quelques minutes ?

— En effet, ce n'est pas loin d'ici, répondit pour elle Aurean, d'une voix lasse.

— Suffisamment près pour que je puisse envoyer Rufus ? »

Le Gardien d'Or réfléchit un instant avant de répondre :

« S'il peut le faire rapidement, il ne devrait pas y avoir de problèmes. »

Le jeune homme aux cheveux rouge hocha la tête :

« J'y vais immédiatement. Vous n'êtes pas blessés, au moins ? »

Estrella se rappela aussitôt la brûlure fulgurante qu'elle avait ressentie quand la tentacule de l'Ombre avait frôlé l'épaule du Gardien.

« Aurean... » fit-elle d'une voix pressante, l'engageant à avouer.

En soupirant, il leva les yeux vers Bertlam :

« Rien de très grave. Demain, il n'y paraîtra plus... »

Les lèvres du responsable de la sécurité étaient pressées en une fine ligne ; il secoua la tête avec désapprobation.

« Je laisserai Rufus et Azura en juger quand nous serons... au calme. »

Il lança un regard appuyé en direction de Mikhaïl d'Arral, qui se tenait un peu à l'écart et observait non sans curiosité les deux élèves de l'Académie. Rufus esquissa un bref sourire et se dirigea vers son cheval. L'animal le regarda un peu nerveusement, mais laissa le cavalier remonter sur son dos sans protester.

Estrella écarquilla les yeux ; elle venait juste de comprendre ce qu'elle aurait dû voir dès la première fois qu'elle l'avait croisé : Rufus était un Gardien. De toute évidence, celui qui était lié à la Magie Rouge de Combat. Mais comment Bertlam pouvait-il être son attache, s'il n'était pas un mage ?

« Vous... êtes un compagnon ? demanda-t-elle à voix basse, tout en ayant conscience de l'indiscrétion de sa question.

— Bien deviné, jeune demoiselle, répondit Bertlam avec une once de sourire. Mais je préfère que cela ne se sache pas trop. »

Aurean fit mine de se relever, mais l'homme posa une main sur son épaule, lui intimant silencieusement de rester assis. Un bruit de roues attira leur attention : la jeune fille reconnut avec soulagement la voiture de sa famille et comprit que le cocher, au lieu de l'attendre à l'entrée de la rue, avait décidé d'aller prévenir sa famille. Pour une fois, fort heureusement, son père était rentré tôt : elle n'osait imaginer ce qui serait arrivé si sa mère et Madame Maysie avaient été seules à la maison. Francis d'Outremont sauta au bas de la voiture et se précipita en longues foulées vers les jeunes gens :

« Estrella... Aurean... Que s'est-il passé ? »

Mikhaïl d'Arral s'avança vers lui, pâle et élégant, une expression grave sur le visage :

« Francis... Je regrette d'avoir ainsi mis votre fille en danger. Je l'ai trouvée dans un état de confusion inquiétant à la sortie de l'Académie et j'ai décidé de la ramener chez vous. Il y avait des encombrements sur les voies principales... Si j'avais su que nous risquions de tomber dans cette... escarmouche... »

Il soupira avant d'ajouter :

« J'ai bien tenté de contrer ces... choses, mais ma Couleur de Magie ne semble pas pouvoir les affecter. »

Francis d'Outremont le considéra en silence, avant de tendre la main :

« Je vous remercie, Mikhaïl. Je comprends tout à fait. Je vous demanderai peut-être quelques détails plus tard.

— Vous pouvez compter sur ma complète collaboration, répondit le mage de l’École Violette en la serrant cordialement. Si vous me le permettez, je vais rentrer chez moi à présent, retrouver mes filles... »

Ses filles...

Lizbet. Kina.

Estrella plissa les yeux avec soupçon : c'était à la suite de sa rencontre avec les jumelles d'Arral qu'elle avait commencé à ressentir des impressions étranges, puis qu'elle avait été envahie par ces émotions incontrôlées qui lui faisaient voir Aurean comme un ennemi. Il pouvait très bien être innocent... mais elle avait peine à lui donner le bénéfice du doute. D'un autre côté, il avait tenté ce qu'il pouvait contre les Ombres.

Mikhaïl d'Arral contempla d'un air navré le carrosse privé de chevaux et de cocher. Bertlam s'approcha respectueusement du Mage de l’École Violette :

« Messire d'Arral, vous pouvez emprunter ma monture si vous le souhaitez. »

L'homme aux cheveux argenté parut soulagé par la proposition :

« Je vous remercie. »

Il s'approcha du cheval et d'un mouvement souple, l'enfourcha avant de disparaître dans les méandres de la ville. Rufus, qui était arrivé au même temps que Francis – sans doute l'avait-il rencontré à mi-chemin – le suivit du regard, les sourcils froncés.

« Pas fâché de le voir disparaître », grommela son supérieur.

Une nouvelle voiture surgit sur les lieux, tirée par un seul cheval blanc, laqué de même couleur et portant les sept étoiles des Sept Couleurs de la Magie. Dame Ledelian en descendit, suivie d'Azura dont le capuchon avait glissé en arrière, révélant sa longue chevelure bleue.

« Comment ont-ils fait pour nous retrouver ? demanda Estrella, un peu perplexe.

— Un Gardien sait toujours où se trouve un autre Gardien, expliqua Aurean. En principe, du moins... » ajouta-t-il d'une voix plus sombre.

Bien sûr... Quand il se trouvait piégé dans cette faille de réalité, il avait totalement disparu de la perception de ses pairs.

Déjà, Francis d'Outremont était revenu vers eux. Il se pencha et posa une main sur l'épaule d'Estrella, l’autre sur celle d'Aurean :

« Venez, nous allons rentrer à présent. Il nous faut à tout prix tirer cela au clair. »

La jeune fille hocha la tête et se leva avec lassitude. Le garçon en fit de même, mais laissa échapper un léger cri de douleur en portant la main à son épaule. Azura vola vers lui avec une expression inquiète :

« Laisse-moi voir ! », commanda-t-elle d'une voix qui n’admettait aucune réplique.

Francis s'écarta, laissant la Gardienne examiner la blessure d'Aurean. Le garçon blond ôta sa veste avec des gestes un peu raides et remonta sa manche : là où la créature des ombres l'avait touché, la peau était noircie, comme si l’obscurité s'était insinuée dans son corps. Des veinules partaient de cette tâche sombre, comme si elles tentaient d'envahir tout son être. Estrella sentit la nausée s'emparer d'elle ; elle porta la main à sa bouche, réprimant un violent tremblement, tandis que le culpabilité l'engouffrait toute entière.

« Ne t'inquiète pas, Estrella, fit Aurean gentiment, ce n'est pas beau à voir et plutôt douloureux, mais c'est très superficiel. Une bonne nuit de repos devrait suffire... »

Azura pressa les lèvres en une fine ligne ; son expression sceptique montrait clairement qu'elle en doutait.

« Mais comment un simple contact de ces choses ont pu te blesser ainsi... ? murmura Estrella.

— Nous sommes des créatures composées de lumière, expliqua Rufus qui s'était rapproché lui aussi. Et je suppose que ces êtres étaient des Ombres pures. Lucid et Penumbra sont deux mondes opposés. Ombre et Lumière peuvent cohabiter dans une certaine mesure à Erastria, mais pas quand une intention destructrices les animent.

— Il s'agissait bien de Penumbriens, alors ?

— Oui... mais des Ombres mineures invoquées de façon très éphémères, répondit Aurean pensivement. Elles n'avaient aucune substance et supportaient très mal la lumière du jour. »

Une autre question taraudait la jeune fille... sans doute un peu ridicule compte tenu des circonstances :

« Est-ce que... qu'elles sont mortes ? » souffla-t-elle.

Ces êtres avaient beau être ses ennemis, la perspective d'être devenue une meurtrière la troublait profondément. Le gardien blond lui adressa un sourire rassurant :

« Non, ne t’inquiète pas... Leur cohésion en ce monde était très fragile ; elles ont été renvoyées à Penumbra. Cela dit, elles ont sans doute été très affectées et cela leur prendra du temps pour retrouver leurs forces.

— D'autres prendront leur place », intervint gravement Rufus.

Francis d'Outremont, qui était resté silencieux durant l’échange, déclara avec autorité :

« Nous discuterons de tout cela chez moi. Estrella et Aurean sont épuisés et bien trop vulnérables au milieu de cette ruelle. Même si nous sommes assez nombreux pour les défendre, nous ne pouvons prendre de risques. De plus, nous devons éviter d'attirer l'attention de la Haute Chambre de la Magie.

— Vous avez tout à fait raison, Francis. Il y a beaucoup de choses dont nous devons parler... Et des mesures à prendre. »

ƸӜƷ

Le bureau de Francis d'Outremont était assez vaste pour réunir le petit groupe, même s'il avait dû faire apporter plusieurs fauteuils supplémentaires. Estrella avait eu le temps de troquer son uniforme contre une confortable robe d'intérieur et de reprendre un peu ses esprits par la même occasion. Sa mère et sa sœur n’étaient pas encore rentrées, ce qui leur avait évité des scènes de panique dont personne n'avait vraiment besoin.

Assise dans un confortable siège aux coussins profonds, elle goûtait l’ambiance chaleureuse de la vaste pièce, éclairée par une baie arrondie qui donnait sur les jardins. Rangées après rangées d'étagères tapissaient les murs, chargées d'ouvrages sur l'histoire, la magie, la géographie, la politique... En fait, tout ce qui était jugé trop pointu et complexe pour figurer dans la bibliothèque familiale. Son père avait tiré son fauteuil de derrière son bureau pour être plus proche de l'assemblée des trois Gardiens et de leurs attaches. Estrella se sentait un peu nerveuse en songeant à la réaction de la Haute Chambre de Magie, si elle venait à apprendre que trois Lucidiens s'étaient réunis dans le bureau d'un estimé membre des Hautes Lignées et haut fonctionnaire de l'administration magique de Rayliss.

Aurean avait eu la permission de rester à la seule condition que s'il se sentait trop mal, il partirait aussitôt se coucher. En attendant, on lui avait concédé la place la plus confortable, dans un vénérable fauteuil de repos, avec des oreillers dans son dos et un plaid moelleux pour couverture. Il avait vertement protesté, déclarant qu'il n'aimait pas être chouchouté de la sorte. Rufus ne rata pas l’occasion de se moquer gentiment de lui :

« Les enfants doivent écouter leurs aînés !

— Je ne suis pas un enfant », grommela-t-il.

Son ton et son apparence boudeuse rappelaient tellement un adolescent rebelle que les deux autres Gardiens ne purent s'empêcher de sourire, de même que les humains présents dans la salle.

« Eh bien, c'est un juste retour des choses, déclara Rufus en haussant un sourcil amusé. Tu ne te gênais pas pour te moquer de moi quand j'étais lié à ce mage précoce de dix ans... »

Azura éclata de rire ; Aurean prit un air légèrement penaud. Estrella essaya de s'imaginer un Rufus de neuf ans, en proie aux remarques facétieuses d'un Aurean adulte, et ne put s'empêcher de rire à son tour. Cependant, quelque chose dans la regard du Gardien d'Or brisa rapidement cette hilarité : le regard ambré était un peu perdu, noyé de doutes.

Encore des souvenirs qu'il soupçonnait de ne pas réellement être les siens... ? Mais ceux conservés dans la Mémoire de la Lumière ?

« Pour commencer, déclara gravement dame Ledelian, nous devons déterminer si l'esprit d'Estrella a bien été manipulé... Et si c'est bien le cas, par qui. »

La jeune fille faillit s'écrier qu'elle n'aurait jamais, ô grand jamais, formulé de telles pensées à l'égard du Gardien... Certes, sa proximité forcée l'indisposait, mais de là à le considérer comme une menace... ? Quant au coupable, plutôt à « la » coupable, il ne faisait presque aucun doute qu'il devait s'agir de Lizbet. Mais quel intérêt avait eu cette dernière à s’attaquer si violemment à elle ?

D'ailleurs, pourquoi son père s'était-il trouvé si opportunément sur son chemin ? Et pourquoi avait-il emprunté cette petite rue, celle où étaient tapies les Ombres ? D'un autre côté, il l'avait défendue contre ces êtres terrifiants... Elle ne savait véritablement que penser.

« Le plus simple, Estrella, poursuivit dame Ledelian sur sa lancée, serait de savoir quel type de magie a été employée pour vous plonger dans la confusion. Il s'agit très probablement de l’œuvre d'un membre de l'École Bleue de l'Esprit ou de l'École Violette du Rêve. Cependant, ajouta-t-elle en fronçant les sourcils, je doute que la jeune Lizbet puisse maintenir aussi longtemps un sort aussi puissant et versatile...

— Pourtant, déclara la jeune fille d'un ton crispé, je suis certaine que Lizbet a fait quelque chose. Elle l'a même avoué d'ailleurs... »

Dame Ledelian appuya son menton sur sa main, le visage pensif :

« Ce n'est pas que je ne crois pas Lizbet capable de tels actes. Je dois avouer que cette jeune personne m'a toujours paru... 

— Sournoise ? » compléta Estrella.

Dame Ledelian esquissa un sourire pincé :

« Ce n'est pas le terme que j'aurais employé. Je peux comprendre sa douleur en apprenant le sort de Bastian. Mais cela n'excuse en aucune manière son esclandre au réfectoire. Et encore moins le fait d’avoir employé ses pouvoirs pour tenter d'affecter votre vision d'Aurean, Estrella... »

Le Gardien se rencogna sur sa couche et ferma les yeux, les mains crispés sur le plaid :

« C’est de ma faute. Si je ne m'étais pas enfui de cette manière... Je fais un bien piètre protecteur », ajouta-t-il amèrement.

Francis d'Outremont se leva de son fauteuil, son regard gris flamboyant :

« Je ne veux plus entendre cela, Aurean ! »

Le garçon blond baissa la tête, le visage pâle ; devant sa détresse apparente, le père d'Estrella se reprit et déclara avec plus de douceur :

« Ce que je veux dire, c'est que je refuse de t'entendre sans cesse te remettre en cause. Surtout pas après la façon dont tu as affronté les Ombres tout à l’heure. Ce que je veux savoir, c'est ce que tu as ressenti en présence de Lizbet, pour que tu aies eu un tel besoin de fuir sa présence... »

Estrella était toujours un peu surprise du manque de formalisme que son père adoptait avec Aurean, contrairement à dame Ledelian. C'était comme s'il le considérait comme un garçon ordinaire... et un membre de la famille. Elle ne savait pas si elle devait s'en réjouir ou s'en offusquer.

Le professeur de l’École Bleue leva une main pour stopper la conversation :

« Le plus simple serait que je puisse sonder l'esprit d'Estrella, afin de savoir quel type de magie a été utilisée contre elle... Elle en porta forcément encore les traces. Êtes-vous d'accord, Estrella ? »

Tous les regards se tournèrent vers la jeune fille, qui resta immobile, le cœur battant, cherchant la réponse au plus profond d'elle-même.


Texte publié par Beatrix, 24 mars 2014 à 15h55
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